La Couronne de Cuivre

Ce ne fut pas simple mais il parvint à franchir l'ouverture sans perdre l'équilibre et sans faire basculer Giovanni dans l'escalier.
Il se retrouva donc à ses côtés... dans l'obscurité.
-Ah ah, échec et mat ! s'exclama le barde sur un ton de triomphe. Tu ne vas pas pouvoir te débarrasser de moi ! Tu ne vas pas pouvoir me renvoyer vers ce palais dont la magnificence est gâchée par l'omniprésence d'une abominable marmaille ! Non, tu vas devoir te coltiner ma personne jusqu'à la fin de cette aventure !

" Nous serons au palais avant la nuit, grommela Hubert en retour. Est-ce que tu as quelque chose que je pourrais enchanter pour faire de la lumière ? J'y vois parfaitement bien mais j'ai comme l'impression que ça doit être plus difficile pour toi."
Et ça avait été sûrement difficile pour Ruth. Les chances qu'elle soit tombée dans les escaliers paraissaient subitement bien élevées et il sentit l'inquiétude monter. Elle avait pu se rompre le cou, et ce ne serait pas lui qui la ramènerait. Mais Albérich le ferait... Il ne refuserait pas une chose pareille... Le paladin secoua la tête pour couper court à son délire. Ruth n'était pas encore morte : il fallait juste la trouver.

-Je n'ai pas grand chose mais... Tiens, voilà ma rapière. Une rapière lumineuse, ça a du style, non ?
Une fois le sortilège lancé, une fois la lumière apparue, il papillonna un instant des yeux.
-Bon, alors : on monte ou on des... Oh.
Suivant son regard, Hubert aperçut une tâche de sang sur l'une des marches situées en contrebas.

Hubert ne prit pas le temps de lui répondre et dévala les escaliers. Comme il l'avait craint, elle était tombée, elle s'était blessée, mais assurément, Tymora l'aurait protégée du pire, et il disposait de toute son énergie curative, dix fois ce qu'il fallait pour ranimer un enfant même mourant. Et dans le cas contraire... Albérich ferait une entorse à ses principes. Il ne lui en laisserait pas le choix.

En dévalant les marches, il remarqua d'autres tâches de sang.
Mais, déjà, il entrevoyait le pallier souvent... et le corps qui s'y trouvait.
Ruth était étendue de tout son long, face contre terre. Elle était parfaitement immobile et l'une de ses jambes formait un angle désagréablement étrange.
Derrière lui, le paladin entendit Giovanni qui descendait à sa suite, tout aussi pressé.

Dévalant les dernières marches de l'escalier, Hubert courut jusqu'au corps étendu sur la pierre, le souffle court. Il s'était attendu à pareille vision, mais il avait la sensation que c'était quelque chose qu'il n'oublierait pas de sitôt. Si elle était vivante, il déchargerait son énergie en elle. Si elle était morte... Elle n'était pas morte. Elle ne pouvait pas être morte.

Elle n'était pas morte, non.
Pourtant, l'escalier était fort raide... et fort haut. Sans doute fallait-il voir là un petit miracle lié à la souplesse et à la résistance des enfants ou... à la divinité qui semblait avoir gratifié la fillette de ses faveurs.
Pour autant, celle-ci devait souffrir de maintes blessures et d'au moins une fracture. Autant de maux auxquels l'énergie magique que lui dispensa le paladin remédia.
Néanmoins, elle demeura inconsciente.
-Est-ce que... Est-ce qu'elle va bien ? demanda Giovanni d'une voix étranglée.

" Bien, pas tout à fait. Mais elle est vivante." dit le paladin en la redressant et la prenant contre lui.
Il était immensément soulagé d'entendre sa respiration contre sa poitrine, mais elle demeurait inconsciente. L'adrénaline qui le secouait encore lui donna plusieurs frissons, tandis qu'il serrait la gamine, à la fois fermement et avec une sensation aiguë de sa fragilité. La peur reflua peu à peu. Il avait été négligent. Il était responsable de sa sécurité.
" Tu n'as pas quelque chose à boire, par hasard ? N'importe quoi."

-Si ce "n'importe quoi" inclut de l'alcool fort récupéré au palais... J'ai.
Il tira son habituelle flasque de sa poche.
-Par contre, faudra lui faire jurer de ne pas se vanter d'avoir bu ça. Sinon, j'en connais qui voudront aussi essayer.
Lorsque le paladin eut réussi à lui faire avaler une gorgée du breuvage, la petite fille toussa puis commença à s'animer.
Elle revenait lentement à elle.

Hubert n'avait aucune intention d'ébruiter la chose. Au contraire, il se sentait responsable — et honteux — de ce qui s'était produit. Il laissa à Ruth tout le temps dont elle avait besoin pour reprendre ses esprits, lui caressant doucement les cheveux en lui murmurant des paroles apaisantes. L'énergie magique lui aurait rendu la santé mais ne pouvait pas effacer le souvenir de la chute et de la souffrance... Sauf si le coup à la tête l'avait assommée avant qu'elle ne souffre de fractures. Mais le paladin avait l'impression que la résilience de la gamine viendrait aisément à bout de l'aventure, et qu'elle en ferait un sujet de fierté plutôt que de traumatisme...

Lorsqu'elle eut ouvert les yeux, lorsque son regard se fut fait moins vague, la petite fille observa ce qui l'entourait avec perplexité.
Puis, subitement, son expression se fit... paniquée.
-J'vous jure que j'ai pas désobéi, m'sire ! fit-elle d'une voix mal assurée. J'ai pas bougé ! J'ai touché à rien ! Je m'suis juste adossée à un mur... P't'être un peu fort, d'accord, mais...
Elle grimaça.
-J'ai pas désobéi...
Elle semblait au bord des larmes.

" Tout va bien, Ruth, ne t'en fais pas. Je sais que tu ne l'as pas fait exprès."
Il l'aida à se relever. Beshaba avait frappé plutôt que Tymora, cette fois. A présent, il fallait qu'ils trouvent le moyen de regagner la sortie.
" Dès que tu seras remise de tes émotions, nous chercherons une issue... Il doit bien y avoir un moyen de retrouver les souterrains."

Giovanni, que l'état dans lequel ils avaient découvert Ruth avait ébranlé, finit cependant par se ressaisir.
-Ca me parait plus que probable : on est au niveau du premier, les escaliers descendent encore donc permettent d'atteindre le rez-de-chaussée... Pourquoi ne descendraient-ils pas davantage ? Il y a peut-être une salle d'expérimentations secrète réservée aux professeurs, dans les caves...
Il marqua une hésitation.
-Mais tu auras remarqué que l'escalier montait aussi plus haut que le deuxième. Alors que ça semblait être le dernier étage...

Hubert jeta un oeil vers le haut, puis dévisagea le barde, avant de soulever la petite fille et que la caler dans ses bras, contre son épaule.
" Allons voir. Tout ceci ne peut pas avoir été aussi... vain."
C'était sans doute un peu déraisonnable, mais pas complètement dément. Et les Ithiliens finiraient sans doute par trouver ce couloir secret : s'ils pouvaient leur soustraire quoi que ce soit, il fallait le faire.

-Vain, vain, tu vas vite en besogne. A mon avis, cette cloche, c'est le système d'alarme qui se déclenche quand on brise les vitrines. Ce qui veut dire que nos compagnons ont quand même récupéré un bon paquet de baguettes et autres bâtons de mages...
Ils entreprirent de remonter l'escalier, parvinrent sur le palier qu'ils avaient quitté un peu plus tôt, gagnèrent le suivant. Qui s'avéra aussi être le dernier.
Ici, pas de pan de mur nu, mais une porte de métal lisse, absolument dépourvu de toute ornementation.
-Hum je crois... Je crois que je peux marcher... souffla Ruth, embarrassée.

Hubert la déposa précautionneusement sur le sol, comme si elle était faite de verre. Il savait, bien sûr, qu'elle était indemne, pareille à avant la chute. Il lui pressa doucement l'épaule et s'approcha de la porte.
" J'espère que tu dis vrai, que cette cloche n'était pas le signal que quelque chose de plus obscur." dit le paladin à Giovanni avant de poser les mains sur la paroi de métal, espérant qu'elle réagirait comme celles du palais.

Ce fut le cas.
Déjà, la porte s'ouvrait, lui permettant d'entrevoir, au-delà, un pan de couloir courbe et particulièrement lumineux.
-Bon, la prochaine fois, on ne s'embêtera pas à monter toute une expédition, commenta le barde. On vous enverra simplement, toi et Ruth. Non parce que franchement, le reste de la bande et moi, on n'a pas servi à grand chose.
La tirade avait été faite sur le ton de la plaisanterie. Néanmoins, Hubert y perçut une note un peu discordante.
Une note désabusée.

" Giovanni, arrête, tu veux... Sans toi, je n'aurais pas retrouvé Ruth. Elle serait morte, je le serais sûrement aussi. Alors arrête. Ouvrir des portes, ce n'est pas le principal. Le principal, c'est que nous sommes vivants tous les trois et que nous allons rapporter quelque chose à la communauté. Quelque chose de crucial, avec un peu de chance."
Il s'engagea dans le couloir, circonspect.
" Je vais voir si la voie est libre... Ne bougez pas. Vraiment pas, cette fois."
Il fit un clin d'oeil à Ruth et avança, la main sur le manche de son épée.

Ruth parut embarrassée et il entendit le barde soupirer. Mais ni l'un ni l'autre ne firent le moindre commentaire.
La première chose qui le frappa, dans le couloir, fut son état de propreté et de conversation. La magie qui le protégeait devait être plus efficace que celle qui préservait le reste du bâtiment. Peut-être était-elle du niveau de celle déployée au palais...
La lumière provenait d'étroits vitraux ménagés, à intervalles réguliers, dans l'une des parois. L'autre était absolument nue.
Il progressa dans le corridor et ne tarda pas à comprendre qu'il formait un cercle parfait. Sans doute se trouvait-il au pied du grand dôme : sur la gravure que lui avait montrée Marthe, l'école de magie en possédait un, il s'en souvenait.
Enfin, il se retrouva à son point de départ. Il n'avait aperçu aucune porte, aucune irrégularité dans le mur intérieur.

" Ne faites pas ces mines, dit le paladin en retrouvant ses compagnons. La voie est libre... mais le couloir est nu : je n'ai rien vu. S'il y a un passage vers une pièce intéressante, il va falloir que nous le trouvions. Je propose que nous avancions ensemble. Ruth, je sais que tu as besoin d'être contrariée pour que ton talent s'exprime mais... dis-toi que je suis contrarié pour deux."
Ce n'était pas vraiment vrai : il était tellement soulagé de l'avoir retrouvée vivante que le reste paraissait complètement trivial.

Sitôt qu'ils eurent tout trois franchi la porte, celle-ci se referma. L'instant suivant, elle était recouverte par un pan de maçonnerie absolument lisse.
Sous leur yeux ne demeurait plus à présent qu'une partie de mur nu que rien ne distinguait des autres.
-Bon. Ne bougez pas.
Giovanni se déplaça jusqu'au premier vitrail sur leur gauche, l'examina, rebroussa chemin et répéta la même manoeuvre avec le premier vitrail sur leur droite.
-Bon, au moins, je garderai à l'esprit l'endroit où est la sortie, dit-il lorsqu'il en eut terminé.

La fermeture de la porte avait laissé Hubert un peu mal à l'aise. Ils n'avaient rien à manger, rien à boire hormis le tord-boyaux de Giovanni, et aucun moyen de contacter leurs amis. Il ne fallait pas penser à la tête que ferait Albérich, ou Alban d'ailleurs, quand Ezéchiel rentrerait sans eux. A moins de rapporter rapidement quelque chose d'utile, ils allaient avoir de gros ennuis. Surtout lui, en fait.
Il posa la main sur l'épaule de Ruth.
" A toi de jouer, jeune fille."

Ruth opina du chef.
-Pas de souci ! En plus, maintenant que je sais que vous pouvez me remettre d'aplomb même si je suis toute cassée...
Elle eut un large sourire mais, avant qu'il ait pu dire quoi que ce soit, elle lui adressa un clin d’œil pour bien montrer qu'elle plaisantait. Puis elle se mit au travail.
Les recherches parurent interminables. Elles se déroulèrent dans un silence presque absolu : pas un son ne leur parvenait des étages inférieurs.
Enfin, la petite fille finit - sans le faire exprès - par appuyer au bon endroit.
Un pan de mur s'escamota, révélant une large et haute porte de cet étrange métal vaguement iridescent.
Toutefois, quand Hubert la toucha, elle ne s'ouvrit pas.
Non, un mystérieux symbole lumineux apparut simplement au beau milieu du panneau.

Hubert soupira, mains sur les hanches.
" Merveilleux." dit-il avec une légère acidité.
Il avait félicité Ruth, enthousiaste, un peu plus tôt. Mais apparemment, le sang céleste ne suffirait pas cette fois-ci. C'était un peu logique, en même temps. Si le but était de sceller un endroit important, y placer une porte que le fruit de la plus petite invocation parvenait à ouvrir n'était pas très efficace.
" Giovanni, ça t'inspire quelque chose ?"

-A moi, non. Mais...
Il jeta un regard à Ruth, parut hésiter.
-Viens.
Il l'entraîna un peu à l'écart puis souffla :
-Cette porte ne s'est pas ouverte quand tu l'as touché mais elle a malgré tout réagi à ton contact. Elle a réagi en faisant apparaître un symbole. Du coup, je me demande si le sang qui coule dans tes veines ne te permet pas sinon de vraiment déchiffrer ce signe, au moins d'en saisir inconsciemment le sens, d'en déduire... Ce qu'il faut faire. Je me doute que ça doit te paraître absurde. Pourtant, quand on a... de puissants ancêtres, il n'est pas rare qu'on ait hérité d'eux un savoir inné qui ne demande qu'à ressurgir...

Hubert le dévisagea, un peu incrédule.
" Mais... je ne parle pas le céleste... murmura-t-il. Je n'ai rien compris au livre que m'a prêté Alban... et... Je peux faire de la lumière... Tu crois que je dois faire de la lumière ?"
Il baissa les yeux sur la rapière qui brillait toujours, même au fourreau.
" Mais je l'ai déjà fait, malheureusement. Tu devrais peut-être toucher le symbole avec ta rapière... Enfin non. Je vais le faire moi, si tu veux bien me la prêter."

Giovanni leva les yeux au ciel.
-Mais oui mais oui, tu ne sais faire que de la lumière...
Il croisa les bras.
-Bon, soyons sérieux un instant, tu veux bien ? Redis-moi ce qui s'est passé lors de ton affrontement avec notre diable d'intendant.

" Je ne sais plus trop bien, dit Hubert avec une grimace. Il me semble... que tu as raison. Quelque chose m'est venu. Un sortilège... qui l'a terrassé..."
Il fronça les sourcils.
" Mais ça n'a pas de sens. Comment pourrais-je savoir des choses... que je n'ai pas apprises ? Je crois... que... Je ne sais pas. C'est peut-être Lathandre qui s'est exprimé à travers moi. Non ?"

Le barde poussa un profond soupir.
-Hubert, avec tout le respect que je lui dois, Lathandre n'est pour rien là-dedans. Tu dois accepter que ton sang te confère des pouvoirs spéciaux et que si Alban a vu juste, faire de la lumière est une insignifiante broutille au regard du reste.
Il mit les mains sur ses hanches.
-A présent, au lieu de contredire systématiquement tout ce que j'avance... Fais ce que je te suggère. Si ça ne marche pas, tu pourras me le rappeler continuellement si l'envie t'en prend. Mais si ça marche, tu devras arrêter de te voiler la face. Dans notre situation... On ne peut pas se permettre ce genre de chose. Même si ça n'est pas évident : j'en suis bien conscient, ne te méprends pas là-dessus.

Un peu penaud, le paladin acquiesça et alla se placer devant la porte. Giovanni avait raison : il se voilait la face. Et ce qu'il suggérait l'inquiétait encore davantage : qu'avait-il voulu dire par "faire de la lumière est une insignifiante broutille" ?
Il frissonna. Il n'était pas concentré. Le barde était plus raisonnable que lui, un comble. Il devait revenir dans l'instant et faire le nécessaire. Il fixa donc ce signe et essaya de se détendre, de laisser venir n'importe quelle association d'idée, ce que lui évoquait cette forme inconnue, dont il ne savait rien. Si, il devait en savoir quelque chose. Son esprit finirait par trouver, s'il le laissait aller librement...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue