La Couronne de Cuivre

De mauvaise humeur, la liche lui répondit que la destination n’avait pas changée. Il s’agissait donc toujours du palais du Roi de Cendre. Les morts-vivants progressaient maintenant dans les rues pavées d’une ville morte. Les hauts bâtiments de pierre se dressaient, noirs et sinistres, inertes et glacials, au cœur de la brume poisseuse. Le jour gris offrait aux ruines un visage désespérant. Ici, les vivants n’avaient pas leur place. Le vent dépressif faisait grincer des lanternes et claquer des volets. Des murmures s’échappaient des ténèbres d’une venelle. Parfois une paire d’yeux luminescents se laissait entrevoir à une fenêtre avant de s’effacer. La Gisombre dans toute sa splendeur... Pour l’instant, personne ne semblait vouloir barrer la route du duo.

Ce décor plaisait beaucoup à Asmodeus : il représentait indéniablement le triomphe de la mort. Non pas la fin de tout - comme le pensaient la plupart des vivants – mais l’expression la plus pure de l’éternité. Ici, les mort-vivants avaient leur place et même bien plus : ils étaient destinés à régner et à dominer toutes les autres formes d’existence.

La momie se secoua néanmoins, abandonnant ses réflexions pour se concentrer sur les rues qu’ils parcouraient. Pour en mémoriser le trajet mais aussi parce qu’elle avait la désagréable impression d’être observée, d’être exposée. Qu’à cela ne tienne, Asmodeus ne s’attendait plus à ce que leur présence passe inaperçue.

Les deux morts-vivants poursuivirent leur périple à travers la Melandis de la Gisombre. La cité semblait déserte, comme en témoignaient ses rues vides, et regorger d’esprits errants, de magie funeste... même le vent parfois paraissait incanter de sombres rituels. Après un temps indéterminé, le duo perçut les échos d’un combat, non loin. L’acier chantait. Une mêlée s’était engagée, de petite ampleur, mais acharnée.

« Ho, il m’en a dit assez ! Vous n’êtes qu’un parjure, une carcasse vouée à la damnation éternelle ! » fit une voix féminine vibrante de détermination.

Un rire plein de mépris lui répondit, un rire qui n’avait rien de naturel. Dame Irélia déjà bifurquait afin de s’éloigner. Elle ne souhaitait pas savoir ce qui se passait, à moins qu’elle ne le sache déjà et qu’elle juge ne pas être concernée. Après tout, pour elle, seule devait compter son livre de nécromancie...

Asmodeus n'avait pas non plus l'intention de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Il soupçonnait qu'en pareil endroit la curiosité était un passe-temps dangereux voire mortel. Gaspiller leurs sortilèges pour venir en aide à une créature qui ne saurait se défendre par elle-même n'était pas dans ses principes. Il s'éloigna donc en compagnie de Dame Irélia tout en lui demandant dans un murmure :

- Si l'un des protagonistes était une de ces créatures de la lumière dont vous avez parlé à Asmodeus, avez-vous une idée de qui était l'autre ?

Mieux valait se tenir informé même s'il n'était pas question de porter assistance à quiconque : ils auraient déjà fort à faire à partager le trésor du Roi des cendres en deux sans y ajouter un troisième larron.

« Non, absolument pas », assura Dame Irélia.

Elle mentait, Asmodeus en eut la conviction. Elle mentait et elle accélérait le pas, s’éloignant des échos du combat. Le rire de l’inconnu raisonna de nouveau, sinistre, glacial, accompagnant le fracas des lames.

« Il va falloir faire mieux que ça, ma jolie ! Beaucoup mieux ! »

Devant le duo de morts-vivants, la voie s’étendait en ligne droite, sans obstacle. Et la liche s’y aventurait sans un regard en arrière.

