La Couronne de Cuivre

Il lui fallut du temps mais... Il réussit finalement à se concentrer.
Son regard, son attention... Tout son être se focalisa sur cet étrange symbole.
Ce symbole qui semblait pulser d'une énergie mystérieuse.
Ce symbole dont les élégantes courbes semblaient onduler...
Hubert fut tout à coup saisi d'une étrange sensation.
Une sensation qui lui rappela, oui, ce qui l'avait subitement envahi face au démon.
Il sentit ses lèvres s'animer.
Il s'entendit prononcer un mot.
Le prononcer avec une force et une autorité surnaturelles.

Hubert --> Parole sacrée

Ces quelques syllabes se répercutèrent dans le couloir, provoquèrent des échos déconcertants où sa voix semblait se mêler à d'autres en une troublante mais sublime harmonie.
La porte tout entière se mit à briller.
Puis, tandis que les sons venus d'ailleurs se dissipaient peu à peu, elle s'ouvrit, dévoilant une vaste salle circulaire baignée par la lumière du jour.
A ses côtés, Ruth et Giovanni semblaient sonnés.
Sonnés et profondément touchés au point d'en avoir les larmes aux yeux.

Hubert demeura paralysé un moment, stupéfait, ému aussi, par quelque chose qu'il ne parvenait ni à comprendre, ni à identifier. Quelque chose avait résonné en lui, puis s'était évanoui, et il se sentait à la fois galvanisé et vide. Les émotions en son sein étaient tout aussi troublées.
J'ai réussi ! s'extasiait une partie de lui-même.
Qui suis-je ? s'angoissait la seconde.
Il fit un pas vers l'intérieur de la pièce, comme pour s'arracher à cette étrange torpeur. Le résultat, la nécessité.
" Venez." dit-il d'une voix altérée.

Ils lui emboîtèrent le pas sans piper mot.
Comme le paladin l'avait soupçonné, ils se trouvaient juste sous le dôme qui, une fois la porte franchie, déploya au-dessus de leur tête sa surface concave. Celle-ci était percée d'une myriade de petites ouvertures vitrées par lesquelles filtraient généreusement les rayons du soleil. Elle était également recouverte de superbes fresques figurant visiblement des scènes de l'histoire de Clairétoile. Des scènes où ses habitants côtoyaient une poignée de beaux êtres ailés qui semblaient les instruire et les seconder en diverses matières.
Quant à la salle que dominaient ses représentations, elle était vaste et imposante mais relativement peu meublée.
Ce qui ne mettait que davantage en valeur ce qui en occupait le centre.
Quelques marches menaient à une manière d'estrade où, entourés de hauts candélabres, trônaient d'une part un lutrin supportant un très épais volume, d'autre part, derrière celui-ci, un coffre de pierre sculpté.
Par son organisation, par sa majesté, par l'atmosphère puissante et indéfinissable qui régnait là, l'endroit avait des allures de sanctuaire.

Hubert avança avec circonspection, aux aguets. La vision des êtres ailés sur la voute le fascina autant qu'elle l'effraya. Il se sentait intrus en cet endroit, et en même temps, il avait pu percer ses protections, c'est que quelque part, il avait le droit d'y être. La lumière du soleil était rassurante et il s'immobilisa un instant sous l'un des rayons pour adresser une courte prière à Lathandre, un rempart contre le trouble qui l'avait envahi.
Ensuite, il reprit sa progression et, cette fois, il ne tenta pas de se dérober : il se dirigea droit vers l'estrade avec l'intention d'y grimper et de regarder de plus près ce qu'on y avait exposé.

Rien ne s'opposa à ce qu'il s'approche de l'estrade et à ce qu'il y grimpe, ses compagnons sur les talons. Ceux-ci avaient l'air passablement intimidés ce qui, les connaissant - connaissant Ruth, surtout -, avait de quoi surprendre.
Le livre ne portait pas de titre : on voyait uniquement un symbole gravé sur sa couverture. Il était simplement posé sur le lutrin : rien ne paraissait s'opposer à ce qu'on le prenne.
Le coffre lui-même différait de ceux qu'ils avaient vus jusqu'ici. D'abord par sa matière, ensuite parce qu'il semblait que, pour l'ouvrir, il suffise de soulever son lourd couvercle. Là encore, pas de système de protection visible.

Conscient que Giovanni et Ruth étaient hésitants, Hubert continua sur sa lancée, reflétant bien plus d'assurance qu'il n'en ressentait en réalité. Il ne doutait pas que le livre soit précieux, mais quelle que soit son ascendance, il n'entendait rien à la langue céleste, aussi se pencha-t-il sur le coffre. Il prit une profonde inspiration et essaya de l'ouvrir précautionneusement, s'attendant à moitié à être pétrifié pour son impudence...

Il put soulever le couvercle sans efforts... et sans que quelque punition divine ne s'abatte sur lui.
A l'intérieur étaient disposés plusieurs objets dont la splendeur devait n'avoir d'agale que la puissance, à en juger par l'impression qu'ils laissaient sur qui posait les yeux sur eux.
Il y avait là un long bâton de magicien dont la tête était ornée d''une imposante gemme magique, un médaillon, une broche et deux anneaux également sertis de ces pierres étranges, des vêtements repliés - les premières pièces de tissu qu'ils découvraient dans cette cité - ainsi qu'un coffret de métal décoré de symboles mystérieux.

S'il était sensible à la beauté et au sentiment de puissance qui se dégageait des objets, Hubert n'y connaissait pas grand chose. Ce n'était cependant pas le cas des bardes et il fit signe à Giovanni d'approcher, sans oser toucher à rien. Ensuite, il s'éclaircit la gorge : il n'était pas certain que sa voix avait repris son timbre habituel.
" J'imagine que... nous allons emporter tout ceci... Veux-tu... jeter un oeil dans le livre ?"
Il se redressa, sourit à Ruth, toujours embarrassé.
" Je vais te l'ouvrir, si tu veux... Ne prenons pas de risques."

-Non, je pense qu'il n'y a aucun risque à ce que je le touche, ou à ce que je touche les autres objets. C'est à espérer, d'ailleurs, parce que étrangement, je ne t'imagine pas manier le bâton tout en étant revêtu d'une robe... Et puis si d'aventure je meurs, bah, au moins, je n'aurais pas à retrouver mes tourmenteurs.
Avant qu'Hubert n'ait pu faire quoi que ce soit, il avait touché et ouvert le livre.
Et rien de fâcheux ne lui arriva.
-Bon, c'est tout écrit en symboles incompréhensibles. Mais autant le prendre quand même : il sera toujours mieux entre nos mains qu'entre celles des Ithiliens... Même si, en réalité, je doute qu'ils puissent parvenir jusqu'ici.

" Bon, dit le paladin avec un léger sourire. Embarquons le tout, alors, et essayons de trouver la sortie."
Il se sentait toujours un peu déphasé, comme à côté de lui-même. Il avait envie de presser Giovanni de questions : le barde en savait manifestement beaucoup plus que ce qu'il voulait bien lui dire. Mais ce n'était pas le moment : les Ithiliens étaient toujours dans l'université et ne tarderaient peut-être pas à surgir.
" Tu sais manier le bâton, toi ? Je pensais que seuls les mages savaient se servir de ces trucs ?"

-Il faut qu'ils aient été formés au maniement des objets magiques, ce qui est très souvent le cas mais pas absolument toujours. En ce qui me concerne, ça a fait partie de ma formation de barde. Cela peut toujours être utile, dans notre profession. Et ça m'a déjà servi, notamment quand j'ai mis la main sur ces binocles qui permettent de voir les gens tout...
Il jeta un regard à Ruth.
-Tout bronzés. Voilà. Tout bronzés. Comme s'ils avaient passé l'été au grand air, tu vois.
-Tout bronzés, mon œil, fit l'écuyère. Tu as peut-être appris à manipuler les objets magiques mais pour les bobards, tu repasseras !
-Et pourtant, c'est la pleine et entière vérité !
-Gnagnagna ! A d'autres !
Tout en parlant, ils avaient commencé à récupérer les objets : manifestement, leur échange ne leur avait pas fait oublier leur périlleuse situation.

Hubert les laissa faire : s'il devait les défendre, il aurait besoin d'avoir les mains libres, aussi n'était-ce pas plus mal qu'ils décident de se charger des objets. Peut-être le livre était-il un peu lourd, cependant, et il alla le soulever de son lutrin, puis le glissa sous son bras. Ce faisant, il s'excusa mentalement auprès des anciens et des êtres ailés qui avaient gardé ce sanctuaire au fil des siècles. Il espérait qu'ils se montreraient dignes de l'héritage dont ils venaient de s'emparer comme de vulgaires pillards. Dès que Giovanni et Ruth seraient parés — leur petit échange l'avait fait sourire, c'était un signe qu'ils reprenaient leurs esprits — ils repartiraient dans le couloir, puis les escaliers, direction le sous-sol.

Moins d'une minute plus tard, ils étaient en route.
Les portes du sanctuaire se refermèrent derrière eux, de même que celle donnant sur les escaliers - Giovanni avait bien mémorisé l'endroit où elle se trouvait et l'intervention de Ruth permit de la faire apparaître. Ils descendirent alors les volées de marches successives dans un silence complet - les murs devaient être épais, pour bloquer ainsi les sons, à moins que les Ithiliens n'aient déjà quitté les lieux.
Deuxième puis premier étage, rez-de-chaussée et enfin... Le niveau des caves.
Une nouvelle fois, il fallut à Hubert leur ouvrir la voie.
De l'autre côté de l'huis métallique, ils découvrirent non une salle d'expérimentation mais... un long et étroit couloir.
Au fond, une porte.
Et avant la porte... Un symbole gravé au sol.

" Je vais passer, dit le paladin. Les animaux célestes ont dissipé ces signes, ça devrait marcher avec moi aussi... Mais reculez quand même... On ne sait jamais."
Il eut un sourire bravache puis attendit qu'ils prennent leurs distances. Ensuite, il traverserait.

Le seul phénomène notable fut que le symbole s'illumina brièvement à son passage. Mais pour le reste, rien ne se produisit et ses compagnons purent lui emboîter le pas sans subir aucun effet néfaste.
Le paladin dut ouvrir la nouvelle porte comme les précédentes. Ils atteignirent alors un couloir transversal où rien n'indiquait quelle direction prendre. Toutefois, comme Ruth avait sans réfléchir opté pour la gauche, ils lui emboîtèrent le pas et s'en trouvèrent bien avisés.
Car, après un ultime battant, ils regagnèrent les souterrains de la cité.

" Bon, on ne se relâche pas..." souffla Hubert.
Il prit la tête du trio d'autorité, reléguant Giovanni à l'arrière. Il dut cependant rapidement déchanter. Il n'était pas habitué à s'orienter sous terre et n'avait aucune idée de la direction à emprunter. Il croisa le regard du barde avec une grimace.
" Est-ce que Ruth va nous guider, ou bien tu as retenu le trajet ?"
La mémoire des bardes était proverbiale, après tout... même s'il n'y avait pas beaucoup de points de repères dans ce dédale...

Giovanni eut un sourire désolé.
-J'ai retenu le trajet mais... Je ne sais pas par quel côté du bâtiment on est sortis. Or, comme plusieurs couloirs débouchent sur son périmètre... Le mieux, ce serait de retrouver l'endroit par lequel on est entrés. De là, je crois que je pourrai nous ramener à bon port. Peut-être au prix de quelques détours, d'accord, mais... C'est sympa de se balader tous les trois, non ?

" Très sympa." dit Hubert avec un sourire un peu interdit.
Il dégaina son épée, garda le livre sous le bras gauche et avança doucement. Comment Giovanni parvenait à se repérer dans cet endroit, avec sa vision humaine, le dépassait complètement. Mais voilà, chacun avait ses petits talents et c'est ce qui faisait les bonnes équipes. Et ce qui leur permettrait d'avancer sans se faire repérer, en l'occurrence, serait dans l'immédiat la manière dont les prunelles inhumaines du paladin perçaient les ténèbres : il pourrait voir l'ennemi de loin...

Mais il ne vit ni n'entendit d'ennemis : soit ils étaient repartis, soit ils étaient toujours à fouiller l'école de magie.
Retrouver l'endroit précis par lequel ils avaient pénétré dans l'établissement ne fut pas une mince affaire et il fallut que Ruth déploie de nouveaux efforts.
Elle s'activait de son mieux, avec un agacement croissant, quand Hubert ressentit quelque chose en lui...

Hubert !
Ah misère, songea le paladin.
Arrivons bientôt. Indemnes. Objets puissants.
Je m'en fiche de tes objets puissants ! Devons-nous vous renvoyer un guide ? Où êtes-vous ?
Le clerc avait l'air plus furieux que soulagé. Le paladin posa la main sur l'épaule de Giovanni.
" Avons-nous besoin qu'un éclaireur vienne nous guider ?"

Le barde grimaça.
-S'ils nous envoient un guide, le seul point de rendez-vous que nous pourrions lui donner, c'est icii. Nous risquerions fort, avant son arrivée, de tomber sur des Ithiliens...
Il fronça les sourcils.
-Albérich n'a pas en réserve le sort avec lequel il avait proposé de guider Thibault quand il est allé à la bibliothèque ?

Hubert acquiesça.
Peux-tu nous guider avec un sortilège ? Sinon risqué vu lieux.
Un court silence suivit.
Oui..
Les autres ?
Tous rentrés.
Nous arrivons.
Soyez prudents.
Bien sûr.
Le paladin eut l'impression de percevoir un léger vent de doute ou de désapprobation, mais Albérich demeura silencieux un moment.
Nous vous attendons.
Et le silence retomba.

Informée qu'il n'était plus nécessaire pour elle de s'échiner, Ruth interrompit ses recherches.
Commença alors, pour le petit groupe, une longue attente. En prévision, ils s'éloignèrent quelque peu du palais, préférant un petit tunnel où ils auraient moins de chance d'être surpris.
Après un temps indéterminé - qui leur parut durer des siècles mais qui ne dut pas dépasser les trois quarts d'heure au maximum - ils virent apparaître une main spectrale qui leur fit signe de la suivre, ce qui amusa beaucoup l'écuyère d'Hubert.
Ainsi prirent-ils à sa suite le chemin du retour, pour un trajet fatigant mais, au moins, exempt de détours inutiles ou d'hésitations.
Enfin, ils parvinrent près des portes souterraines du palais...

Hubert se sentit incroyablement léger quand il vit la main spectrale se dissiper dans l'air. Ils y étaient arrivés, vivants, riches de trésors, sans avoir fait de mauvaises rencontres. Il retrouva rapidement la pierre, puis posa les mains sur le métal et leur dégagea le passage. Il invita ensuite Ruth à passer la première, puis Giovanni, scrutant le couloir une dernière fois avant de disparaître dans leur refuge. Il était soulagé, mais aussi secoué par leur aventure. Ruth avait failli mourir, Giovanni lui avait imposé d'accepter ce qu'il était. Mais quoi ? Le barde ne pourrait plus se réfugier derrière des hésitations très longtemps.
Personne ne les avait attendus mais c'était de bonne guerre : il aurait été difficile de prévoir quand ils arriveraient...

Ils traversèrent les caves désertes puis empruntèrent l'escalier habituel pour déboucher dans une partie du rez-de-chaussée qui, dans l'immédiat, était tout aussi vide d'occupants. Néanmoins, ils pouvaient entendre, plus loin, les échos de quelques conversations. A la luminosité qui filtrait par les vitraux, ils comprirent que l'après-midi s'acheminait lentement mais sûrement vers sa fin.
-Bon, voilà une expédition rondement menée ! fit Giovanni, souriant. Où doit-on déposer tout ça, à ton avis ?

" Je propose qu'on fasse une entrée triomphale, dit Hubert avec le sourire. Le conseil... et d'ailleurs tous ceux qui ont participé à l'expédition... voudront savoir ce que nous avons rapporté. Et inversement."
Il eut une subite grimace, rougi, et se tourna vers ses compagnons.
" Pouvez-vous éviter de raconter en détail la manière dont nous avons pénétré dans la salle ?"

Ruth, surprise, acquiseça néanmoins. Quant à Giovanni, il soupira.
-Tu te rends compte que tu me demandes quasiment de commettre une faute professionnelle ? Amoindre l'aspect spectaculaire d'une aventure, voilà qui pourrait me valoir le rejet unanime de mes pairs... Mais allez, très bien : je ne dirai rien. Pour l'instant.
Au fur et à mesure de leur progression vers la salle commune, ils croisèrent des colons qui les accueillirent chaleureusement et observèrent leur butin avec une curiosité non feinte. Puis parut Ézéchiel.
-Content de vous revoir sains et saufs.

Hubert lui serra la main.
" Je suis heureux que vous ayez pu tous rentrer, vous aussi. J'espère que nous ne vous avons pas mis en danger, mais nous nous sommes retrouvés dans une situation... qui ne nous a pas permis de faire marche arrière assez vite pour vous prévenir."
Il n'avait pas l'intention de dévoiler la mésaventure de Ruth si ce n'était pas absolument nécessaire.
" Les Ithiliens vous ont-ils vus ?"

-Non. La cloche qui a retenti quand nous avons brisé les vitrines a accaparé leur attention : leurs chefs ont dû craindre que l'un de leurs hommes ait commis une imprudence, ce qui les a amenés à se regrouper... Bref, trouver des escaliers non surveillés à été un jeu d'enfant.
Son regard s'arrêta un instant sur Ruth et ses sourcils se haussèrent quand il remarqua, sur ses vêtements, les stigmates de sa chute. Néanmoins, il ne fit aucun commentaire à ce sujet.
-L'affaire se termine bien. Très bien, même, vu ce que vous rapportez... Toutefois, sache quand même que je ne te ferai plus confiance quand tu me diras quelque chose du genre : "On va chercher untel puis on revient". Ça ne prendra plus.

" Je t'avais prévenu que nous ne reviendrions peut-être pas... Mais tu as agi comme il le fallait, et nous sommes là... C'est le principal. Nous étions d'accord, toi et moi, sur les impératifs de notre retraite."
Il jeta un rapide coup d'oeil vers Ruth. C'était Ezéchiel le premier qui avait mentionné la gamine et l'impossibilité d'abandonner le bâtiment sans elle. Hubert n'avait jamais eu l'intention d'agir autrement, mais l'éclaireur, aussi pragmatique soit-il, avait eu la même impulsion.
" Vous avez donc pu ramener certaines choses, vous aussi ?"

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue