La Couronne de Cuivre

" Tu as raison. Va voir Barthélémy. Demande-lui s'il peut contacter Albérich."
Normalement, le clerc ne devait pas encore avoir utilisé ses sortilèges de communication.
" Ensuite, si l'huile est montée, trouve des gens pour la balancer sur les plantes et l'enflammer. On ne sait jamais que ça marche."
La seconde suivante, il se ruait dans la direction qu'avait indiquée Edgar.

Parvenu dans la cour, Hubert ne tarda pas à découvrir l'endroit par lequel les cannibales s'étaient introduits dans la place : ils avaient ouvert une brèche à même les remparts. Les shamans devaient disposer de sortilèges capables de modeler la pierre et, vu l'épaisseur des murs, vu la dimension de l'ouverture, permettant à deux hommes de la franchir de front - pour peu qu'ils se serrent -, ils avaient du y recourir maintes fois, à moins qu'ils ne s'y soient mis à plusieurs. Peut-être l'apparition de la brume, celle des oiseaux et l'assaut dans les hauteurs n'avaient-ils été, au fond, que de simples diversions...

Hubert se dirigea droit vers la brèche, l'épée au clair, prêt à affronter quiconque essaierait de se glisser par l'ouverture. Ses adversaires se gênaient au moment où ils devaient se faufiler dans le trou, c'était le moment idéal pour les faucher. Tant qu'il n'y avait qu'une entrée semblable, il ne serait sans doute pas trop difficile de la garder, mais s'ils en ouvraient d'autres...
" Edgar ! Fais faire jeter des pierres de l'autre côté !" cria-t-il.
S'il restait seulement une personne pour s'en charger... Ils étaient trop peu nombreux, c'était aussi simple que ça, et leurs adversaires disposaient de ressources magiques nettement supérieures aux leurs. L'un dans l'autre, malgré leur position avantageuse, la lutte était déséquilibrée. Mais ce n'était pas le moment de se décourager. Ils étaient quatre cents, pas quatre mille, et ils avaient déjà dû en tuer quelques uns. Même si les shamans en réparaient l'un ou l'autre, le flot finirait par se tarir. Le tout était de rester concentré et de ne pas se laisser déborder. Deux hommes s'extirpant d'un boyau, c'était dans ses cordes. D'autant que l'empilement des corps finirait par les gêner...
" Il me faut deux arbalétriers !"

Les tireurs postés sur les remparts vinrent à bout assez rapidement des derniers cannibales présents dans la cour. Puis, répondant à l'appel du paladin, deux arbalétriers vinrent se positionner près de lui. Dès lors, ils coordonnèrent leurs efforts pour abattre ceux qui, déterminés, s'avançaient à travers le passage. La manœuvre réussit plutôt bien - les corps se mirent à s'empiler - et semblait susceptible de demeurer efficaces un bon moment. Jusqu'à ce que les carreaux viennent à manquer ou que la fatigue ne commence à prélever son dû...

***

Dans la nef, le temps s'écoulait avec une lenteur déprimante.
Les palefreniers et leurs deux jeunes acolytes, diligents, avaient terminé de descendre les chevaux. Les écuyers avaient ensuite rejoint Albérich, prêt à aider en cas de besoin. Il avait alors fallu attendre, attendre...
Albérich.
Une voix dans sa tête.
Par mesure de sécurité, Hubert demande que vous meniez à bien tous les préparatifs nécessaires à un éventuel repli. Néanmoins, celui-ci ne devra pas être lancé avant que vous n'en ayez reçu la consigne.