Asmodeus détestait l’idée de se faire balader – qui plus était aussi ouvertement – mais il se voyait mal démentir un mensonge aussi grossier sans argument tangible à opposer à cette satanée liche. Le bref échange qu’il avait surpris le renseignait au moins sur un point : l’adversaire de ce qu’il considérait comme étant être une de ces sœurs de la lumière avait les moyens de se défendre et il ne verrait pas forcément d’un bon œil une ingérence de leur part. S’il pouvait détourner l’attention d’ennemis potentiels, c’était un bonus appréciable mais il était tout de même chagriné de n’avoir pas tous les éléments pour identifier les parties prenantes du conflit et surtout pour en jauger les implications sur son périple.

- C’est bien dommage : Asmodeus pensait que vous auriez au moins une petite idée de son identité. Mais il faudra faire sans et continuer d’avancer en aveugle.

Dame Irélia devait jouir d’un ego surdimensionné - comme en avaient pour réputation toutes les liches – et il se voyait bien jouer de cette corde pour obtenir des informations de la part de la mort-vivante.

« Nul besoin de connaître toutes les pauvres âmes qui errent dans cet endroit, argumenta la liche avec aplomb. Mon temps est précieux, je le consacre à ce qui a de l’intérêt. Et je présume que quelqu’un d’aussi sage que vous fait de même. D’ailleurs, en parlant de sagesse, rassurez-vous, on n’avance pas en aveugle. Je sais où on est, où on va et où il n’est pas nécessaire de s’attarder. Le Roi de Cendre ne tiendra pas longtemps. »

Le duo s’était à présent assez éloigné pour que s’estompe les échos du combat qui, peut-être, avait également pris fin. Le vent sifflait en se faufilant entre les noires bâtisses de Melandis. Des murmures diffus semblaient s’y perdre. Mais tout était mort et désert. Une place maudite.

Malgré toute sa bonne volonté à l'égard de la liche et surtout de la mission à laquelle elle l'avait associé, Asmodeus avait bien du mal à se convaincre de l'urgence derrière laquelle Dame Irélia semblait vouloir constamment se cacher. Ah, comme il aurait été jouissif de la surprendre et la détromper pour aller jeter un regard à ce qui se tramait à quelques encablures de là. Mais ça aurait été prendre un risque énorme pour un bénéfice anecdotique et uniquement symbolique, pour une affaire d'ego qu'il était prêt à mettre de côté. Temporairement en tous cas.

- Bien mais il semble à Asmodeus que cette pauvre âme avait un potentiel certain. Difficile cependant d'en juger puisque vous êtes pressée.

Ce n'était pas un reproche. Enfin pas vraiment car son ton avait été parfaitement patient et calme, comme il énonçait un simple fait.

La liche ne répondit rien, se contentant de marcher à son rythme soutenu, son bâton de nécromancienne soulignant cette allure rapide en heurtant le sol avec un tempo sans rémission. Et le trajet, donc, se poursivit à travers les rues mornes et désertes. Vint un moment où une rumeur insolite se fit entendre. Des gémissements et des soupires... On aurait pu croire à une horde de zombis si les voix n’avaient pas été aussi désincarnées. Le duo déboucha bientôt sur une large allée qu’Asmodeus crut reconnaître. Il l’avait parcourut, dans la Melandis du plan matériel. L’allée conduisait aux cartiers favorisés, vers le palais. Seulement, elle était tout sauf libre. Une procession de fantômes y marchait, suivant un carrosse tiré par deux paires de chevaux squelettes. La procession était si longue qu’elle se perdait dans la brume. Dame Irélia eut un soupire agacé.

Voilà qui était très interpelant ! Et la liche n’allait plus vraiment pouvoir se défiler quand Asmodeus l’interrogea à voix basse mais avec tout de même un ton quelque peu amusé :

- Savez-vous qui est présent dans cette procession ou s’agit-il encore d’un quidam sans importance ?

Deux choses étaient certaines : attaquer une telle escorte n’était pas une option envisageable et le palais fourmillerait d’activité. Ce n’était pas forcément une si mauvaise nouvelle s’il pouvait trouver une bonne raison de s’y joindre. Mais il fallait commencer par savoir de quoi il s’agissait et il ne pouvait pour le moment compter que sur Dame Irélia pour éclairer sa lanterne.

