La Couronne de Cuivre

Le capitaine parut hésiter.
" Vous puez moins. Elle est entre leurs mains depuis l'aube. Elle dormira sur le pont."
Il fit volte-face et regagna son gouvernail.
" C'était quoi ? demanda la jeune femme. Un oui ou un non ?"

Il n'en revenait pas qu'il ait accepté et ne put réprimer un sourire.
-Un oui. Mais je crains qu'il ne vous faille dormir sur el pont, cette nuit... Hum, et si j'étais vous... je me ferais discrète.
Il lui adressa un clin d’œil puis s'en fut retrouver les garçons.
Il était déjà redevable à la nouvelle venue de lui avoir fourni un motif pour les taquiner, à l'occasion.

Baptiste était toujours assis sur son banc mais il étouffa un bâillement et quand Taliesin s'approcha, il se leva.
" C'est l'heure de dormir, je sais... et je ne suis pas contraire. Cette journée m'a... épuisé."
Victor de son côté, était allé à la rencontre de la jeune femme qui venait de grimper, radieuse, sur le pont.
" Moi je fais d'abord connaissance !"
Derrière eux, Rissien et Alyan remontèrent la passerelle. Ils s'ébranleraient dans quelques secondes.

-Restons quelques minutes, histoire d'observer la rencontre : m'est avis qu'elle peut être très intéressante. souffla-t-il à l'oreille de Baptiste.
Il posa une main légère sur son épaule.
-Au fait... Bravo, pour le gobelin : Victor m'a raconté ton exploit. Et bravo aussi por ton attitude tout au long de ces pénibles événements : ce n'était pas évident de tenir bon.

Victor et la jeune femme se serraient très cérémonieusement la main. Mais ils étaient trop loin pour pouvoir entendre ce qu'ils échangeaient, désormais à mi-voix. Le vent avait gonflé la voile de l'Ecureuil et le bateau se déporta sur la rivière, dans la nuit noire.
" C'était un total hasard, le gobelin. Il a traversé la fenêtre, juste à ma gauche, et le coup est parti tout seul... Je n'aurais jamais imaginé qu'une poêle puisse être... aussi dévastatrice. Ça, plus la soupe... Je pense que j'aurais pu rester dans ce village, ils m'aimaient bien."

-C'est difficile de ne pas bien t'aimer, Baptiste.
Il lui ébouriffa les cheveux.
-Il était donc évidemment hors de question que je te laisse au village. Mais j'espère quand même que ce qui s'est passé... ne te décourage pas trop de poursuivre le voyage.

" Non. Victor a raison : on en a vu d'autres... et on n'est pas si démunis."
Il sourit.
" J'ai survécu au Temple de Baine. Je ne vais pas me faire tuer par une bande de gobelins, ce serait stupide !"

Il sourit à son tour, songeant à ce qu'avait dit Galathée à propos du garçon : elle avait vu juste.
-Prochaine étape : une bande d'orcs, fit-il sur le ton de la plaisanterie. Tu verras, on s'en sortira pareillement. Nous irons ensuite crescendo au fil de notre périple et l'étape finale consistera à vaincre une cohorte de démons. A l'issue de ce programme intensif, tu seras un aventurier accompli !

" Faut juste que je me choisisse une spécialisation, remarqua-t-il. Même si je suis pas encore très vieux, ça ne peut pas faire de mal d'y réfléchir. La poêle... C'est efficace mais ça manque d'élégance."
Il eut un sourire futé.
" Je pense que je serai alchimiste..."
Il rougit.
" Est-ce que tu crois qu'on aurait dû... prélever quelque chose sur les gobelins ?"

Il rit.
-Peut-être certaines choses sont-elles utilisées en alchimie : j'avoue n'avoir aucune connaissance en ce domaine. Mais je crains que nos éventuels prélèvements ne nous aient valus de continuer le voyage à pied.
Il se fit pensif.
-Ceci dit... Si tu veux, je te file mes affaires : tu devrais pouvoir récupérer une bonne quantité de sang de gobelin. Que dis-je, de sang de chef gobelin !

" Mais j'ai pas de fioles vides, alors je ne saurai pas le stocker, dit-il avec le plus grand sérieux. Mais peut-être que si j'attends que ça sèche, je peux le gratter pour en faire une poudre et je peux la mettre dans un petit sachet en parchemin. Mais ça ne se garde peut-être pas... Hum. Je me demande si ça vaut cher, ce genre de composants... Dans tes histoires de Gérard, il vit de ça, non ? Des morceaux de monstres qu'il ramasse ? Je devrais..."
Son regard fila vers Victor.
" Peut-être qu'on pourrait vraiment faire équipe. La tête et les muscles. S'il n'était pas du genre à nous mettre dans les ennuis, bien sûr... "

-En même temps, s'il n'y a pas, dans une équipe, quelqu'un qui a tendance à attirer les ennuis... celle-ci a peu de chance de vivre des aventures, tu ne crois pas ?
Il sourit à nouveau.
-Pour le reste, comme je te le disais, je n'y connais rien en alchimie : tu es le plus versé de la famille en ce domaine.
Ne lui avaient-ils pas offert, pour les fêtes de fin d'année, tout le nécessaire pour mener ses premières expériences ?

Baptiste acquiesça. Victor revenait vers eux, accompagné de la jeune femme.
" Je vous présente Cordélia de Solarcis.
— Oui, enfin, c'est pas mon nom... de Solarcis, je veux dire. C'est juste d'où je viens.
— Cordélia, donc. Qui va voyager avec nous.
— Jusqu'à ce que le capitaine me jette par-dessus bord."

-Enchanté de faire votre connaissance, Cordélia, répondit-il, amical. Permettez-moi, déjà, de vous rassurer : le capitaine n'est pas aussi brutal que vous le craignez, et il vous permettra de débarquer normalement. Peut-être en même temps que nous, d'ailleurs, puisque nous nous arrêtons également avant la Lorien.
Il aurait dû ne rester qu'une unique journée de voyage. Mais ils avaient sans doute pris du retard.

" Je dois dire que j'aurais bien été dans la Lorien, moi. Mais bon. Il parait que certaines barges font le trajet uniquement entre Anarion et l'orée. Vu que c'est la cité la plus cosmopolite de la forêt, je trouverai sûrement des gens moins... stressés par la longueur des oreilles pour m'y emmener. Au pire, j'irai à pied. C'est pas recommandé, je sais bien, mais si je reste juste en dehors de la forêt, je devrais me débrouiller. C'est juste que... il me reste absolument rien. Même pas une paire de bottes !"
Elle agita ses orteils, puis un large sourire bourgeonna sur ses lèvres.
" Enfin, c'est pas vraiment vrai : il me reste la vie ! Et ça, ça vaut bien mille paires de bottes !"

-Effectivement, acquiesça-t-il.
Il espérait toutefois qu'elle pourrait se procurer des bottes et des vêtement là où elle débarquerait : cela rendrait tout de même son voyage plus... agréable. Au pire, en fonction de ce qu'il lui resterait après avoir payé le coût du trajet au capitaine, il pourrait voir s'il avait de quoi lui céder un peu d'or, histoire qu'elle puisse s'acheter le nécessaire.

" Mais mon plan, c'est de me bricoler un nécessaire pendant le trajet. Je sens que je vais devoir négocier, et mon elfique est franchement abyssal, mais si je peux chasser sur les berges... Je pourrai déjà me constituer un petit matériel... ou le vendre pour me faire un peu d'argent. Bref, je reste sereine. Je me dis que j'ai survécu pour une bonne raison."
Elle haussa les épaules.
" Mais je pue terriblement. Je vais vous laisser tranquilles et aller me coucher là-bas. Je vois qu'on m'a abandonné une sorte de paillasse... Ça va être grand luxe, ici, beaucoup plus que ce que j'avais imaginé. Bonne nuit !"
Et sur ces entrefaites, Cordélia les abandonna et gagna un coin vers la proue. Victor sourit.
" Elle me plait bien."

-Cela ne m'étonne pas, dit-il, amusé.
Il sourit aux deux garçons.
-Mais sur ce, les gars, il est grand temps pour nous d'aller au lit...
En ce qui le concernait, il tombait de fatigue.

Ce qu'ils firent rapidement. En bas, il n'y avait encore personne, aussi purent-ils se changer et s'installer sans déranger quiconque. Une fois n'est pas coutume, Baptiste s'endormit avant Victor. Ce dernier semblait regretter de n'avoir occis aucun gobelin et Taliesin l'entendit maugréer des aventures à mi-voix pendant quelques minutes avant de sombrer. Ensuite le barde put lui-même trouver le sommeil. Sa nuit fut tranquille et sans heurts.
Il fut réveillé au petit matin, par le frou-frou de l'eau et le chant des oiseaux. Comme la veille, la cale était déserte : Victor et Baptiste étaient déjà levés.

Bigre, à force de se lever bon dernier, il allait s'attirer une fichue réputation.
Une réputation de marmotte.
Une réputation... de barde, tout bien réfléchi.
Embarrassé malgré tout, il se vêtit et gagna le pont, entamant une journée qui, l'espérait-il, serait plus paisible que la précédente.

L'Ecureuil croisait dans un décor champêtre tranquille. Les berges étaient couvertes d'herbes hautes et de buissons fleuris, mais le regard pouvait porter au-delà, vers les collines environnantes. Taliesin aperçut même quelques maisons, un cercle de pierre au sommet d'une éminence, les ruines moussues d'un pont depuis longtemps disparu. Baptiste était assis sur son banc habituel, un livre ouvert sur les genoux. Victor s'entraînait à bander son arc en compagnie de Cordélia, vers la proue. Non loin de Baptiste se trouvait Nremyn, lui aussi en train de lire. Voronwë, imperturbable, menait son bateau sur la rivière.

Il les salua tous avec discrétion, pour ne pas les déranger.
Puis il récupéra de quoi petit-déjeuner et s'installa sur un banc pour manger tout en observant la riant paysage.
Elle semblait déjà bien loin, cette sinistre nuit et sa cohorte menaçante de gobelins... Et contrairement à ce qu'il avait pensé alors, il n'avait plus du tout envie de raccourcir le voyage.

Baptiste abandonna son livre pour venir s'asseoir près de lui.
" Bien dormi ? J'ai failli venir te réveiller, mais tu dormais drôlement bien, alors je me suis dit que tu en avais besoin..."
Il pointa son bol.
" Tu goûtes cette petite pointe sucrée, là ? C'est de l'angélique. Je n'aurais jamais pensé à en mettre dans du gruau."

-Oh...
Il se concentra davantage sur ce qu'il mangeait.
-Effectivement... Et c'est pas mal du tout, dis donc !
Il sourit.
-Qui t'as fait cette suggestion ?

" Oh, c'est pas moi qui l'ai fait, dit Baptiste avec une grimace. Je crois pas qu'ils me laisseraient m'approcher de leur nourriture..."
Il rit.
" C'est Cordélia qui m'a dit que c'était de l'angélique. On en trouve sur le bord de la rivière, apparemment... Il ne faut pas la confondre avec la ciguë, parce que ça y ressemble fort, mais y'a des trucs pour pas se tromper."
Il se tourna vers l'aval.
" On a croisé une autre rivière, il y a peu, c'est ça qui a dû te réveiller : ça secouait. Tu as vu comme la nôtre a grossi ? Apparemment, c'est seulement maintenant qu'elle s'appelle vraiment la Sylvestre. Avant, c'était la Sereine."

-Ah, je ne savais pas.
Il avala une nouvelle bouchée de gruau, reporta un instant son attention sur le paysage.
[color=#FFF66]-En tout cas, la région est vraiment magnifique : je pense que notre future randonnée à travers la contrée sera des plus agréable.[/color]
Et sans doute débuterait-elle le lendemain.

" Sans doute. Il faudrait leur poser la question, mais comme il n'y a que toi qui peux communiquer avec eux, et bien..."
Il haussa les épaules.
" Moi je suis bien, je dois dire... Je ne suis pas sûr d'être un aussi bon marcheur que toi ou Victor. Je n'ai pas d'expérience en la matière."

-Tu n'avais pas non plus d'expérience en combat à la poêle et pourtant, tu t'en es tiré comme un chef. Pourquo en irait-il autrement de la marche ?
Il lui sourit.
-Au pire, il y a Minuit. Mais de toute façon, ce ne sera pas très long jusqu'à Vauxgrisants.

" Je crois que je préfère encore marcher que monter Minuit, dit Baptiste avec un sourire. Mais si on fait suffisamment de pauses, ça ira. Et puis en espérant que le temps ne se gâte pas, aussi..."
Ils avaient eu de la chance depuis le début de leur périple en bateau, c'était indéniable. Le gamin s'abima un moment dans la contemplation du ciel bleu, où galopaient quelques nuages fringants.
" Combien de jours de marche, tu crois ? Deux ? Trois ?"

Il fronça les sourcils.
-Hum, c'est ce que je dirais, spontanément. Mais je n'ai vraiment aucune certitude.
Il jeta un regard en direction de l'échelle menant à la cale.
-Tu veux qu'on regarde la carte ?

La Couronne de Cuivre

[Quête] Sur la Sylvestre...