La Couronne de Cuivre

[Interlude : Ailleurs]

-Que tu crois.
Il désigna le centre de du bassin : Silmandel découvrit alors que ses effets étaient en suspension dans les airs, à quelques centimètres au-dessus de l'eau.
-Un mot de moi et ils tombent. Peut-être même qu'ils tomberont pile dans le portail. Alors tu vois, tu as intérêt à filer droit !

[Interlude : ailleurs]

Silmandel demeura absolument inébranlable.
« La belle affaire. Allez, cesse donc de dire des bêtises et dépêches-toi. Avec un peu de chance, tout sera sec d’ici peu. »
Ne pas laisser de prise à son adversaire et protégé, c’était sa stratégie. Ignorant la menace, il restait cependant près à faire ce qu’il avait dit : tout étendre correctement. Avec le soleil, il ne faudrait pas longtemps pour que ce petit jeu demeure sans conséquence.

[Interlude : Ailleurs]

Les effets de Silmandel se rapprochèrent dangeureusement de l'onde sans pour autant la toucher.
-Est-ce que je peux sortir de l'eau ? s'enquit Alexandre. Ce serait quand même plus pratique...
Il se tenait tout contre la berge, prêt à s'y hisser.

[Interlude : ailleurs]

« Bien sûr que non, quelle question ! » rigola le chat-garou.
Il était plus qu’évident que la menace d’Alexandre ne fonctionnait pas, mais alors pas du tout.
« Allez, plus vite tu te seras débarrassé de tout ça, plus vite tu pourras profiter de la source. Regarde où tu es ! Comment ne pas avoir envie de nager ? »

[Interlude : Ailleurs]

-Question de goûts. Moi, nager, j'aime pas ça.
Les effets de Silmandel se volatilisèrent.
-Et je vais garder mes affaires. La Dame pouvant débarquer à tout moment, je préfère avoir des habits mouillés que pas du tout.
Il se tourna brusquement vers le centre du bassin, comme si son regard avait été attiré par quelque chose. Mais l'elfe, lui, ne vit rien.

[Interlude : Ailleurs]

Forcément, Silmandel chercha à voir ce qui avait attiré l’attention d’Alexandre. N’y parvenant pas, il vérifia rapidement s’il pouvait repérer ses propres affaires, sans en donner l’air. Son odorât pouvait l’aider en cela. Ceci fait, il se recula.
« Allez, va, tu peux sortir. Si vraiment nager ne te plais pas... »
Il avait fait ce qu’il avait dit, il n’avait plus de raison de continuer à contraindre le garçon. Comme on disait, les plaisanteries les plus courtes étaient les meilleurs.

[Interlude : Ailleurs]

Pour l'heure, même son flair ne lui permit pas de trouver la trace de ses effets.
-Je crois que je vais rester où je suis : c'est pas si terrible, après tout, répondit Alexandre. Peut-être que le lieu joue...
Il fit quelques brasses maladroites mais ne fut pas long à revenir près du bord.
-Et puis, quand la Dame arrivera, je pourrai lui dire que tu m'as persécuté ! reprit-il, sourire en coin.

[Interlude : Ailleurs]

« Bah, comme tu veux. Il y a plein de fées pour affirmer le contraire. Et quand bien même il n’y en aurait pas, j’assume volontiers ces taquineries. »
Sur ce, il sauta dans la source. Pourquoi se priver d’une seconde baignade ? C’aurait été dommage, surtout qu’ainsi il pouvait royalement ignorer la disparition de ses affaires. Il comptait donc nager et continuer à chercher des gemmes. Il en voulait une en tant que souvenir.

[Interlude : Ailleurs]

Le plus dur ne serait pas de les trouver, puisqu'elles étaient nombreuses à joncher le fond du bassin, mais plutôt de faire un choix, car elles étaient toutes fort belles. En tout cas, qu'il en garde une ne devait pas poser problème : sinon, les fées l'en auraient averti...
Alexandre, pour sa part, s'enhardit quelque peu, se mettant davantage à nager. Pour autant, il ne s'éloigna guère du bord et ne plongea jamais.

[Interlude : ailleurs]

Silmandel s’étonna qu’Alexandre, même après que leur petit jeu ait cessé, conserve ses vêtements. Ce ne devait pas être très agréable. Il allait le lui faire la remarque mais se souvint d’une scène qui avait eu lieu dans les cryptes, lorsqu’il avait sauvé le garçon avec Clémentine et Asmodeus. Ce dernier voulait lui faire retirer sa robe, l’elfe aussi d’ailleurs, mais pas pour les mêmes raisons. Il sourit pour lui-même et ne dit rien, continuant sa chasse à la gemme.

[Interlude : Ailleurs]

Quelques minutes plus tard, alors qu'il avait repéré trois gemmes particulièrement splendides entre lesquelles il serait difficile de trancher, son acolyte se hissa sur la berge et, dégoulinant, s'assit dans l'herbe, au soleil. L'instant suivant, il était environné de lueurs chatoyantes et reprenait ses gesticulations : la discussion avec les fées venait de recommencer.

[Interlude : ailleurs]

Silmandel se garda bien de le déranger. Concentré sur les pierres, qu’il ne se lassait pas d’admirer, il finit par interroger les fées pour savoir s’il pouvait en emporter une comme souvenir et, si oui, laquelle elles préféraient car lui-même était bien en peine de choisir. Il comptait ensuite continuer de nager, tout simplement.

[Interlude : Ailleurs]

Elles désignèrent l'une des gemmes, arguant que ses teintes étaient aussi rares que délicates, et lui indiquèrent qu'il était autorisé à l'emporter avec lui.
Elles venaient de terminer de lui répondre lorsque le miroir au fond du bassin s'illumina brièvement mais de manière éclatante.
-Notre maîtresse sera ici dans une poignée de minutes, annonça l'une des fées.

[Interlude : ailleurs]

Silmandel, distrait par la lueur aussi resplendissante qu’éphémère, finit par reporter son regard sur la gemme désignée par les fées. Il abandonna les deux autres, avant de se raviser et d’en rattraper une alors qu’elle était en train de tomber au fond de l’eau. Puis il sortit de la source, les deux pierres en main. Une poignée de minutes... Peut-être même pas de quoi sécher... Il se rappela subitement que ses affaires avaient disparu. Était-ce encore le cas ? Il n’était pas sûr d’avoir le temps de les renfiler, mais tenait quand même à savoir.

[Interlude : Ailleurs]

Alexandre, toujours aussi trempé, avait bondi sur ses pieds : sans doute avait-il vu la lumière, sans doute les fées l'avaient-elles informé, lui aussi, de ce qu'elle signifiait.
-J'ai un peu le trac... avoua-t-il en jetant un regard à Silmandel.
Il ferma alors les yeux et murmura quelque chose d'inaudible. Quelques instants plus tard, les frusque de l'elfe réapparurent et se posèrent doucement devant celui-ci.
-Je suis décisément trop gentil...

[Interlude : ailleurs]

« Et moi donc ! répondit-il en lui présentant les deux gemmes. Tu veux un petit souvenir de la source ? Prends celle que tu préfères. Visiblement, les fées aiment bien celles-là. »
Il regarda ses affaires. S’il avait le temps de sécher, il les prendrait sans hésiter. Avant, il hésitait. Que valait-il mieux ? Un elfe habillé et trempé ? Ou un hybride chat nu et trempé ? Ou un elfe nu et trempé ?
« Tu n’as pas à avoir le traque, tout va bien se passer », assura-t-il.
Et l’instant d’après, il demandait en elfique un conseil à son dilemme.

[Interlude : Ailleurs]

Sauf que la réponse qu'il obtint ne l'aida guère : on lui dit que la Dame ne s'offusquerait nullement quelle que soit sa mise - ou son absence de mise - et qu'il devait donc faire ce qu'il préférait.
Quant à Alexandre, il semblait très embarrassé.
-En fait, les fées m'en ont déjà donné une quand elles ont vu que j'osais pas plonger, expliqua-t-il.
Il dut avoir une idée subite car il sourit.
-Mais je l'offrirai à ma sœur : elle la mérite bien, étant donné qu'elle n'a pas droit aux chouettes aventures, elle. Et donc, je vais prendre celle-là pour moi. Ça ne suffira pas à effacer tous les mauvais tours que tu m'as joué mais quand même... merci, c'est gentil.

