[Structure] Le débarcadère

[Galathée]

La frégate était toujours à quai et le capitaine était déjà remonté sur le pont, accompagné de quatre soldats en uniforme bleu ciel. Astrée vit aussi que Byron s'y trouvait. Les deux malabars qui gardaient la passerelle laissèrent les deux jeunes femmes passer en les gratifiant de saluts obséquieux. Une fois sur le pont, Byron parut soulagé et mortifié à la fois de voir la rôdeuse. Un des soldats se tourna vers la jeune femme qui avait accompagné Astrée.
" Les papiers sont en règle et il reconnait avoir signé, annonça-t-il avec une grimace.
— Je vous l'avais dit." s'exclama le capitaine avec un sourire ravi.

[Voyageuse]

Astrée le gratifia d'un regard noir. Il était absolument hors de question qu'elle laisse son ami centaure se faire piéger par ce sale type. Mais elle ne lui répondit pas immédiatement. Elle s'approcha d'abord de Byron et lui prit les deux mains pour le saluer à la mode centaure.
" Tu peux pas savoir comme je suis soulagée de te revoir..." , murmura-t-elle en souriant, s'efforçant de paraître aussi confiante que possible.
Puis elle se tourna vers le capitaine.
" Je tiens à lire ce papier moi-même, fit-elle simplement d'un ton glacial. Quoi qu'il ait signé, et quelle que soit la manière dont vous vous y soyez pris pour l'en convaincre, il y a forcément un moyen d'y mettre un terme."
Il devait y avoir une clause de résiliation, il le fallait... Sinon ça allait être diablement compliqué.

[Galathée]

Le capitaine ne lui donna pas mais le tendit à la jeune femme officier qui l'avait accompagnée.
" Elle va me le déchirer." se justifia-t-il.
La garde le parcourut, cherchant rapidement des yeux le paragraphe en question.
" J'étais... un peu à côté de mes sabots, je crois, chuchota le centaure.
— Deux mille, annonça la jeune femme en jetant un regard à Astrée. Deux mille ou un an de service, c'est réglementaire, quoi qu'on puisse en penser par ailleurs."

[Voyageuse]

Deux mille.... pièces d'or ?
Astrée mit quelques instants à encaisser le choc. C'était énorme. Elle n'aurait pas hésité un seul instant à donner toutes ses économies pour tirer Byron de là, mais elle n'avait pas une telle somme. Est-ce qu'elle pouvait... emprunter ? En remboursant petit à petit, avec l'argent qu'elle gagnerait chaque fois qu'elle livrerait des herbes à Isudë ? Ça ne ferait jamais assez... Que pouvait-elle faire d'autre pour gagner de l'argent ?
Bon. Elle trouverait un moyen de rassembler la somme si c'était absolument nécessaire. Et de toute façon, il était hors de question que Byron parte avec cet homme. Il n'était visiblement pas conscient de ce à quoi il s'engageait lorsqu'il avait signé, et il était clair qu'il ne souhaitait pas devenir mercenaire.
Elle fronça les sourcils et croisa les bras.
" Mon ami n'était pas conscient de ce qu'il signait, c'est évident. Je ne sais pas comment vous vous y êtes pris... mais pour moi ce papier n'a absolument aucune valeur. Parce que Byron a d'autres obligations, qui sont absolument incompatible avec ce contrat, et qu'il ne peut renier ni annuler. Il lui est par conséquent impossible d'honorer cet engagement... "
Il fallait qu'elle tente de jouer là-dessus. Il était le messager de Sheldon, tenu d'obéir aux ordres de son chef. Un contrat n'avait sans doute aucune valeur s'il existait un autre engagement antérieur qui empêchait de l'honorer. Enfin, elle l'espérait... Et puis d'ailleurs, est-ce que Byron, venu d'une harde ne suivant pas la réglementation luménienne, était tenu d'honorer un engagement qui aurait été contraire aux lois de son peuple ? C'était peut-être une autre ligne de défense possible s'ils devaient aller en justice. Misère... Elle n'y connaissait strictement rien en réglementation...

[Galathée]

" Alors vous payez, c'est aussi simple que ça, dit le capitaine mercenaire. S'il ne voulait pas signer, il n'avait qu'à pas signer. Or il l'a fait. Il y a des témoins. Et il le reconnait lui-même, c'est un garçon honnête.
— J'étais... j'avais... bu plus que de raison...
— C'est le cas des trois-quarts des gens qui signent, dit le garde qui les avait précédés à bord. Ce n'est pas suffisant. Un contrat est un contrat et celui-ci a été rédigé dans toutes les règles."
La femme officier qui avait accompagné Astrée rendit le parchemin au capitaine.
" Nous ne pouvons pas vous aider en la matière, dame. Soit votre ami est un être pensant, auquel cas, la loi luménienne ne nous permet pas d'intervenir, soit votre ami est un animal qui vous appartient et qu'on vous a volé. Mais il me semble que les centaures sont reconnus comme des êtres pensants, non ?
— Je crois aussi."

[Voyageuse]

L'insinuation lui fit serrer les dents. Bien sûr que c'était un être pensant... sauf qu'il ne connaissait rien aux usages en vigueur parmi les mercenaires.
" Si vraiment il faut trouver cette somme, je la trouverai, fit-elle à l'adresse de Byron avec calme. J'en ai une partie, je me ferai prêter ce qui manque. Il est absolument hors de question que tu sois embarqué là-dedans. "
Elle se tourna à nouveau vers la femme officier.
" Mais n'existe-t-il vraiment pas pas un moyen de porter plainte pour... escroquerie, ou abus de faiblesse, ou quelque chose comme ça ? Parce que l'idée que Byron s'engage comme mercenaire est aussi aberrante que... je ne sais pas... un paladin qui s'engagerait à massacrer des innocents ! Il est le messager de son chef, depuis sa naissance. Ce serait long à expliquer, mais une des conséquences est qu'il lui est absolument impossible de prendre le moindre engagement sans la permission expresse de son chef. C'est quelque chose qu'il ne pourrait même pas envisager de faire. C'est plus fort que de simples lois, c'est... en fait c'est encore plus fort que la vocation d'un clerc ou d'un paladin. C'est sa nature. Vous ne croyez pas que ça serait un argument susceptible de peser auprès de la justice ? "

[Galathée]

" Vous pouvez essayer de défendre tous les arguments que vous voulez devant une cour, dame, mais ces procédures aboutissent très rarement. De surcroît, ce ne serait pas motif suffisant pour empêcher le bateau de partir : après tout, votre ami ici présent n'est pas en danger de mort. En imaginant que vous parveniez à décider une cour de trancher en votre faveur — mais ça pourrait prendre plusieurs semaines avant que votre plainte soit examinée, la justice a toujours des délais —, vous pourriez ensuite retrouver la compagnie à l'endroit où elle se trouve... C'est à dire à peu près n'importe où en Dorrandin ou Helonna, pour apporter preuve que le contrat a été déclaré caduc."
L'officier grimaça avec un léger haussement d'épaules.
" On apprend très très très tôt aux enfants luméniens de ne rien signer et de ne pas s'enivrer avec des marins. Les traditions et les lois de la corporation sont très anciennes... et n'épargnent pas les inconscients, les frivoles et les... imbéciles."

[Voyageuse]

" Le problème, répliqua vertement Astrée, c'est qu'on ne risque pas d'apprendre ce genre de chose aux centaures, étant donné que la notion de contrat écrit n'existe pas dans leur culture ! Ce genre de piège est tout simplement inimaginable pour un peuple qui a un tel sens de l'honneur ! Mais peut-être que ce genre d'argument ne tiendra pas non plus, qu'on présumera que Byron doit être parfaitement au courant des us et coutumes des autres peuples auxquels il rend visite ?"
Qu'elle prenne Byron pour un imbécile l'agaçait au plus au point. Ils ne pouvaient donc pas comprendre qu'il ignorait tout simplement tout de cette façon de fonctionner ?
Elle soupira. Ils obligeraient Byron à repartir sur le navire si elle ne trouvait pas cette somme. Soi-disant qu'il n'était pas en danger de mort... tu parles. Il courrait danger peut-être plus grand que la mort. Celui de perdre son âme, de se perdre lui-même.
Serrant les poings, elle lança au capitaine.
" Bon. Je paierai les deux mille pièces d'or... et je porterai plainte ensuite pour escroquerie pour vous obliger à les restituer. Et j'espère bien qu'on nous accordera davantage en guise de dommage et intérêt... "
Elle se tourna vers l'officier.
"J'ai combien de temps pour réunir la somme ?"