Bien reçu. Nous nous y attelons.
Il prit une profonde inspiration et se tourna vers les enfants qui le flanquaient.
" Il faut préparer à l'évacuation. Allez prévenir les hommes de l'intendance : les chevaux doivent être harnachés et chargés. Ensuite, revenez près de moi."
De son côté, il allait faire passer le message que les gens devaient à présent se regrouper en chariot et procéder à l'appel. Une fois assurés de la présence de tout le monde, Albérich, aidé du forgeron, procéderait à la distribution des armes et armures qui leur restaient. Les personnes les plus aptes à défendre la colonne se positionneraient ensuite au pourtour du groupe tandis que les "chariots" les plus faibles avanceraient déjà dans le couloir. Ils ne franchiraient pas la limite du glyphe avant que le signal ne soit donné — et Albérich priait pour que ce ne soit jamais le cas, mais au moins seraient-ils en rangs ordonnés.
Il ne se laissa pas le temps de l'angoisse, ni de l'introspection. Il devait agir, et dans l'action, ses pensées se repliaient hors de son champ conscient.

Les opérations débutèrent : les intendants se mirent à charger les chevaux, les colons se regroupèrent et répondirent à l'appel de leurs responsables, les plus doués des civils commencèrent à s'armer... Sur bien des visages, Albérich lisait de la crainte, sinon de la peur pure et simple. Cependant, il voyait également beaucoup de détermination et puisque la plupart des gens savaient quoi faire, le moral tint bon.
-Vous croyez pas qu'un rhinocéros, ça les aiderait, là-haut ? s'enquit Ruth, innocemment.

" Non, Ruth. Le rhinocéros reste avec nous, dit Albérich en posant une main sur sa tête. Les issues sont barricadées, de toute façon."
Il lui sourit doucement, conscient de l'angoisse qui régnait partout autour d'eux. Mais ils savaient, tous, que l'assaut aurait lieu. Rien de tout ceci n'était une surprise et ils avaient eu mille fois le temps d'y penser.
" Nous allons attendre, à présent. Si l'ordre de retraite est donné, vous courrez en début de colonne pour faire passer le message, puis reviendrez ici. Vous faites partie des défenseurs de la communauté, j'aurai besoin de vous."

***

De son côté, Hubert tentait de repousser les cadavres dans la brèche, dès qu'il en avait l'opportunité. Boucher l'ouverture avec des corps était relativement macabre, mais c'était un matériel de colmatage qu'il avait sous la main — ou plutôt sous la botte — à profusion. Il sentait la fatigue l'envahir, peu à peu, mais ce n'était qu'une petite gêne à la lisière de sa conscience. Il était galvanisé par l'urgence et il n'avait pas l'intention de se laisser impressionner par ces créatures sanguinaires...

Un corps s'écrasa à deux pas de lui.
Un archer dont le visage lui était familier - mais non le nom - et qui avait été précipité depuis le sommet des remparts où la bataille avait repris de plus belle, après une longue pause consécutive au déversement de l'huile et au feu qu'on avait bouté aux plantes consécutivement.
Celles-ci avaient dû repousser. Mais, du côté cannibale, les pertes devaient s'accumuler.
Une bonne minute s'écoula sans qu'aucun ennemi ne surgisse par la brèche. Puis, brusquement, il y vit s'y découper un solide pavois qui se rapprocha avec lenteur. Nul doute que derrière cette protection, les barbares se massaient...

Le paladin ne put pas s'émouvoir de la mort de l'archer. Il s'était promis de ne plus perdre personne, mais il savait — au fond — que c'était impossible et qu'ils étaient tous en sursis. Il serait déjà heureux s'ils parvenaient à réduire la masse des assaillants de moitié.
Non. Nous allons vaincre.
Cette fois, les arbalètriers ne lui seraient d'aucun secours, mais les cannibales seraient immanquablement gênés par leurs morts.
" Repliez-vous." lança Hubert aux hommes qui le flanquaient.
Il se garda, prit une profonde inspiration.
" J'ai besoin de renforts !" cria-t-il plus fortement, espérant que quelqu'un pourrait lui envoyer un homme ou l'autre, voire un mage qui n'avait pas épuisé la totalité de son arsenal.
Il n'avait plus qu'une idée vague de ce qui se passait sur les remparts, mais il devait faire confiance à la maîtrise de ses officiers.

Il fut rejoint par deux soldats, arme aux poing, et par l'un des mages qui, avisant la situation, incanta brièvement et projeté des rayons enflammées sur le pavois. S'ils firent rougeoyer le bouclier, s'ils l'enflammèrent, même, ils ne suffirent pas à le percer, encore moins à blesser celui qui se trouvait derrière. Sans doute le bois était-il renforcé d'une épaisse plaque de métal... Quoi qu'il en soit, le nouvel assaut ennemi continua à avancer, se rapprochant de l'issue du court tunnel...

Hubert se tourna vers le mage.
" Faites balancer quelque chose depuis le rempart, dès qu'ils émergent. Si c'est possible, que des arbalétriers leur tirent dessus par le haut."
Pour le reste, il n'avait d'autre choix que de faire face et d'affronter ce qui sortirait du tunnel. Une fois le pavois tombé, le carnage pourrait commencer.

Hubert -> Bénédiction -> lui et ses voisins

Aucune pierre ne tomba du rempart en surplomb : les dernières avaient dû être lancées par-dessus les créneaux depuis bien longtemps; En revanche, il y eu quelques flèches qui eurent d'ailleurs raison du porteur du pavois au moment où il sortit du passage : l'homme, un solide gaillard d'une taille impressionnante, s'étala de tout son long. Mais derrière lui venaient déjà plusieurs cannibales, bondissant en avant pour essayer de prendre position dans la cour et, peut-être, de bousculer suffisamment les défenseurs pour les déséquilibrer. A voir leurs armures ornementées, il ne devait pas s'agir de n'importe qui...

Mais cela n'avait pas d'importance : frondeur ou chevalier d'élite, il fallait combattre. Et s'ils étaient débordés...
Il ne fallait pas qu'ils soient débordés.
" Du renfort ! J'ai besoin de renfort !" cria à nouveau le paladin, avant de se choisir un premier adversaire.
Il était investi de l'énergie de Lathandre et le destin de la communauté reposait sur leurs épaules, il ne pouvait pas se laisser ébranler.
Il rassembla son énergie pour essayer d'abattre le Cannibale d'un seul coup bien porté. Il doutait des effets de la guerre psychologique sur leurs ennemis déments, mais il n'avait nulle raison de ne pas essayer.

Hubert -> Châtiment du Mal -> Vilain Paludier

Son coup porta, traversa plate, maille, cuir et chair, finissant par presque couper son adversaire en deux et le menant instantanément de vie à trépas.
Le soldat qui se trouvait à sa droite fut moins heureux : bousculé par l'un des cannibales, il avait trébuché, et cette brève ouverture avait suffi pour que le fil d'une hache imposante sépare sa tête de ses épaules dans une gerbe de sang qui n'épargna pas le paladin.
Le barbare victorieux poussa un cri de triomphe et leva à nouveau son arme pour en frapper cette fois Hubert, tandis que plusieurs de ses congénères faisaient à leur tour leur apparition.

Cette fois, le paladin fut forcé de reculer. Il fallait qu'il transmette à Barthélémy l'ordre de retraite : à moins que des combattants aguerris ne le rejoignent immédiatement, ils allaient être envahis par ce qui ressemblait aux troupes d'élite des cannibales. Il repoussa les questions qui l'assaillaient à nouveau : comment pouvait-on être aussi diabolique, tout en étant humain ? Il fallait qu'il parvienne à évaluer la situation sur les remparts, mais il comptait sur la clairvoyance de Giovanni pour balancer toute leur force de frappe magique et archère sur ce qui venait de débouler à l'intérieur. Combien diable pouvaient-ils être ? Et depuis combien de temps se battaient-ils ? Il songea au fait qu'il n'avait jamais nommé de second.
" Repli !" annonça-t-il à ce qui restait debout dans la cour.
Ils allaient devoir grimper sur les remparts et défendre l'accès aux tours. C'était impossible. A moins d'un miracle, le fort était tombé, et les renforts n'existaient même pas encore.