[Interlude : ailleurs]

« Mais de rien. »
Il observa la gemme qui lui restait, la sienne donc, puis se pencha sur la source et ce fut dès lors son reflet qu’il observa. Il n’en avait pas encore l’habitude, d’où une certaine surprise qui persistait en le découvrant, mais le résultat constaté était très loin de lui déplaire. Encore une fois, il se dit qu’il collait plutôt bien à Féérie. Avec ce que les fées venaient de lui dire, et en supposant que de toute façon quelle que soit sa forme sa nature était connue, il décida de rester ainsi. S’il pouvait sécher, il retrouverait forme première et se vêtirait. Mais sinon, il assumait ce qu’il était, il aimait ce qu’il était. Il rangea la gemme, puis s’allongea au soleil en attendant la venue de cet être annoncé.

[Interlude : Ailleurs]

Voilà qui parut surprendre - sinon scandaliser - son acolyte.
-Tu vas rester comme ça ? Vraiment ? Alors qu'on s'apprête à rencontrer la Dame, la maîtresse des fées ?
Il fit la moue.
-Si oui... Peut-être que je lui dirai qu'on se connaît pas, qu'on s'est croisés par hasard juste avant d'arriver ici...

[Interlude : ailleurs]

« Allons, Alexandre, quelle image donnerais-je de moi si je me transformais et m’habillais, tout mouillé que je suis ? Celle d’un elfe qui se baigne vêtu ? C’est plutôt étrange tu ne trouves pas ? Toi, tu peux effectivement dire que je t’ai jeté à l’eau. Et tu devrais le faire, sans quoi il est possible que ce soit moi qui prétende ne pas te connaître. »
Sourire taquin.
« Quant à simplement me transformer... »
Haussement d’épaule.
« Je ne suis pas bien comme ça ? Ils savent ce que je suis. À quoi bon le cacher ? »

[Interlude : Ailleurs]

Alexandre parut perplexe.
-Mais tu es avant tout un elfe, non ? C'est ce que tu es depuis toujours, c'est ça qui te définit... Le côté garou, c'est plus récent, ça t'apporte des trucs en plus mais... ça ne te change pas complètement.
Il marqua une pause.
-Si je dis pas de bêtise, les druides peuvent se changer en animaux, quand ils sont assez puissants. Mais c'est pas pour autant qu'ils deviennent avant tout des animaux : ils restent ce qu'ils étaient avant avec, simplement, des possibilités en plus.

[Interlude : ailleurs]

Silmandel ne put réprimer une expression de perplexe surprise. Il ne s’attendait pas à ce que Alexandre aborde ce genre de sujet. Pour autant, il ne fut pas long à répondre :
« Oui mais non, ce n’est pas comme ça que ça marche. Un druide se transforme par magie. Il a plus d’aisance qu’un magicien ou qu’un ensorceleur en la matière car sa magie est proche de la nature, mais fondamentalement, c’est la même chose, c’est un sortilège. La lycanthropie est un changement incomparablement plus profond et c’est justement à ce titre qu’elle est si crainte. N’importe qui se trouvant face à un loup-garou ne voit ce dernier qu’en tant que garou. N’importe qui qui sera que je suis un chat-garou oubliera que j’étais un elfe. »
Il trouvait étrange que ce soit lui qui explique cela. Le voilà méditatif, se demandant à quel point il était déjà influencé par sa partie animale.

[Interlude : Ailleurs]

-Je vois ce que tu veux dire. D'un autre côté, c'est possible de faire disparaître la lycanthropie, ce qui montre bien que ça change pas totalement ceux qui l'ont. Sinon, ça serait impossible, ou ça les détruirait.
Il haussa les épaules.
-Mais je pense que tu es plus garou qu'elfe, maintenant, parce que quelqu'un d'aussi noble et d'aussi raffiné qu'un elfe ne songerait jamais à se présenter dans pareille tenue face à des êtres tels que les fées !

[Interlude : Ailleurs]

« Ho, tu sais, je n’ai jamais été très elfe de toute façon, et ça ne date pas d’hier. »
Il se garda bien d’en dire d’avantage. Il se garda bien de mentionner le fait qu’un elfe, fut-il de la lune, évitait de nouer des relations trop étroites avec des humains à la vie si éphémères. Il évita de souligner le fait que bien des elfes se croyaient supérieurs et que cela se traduisait chez certain par de l’arrogance. Non, même son empressement, sa fougue n’avait rien d’elfique. Tout ce qu’il avait d’elfique, c’était son amour de l’art, mais était-ce la chasse gardée des elfes ?
« Après, c’est normal, je vis depuis longtemps au milieu des hommes. Même d’où je viens ce n’était pas une communauté elfique, mais une ville où se mélangeaient bien des cultures différentes. »

[Interlude : Ailleurs]

Alexandre acquiesça, pensif, puis reporta brusquement son attention sur le bassin dont le fond venait à nouveau de s'illuminer.
-A mon avis, elle ne va plus tarder... souffla-t-il.
Puis il fit la grimace.
-J'aurais pas dû autant te taquiner, histoire d'être un peu plus présentable à son arrivée... Une Dame des fées, quand même, ça n'est pas rien...

[Interlude : Ailleurs]

« Ne t’en fais pas, s’il le faut, je dirais que c’est de ma faute », assura Silmandel, d’un ton léger.
Il venait de sortir de ses réflexions et, par la même occasion, de se redresser pour regarder la source. Fort d’une assurance à toute épreuve, il n’était pas spécialement inquiet à la perspective de cette rencontre. Il espérait juste qu’elle déboucherait sur un retour rapide au théâtre. Mais présentement, le spectacle ne parvenait pas du tout à occulter sa curiosité. Seule la sécurité d’Alexandre le poussait à ne pas totalement s’abandonner au plaisir du moment.

[Interlude : Ailleurs]

Le fond du bassin s'illumina encore. Mais, cette fois, il ne s'éteignit pas.
Des particules dorées montèrent jusqu'à sa surface puis s'élevèrent lentement dans les airs. D'abord peu nombreuses, elles ne tardèrent pas à se multiplier, formant une nuée de plus en plus dense, de plus en plus chatoyante...
-Comment on fait une révérence ? souffla Alexandre d'une voix à peine audible.

[Interlude : ailleurs]

« Regarde-moi quand j’en ferai une. Tu n’auras qu’à m’imiter », répondit, tout aussi bas, Silmandel.
Il s’était levé et se tenait maintenant au côté d’Alexandre. Face à la manifestation magique, tout de même impressionnante, il se demanda l’ombre d’un instant s’il ne commettait pas une erreur d’être resté sous ses traits hybrides. Puis il se rappela que les fées avaient eu à ce sujet des propos rassurants. De toute façon, il était trop tard pour changer quoi que ce soit. Il était nu, il était mouillé, il était poilu et bien tant pis, ainsi soit-il !

[Interlude : Ailleurs]

Alexandre, bien moins assuré que lui, jeta un regard dépité sur sa mise dégoulinante et tenta rapidement de remettre de l'ordre dans ses cheveux trempés.
Puis il se pétrifia.
La nuée se condensait, prenait forme, dessinait les concours d'une silhouette...
Un instant encore et une femme à l'irréelle beauté se tenait devant eux. Vêtue d'une robe blanche, elle se tenait debout à la surface du bassin comme s'il ne s'agissait point d'eau mais bien de la terre ferme.
Elle les observa de ses yeux d'un vert profond pailleté d'or tandis qu'un sourire affable étirait les commissures de ses lèvres, illuminant un visage emprunt d'une profonde sagesse.

[Interlude : ailleurs]

Silmandel fournit un réel effort de volonté pour cesser de contempler béatement cette merveilleuse apparition. Dans un coin de son esprit vint l’idée qu’il se trouvait probablement en présence de l’être le plus puissant qui lui ait été donné de rencontrer jusqu’à présent. Il sut cependant ne pas se laisser perturber par cette pensée.
« Madame », dit-il, affable, en exécutant une adroite courbette.
Il n’ajouta rien de plus et se contenta de surveiller du coin de l’œil Alexandre, prêt à lui souffler quelque chose au besoin.

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Le Bastion des Arts