Le ton amusé d’Asmodeus parût agacer encore d’avantage la liche. Elle lui jeta un regard courroucé avant de déclarer sèchement :

« Ce doit être un moissonneur d’âmes et ça ne nous concerne pas. Si vous avez une idée pour traverser, c’est le moment. Je préfère économiser ma magie, on risque d’en avoir besoin plus tard. Et s’engager dans la procession est à éviter. Nous risquerions de tomber sous l’influence du moissonneur d’âmes. »

Dame Irélia se remit à examiner la légion fantomatique qui marchaient juste devant, et qui semblait ne jamais vouloir prendre fin. La momie identifia des fantômes d’hommes, de femmes, d’enfants, des gens quelconques apparemment. Les ectoplasmes constituaient une barrière d’un bleu délavé, éthéré.

Asmodeus considéra le palais pour tenter d’évaluer s’il serait possible d’y accéder en contournant la procession et se réjouit intérieurement d’avoir fait sortir la liche de ses gonds. C’était un jeu dangereux certes mais il était important de lui faire comprendre qu’il n’était pas à son service et qu’il ne la craignait pas. Même si ce n’était qu’en partie vrai eu égard à sa puissance, se montrer en position de faiblesse avec ce genre d’engeances était le meilleur moyen pour provoquer une trahison qu’il était peut-être possible d’éviter.

- Il y a fort à parier que les autres parties prenantes chercheront à éviter cette procession. Il est donc plus sûr de rester à proximité. Pouvez-vous en dire plus sur la capacité d’attraction de ce moissonneur ? Si vous jugez préférable de ne pas en approcher, il faudra trouver une autre entrée. Il doit bien y avoir des catacombes ou des égouts qui courent sous le palais, non ?

« Ceux qui pénètrent dans la procession ont de grandes chances de se mettre à la suivre. La première fois, j’étais passé par là. Je n’avais pas eu à chercher d’autres chemins. Ha, faut-il que tout se ligue contre moi ?! »

De rage, la liche frappa le mur le plus proche avec son bâton. Il y eut un bruit métallique et quelques étincelles vertes jaillirent. Dame Irélia se tourna ensuite vers Asmodeus.

« Vous résidez à Melandis me semble-t-il. Vous connaissez donc mieux la ville que moi. N’oubliez pas que cette cité est le reflet, certes difforme, de la Melandis ordinaire. S’il y a des égouts ou des cryptes, c’est vous qui pouvez me le dire. Bref, rendez-vous utile ! Sinon on use de magie, voilà tout, mais ce serait du gâchis ! »

Asmodeus devait savoir que les égouts de Melandis étaient pareil à un dédalle grouillant de monstres. Cela restait toutefois une possibilité. Contourner la procession sans fin pouvait prendre beaucoup de temps, surtout qu’elle semblait vraiment interminable, c’en était surréaliste. Il restait aussi la possibilité de retourner dans le plan matériel et de rejoindre la Gisombre à un autre endroit. Ce serait peut-être le plus long, mais le plus sûr.

Il envisagea ces différentes hypothèses mais dut rapidement se résoudre à rejeter la possibilité de retourner dans le plan primaire : d’une part, il répugnait à gaspiller ainsi ses utilisations limitées de la fiole remise par le Façonneur mais, surtout, il ne connaissait que deux passages et tous deux débouchaient dans le cimetière qui était de ce côté de la procession. Et rechercher une autre faille pourrait prendre encore davantage de temps que de chercher un moyen conventionnel de contourner la file interminable d’âmes damnées.

Il ne voulait pas l’avouer à la liche mais il connaissait encore mal la ville, pas assez bien en tous cas pour en connaître chaque égout et savoir lequel emprunter pour atterrir au palais. Toutefois, il jouissait d’un très bon sens de l’orientation et était prêt à prendre ce risque.

- Le Palais est à deux pas d’ici, il suffit de trouver un accès au réseau d’égout et de ressortir de l’autre côté et vers l’arrière du Palais. De toute façon, ce sera moins risqué que d’emprunter la porte principale.

Et de chercher aussitôt une issue dans la rue derrière eux.

