La Couronne de Cuivre

Titus paraissait effrayé par essence, peu accoutumé aux constructions humaines et à l'atmosphère confinée d'une ville et il se réfugia dans les jambes du barde, manquant le faire trébucher. Marius, par contre, le regarda d'un air bravache et le suivit tout en conservant ses distances, se coulant dans l'ombre des murs et des porches au fur et à mesure de leur progression.
Les habitants de la butte ne tardèrent pas à se manifester : une colonne de feu surgit subitement de nulle part et vint frapper la ville quelque part au nord, très loin de l'endroit où ils étaient arrivés. Titus poussa un cri de surprise et sauta sur le barde qui parvint tout juste à garder l'équilibre. Marius, beaucoup plus blasé, observa les cieux rougeoyants avec une grimace.
" Finalement, on est sans doute plus en sécurité là haut." remarqua-t-il.

-Ce n'est pas faux. Cependant, la maison où nous nous rendons est protégée par une barrière magique : vous y serez à l'abri des sortilèges des faux Chauntéens.
Il adressa ensuite des paroles réconfortantes - en sylvestre - à Titus, dont il comprenait parfaitement l'effroi. Et si nécessaire, il le porterait jusqu'à leur destination : le petit faune ne pesait pas bien lourd.

Cela ne fut néanmoins pas nécessaire et ils eurent plus de chance que la dernière fois que Taliesin avait arpenté ces rues pendant la nuit : toutes les attaques de la butte semblaient se concentrer dans la même direction, vers le nord-ouest de Champsdor, et ils atteignirent la villa d'Amrod sans croiser davantage que quelques patrouilles de citoyens et un chat errant. Si quelqu'un s'inquiéta de leur allure, le gosse crasseux, l'elfe et le faune, personne n'en dit rien. Les gens semblaient avoir bien d'autres soucis.
Aucun des deux enfants ne fit de commentaires sur l'état de la ville, les maisons calcinées ça et là, les trous béants dans la chaussée, les odeurs parfois pestilentielles qui flottaient dans l'air. Leur pas s'accéléra petit à petit et Taliesin eut l'impression qu'ils franchissaient le dôme bleuté qui protégeait la maison d'Amrod au pas de course. Ils ne purent aller loin, cependant : des gardes surveillaient les lieux et les arrêtèrent. Mais Taliesin fut reconnu et ils remontèrent donc le sentier de cailloux colorés jusqu'à la porte.

Loin de faire comme chez lui, le barde toqua à la porte et attendit qu'on vienne lui ouvrir.
Si Amrod était là - et éveillé -, il ne manquerait pas de s'entretenir avec lui. Mais à son avis, le maître des lieux était affairé ailleurs, et c'est avec le majordome qu'il serait amené à discuter.
Par ailleurs, qu'il soit toujours debout ou déjà couché, il irait voir Baptiste : connaissant le garçon, celui-ci n'apprécierait pas s'il agissait autrement, fut-ce pour préserver son sommeil.

C'est effectivement le serviteur habituel qui vint lui ouvrir mais il le détrompa aussitôt : Amrod était bien là et, malgré l'heure tardive, éveillé. Il était cependant probable qu'il ne s'attarde guère, même s'il était difficile de prévoir ses allées et venues depuis le déclenchement de la crise. Bien qu'il fut rompu aux usages, l'homme en livrée ne parvint pas complètement à masquer son étonnement (et peut-être son horreur) en voyant deux enfants supplémentaires franchir le seuil de sa maison : un crasseux et un poilu. Il ne fit cependant aucun commentaire.

Le barde le salua cordialement puis demanda s'il pouvait le conduire jusqu'à son employeur. Il voulait lui présenter les enfants, s'enquérir des dernières nouvelles de la ville ainsi que du séjour de Baptiste.
Avec Wilmarin, Amrod était la personne à qui il devrait le plus. Mais il ne désespérait pas de trouver une façon de lui témoigner sa gratitude autrement que par des mots. Et d'ici là, il croisait les doigts pour qu'héberger les trois garnements ne lui cause pas trop de tourments.