[Galathée]

" Un jour et une nuit, selon les usages, dit l'officier, sans s'émouvoir de la colère de la rôdeuse.
— Formidable." grommela le capitaine mercenaire.
La jeune femme ne s'inquiéta pas davantage de la réaction du capitaine.
" Votre navire est consigné à quai d'ici là.
— Je sais, je sais, je connais la procédure, dit-il avec une haussement d'épaules. Je vous préviens que demain, quand le soleil sera à cette hauteur précise, je lève l'ancre."

[Voyageuse]

" J'aurai l'argent avant", répliqua Astrée.
Il le fallait, de toute façon. Il y avait une sorte de banque de prêt, si ses souvenirs étaient bons, là où elle avait laissé ses économies en garde. Il fallait les convaincre de lui prêter la somme. Sauf qu'ils ne le feraient pas pour ses beaux yeux, il leur fallait des garanties... Peut-être qu'Isudë pourrait se porter caution? Et ensuite... Elle préférait ne pas se demander comment elle rembourserait. La harde fonctionnait sans argent, et même s'ils auraient à cœur de rembourser la dette, par principe, il n'était pas certain qu'ils le puissent. Ils avaient des minerais, avait dit Neffen, mais ils ne les exploitaient pas et ils ne le feraient sans doute pas, pour ne pas avoir à commercer avec des humains. Peut-être que les montequins pourraient leur devoir des dommages et intérêts, mais eux aussi n'avaient sans doute pas cette somme. Bref, mieux valait être consciente que qu'ils ne pourraient peut-être pas payer cette dette, ou pas avant longtemps, et qu'elle devrait donc se débrouiller par elle-même. Tenter une action en justice, sans certitude d'aboutir. Punaise, elle allait emprunter mille quatre cent pièces d'or... si jamais elle devait tout rembourser elle-même, il allait lui falloir des années. Et tout ça à cause d'un escroc et d'un centaure trop confiant.

Mais elle y réfléchirait plus tard. L'urgence était d'avoir l'argent. Elle sourit avec douceur au centaure. Un sourire un peu anxieux tout de même.
" Je vais te sortir de là, Byron... Je vais trouver un moyen, ne t'en fais pas..."
Elle se tourna vers l'officier, puis vers le capitaine malgré la répulsion qu'il lui inspirait.
" J'imagine... qu'il est obligé de rester à bord ? Est-ce qu'il peut au moins rester sur le pont ? Et... Est-ce qu'il est permis de venir lui rendre visite pour l'informer du déroulement des choses ?"
Pour le soutenir, surtout. Il en aurait besoin...

[Galathée]

L'officier se tourna vers le capitaine qui haussa les épaules.
" Ce n'est pas une taverne, ici. Revenez avec l'argent ou ne revenez pas, grommela-t-il.
— Deux de mes hommes vont rester en faction au pied de la passerelle. Vous pourrez vous servir d'eux comme messagers.
— Ça ira, ne t'en fais pas, souffla Byron, gêné.
— Tu commets une grave erreur, mon garçon, lui dit alors le capitaine. Mais je vois bien que dans votre duo, c'est elle qui commande."
Le centaure grimaça.
" Pas du tout, je...
— Tu vas te rendre utile car jusqu'à ce qu'elle ramène l'argent, tu travailles pour moi."

[Voyageuse]

" Dommage... J'aurais bien envoyé Reynald te rendre visite, souffla Astrée à Byron avec un clin d'oeil, dans une vaine tentative pour alléger un peu la tension. Je suis sûre qu'il aurait été ravi de discuter, y compris avec ton... disons... capitaine d'un jour."
Et il aurait pu veiller à ce que cet homme n'en profite pas pour convaincre Byron de rester. Parce que c'était ce qu'il sous-entendait, quelque part, et ça l'inquiétait. Après tout, Byron avait bel et bien quitté l'auberge avec tous ses bagages avant même de signer cet engagement stupide... Elle aurait voulu savoir ce qui s'était passé, exactement, pour être certaine qu'il n'allait pas finalement vouloir partir. Mais non, c'était absurde : s'engager pour une année complète à servir ce sale type... c'était presque de l'esclavage !
Mais ce n'était pas le moment d'en parler. Redevenant complètement sérieuse, elle ajouta, en lui serrant brièvement les mains.
" Je fais aussi vite que possible, je te le promets. Mais avant que je file... Et au cas où je n'aie l'argent que demain matin... On devait contacter Sheldon aujourd'hui, tu te souviens ? mais vu les circonstances, il vaut mieux attendre que tu sois avec nous, non ? Tu sauras mieux dicter à Reynald ce qu'il doit dire à ton peuple. Enfin, sauf si tu juges que c'est trop urgent...
Ça, c'était à la fois pour le ramener à son rôle, à sa mission... et pour contrer l'insinuation comme quoi c'était elle qui commandait.

[Galathée]

" Sans doute, murmura le centaure, hésitant. Mais ne t'en fais pas pour moi... Je tiendrai le coup. Je suis désolé de te causer tant de soucis..."
Il était pivoine, d'autant qu'ils avaient un certain nombre de spectateurs.
" Je vous attendrai... Où sont-ils, d'ailleurs, Tybert et Reynald ? Ils étaient censés te rejoindre, non ? Et le sculpteur du parc, il doit être furieux..."

[Voyageuse]

Astrée grimaça.
" Tybert et Reynald ont eut... un contretemps. Encore. Rien de grave j'espère, mais je ne sais pas pour combien de temps ils en ont, même si Reynald pense que ce sera rapide. J'espère qu'ils seront là d'ici ce soir. Et le sculpteur... bon, il était pas franchement ravi, mais il a compris, et c'est lui qui m'a mis sur la piste pour te retrouver. On lui doit une fière chandelle..."
Elle lui sourit doucement.
" Mais je dois filer. J'ai du pain sur la planche, et je dois faire vite... Et sois tranquille, tout va rentrer dans l'ordre. A... A très bientôt, Byron !"

[Galathée]

Le centaure acquiesça avec un brave sourire et lui serra une dernière fois les mains, avant qu'elle ne redescende la passerelle, précédée par deux gardes et suivie par l'officier. Elle regagna ainsi le plancher des vaches et les quais encombrés où absolument personne ne leur prêtait attention.
" Quand vous avez récupéré la somme, passez d'abord me voir, dit l'officer. Nous remonterons ensemble à bord. Ça me permettra de m'assurer que les choses se font dans les règles."

[Voyageuse]

Astrée acquiesça.
" Oui, bien sûr..."
Elle était un peu sonnée par toute cette mésaventure. Elle s'était efforcée de paraître confiante et sûre d'elle devant Byron, mais maintenant qu'elle venait de se retourner pour lancer un dernier regard au centaure, elle sentait son coeur se serrer. Et si jamais la banque refusait de lui prêter la somme ? Elle n'avait pas d'emploi, après tout : ils risquaient de trouver les garanties insuffisantes. Il fallait espérer qu'Isudë accepte de se porter caution mais ça ne suffirait peut-être pas. Et puis, elle n'aimait pas l'idée de se sentir liée par un emprunt. Combien de temps lui donneraient-ils pour rembourser ? Combien de temps lui faudrait-il pour gagner la somme si jamais les centaures n'étaient pas en capacité de rembourser ? Mais elle n'avait de toute façon pas d'autre choix.
Elle sourit bravement à l'officier.
" Merci beaucoup pour votre aide, en tout cas. Je vais faire aussi vite que possible. Mais il faut que j'emprunte, et je ne sais pas combien de temps ça va me prendre... En tout cas, j'y vais de ce pas".

Enfin, presque. Il fallait d'abord voir Isudë. Et auparavant, elle allait faire un crochet par l'auberge pour laisser un mot à Reynald et Tybert et leur expliquer la situation. Si Beshaba daignait se désintéresser un peu d'elle, peut-être même qu'ils seraient déjà là. Elle devinait que Reynald proposerait de demander l'argent à Goran, mais elle préférait garder ça en dernier recours. Ils devaient déjà bien assez au Fier Coursier. Elle soupira intérieurement : il était inutile d'y compter, après tout ils ne seraient peut-être pas là avant le lendemain... et il faudrait aussi qu'elle se préoccupe de prendre de leurs nouvelles.
Réalisant qu'elle avait fortement ralenti le pas, perdue dans ses soucis, elle accéléra à nouveau en direction de l'auberge. Elle n'avait pas vraiment de temps à perdre.

[Galathée]

Quête : Equité

Reynald, Tybert et Astrée quittèrent donc le parc du Temple de Sunie pour les rues plus encombrées du quartier portuaire. Habitués à de longues marches, les deux clercs paraissaient tout à fait pareils à eux-mêmes, Reynald laissant son regard courir sur tout et tout le monde, Tybert découvrant les lieux avec une mine d'habitué que rien ne surprend. Les quais étaient toujours autour aussi encombrés et Astrée guida les deux voyageurs vers l'emplacement de la frégate.
Sauf que de frégate, il n'y avait plus nulle trace. Sauf peut-être ce point à l'horizon, lointain.

[Voyageuse]

Astrée devint blême, et se surprit à vérifier si elle ne s'était pas trompée d'endroit, si la frégate n'était pas un tout petit peu plus loin. C'était là pourtant...
" Oh non, c'est pas possible, gémit-elle d'une toute petite voix sans se rendre compte qu'elle enfonçait ses ongles dans le poignet de Reynald. Ils... ils sont partis..."
C'était impossible. Les douaniers devaient veiller à ce qu'ils restent à quai tant que la durée n'était pas écoulée. C'était juste... impossible que le bateau soit parti. Il devait y avoir une explication. Il y avait forcément une explication. Forcément...
Elle relâcha son souffle, toujours agrippée au clerc.
" Il faut... qu'on aille à la capitainerie... Ils sauront nous dire..."

[Galathée]

Reynald la regarda sans comprendre.
" Tu veux dire que... Ah ! Les scélérats !"
Il se tourna en arrière, vers Tybert.
" C'est toi le maître de l'eau !
— Reynald.
— Fais quelque chose ! Une tempête, je ne sais quoi !
— Reynald.
— Un raz de marée ! Un typhon ! Un tsunami magnifique !"
— Reynald. Allons à la commanderie.
— Humpf."
Le clerc se tourna vers Astrée.
" Guide-nous. Nous allons le retrouver, cette maudite bourrique."

[Voyageuse]

Maudite bourrique... Le terme était un peu fort. Mais la réaction excessive du Sorlyn avait, paradoxalement, rendu un peu de calme à Astrée qui se mettait déjà en route, l'entraînant par la main.
Il était absolument impossible que le bateau soit parti. Il avait pu... être déplacé, peut-être ? Elle s'efforça de faire taire l'angoisse lancinante qui la taraudait : et si Byron s'était laissé convaincre de partir et avait lui-même demandé aux douaniers de lever l'interdiction ? Non, tout de même. Il était influençable, mais pas à ce point. Il ne voulait pas réellement devenir mercenaire, elle en était convaincue. Il s'était juste laissé entraîner sur un coup de tête... ou, plus probablement, il avait signé un engagement sans le lire et sans savoir ce qu'il faisait. Il fallait qu'elle cesse d'imaginer le pire. Il n'avait nullement l'intention de partir ainsi. Il fallait qu'elle garde cette certitude en elle. Même si elle s'était laissée aller au doute durant une bonne partie de la matinée, son expression sur le pont de bateau disait clairement qu'il voulait sortir de là. Donc... Il devait y avoir une autre explication au départ du bateau. Il était impossible qu'il ait vraiment quitté le port avant l'expiration du délai... ou le paiement de la "rançon" ? Non. Il était tout aussi inimaginable que le sculpteur ait pu verser, instantanément, deux mille pièce d'or juste pour avoir son "modèle"...
Elle cessa de réfléchir. C'était inutile, et elle saurait très vite ce qu'il en était. Elle serra un peu plus fort la main de Reynald, y puisant un peu de confiance. Il suffisait d'atteindre la capitainerie, et de retourner au bureau de la femme officier, en espérant qu'elle soit disponible pour la recevoir tout de suite.

[Galathée]

Quête : Equité

Depuis le Nid Douillet, Reynald et Astrée atteignirent le débarcadère. Ils avaient marché d'un pas rapide dans le petit matin sombre et glacé. Comme le Sorlyn l'avait supposé, une partie des quais débordaient déjà d'activité : les premiers pêcheurs rentraient. Tout cela se faisait dans un brouhaha étouffé. Les hommes discutaient, riaient, comparaient leurs prises et déchargeaient leurs cageots. D'autres acheminaient le poisson vers des étals tout proches. Astrée réalisa qu'il y avait déjà là des charrettes à bras et des acheteurs, manifestement désireux d'être les premiers à s'approvisionner.
Le clerc lui serra le bras.
" Je vais aller prier de l'autre côté. Les odeurs et les conversations ne favorisent pas la concentration."
Puis il la laissa et s'éloigna vers les silhouettes obscures des plus grands navires, où le silence était encore presque parfait.

[Voyageuse]

Astrée regarda le Sorlyn s'éloigner avec regret. Saluer l'aube ensemble aurait été romantique, mais voilà, il fallait qu'il prie. Enfin... elle savait que c'était nécessaire... et aussi que c'était un peu long. Elle avait tout le temps de se renseigner sur cette Hestia. Elle rassembla ses souvenirs. L'aubergiste lui avait dit qu'elle était brune et qu'elle aimait nager. Hum... c'était flou, comme description. Et qu'elle travaillait sur le port, peut-être. Le port... c'était vaste. Mais peut-être que quelqu'un la connaîtrait, parmi les pêcheurs, ou parmi les vendeurs de poisson. Peut-être...

Elle sentit son estomac gargouiller à nouveau. Elle avait faim. Il faudrait qu'elle trouve une boulangerie, qu'elle achète un petit quelque chose à manger, pour Reynald et pour elle. Il y avait certainement ce genre de commerce non loin. Et là aussi, elle pourrait poser ses questions.

Elle commença par s'approcher timidement des étals, un peu mal à l'aise. S'adresser à des inconnus pour leur demander des information était toujours un exercice difficile pour elle. Elle chercha un endroit où les clients étaient moins nombreux, pour ne pas trop déranger, et inspira profondément. Il fallait juste qu'elle ose poser la question, c'était tout. Rien d'insurmontable. Elle n'osa toutefois pas s'imposer, et attendit patiemment son tour... ou que le vendeur la remarque.

[Galathée]

Elle comprit, à entendre les conversations, que la plupart des acheteurs venaient des divers restaurants et communautés de la ville. Il y avait là quelqu'un de la Bienveillance, trois soldats du Fort, deux clercs qui bavardaient*—*l'un portant le jaune lathandrite, l'autre le bleu tymoran, d'autres représentants d'auberges moins courues, une femme accompagnée de deux enfants déjà bien réveillés, ainsi qu'une série de jeunes dames en uniforme, travaillant sans doute dans les villas cossues des beaux quartiers. Il apparut à la rôdeuse que si elle accaparait les pêcheurs pour des raisons autres que la vente, elle risquait de se faire rembarrer. Sans compter que c'était loin d'être son tour.

[Voyageuse]

Astrée hésita. Les pêcheurs étaient pris d'assaut... Et elle allait vraiment se faire rembarrer si elle ne demandait qu'un renseignement. Certes, elle pouvait aussi acheter du poisson, pour se donner un prétexte pour aborder les pêcheurs, et le rapporter à l'auberge. Mais il était probable que l'aubergiste ait déjà prévu son menu pour la journée, et c'était le genre de nourriture qui devait impérativement être consommée le jour même. Ça aurait été dommage de gaspiller... Cela dit, certains des crustacés étaient vivants, et elle pouvait aussi, tout simplement, les relâcher en douce. L'idée lui plaisait assez.
Il restait également la piste de la boulangerie... Ils connaîtraient peut-être Hestia, si elle faisait partie de leurs clients habituels. Elle jeta donc un coup d'oeil aux alentours. Si elle apercevait une boulangerie ou quelque chose d'approchant, un endroit où acheter quelque chose à grignoter, à proximité du débarcadère, elle s'y dirigerait pour commencer là-bas ses recherches. Sinon... et bien elle allait attendre patiemment son tour et acheter du poisson...

[Galathée]

Il n'y avait pas de boulangerie directement sur le débarcadère, et les quelques maisons, relativement lointaines, qui étaient déjà éclairées, ressemblaient davantage à des troquets qu'à des commerces. Par contre, la jeune femme aperçut plusieurs vendeurs ambulants, qui distribuaient petits pains chauds et tasses de thé aux personnes frigorifiées qui traînaient sur le port, en particulier dans les files d'attente.
L'un d'entre eux, une fille d'environ quinze ans au visage grêlé d'acné et à la silhouette filiforme, s'arrêta non loin d'Astrée pour vanter ses délicieux chaussons aux pommes. Elle avait l'air peu convaincue, mais les badauds avaient faim et elle réussit à en attirer quelques uns.

[Voyageuse]

Astrée faisait partie des badauds affamés, et de surcroît adorait les chaussons aux pommes. Aussi s'éloigna-t-elle sans hésiter du vendeur de poissons pour s'approcher de l'adolescente. Elle attendit tranquillement son tour, bien sûr, même si elle risquait moins de se faire enguirlander par les autres convives en demandant un renseignement.
Fouillant dans sa bourse, elle sourit poliment à la jeune fille.
" Bonjour... Je voudrais deux chaussons aux pommes, s'il vous plaît. Et aussi un renseignement... sur quelqu'un qui travaille sur le port, à ce que j'ai cru comprendre..."

[Galathée]

" Les v'là, mamzelle, dit la jeune fille avec un sourire édenté. Ils sont chauds, vous brûlez pas surtout."
Elle vérifia qu'Astrée ne se brûlait pas les doigts avant de reprendre.
" Vous cherchez qui, alors ? Parce qu'il y a pas mal de monde qui bosse sur l'port... Vous avez vu sa taille ? Le plus grand de l'île, à ce qu'il parait ! J'pourrais pas juger."

[Voyageuse]

Astrée prit les chaussons avec précaution. Le temps que Reynald revienne, le sien serait sans doute froid... mais s'il n'en voulait pas, elle le dévorerait sans remord.
" En fait, répondit-elle à la jeune fille, je cherche une jeune femme qui se nomme Hestia. Je sais juste qu'elle est petite, brune et qu'elle aime nager. C'est l'aubergiste de la Bienveillance qui m'a dit qu'elle travaillait sur le port."
Elle ne s'étendit pas sur le fait qu'elle était clerc. Une prêtresse reconvertie, avait dit l'aubergiste. Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Qu'elle avait changé de dieu ? Changé de profession ? Peut-être, dans ce cas, n'avait-elle pas ébruité le fait qu'elle était prêtresse avant...

[Galathée]

La gamine réfléchit un instant, passant une langue rouge dans les trous laissés par ses dents manquantes.
" Hestia... ça me dit... Ah ! C'est pas la copine des dauphins, des fois ? L'est pas très populaire, cette nana, je vous préviens. Quand on mentionne son nom, les gars ils crachent par terre ! Mais je suis pas sûre que c'est elle. Elle habite pas sur terre, vous voyez : elle vit dans un bateau quelque part. Parfois il s'approche, mais la plupart du temps, il vogue loin... Vaut mieux. Evidemment, elle est intouchable, vu qu'elle a des tas de copains dans la mer."

[Voyageuse]

Le visage d'Astrée s'éclaira.
" Ca pourrait bien être elle..."
La description concordait, et elle imaginait assez bien une prêtresse de Lurue vivre plus près des animaux que des humains, même si elle l'aurait plutôt vue en forêt. Mais après tout, elle ne connaissait guère Lurue... et puis il s'agissait apparemment d'une ancienne prêtresse.
En tout cas, la description de la jeune fille lui faisait apparaître le personnage plutôt sympathique. Restait à la trouver... et à espérer qu'elle puisse lui venir en aide, ce qui était loin d'être gagné.
" Si elle est toujours sur son bateau, j'aurai du mal à la rencontrer j'imagine... mais c'est important que je la voie, pourtant. Important et urgent. Vous ne savez pas à quoi il ressemble, son bateau ? Ou son nom ? Ou.. s'il a été aperçu au port récemment ?"
Si elle vivait sur un bateau et se trouvait actuellement en mer, des pêcheurs seraient peut-être à même de la renseigner. Voire de l'y conduire. Sauf qu'apparemment, elle n'était guère populaire... ce qui n'était guère étonnant, si elle s'affirmait l'amie des poissons qu'ils pêchaient.