« Hum... ce n’est pas ce palais qu’on doit atteindre, reprit Dame Irélia en désignant la direction du palais impérial. Nous, on va par là. »

Elle montrait désormais une direction par-delà l’allée encombrée de fantômes. La brume empêchait de voir plus que la première rangée de noires bâtisses.

« Le Roi de Cendre s’est installé là-bas. Il y a un autre palais, un château plutôt. »

Elle affirmait cela comme si c’était une évidence.

« Quant aux égouts, s’il n’y a pas le choix... Mais l’idée de mettre les pieds en un lieu aussi indigne de ma personne me déplais, sachez-le. J’ose espérer que ce sera bref. »

Pour ce qu’Asmodeus en savait, les égouts n’étaient peut-être pas du tout à l’image de ceux qu’il avait pu entrevoir en certaines occasions dans le plan matériel : quel besoin des fantômes et des morts pourraient avoir de telles installations après tout ? En toute logique, elles ne devaient pas contenir les mêmes déjections que celles de son monde. Mais il pouvait se tromper, bien sûr : la Gisombre et ses règles étranges lui étaient quasiment inconnues et il ne se hasarda donc pas à formuler cette hypothèse à voix haute et préféra continuer ses recherches sans répondre à la remarque de sa très chère alliée.

Les égouts ressemblaient à des égouts. Mais ils étaient à l’image de la cité : vieux, sinistres, délabrés, morts, si bien qu’ils avaient des airs de cryptes au final. Les conduits labyrinthiques et obscurs s’étendaient en tout sens. Plongés dans le silence, le moindre bruit y raisonnaient de façon fort inquiétante. De l’eau coulait le long de certains passages. Des volutes de brume flottaient au-dessus. Des boyaux s’étaient effondrés, d’autres semblaient sur le point de le faire, d’autres encore demeuraient en plutôt bon état.

Dame Irélia regarda les égouts avec dépits, mais elle dût ne pas les trouver assez abjectes pour justifier une nouvelle remarque. Elle s’était mise à suivre Asmodeus. Ce dernier allait pouvoir éprouver ses talents d’orientation.

HRP : lance un d20.

Son idée n'avait pas changer : n'en déplaise à Dame Irélia. Elle avait voulu s'approcher du palais puis s'était ravisé sans aucune justification et en le prenant pour un imbécile par dessus le marché ! Il était temps de se rendre exactement dans cette direction pour découvrir ses raisons ou la forcer à les lui révéler. C'est donc dans la direction du palais qu'Asmodeus chercha à s'orienter puis de chercher une issue qui puisse remonter à la surface à proximité et de l'autre côté de la procession.

HRP : j'ai fait 10 !

Le duo marchait depuis cinq minutes dans les égouts. Il se trouvait maintenant dans un large conduit. Deux trottoirs encadraient une véritable petite rivière dont le cours paresseux suffisait à emplir le silence de constant clapotis. Les morts-vivants se trouvaient sur le trottoir de gauche et ils remontaient le courant. Voilà que devant eux, une lumière creva l’obscurité. C’était celle d’une lanterne et elle révéla une longue barque en train de descendre la rivière. Une silhouette munie d’une perche la manœuvrait. Trois autres silhouettes se trouvaient sur l’embarcation, toutes immobiles. Dame Irélia eut un soupire agacé et s’immobilisa. La barque était encore loin mais il n’y avait pas d’échappatoire, tout du moins pas à ce niveau du conduit. Une petite dizaine de mètres en arrière se trouvait par contre un couloir latéral.

Asmodeus considéra un instant leurs possibilités : il aurait été simple de faire demi-tour pour se dissimuler dans le conduit latéral mais le gardien en avait assez de laisser l'initiative à la liche et il considéra que la menace représentée par de simples promeneurs ne justifiait pas qu'il se terre comme une pauvre créature effrayée. Il continua donc, pour sa part, à avancer tout naturellement mais en se préparant à se protéger si les passagers de la barque étaient plus que ce qu'ils paraissaient.

La barque se rapprocha, les formes se précisèrent. Celle qui tenait la perche avait un petit quelque chose d’imposant et de surnaturel. Il ne s’agissait assurément pas d’un être vivant, à l’instar du gardien du portail du cimetière. Les autres passagers, en revanche, parurent plutôt ordinaire. L’un d’eux, assez stressé, regardait de tout côté. Il finit par apercevoir Asmodeus à la lueur indécise de la lanterne. Il eut un moment de stupeur, puis poussa un cri et voulut reculer. Le voilà qui basculait dans l’eau et sombrait la seconde d’après. Il ne remonta pas. La rivière était peut-être plus profonde qu’elle n’en avait l’air. Et ceux sur la barque n’eurent aucune réaction, comme si rien ne s’était produit. L’embarcation passa devant la momie. Personne ne voulait visiblement se battre. Si Asmodeus voulait leur parler, ou entreprendre autre chose, c’était le moment. Tout indiquait qu’ils allaient continuer leur route tranquillement.

Cela convenait très bien à la momie : que la rencontre ne se soit pas soldée par une confrontation assurait un peu plus sa position. Il ne s’était pas caché au risque de manifester une attitude craintive et il pouvait jouer sur l’absence de mauvaise conséquence pour s’affirmer davantage devant la liche.

Il sifflota et poursuivit son chemin comme s’il avait prévu ce qui se passerait. Et se garda bien de s’approcher du lit de la rivière car il soupçonnait que quelque magie y était à l’œuvre. A moins qu’elle n’ait été liée à la barque elle-même. Cela évoquait en lui des échos de récits lus bien des années plus tôt à propos de passeurs d’âmes.

Sans se retourner pour voir où se trouvait son acolyte, il lança d’un ton presque joyeux :

- Sans vouloir paraître vous commander, vous devriez vous dépêcher, Dame ! Cet endroit n’est pas fait pour des personnes de qualité !

Et tant mieux si ça agaçait la liche : ce n’était pas comme si leur alliance était solide et durable après tout !

La réponse de la liche fut aussi rapide qu’acide :

« Plutôt que de vous pavaner, ne feriez-vous pas mieux de vous concentrer sur la route ? Il me semble qu’on ne prend pas la bonne direction. Je vous préviens, je suis prête à vous aider pour trouver votre maudit bout de verre, mais encore faut-il que vous ne me fassiez pas perdre mon temps ! »

Dame Irélia n’était visiblement pas mauvaise en orientation. Pour autant, si elle avait été certaine que la momie avait changée de route, elle aurait probablement réagit d’une tout autre manière.

Et la réaction d’Asmodeus ne se fit elle non plus pas attendre. Il répondit d’un ton d’apparence sincèrement agacé alors qu’il proférait en toute mauvaise foi :

- Asmodeus n’a pas vraiment besoin de se concentrer pour effectuer des tâches aussi banales que de s’orienter ! Il peut se pavaner, trouver le meilleur itinéraire, vous faire la conversation pour s’occuper en marchant et même repriser ses bandelettes tout à la fois !

Sa destination n’avait pas changé : il avait bien l’intention de déboucher près du palais qu’avait si soudainement voulu éviter la liche tout en se préparant à prétendre que c’était le chemin le plus court pour atteindre la destination suivante qu’elle avait désignée.

La suite du trajet se déroula sans encombre. Le duo de morts-vivants remonta à l’air libre. Le palais de Melandis, s’il demeurait globalement indistinct à cause de la brume si épaisse, laissait cependant deviner sa présence par une diffuse impression d’écrasement et en laissant entrevoir sa vague silhouette. L’édifice avait quelque chose de parfaitement surnaturel, enfin semblait-il. Il était trop grand, trop vaste, avait trop de tours. Ce genre d’édifice, normalement, n’existait que dans les rêves ou les cauchemars. Dame Irélia observa les environs puis lança à Asmodeus un regard assassin.

« Vous vous moquez de moi ? »

Elle était calme. La momie comprit aussitôt que la liche faisait partie de ces gens qui criaient tout le temps mais quand ils étaient vraiment en colère, devenait de ce froid glacial ô combien plus menaçant. Elle avait compris, c’était presque certain, qu’Asmodeus avait changé de route. Prétendre le contraire risquait fort de ne pas suffire.

Asmodeus ne chercha pas à feindre l’ignorance mais répondit avec un calme similaire à celui manifesté par la liche. A la différence près qu’il n’y couvait aucune menace latente. Comme s’il n’avait pas besoin de proférer des menaces et se moquait de celles proférées par sa complice.

- Se moquer de vous ? Non, bien sûr que non ! On ne se moque pas des personnes comme vous ou Asmodeus ! Ce serait une activité très dangereuse pour tout un chacun, même puissant. En revanche, vous sembliez désireuse de rallier cet emplacement tantôt et, comme c’est a priori sur le chemin de votre nouvelle destination, Asmodeus tenait à vérifier qu’il était possible d’y accéder quand le besoin s’en ferait sentir. Le plan primaire est différent de celui de Gisombre, vous n’êtes pas sans le savoir, et il valait donc mieux vérifier pour être sûr ! Mais attendez… Asmodeus aurait-il commis une bévue en venant ici ? Il aurait fallu l’en avertir s’il ne fallait pas.

« Je doute fort qu’il faille passer par ici pour rejoindre l’endroit que je désirais, pour la simple et bonne raison que j’ai déjà atteint ma destination une fois, avant que les sœurs de la lumière ne me repousse. Maudit soient-elles ! Sans elles, je serais déjà loin et je n’aurais pas eu à supporter vos caprices touristiques ! »

Dame Irélia désigna le palais.

« Sachez, pour votre gouverne, que réside en ce domaine des forces avec lesquelles il vaut mieux ne pas composer. Ce qui entrent, ne ressortent pas. Le Roi de Cendre... »

La liche s’interrompit. Derrière le gémissement du vent dépressif se devinait les sabots d’un cheval en train de s’approcher. Il y avait également d’autres pas. Un petit groupe venait. Peut-être était-il encore temps de se cacher dans un des bâtiments à proximité. Ou bien, il était possible de faire face.

Mais Asmodeus estimait déjà avoir remporté la victoire dans ce nouvel épisode de leur duel de volontés : il avait forcé la liche à parler et la survenue du cavalier était une diversion bienvenue pour éviter d’avoir à se justifier ou même à répondre. A son tour d’ignorer ostensiblement les récriminations de Dame Irélia et ne lui en déplaise !

La momie se dirigea aussitôt vers le bâtiment le plus proche en vérifiant du coin de l’œil si la liche le suivait.

- Ce palais est donc celui du roi : il fallait le dire tout de suite, avança Asmodeus en guise d’hypothèse en espérant que Dame Irélia serait assez orgueilleuse pour le détromper s’il faisait fausse route.

« Pas du tout. Ce palais, c’est celui de personne. »

La liche n’en dit pas d’avantage. Elle sembla hésiter entre suivre Asmodeus et demeurer sur place. Finalement, elle préféra faire face aux bruits qui venaient, se drapant dans son hautaine dignité.

« Restez donc ici. Ces bâtiments pourraient bien cacher pire que ce qui vient. »

Au bout de la route, des silhouettes commencèrent à se dessiner. Celle du cavalier était encore en retrait, mais les plus avancées, celles qui cliquetaient dans leurs vieilles armures, semblait être celles de squelettes. La momie perçût une aura nécrotique. Ce devait être cette même aura qui avait poussée Dame Irélia à rester.

Diantre : cette maudite liche retournait la situation à son avantage en évitant à nouveau la question et en se permettant de lui donner un conseil ! Asmodeus n'avait pas le choix mais chercha néanmoins à tourner la situation à son avantage :

- Si vous le dîtes : Asmodeus voulait simplement que vous puissiez économiser votre magie.

Et comme pour bien marquer cette position, la momie s'avança un pas devant la liche, observant l'arrivée des nouveaux venus mais aussi les alentours pour ne pas risquer de se laisser surprendre.

La Couronne de Cuivre

Le Cimetière