Hubert se replia donc en direction de l'escalier extérieur, poursuivi par ses adversaires qui ne manquèrent pas de le huer pour ce qu'ils prenaient pour de la lâcheté, malgré les les flèches dont ils étaient la cible. Ézéchiel et ses éclaireurs ne ménageaient en effet par leurs efforts, mais ils n'étaient guère nombreux : l'essentiel des forces se massait toujours sur le rempart ouest, où les combats n'avait pas baissé en intensité.
Par la brèche jaillirent d'autres cannibales, deux par deux, se jouant avec une adresse certaine des cadavres qui leur barraient la route. Eux aussi reçurent des flèches, ainsi que divers sortilèges : Giovanni et sa petite escouade de praticiens des arcanes ne restaient pas les bras croisés.

Hubert décida de défendre l'escalier extérieur du mieux qu'il le pouvait, même s'il était conscient que c'était parfaitement inutile. Les cannibales allaient sans nul doute s'attaquer au pied des tours, où ils pourraient gagner les escaliers puis les caves.
" Faites passer le message à Barthélémy de lancer la retraite !" ordonna-t-il dès qu'il fut à portée d'oreille de quelqu'un.
Si les mages n'avaient plus de sorts de zone propres à nettoyer la cour, il faudrait qu'il redescende coûte que coûte. Une émotion douloureuse lui saisit la poitrine. Les choses étaient mal engagées et il ne voulait pas mourir, mais chacun avait son rôle à jouer, et le sien était de se battre jusqu'au bout pour assurer la survie des civils.
Ils avaient prévu que Gaspard et Edgar encadreraient et protégeraient la communauté dans son repli, mais Hubert voulait croire qu'Albérich pourrait au moins lancer le mouvement dans l'ordre. Se passer, à la seconde, de leurs hommes paraissait prématuré. Mais peut-être n'en restait-il que très peu, tout bien considéré...

Un regard circulaire le rassura : il y avait encore du monde sur les remparts. Pas autant qu'au début de l'assaut, évidemment, mais pour l'heure, en termes de victimes, ses troupes semblaient relativement épargnées.
L'ennemi se rua à l'assaut de l'escalier extérieur, se pressa en direction des portes barrant l'accès au tours. Mais cette première déferlante eut affaire à forte partie : subitement, des ours apparurent dans la cour, tandis qu'une impresionnante colonne de feu s'élevait tout à coup d'un secteur où, un instant plus tôt, s'était dressée une forte escouade barbare...

Hubert se sentit immensément soulagé quand il réalisa que les mages n'avaient pas complètement épuisé leurs réserves. Il profita de l'effet de surprise causé par les ours et les flammes pour jeter un regard au-dessus de lui : y avait-il quelqu'un pour prendre sa relève ? Il voulait aller constater l'impossibilité de couper l'afflux de guerriers dans le tunnel : il fallait qu'ils trouvent quelques choses à leur lancer sur le crâne. Des cadavres de paludiers, par exemple. N'importe quoi pour que leur flot meurtrier se tarisse.
Et défendre les tours, bien sûr. Sans doute avaient-ils davantage de chance d'y parvenir par l'intérieur. Mais ils étaient si peu nombreux...
Mon empire pour cinquante hommes de plus, songea le paladin avec amertume.

Sur plusieurs points, il lui fallut se rendre à l'évidence. D'abord, il n'y avait personne à proximité pour assurer le commandement à sa place : Guillermo, Edgar, Giovanni, Gaspar, tous étaient trop éloignés. Ensuite, s'il y avait bien quelques cadavres sur le chemin de ronde assailli, ils ne suffiraient jamais à empêcher les cannibales d'entrer...
Un fort claquement attira son attention. Sur le mur opposé, l'une des balistes installées un peu plus tôt venait d'être activée, son long trait meurtrier emportant deux ennemis sur son passage...

Il fallait donc se battre et se battre encore, et espérer qu'à un moment ou un autre, les cannibales renoncent. Il chassa toute autre considération de son esprit et affronta le cannibale qui se portait à sa rencontre. Avec les archers et les lanceurs de sorts en renfort, il pouvait sans doute repartir à l'assaut de l'ouverture. Mais était-ce la chose à faire ? Ne devaient-ils pas, simplement, s'avouer vaincus ? Tout en bataillant avec l'adversaire qu'il avait devant lui, il essaya d'estimer le nombre de paludiers qu'ils avaient déjà vus défiler. Etait-ce la moitié de leurs forces ? Davantage ? Ou beaucoup moins ?
Sonner la retraite signifierait ouvrir les issues, exposer les civils... Il ne pouvait pas se tromper. Perdre des soldats était une chose, vouer la communauté à la destruction, une autre, et savoir qu'il ne serait pas là pour en contempler l'anéantissement n'avait rien de réconfortant.

Dans la vaste salle enfouie loin sous le fort, les préparatifs avaient touché à leur terme. Les animaux de bât portaient le matériel, les civils désarmés étaient regroupés, ceux qui étaient allés s'équiper se tenaient prêts à les encadrer... Tout le monde attendait dans un silence de plus en plus profond : plus les minutes passaient, plus les conversations se faisaient rares.
Albérich.
Barthélemy le contactait à nouveau.
Hubert demande que vous vous repliez.

Albérich sentit quelque chose lui comprimer le coeur.
Compris.
Il eut envie d'ajouter quelque chose, mais il ne voulait pas leur dire adieu, non, même si l'ordre ne signifiait qu'une seule chose : ils étaient débordés, le fort était perdu, et peut-être qu'aucun d'entre eux ne s'en sortirait vivant. Il voulut dire à Barthélémy qu'eux aussi pouvaient battre en retraite, qu'ils se perdraient dans le ventre de la terre, qu'il n'était pas nécessaire qu'ils se sacrifient pour eux... mais il devait se fier à Hubert. Et Hubert irait jusqu'au sacrifice, il le savait. Fichu paladin.
Quand le contact du sortilège fut rompu, il demeura un moment silencieux, paralysé par ce qui venait d'être scellé. Il se massa le front et l'arête du nez d'une main puis prit une profonde inspiration. Il ne pouvait pas craquer maintenant.
" Nous nous replions. Faites passer le message." annonça-t-il aux écuyers, d'une voix égale.
Il resterait à l'arrière du train. Il n'avait pas encore choisi la forme qu'il revêtirait pour affronter les paludiers, s'ils devaient surgir dans les profondeurs, mais il n'avait pas l'intention de reculer. Avant cela, cependant, il fallait faire en sorte que le mouvement s'amorce dans le calme... autant que possible.

Ruth acquiesça et s'en fut aussitôt. Son ami, lui, demeura un moment immobile, pâle comme la mort, avant de lui emboîter le pas.
L'ordre fut répété, répété encore.
Durant quelques seconde, la Communauté demeura comme figée.
Puis elle sembla parcouru d'un frisson, et les choses se mirent en branle.
Des ordres retentirent. Une première escouade de colons armée se mit en marche. On avait révélé à Albérich le mot de passe nécessaire pour désactiver le glyphe, et il l'avait bien sûr répété pour que personne ne soit affecté par ses effets.
Les écuyers reparurent. Le petit garçon vint se planter juste devant lui, respectueux mais déterminé.
-Messire Albérich, je sollicite la permission de rester ici jusqu'à ce que mon maître paraisse.

" Bien sûr. Vous restez avec moi tous les deux. Vos objets magiques seront peut-être décisifs si nous sommes attaqués... Mais nous nous replierons après le train de bagages. Quand Hubert arrivera... Si Hubert arrive..."
Il toussa et les regarda l'un et l'autre.
" Vous devez vous préparer à l'éventualité qu'il ne nous rejoigne pas."
Il se sentit mal de l'avoir verbalisé, car la chose devenait subitement réelle, presque inexorable, mais ils devaient tous les trois affronter cette perspective.

Alban pâlit davantage encore, mais il n'esquissa pas le moindre mouvement.
-Messire, si les cannibales pénètrent dans les sous-sols, il faudra quelqu'un pour refermer le passage secret. Je me porte volontaire.
Ruth lui jeta un regard appuyé, refit face à Albérich.
-Dites, si c'est la galère, la haut... Vous croyez pas que si j'utilisais mon sac... voir si vous vous transformiez en un gros truc... ça les aiderait ? De toue façon, faudra bien qu'ils ouvrent l'une des issues pour se replier...

Albérich hésita. La tentation d'intervenir était grande. Mais la vérité était qu'ils n'avaient aucune idée de ce qui se tramait là en haut.
" Nous ne pouvons pas désobéir aux ordres. Nous ne savons pas ce qui se passe en haut. Notre rôle, désormais, est de nous assurer que la communauté parvienne à Clairétoile, où nous pourrons trouver refuge. Nous devons avoir foi en nos forces armées. Hubert ne nous pardonnerait jamais de nous exposer. Vous devez garder à l'esprit ce qui s'est passé la dernière fois."
Il soupira.
" J'aimerais aussi qu'il en soit autrement, mais... si nous ouvrons une brèche et que les cannibales en profitent pour descendre alors que les soldats ne sont pas prêts... Nous pourrions précipiter un désastre. Hubert sait que nous sommes armés et, j'en suis sûr, il compte sur nous pour nous défendre."

Ruth poussa un profond soupir mais acquiesça. En revanche, Alban ne semblait pas vouloir en démordre.
-Messire, sans doute est-il trop risqué d'ouvrir l'une des barricades. Mais ce n'est pas nécessaire pour venir en aide aux combattants. Il suffit de récupérer le Passepierre qui se trouve parmi les objets ramenés du tumulus et de s'en servir. Le passage ainsi ouvert se refermera dès que le Passepierre en sortira, c'était indiqué sur l'étiquette. Et, dans un premier temps, nous pourrions nous contenter de jeter un regard à l'extérieur, pour voir ce qui se passe.

Albérich grimaça.
" Je ne peux pas vous en donner l'autorisation, Alban."
Il n'était pas certain que le gosse obéirait, mais il ne pouvait pas cautionner pareille folie.
" Te penses-tu capable d'appréhender la complexité d'une zone de guerre d'un seul coup d'oeil ? Comment crois-tu qu'Hubert réagirait s'il devait t'apercevoir ? Il se bat avec la conviction que nous allons nous en sortir. C'est sans doute ce qui lui donne sa force et son énergie. Il ne voudrait jamais que vous soyez exposés. Il t'a transmis une partie de son savoir, et de ses valeurs, et la seule chose que tu puisses faire pour le soutenir, c'est survivre et devenir le chevalier que tu es appelé à devenir. Aller te brûler au dehors, c'est sans doute très brave, mais c'est, dans les circonstances présentes, une mauvaise idée."

Le gamin ferma les yeux.
-Messire....
Il les rouvrit, croisa les bras.
-Peut-être est-ce une mauvaise idée. Mais, avec tout le respect que je vous dois, penser que je vais avoir la force de m'en aller tranquillement alors que mon maître est en danger, et que je vais pouvoir continuer à aller de l'avant si je le perds comme j'ai perdu messire Robert il y a quelques jours seulement, c'est... une mauvaise appréciation de mes capacités.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée