La Couronne de Cuivre

Un grincement sinistre sur sa gauche lui indiqua qu'on ouvrait une porte qui ne devait pas servir tous les jours. Le son fut accompagné par un courant d'air plutôt frais, signe que l'endroit où il se trouvait était chauffé sinon entretenu.

Des bruits de pas se rapprochèrent alors et une voix d'homme s'exprima en drow, une langue dont Alchem ne saisissait pas toutes les subtilités malgré son inimitié affirmée pour ce peuple. Le svirfneblin en saisit néanmoins assez pour comprendre que le mâle parlait de lui à une seconde personne : on le désignait sous le terme d'assassin mais il ne fut ni question de son nom, ni de sa fonction à Ornegemme. La seconde voix - féminine cette fois - s'exprima d'un ton impatient avant de s'éloigner :

- Interrogez-le ! Mais sans trop l'abîmer pour le moment.

HRP : juste une petite précision. Alchem à un niveau en Drow très convenable. Je le précise car tu sembles partir du principe que sa connaissance de la langue est approximative. C’est l’elfique général qu’il connait moins par contre.

L’interroger ? Forcément. Pas de surprise sur ce point. Et on ne l’avait visiblement pas reconnu. Tant mieux. Peut-être devrait-il commencer à s’inventer une histoire. Peut-être même pourrait-il tenter une tromperie profitable à sa situation. Improbable, mais il ne perdait rien à tenter. Il fallait voir comment les choses se déroulaient. S’il finissait par être reconnu, il n’aurait par contre pas le choix, il devrait se supprimer à la première occasion. Il en savait largement assez pour conduire Ornegemme à sa perte. Cette idée le fit frémir.

HRP : désolé de la confusion mais il me semble l'avoir lu ainsi dans les langues de ta fiche. C'est effectivement bien plus logique qu'un svirfneblin connaisse le langage de ses pires ennemis.

La porte se referma et avec elle le courant d'air frais et relativement agréable en comparaison avec la moiteur de la pièce. On posa des mains sur lui mais pas encore d'outils tranchants comme il pouvait le redouter. Le drow se contenta pour l'heure de lui retirer un à un tous ses vêtements et de le manipuler sans qu'il puisse vraiment opposer de résistance.

- Pas de marque, bien sûr : cela aurait été stupide de revendiquer ces attentats... Bien commençons par le plus simple : pour qui travailles-tu, vermine ? Je te conseille de répondre si tu veux que la séance dure le moins longtemps possible.

« Pour ceux qui m’ont payé, déclara Alchem d’un ton posé. Vous allez me demander d’être plus précis. Tout ce que je vais pouvoir vous dire, c’est que je n’ai eu affaire qu’à une seule personne, que c’était probablement un intermédiaire, qu’elle avait une taille d’elfe noir ou d’humain, qu’elle avait une voix masculine, qu’elle parlait parfaitement le commun des profondeurs avec un léger accent que je n’ai pu identifier, que son visage était dissimulé, qu’elle m’a donné assez d’informations pour pénétrer dans votre cité sans problème, et que contre une récompense substantielle elle m’a chargée d’affaiblir la maison dirigeante en me faisant passer pour l’esclave d’une autre maison. Si vous voulez savoir qui je suis, et bien Neq Lalame, un assassin versé dans les arcanes, offrant ses services aux plus offrants. Et si vous mettez en doute ma fiabilité parce que je parle tout de suite, sachez qu’on ne m’a payé pour mon silence. Ça veut dire que rien de ce que je connais ne peut vous faire remonter au commanditaire, surtout pas si la nouvelle de ma capture a déjà filtrée. À présent, si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas, sinon et bien, torturez-moi. J’imagine que vous avez compris que je sais parfaitement comment ça se passe chez vous. »
Son habitude à demeurer neutre dans ses attitudes l’aidait beaucoup à jouer ce rôle d’assassin détaché. Il tâchait aussi de se souvenir qu’en général, les gnomes des profondeurs restaient neutres dans leurs relations avec les autres races. Ornegemme était une exception. Bref, il bluffait et devrait maintenant se tenir à ce mensonge. Il ne croyait pas un seul instant qu’il puisse lui être profitable, mais dans le doute...

Le drow conserva un silence oppressant pendant un bon moment tout en griffonnant quelques notes sur un parchemin invisible. Il demeura encore impassible comme pour faire monter la pression par des promesses non dites. Il poussa finalement un soupir faussement navré avant de répondre d'un ton tout aussi affecté :

- Charmante histoire. Proprette et bien ficelée. Un peu trop. La plupart des prisonniers parlent, sachez-le, Neq Lalame ! Mais croire la première histoire qu'ils débitent ferait de moi le pire des inquisiteurs.

Alchem sentit la main de l'elfe sur son poignet puis sentit la pression d'un petit objet tranchant courir sur son avant-bras. L'entaille piquait un peu mais n'était guère douloureuse pour qui s'était préparé à une séance de torture. Le drow retira son bandeau au svirfneblin qui put avoir un aperçu de la petite cellule dans laquelle il était interrogé. Il s'éloigna jusqu'à une table disposée contre un mur et en revint avec un petit flacon comportant trois petites araignées.

- Ces merveilles sont des assistantes très dévouées, vous verrez. Mais nous en reparlerons demain.

Sans un mot de plus, l'elfe retira le bouchon du flacon et en déversa le contenu sur la plaie. Aussitôt, les trois araignées se précipitèrent sur la blessure pour se glisser sous la peau d'Alchem. La sensation était plus dérangeante que désagréable. Pour l'instant.

Alchem commença peu après à se sentir fébrile. Il devint plus difficile de penser de manière cohérente et son esprit se mit à s'embrouiller et à vagabonder. Il se mit également à avoir froid plus que de raison comme si une forte fièvre s'était emparée de lui. Alors qu'il évoquait Ornegemme dans son esprit, il songea à sa mère, à Deskata, à Dotha aussi. Il n'arrivait pas vraiment à se fixer sur une figure familière ni même à s'abandonner au repos. Et, à la lisière de son esprit, il perçut une voix sardonique :

- Alchem Murmure donc. C'est bien, continuez comme ça.

La voix s'approcha tout près de son oreille, à la fois suave et terrible de promesses :

- Ne vous débattez pas, c'est inutile même s'il m'est plaisant de vous voir ainsi : on ne peut pas lutter contre son propre esprit. Cela fait bien longtemps que nous ne nous sommes pas croisés, Alchem Murmure. Où étiez-vous donc toutes ces années ? Terré comme un rat apeuré derrière vos illusions ? Infiltré parmi nous comme une maladie contagieuse en attendant patiemment le moment de nous atteindre ? Alors, Alchem Murmure, toute cette attente en valait-elle la peine ?

En ouvrant ses yeux vitreux, le svirfneblin ne reconnut pas le tortionnaire qui lui avait administré les araignées nocives. Non, il s'agissait cette fois d'une femelle. Une femelle dont le visage était meurtri, marqué par une vilaine cicatrice.

HRP : décidément, encore une erreur de compte.

Alchem resta un instant le regard sans expression, se demandant s’il voyait le présent ou un de ses souvenirs. Puis il se mit à loucher sur le visage de la Drow. Il détailla cette cicatrice, son œuvre inachevée.
« Vous l’avez donc gardé... alors qu’il vous aurait été si facile de vous régénérer... murmura-t-il. Quand vous vous regardez dans un miroir, c’est moi que vous voyez, n’est-ce pas ? Depuis toutes ses années... »
Il eut un pâle sourire.
« Si j’avais su... Je vais vous faire un aveux. Quand je vois un Drow, c’est vous que je vois. C’est pénible... Et maintenant que je vous vois, c’est moi que je vois... C’est troublant... »
Oui, il se voyait. Il voyait sa propre folie, sa propre haine. Il voyait ce qui l’avait peu à peu rongé.

HRP : pas de soucis, j'ai supprimé le message précédent.

L'expression de la drow changea, affichant comme un sourire sardonique. Elle approcha son visage du sien comme pour l'examiner en détail et s'imposer à son esprit :

- J'espère que vous appréciez l'ironie de la situation. J'ai dépensé beaucoup de temps et de ressources à tenter de vous retrouver. D'aucuns diraient même que l'une des motivations de cette guerre était de mettre la main sur vous. Et voilà que vous venez au devant du danger comme un petit lapin dont on a enfumé le terrier. Alors, quelle était votre motivation ? Vous comptiez nous détruire de l'intérieur ? A vous seul ?

« Tout ça pour moi ? Vraiment ? Je suis flatté, vraiment. Si j’avais su... si vous aviez su... On aurait pu faire plus simple. »
Il eut un semblant de ricanement.
« J’ai été idiot. J’ai lancé une boule de feu en trop. J’avais encore tout un programme, ho oui, long comme le bras. »
En disant ces mots, il eut la conviction qu’un Drow aurait pu dire la même chose. Il était allé trop loin, il s’était comporté comme un assassin elfe noir, il était devenu ce qu’il voulait combattre. Il l’avait fait pour lui, pour sa vengeance, égoïstement, oubliant Ornegemme.
« Ce que je voulais ? Mais voyions, vous ne l’avez pas encore deviné, vous qui avez gardé cette cicatrice ? Vous, mieux que quiconque, peut le savoir. Je voulais vous trouver. Tout ça, je l’ai fait juste pour vous. »

La drow se pencha à nouveau au-dessus de lui, approchant son visage jusqu'à ce qu'il puisse sentir son souffle alors qu'elle répondait d'un ton presque attristé :

- Ah, vous le maître des patrouilleurs de votre cité. Venir jusque dans cet enfer pour me retrouver. Ce serait presque romantique ! Ah, vous auriez dû naître drow ! Si vous aviez été un drow digne de ce nom, j'aurais pris plaisir à une telle confrontation. J'aurais pris plaisir à vous briser entre mes reins. Ah, il aurait été si gratifiant de passer une décennie à vous asservir.

Elle finit sa tirade en posant ses lèvres sur les siennes sans tendresse ni animosité. Sans émotion. Les drows - surtout leurs prêtresses - en étaient bien incapables.

Alors que la drow se redressait après son baiser, le svirfneblin sentit ses lèvres lui picoter. La sensation allait au-delà de l'aspect psychologique d'avoir été embrassé par son ennemie atavique. D'ailleurs, la sensation ne se dissipa pas du tout et commença même à s'amplifier jusqu'à la démangeaison et même une horrible sensation de brûlure qui se répandit à sa bouche et à sa gorge.

La prêtresse devint floue alors qu'il peinait de plus en plus à fixer son regard et qu'une sensation de froid douloureux lui traversait le corps. Le visage de son tortionnaire de la veille s'imposa alors devant ses yeux et il tendit un flacon qu'il plaça à la commissure de ses lèvres.

- Ah, les petites merveilles ont achevé leur œuvre !

Le drow le détailla à nouveau de son regard impassible et sembla cette fois s'adresser directement à lui d'un ton patient, sans émotion particulière :

- Je suis désolé de vous annoncer cette nouvelle mais vos songes - auxquels je peux davantage me fier - ne sont pas vraiment en adéquation avec l'histoire que vous m'avez racontée hier. Mais c'était bien entendu très prévisible : tous mes clients commencent par me conter une fable. Alors, serez-vous de ceux qui saisissent l'occasion de se rattraper ? Allez-vous me dire qui vous êtes et qui vous envoie cette fois ?

Le drow parut quelque peu décontenancé par cette tirade. Mais un instant seulement : il esquissa une moue qui ne cachait pas sa surprise mais répondit néanmoins avec un certain naturel froid :

- Ce sera une première pour moi d'avoir un client appréciant mes services et m'encourageant dans cette voix. Peut-être est-ce une stratégie pour me faire baisser ma garde ? Peut-être êtes-vous tout simplement fou et brisé ? Je vais le découvrir. Nous allons le découvrir. Les vôtres sont particulièrement résistants à la magie, je crois ? Commençons donc par quelques expériences...

Le tortionnaire murmura quelques incantations et, aussitôt, Alchem sentit la peau de ses membres, de son torse, de son ventre lui démanger affreusement comme si des centaines d'insectes lui couraient sur les chairs.

La réaction d’Alchem fut tranchante.
« Ça commence mal... », dit-il, sincèrement déçu.
Certes, il devait se concentrer pour garder le contrôle de lui-même, mais ce n’était pas comme s’il n’en avait pas l’habitude. Après toutes ces décennies sur le terrain, après tous ses combats, toutes ses épreuves, la douleur était devenue une compagne familière dont il n’avait pas peur. Et, il le réalisait maintenant, il n’avait pas d’avantage peur de mourir. C’était en fait ce qu’il cherchait. Une fois mort, il ne serait plus un danger pour Ornegemme.
« Rassurez-moi, vous n’êtes pas un amateur ? Les araignées me laissaient espérer mieux. Est-ce que vous vous rendez compte que votre magie est moins efficace qu’un simple tisonnier dans le fondement ? Les gobelins font ça. Vous valez mieux qu’un gobelin quand même, non ? Je vais vous expliquer pourquoi la magie, utiliser pour faire mal, ne vaut rien. Elle piège le tortionnaire, elle lui donne l’impression qu’il est puissant, car la magie est la chasse gardée d’une élite. Mais au final, la magie ça se résume à quelques paroles murmurées et quelques gestes, accompagnés d’un effet. Les murmures et les paroles, ça ne terrifient que les gueux. Le bénéfice du sort se résume donc à son effet. Or la perspective de cet effet doit faire aussi mal. Et pour ça, la victime doit pouvoir comprendre ce qui va lui arriver. Avec le coup du tisonnier, il le voit chauffer. Allez, nouvel essai. Méfiez-vous, vous n’en n’avez pas énormément en réserve, tout du moins si vous escompté tirer des informations fiables de ma personne. Vous devez savoir qu’arrivé à un certain stade, le prisonnier est prêt à dire n’importe quoi pour que cesse la torture. Or, dire n’importe quoi, ce n’est pas dire la vérité, c’est dire la première chose qui passe par la tête. Un prisonnier mal conditionné ne vaut plus rien. »
Le plus dur dans tout cela, c’était que le ton du gnome témoignait d’une absolue franchise teintée de dédain. Il n’avait pas peur du Drow et, de ce fait, le Drow avait perdu tout son pouvoir de persuasion. Mais pouvait-on avoir le moindre pouvoir de persuasion sur un fou ? Et un fou avait-il quoi que ce soit d’intéressant à raconter ? Qui pouvait apporter le moindre crédit aux paroles d’un dément ?

Le drow avait écouté la tirade du gnome avec une grande impassibilité mais son long silence lui laissait penser que sa pique avait fait mouche. D'un geste, le tortionnaire fit disparaître la douleur ce qui laissait penser qu'il mettait fin à son sortilège. L'elfe noir choisit ce moment de flottement pour intervenir :

- Savez-vous pourquoi on a confié votre interrogatoire à un mage plutôt qu'à une prêtresse de LLoth ? Elles sont bien plus douées que nous pour manier la douleur comme un outil. Nous autres mages sommes plus doués pour l'illusion ou l'altération.

Le drow laissa sa question en suspens et se tourna d'un quart de tour pour faire un nouveau geste de la main. Alchem vit sous ses yeux une silhouette se former à partir d'une masse d'insectes. Une masse qui prit peu à peu les traits d'un svirfneblin. Ses propres traits. Pendant ce temps, l'elfe noir se dirigea vers la table pour y récupérer le petit flacon contenant trois petites araignées.

La fin du sortilège offrit à Alchem un répit dont il refusa de profiter. Trop de méthodes de torture reposaient sur les répits, bien que celui-là semblait n’être que la conséquence de ses propos, des propos qu’il poursuivit :
« L’altération ? Oui, pourquoi pas. ça offre des possibilités intéressantes. L’illusion, en revanche, employée contre un gnome, est en général vouée à l’échec. Vous devez aller sur votre terrain de prédilection, pas vous hasarder sur le mien. »
Il regarda avec une vague curiosité la constitution de son clone, puis ajouta avec un soupire :
« Oh mais je suis injuste. Je ne m’en prends pas à la bonne personne. Vous avez des ordres, votre marge de manœuvres est limitée. Vous ne devez pas trop m’amocher. J’imagine que vos supérieurs envisagent de m’exécuter en place public. Ils en ont besoin, pour l’image de la maison. Donner l’exemple, ce genre de choses. M’enfin, poursuivez. Je vais tâcher de cesser de me perdre en interminables tirades. Vous avez de la patience, il faut vous le reconnaître. Et c’est bien d’être patient, de demeurer de marbre. »

Le drow laissa une nouvelle fois le svirfneblin s'exprimer librement et il ne laissa transparaître aucune émotion, pas même un froncement de sourcils. Au lieu de cela, il profita de son silence pour s'approcher et planter ses iris pourpres dans celles d'Alchem. Et c'est cette fois avec une certaine satisfaction qu'il répondit :

- Comme je le suggérais tantôt, ce n'est pas un mage qui sera chargé de votre interrogatoire. Mais c'est bien moi qui suis chargé de recueillir les résultats les plus fiables. Moi et mon nouvel ami que voici : une copie parfaite de votre corps. Mais aussi de votre esprit. A un menu détail prêt : celui-ci est parfaitement soumis à ma volonté. C'est lui qui me révèlera tous vos secrets, même les mieux gardés. Les vôtres aimez à vous cacher, n'est-ce pas ? Votre double va me permettre de découvrir où vous vivez et comment s'y rendre. Les illusions, les protections - quelles qu'elles soient - n'y pourront rien.

Le drow ignora superbement la moquerie et le sarcasme d'Alchem et se tourna vers sa copie pour demander avec aplomb :

- Quel est ton nom, esclave ?
- Al...chem !

Alchem avait senti un léger picotement à la base de son crâne avant que la créature ne réponde à sa place.

- D'où viens-tu ?
- Or... Orne... Ornegemme !

Avec un sourire triomphant, l'elfe noir se tourna vers le svirfneblin allongé sur la table et expliqua avec fierté :

- Il est encore imparfait, bien sûr. Après tout il vient de naître. Mais il sait déjà d'instinct tout ce qui est important. Tout ce qui est primordial pour vous : ce que vous cherchez le plus à cacher.

Comment ? Impossible ! Alchem ne put trahir une expression de stupéfaction. Le regard qu’il lança ensuite au Drow fut d’une haine éloquente. Il cracha :
« Fier pour si peu ? Cette chose n’est qu’un aggloméra de sortilège basiques, un espèces de golem branlant ! C’est bien ce que je dis, vous avez raté votre vocation. Vous êtes un apprenti sorcier, du genre de ceux qui finisse pulvérisés par leurs propres vanités ! »
En vérité, c’était effrayant. Même s’il ne s’agissait que d’un golem capable de lire les pensées de son modèle, le bricolage était ingénieux. Les connaissances conséquentes de l’ex-chef des patrouilleurs lui firent supposer qu’il devait être exposé à l’équivalent d’un sortilège de détection de pensées. Le picotement à la base de son crâne était le signe concret du lien. Alors il lui était possible de lutter. Lutter... Il ne pouvait s’empêcher de le vouloir. Puisqu’il était pieds et poings liés, il cherchait à se battre instinctivement par les mots. Maintenant, il pouvait se battre avec son esprit. Il se jeta dans cette nouvelle bataille avec la férocité d’une bête démente. Le vaniteux, ici, c’était lui. Lui qui avait cru pouvoir faire chuter une ville à lui tout seul. Il avait peur d’être pire qu’un Drow. Il avait aussi peur d’être un imbécile, du genre de ces sages aveuglés par le pouvoir et le talent. Dotha l’avait mis en garde. Sa mère également. Dalius aussi. Il n’écoutait personne, que cette voix dans sa tête. Et si, par sa faute, tout était perdu ? Si Ornegemme tombait ? Si cela advenait, il ne pourrait jamais trouver le repos. Sa vie entière n’aurait été qu’un formidable gâchis. La seule évocation de cette idée lui donna le vertige.

Alchem était rompu depuis son enfance aux exercices mentaux visant à contrôler ses émotions et même ses pensées. Cela lui permettait de se garantir un certain niveau de résistance mais pouvait-on vraiment lutter contre une intrusion dans sa propre conscience ? Une intrusion qui lui était d’autant plus difficile à contenir qu’elle paraissait émaner de lui-même. Car à mesure qu’il luttait, il sentait affleurer sous la surface des secrets dangereux. Dangereux pour lui certes mais aussi et surtout pour les siens. La voix du drow interrompit le cours de ses interrogations :

- Alors Alchem d’Ornegemme, êtes-vous venu seul en notre belle cité ?