Titus et Marius suivirent le barde et le serviteur le long des couloirs, silencieux comme des chats. Le faune resta dans les jambes de Taliesin mais Marius semblait presque regretter d'avoir à avancer : tout ce qu'il voyait autour de lui semblait attirer son attention et il aurait sans doute volontiers poussé une porte ou l'autre pour voir ce qu'il y avait derrière.
Amrod était installé à la table de sa salle à manger, en train de souper. Il n'avait cependant pas retiré sa veste et semblait n'avoir qu'une demi-fesse sur sa chaise, comme s'il s'attendait à devoir repartir dans la minute. Il sourit au barde et aux nouveaux venus.
" Je devrais songer à transformer cet endroit en auberge, remarqua-t-il. Mais bienvenue à vous. Dois-je vous faire porter quelque chose des cuisines ? Vous avez l'air... pour le moins dépenaillés, si vous me permettez."

-C'est parce que nous ne nous sommes pas ménagés pour revenir le plus vite possible !
Il désigna chacun des deux enfants.
-Je vous présente Marius et Titus : le second n'a pas mangé depuis un moment et s'il était possible de lui servir quelque chose, je pense qu'il apprécierait. Et le premier a peut-être encore un petit creux... Quant à moi, j'ai pu me sustenter.
Il sourit.
-Pour le reste, ne vous inquiétez pas : nous n'abuserons pas de votre généreuse hospitalité. Maître Wilmarin est déjà en train d'observer la magie déployée par les cultistes : nul doute qu'avec son concours, la menace qu'ils représentent ne tardera pas à être éradiquée.

" Ainsi vous avez réussi à le convaincre."
Il fit signe au serviteur de sortir leur chercher à manger. Marius commença à musarder dans la pièce. Tout en parlant à Taliesin, Amrod ne le quittait pas des yeux.
" Je ne suis qu'à moitié surpris. Wilmarin est un morceau moins coriace qu'Elros et vous avez réussi à vous attirer ses faveurs. Mais j'espère que vous serez aussi efficace à le convaincre de partir ensuite."

L'elfe faillit lever les yeux au ciel mais parvint à s'abstenir et à conserver inchangée sa mine souriante.
-Occupons-nous déjà de mettre un terme aux assauts des cultistes, de les mettre hors d'état de nuire et de libérer tous leurs otages : c'est de loin le plus urgent.
Le reste, ma foi... Eh bien, on verrait ensuite, d'autant qu'il avait déjà fait amplement sa part dans cette affaire, tandis que les dossiers qui le concernaient directement - dont la disparition de l'un de ses fils - avaient été longtemps remisés de côté.

" Vous avez raison. Mais je doute, avec tout le respect que je lui dois, que Wilmarin puisse gérer tout ça tout seul. Il a des années d'expérience mais pas le don d'ubiquité."
Amrod eut un léger soupir.
" Bon, je suppose qu'il ne nous reste plus qu'à aller le rejoindre. Les enfants... pourront loger avec Baptiste. Mes serviteurs les installeront. Et il faut que j'aille chercher Cordélia. Elle ne me pardonnera jamais si nous repartons sans l'avoir avertie."

-Elle est donc déjà revenue ?
Il sourit à nouveau.
-De mon côté, si vous le permettez, je vais aller saluer Baptiste : lui aussi m'en voudrait si j'agissais autrement.
Marius et Titus seraient bien sûrs libres de l'accompagner, à moins qu'ils ne préfèrent attendre ici.

Leur départ coïncida avec l'arrivée de la nourriture, aussi Marius décida-t-il de s'attarder dans la salle à manger. Amrod parut hésitant à le laisser seul sous la garde de son majordome mais finit par capituler et gagner le couloir, Taliesin et Titus sur les talons. Ils allaient dans la même direction et ils se séparèrent chacun devant une porte. Baptiste ne dormait pas : il était dans son lit, mais recopiait, concentré, quelque chose dans un livre. Il leva les yeux à leur entrée et sourit.
" J'avais entendu quelqu'un à la porte, mais je n'osais pas espérer que ce serait déjà vous..."

-Maître Wilmarin n'a pas été très long à convaincre et nous avons utilisé, pour revenir, des moyens de transport aussi originaux que rapides.
Il jeta un regard au livre que tenait le gamin.
-Tout va bien pour toi ?
En tout cas, cela en avait l'air.

" Oui, ça va bien..."
Titus s'était approché et s'assit sur le lit avec une certaine inquiétude. Il n'en avait certainement jamais vu d'aussi somptueux. Baptiste l'encouragea à grimper dessus en tapotant le couvre-lit de la paume, mais le faune secoua la tête et demeura circonspect, observant la pièce de ses grands yeux dorés.
" Amrod a plein de livres... Il a bien voulu m'en prêter quelques uns. Je fais des copies des choses qui m'intéressent."
Il tourna celui qu'il tenait vers Taliesin.
" C'est une grammaire elfique ! Ecrite pour les humains !"
Il reprit le volume, le feuilleta lentement.
" Il vient de Féérune. Amrod dit qu'il date sans doute de deux siècles et que du coup, le commun est un peu vieilli. Mais l'elfique n'a pas changé, lui."
Il rougit brusquement.
" Enfin... C'est pas très important..."

-Et pourquoi est-ce que cela ne le serait pas ? C'est important, pour moi, de savoir que ton séjour ici est agréable. Sans compter que j'aime bien quand tu me parles de ce que tu fais, de ce qui t'intéresse...
Il lui sourit.
-J'espère bien, d'ailleurs, que nous aurons l'occasion d'en rediscuter d'ici peu. Dans l'immédiat, cependant, je vais partir avec maître Amrod pour retrouver Wilmarin et les chefs des opérations militaires. D'ici à mon retour, pourrais-tu veiller sur Titus ? Je crains qu'il ne se sente pas très à son aise, ici...

Baptiste se tourna vers le demi-faune, qui observait l'extérieur de la chambre au travers de la fenêtre, ses yeux ambrés percevant sans doute le moindre détail du jardin plongé dans les ténèbres.
" Bien sûr."
Il refit face au barde.
" Mais ça veut dire que tu repars, alors ? Chercher Victor ?"

-Je vais repartir, oui, mais dans un premier temps pour prêter main forte à maître Wilmarin : il pense avoir besoin de mon aide contre la secte. Cependant, sois tranquille : je n'ai aucune intention de m'exposer inutilement et je compte au contraire être très prudent. Concernant Victor... Je vais déjà demander à Titus d'interroger les insectes, s'il en trouve : peut-être cela nous fournira-t-il un début de piste, ce qui ne serait pas malvenu puisque je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où il est.

Titus avait entendu prononcer son nom et dressé l'oreille, avant de s'approcher du lit. Il ne maîtrisait cependant pas suffisamment bien le commun pour avoir compris exactement ce dont parlait Taliesin, mais il n'interrompit pas pour autant sa conversation avec Baptiste. Ce dernier avait pincé les lèvres. Il parut sur le point de dire quelque chose, mais secoua la tête et s'autorisa un sourire, avant de reprendre la parole.
" Et Marius ? Il est là aussi ?"

-Oui : il est en train de manger. Et si tu pouvais garder un œil sur lui aussi, cela me tranquilliserait : j'ai peur qu'il ne fasse tourner le majordome en bourrique, en partie parce que notre jeune ami se montre toujours aussi méfiant...
En partie seulement : il craignait également que son manque de manières ne sème le trouble en cette luxueuse demeure pleine de précieuses antiquités.

" Je vais surtout devoir vérifier ce qu'il met dans ses poches !" s'exclama Baptiste en levant les yeux au ciel.
On frappa alors à la porte et une voix étouffée, féminine, traversa le pan de bois.
" J'apporte les couches pour les enfants. Puis-je entrer ?"

-Il était temps ! s'exclama-t-il.
Mais avant de l'inviter à entrer, il jeta un regard à Baptiste, donc c'était après tout la chambre.
Il songea que, dans l'absolu, Cordélia elle aussi aurait pu veiller sur les enfants durant son absence. Toutefois, quelque chose lui disait qu'elle ne voudrait pas rester ici tandis que les choses sérieuses débuteraient...

Baptiste ne réagit pas — il n'était qu'un invité en ces murs et donc bien peu territorial — et la femme de chambre entra, un peu penaude, s'excusant à profusion d'avoir tant tardé. Elle était chargée de deux matelas roulés et de couvertures empilées, et Baptiste se leva pour l'aider à tout installer. Marius arriva peu de temps après et salua laconiquement l'hôte originel de la chambre. Ce dernier toisa le dernier arrivé de haut en bas puis grimaça.
" Va falloir qu'on te trouve des autres vêtements. Les tiens sont un peu... pas dans le ton... des lieux... Hum. Sales, quoi."
Marius fronça les sourcils.
" C'est moi qui les choisis, grommela-t-il.
— J'ai pas dit le contraire."
Sur une courbette et de nouvelles excuses, la femme de chambre s'esquiva.

HRP : Il y a eu un joli quiproquo ! Je vais tenter de rattraper ça.

Le barde, très embarrassé, n'avait pas manqué de s'excuser platement auprès de la domestique : tout à sa conversation avec Baptiste et donc peu attentif au timbre de la voix, il avait cru que la nouvelle venue n'était autre que Cordélia, laquelle avait déjà plaisanté, au début de leur rencontre, sur les "couches des enfants".
Le malentendu dissipé, c'est vers Titus qu'il se tourna.
-Tu verras, tout va bien se passer : tu es en sécurité, ici, et tu pourras compter sur Baptiste pour t'aider. Oh, et si d'aventure tu croises des moustiques ou d'autres insectes... Serais-tu d'accord pour leur demander si, par hasard, ils n'auraient pas vu Victor ? On ne sait jamais...

HRP : j'avais bien capté

Mais je n'ai JAMAIS dit que c'était Cordélia, et ce n'est pas la bonne couleur, en sus o

Titus écouta sagement Taliesin puis acquiesça.
" Je peux faire ça, oui. Mais il faut que je trouve des moustiques."
Il se tourna vers Baptiste.
" On peut ouvert ?" fit-il dans son commun approximatif.
Il désigna les fenêtres, ne trouvant pas le mot approprié. Baptiste acquiesça.
" Oui, sans problèmes."
Il joignit le geste à la parole, invitant la nuit dans leur chambre. Le dôme protecteur d'Amrod ne laissait passer aucun son de l'extérieur, aucune lumière étrange. Peut-être ne laisserait-il pas plus passer les moustiques...

-Ceci dit, si tu ne trouves pas de moustique, ne t'en inquiète pas : je te demande cela juste au cas où.
Peut-être Victor finirait-il par se manifester de lui-même. Peut-être, aussi, Wilmarin disposait-il de quelques sorts susceptibles de le localiser..
-Sur ce, les gars, et à moins que vous n'ayez besoin de moi pour quelque chose, je vais vous laisser, reprit-il. Je compte sur vous pour être sages jusqu'à mon retour.

" C'est pas très précis, ça." remarqua Marius tout en sondant son futur lit du bout de l'orteil.
Titus acquiesça puis se glissa dehors, dans le jardin enténébré. Baptiste poussa un bref soupir.
" Heureusement que je ne me sentais pas trop fatigué... J'ai comme l'impression que je ne suis pas prêt de dormir."
Il dévisagea Taliesin, soudain plus sérieux.
" Sois prudent, alors. Et bonne chance."

Il lui sourit.
-Ne t'en fais pas. Et merci !
Il le salut, de même que les deux autres gamins, puis quitta la chambre.
Restait à présent à retrouver Amrod. Qui serait peut-être en compagnie de Cordélia, pour peu qu'elle ait décidé de les accompagner.

Il retrouva effectivement Amrod et Cordélia un peu plus loin dans le couloir. Ils étaient l'un et l'autre habillés de pied en cap et Taliesin comprit sans devoir demander qu'il avait vu juste : la jeune femme avait bien l'intention de les accompagner.
" Et bien, s'exclama-t-elle, comment es-tu revenu jusqu'ici ? Je suis là depuis le milieu d'après-midi, seulement ! J'ai un peu musardé, mais pas tant que ça ! Cheval volant ? Rivière souterraine ? Téléportation ?"

-Mystère ! Les bardes, tu sais, ont bien des cordes à leur arc. Surtout quand ils peuvent compter sur le soutien d'un sage elfe fort versé en l'art des arcanes.
Il sourit.
-Que diriez-vous de nous mettre en route ? Ce serait dommage que maître Wilmarin ait réglé la totalité des problèmes avant notre arrivée...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile