La Couronne de Cuivre

-Ou : le contenu des vitrines. Reste cependant à savoir si nous saurons nous en servir. De surcroit, il est toujours possible que tout ou partie soit de simples objets d'exposition...
Il chercha son regard.
-Et, juste pour dire... Tu ne m'as pas demandé mon avis sur cette retraite, Hubert : tu m'as ordonné de la mener et de vous laisser en arrière, nuance. C'était raisonnable, donc je ne dis rien. Mais ne fais quand même pas comme si tu m'avais laissé le choix.

Le paladin n'était pas certain qu'il soit une bonne chose de mener ce genre de conversations devant témoins, mais il se sentit s'empourprer.
" Je suis désolé si j'ai présumé... J'ai pensé que... tu me laissais les r... l'initiative, vu l'urgence..."
Ces systèmes multi-commandements n'étaient décidément pas pratiques. Ezéchiel était manifestement vexé qu'il lui ait donné des ordres, comme Frida l'avait été en son temps. Pourtant, n'importe quelle armée avait un et un seul chef. Pas trente-six.

Il semblait cependant qu'il se tropat. Au moins en partie.
-Hé, je ne te reproche rien, d'autant que la conclusion est heureuse. Je soulignais simplement que je n'ai eu aucune responsabilité dans ce qui s'est décidé, ce qui me permet de me dédouaner totalement.
Il eut un sourire en coin.
-Prends mes remarques comme un doux avant-goût. Votre retard prolongé a suscité de l'inquiétude, la nouvelle que vous en aviez profité pour mener des recherches de la colère et celle que vous avez découvert des merveilles... un soupçon de jalousie. Bref, vous serez accueillis à bras ouverts mais... Ne vous étonnez- pas si ça barde un peu avec certains. Évidemment, je dis surtout ça pour toi. :

" Je me sens droit dans mes bottes, je dois dire. Mais j'affronterai la tempête."
Il sourit à l'éclaireur et pénétra plus avant dans le palais. Son estomac émit alors un couinement revendicateur : ils n'avaient rien mangé, tous les trois, depuis l'aube. Ruth devait être affamée en plus d'épuisée, et il se tourna vers elle. Elle avait aussi besoin d'un bon nettoyage, et sans doute du sortilège de réparation des vêtements de Thibault.
" Veux-tu aller te reposer et manger un morceau ? Tu dois être vidée."
Elle n'avait rien demandé... Il aurait pu la porter, pourtant.

Ruth bomba le torse.
-Moi, vidée ? M'sire, je suis jamais vidée !
Elle sourit.
-Par contre, j'ai sacrément la dalle. Donc j'aurai rien contre grignoter un truc. Mais d'abord, je vais finir de vous aider à porter notre butin de guerre.
De fait, elle avait encore les bras chargés d'une partie de leurs découvertes.
Sur ces entrefaites, ils parvinrent près de la salle commune, laquelle était bruissante d'activité.

" Peut-être ferions-nous mieux d'aller porter ça dans la salle du conseil, dit Hubert, subitement intimidé par l'idée de se retrouver au centre de l'attention. J'aurais dû demander à Ezéchiel où ils ont mis leur part du butin..."
Il grimaça. La bibliothèque était une autre possibilité, mais les chances qu'Albérich s'y trouve étaient très élevées.
" Heu... Ruth... Si je te déchargeais et que tu allais te renseigner ?"

-A vos ordres !
Sitôt libérée de son fardeau, elle détala comme un lièvre. Comme si elle n'avait pas eu une jambe brisée seulement quelques heures plus tôt. Comme si, aussi, elle débordait encore d'énergie.
-Y a une pièce juste à côté de la salle des cartes, avec une grande table où le reste du butin a été déposé, annonça-t-elle à son retour.
Elle les mena à celle-ci et ils purent entreposer leurs trouvailles à côté des bâtons de mages, des baguettes et autres sceptres récupérés par leurs compagnons.

Hubert se tourna ensuite vers ses compagnons.
" Je pense que nous avons à présent le droit de faire un petit tour aux cuis..."
La porte s'ouvrit derrière eux, sur Albérich, qui les toisa, mains sur les hanches, d'un air mauvais.
Faussement mauvais, sûrement, mais Hubert ne put s'empêcher de changer de couleur, comme s'il était pris sur le fait.

Giovanni et Ruth échangèrent un regard.
-A ton avis, il m'a déjà remarqué ou il est encore temps que je me rende invisible ?
-Je crois qu'il t'a déjà remarqué et que t'es foutu. Comme moi et surtout comme m'sire Hubert.
-Zut.
Le barde se fendit alors d'un sourire désarment.
-Content de te voir en un seul morceau, Albérich ! fit-il d'un ton léger. Gabriel s'inquiétait beaucoup à ton sujet, il avait peur que les petits Paludiers aient ta peau. Bien sûr, j'étais convaincu que tu t'en sortirais haut la main et je n'ai pas manqué de le lui dire. Mais quand même, c'était un sacré défi à relever. Voilà pourquoi je t'adresse toutes mes félicitations !

La mine furieuse du clerc se fendilla rapidement et il décocha un sourire goguenard au barde. Hubert devina cependant sa tension : il avait appris à la déceler à Solarcis, à mille petits signes.
" Tout s'est très bien passé avec les petits Paludiers, comme j'ai pu le dire moi-même à Gabriel. Je l'ai d'ailleurs félicité pour les beaux progrès qu'il a réalisés avec cette bande."
Il se tourna vers le paladin, qui sourit nerveusement, puis vers Ruth, et son expression s'altéra.
" Tu as l'air d'avoir traversé des mésaventures, Ruth. Est-ce que... tu vas bien ?"

Ruth lui sourit largement.
-Comme un charme, m'sire ! Et vous en faites pas pour ma tenue : je me suis juste dit que si je rentrait pas un peu sale et débraillée, les jumeaux trouverait le moyen de dire qu'en fait, on m'a laissé en arrière pendant toute l'expédition. Là, seront obligés de reconnaître que j'ai participé de bout en bout !
Son sourire s'élargit.
-Et je suis contente d'avoir pu me rendre utile. D'ailleurs... C'est quand, la prochaine mission ?

Albérich releva les yeux et croisa le regard d'Hubert, qui se sentit changer de couleur. Le clerc ne fit cependant aucun commentaire.
" Ça n'a pas encore été discuté." dit-il prudemment, avant d'avancer vers la table.
Il se glissa entre Hubert et Giovanni.
" Et qu'avez-vous trouvé, pour votre peine ?"

-Je crois que l'honneur de t'en parler revient aux deux véritables découvreurs de ces merveilles. Moi, j'étais plutôt dans le rôle du spectteur mais, du coup, je pourrai sans mal et en toute objectivité écrire l'histoire véridique de cette petite épopée...
-On a trouva un bouquin, des fringues, des bijoux, un bâton et une boîte, fit Ruth. Tout ça, c'est super joli, c'est sûr. Mais j'aurais préféré autre chose. Du genre... une armure, une épée, un gros marteau de guerre...

" Je ne sais pas trop à quoi tout ça sert... ajouta Hubert. Mais vu l'endroit où ça se trouvait... C'est sans doute... soit très précieux, soit très puissant. Ou les deux. J'imagine que Giovanni... Tu en sauras sans doute davantage quand tu auras examiné tout ça à ton aise."
Il jeta un regard penaud au barde.
" Mais c'est vrai que je n'ai pas encore essayé d'ouvrir la boîte... Je ne sais pas si elle nécessite mes pou... mon... enfin bref."
Et il l'attrapa rapidement pour tenter d'en soulever le couvercle.

Il ouvrit le coffret sans difficulté et réalisa que n'importe qui aurait pu faire de même : là encore, le contenant n'avait été protégé par aucune magie particulière.
A l'intérieur, il découvrit différents objets et matières soigneusement rangés dans de petits compartiments : des échantillons de pierres, de métaux et de plantes, des poudres, des gemmes de divers types, des liquides dans de fines éprouvettes...
-On dirait soit le nécessaire du parfait petit alchimiste, soit la collection de composants pour sortilèges d'un magicien... commenta Giovanni qui s'était penché par-dessus son épaule.

" Giovanni, je crois qu'en tant que co-découvreur de tout ceci, tu vas en avoir la responsabilité, dit Hubert. Je n'y entends vraiment rien du tout."
Albérich s'était appuyé légèrement contre lui, de la hanche, et le paladin sourit, instantanément apaisé. Le Luménien avait eu peur, il ne pouvait pas lui en vouloir, d'autant qu'il devinait qu'il avait gardé un sang-froid dont il aurait été incapable.
" Mais d'abord, de la nourriture pour le corps, dit le clerc. Vous avez mérité un peu de repos."

-Excellente idée ! Et pour le reste, Hubert, ta générosité t'honore mais... Tu ne devrais pas être aussi prompt à partager ta gloire avec ceux qui ne la méritent pas. Objectivement, je ne peux être qualifié de co-découvreur de ces splendeurs : le mérite en revient entièrement à Ruth et à toi. Par conséquent, l'immense honneur de lire ce livre et d'étudier les objets qui l'accompagne devrait également vous revenir...
-Alban dirait qu'un écuyer est au service de son maître, qu'il peut donc pas tirer gloire de ce qu'il a fait dans ce cadre... Donc franchement, j'crois pas que j'aie le droit de priver m'sire Hubert de ce plaisir. Même d'une toute petite partie de ce plaisir...

" Tu veux me tuer ? s'exclama le paladin. L'étude... c'est ton créneau, pas mon créneau ! Sois donc... généreux, toi aussi, Giovanni. Je te mandate... examinateur d'objets magiques. C'est dans ton genre, non ?"
Albérich secoua la tête, hilare.
" Moi je veux bien lire le bouquin, mais je pense que c'est un travail de barde ou de mage, effectivement."

-C'est plutôt un travail destiné à ceux pour qui les symboles incompréhensibles... ne le sont pas tant que ça. Bon, après, peut-être qu'un sortilège de compréhension des langues peut faire l'affaire... Il faudra tester. Et bien évidemment, j'aiderai si je le peux. Même si l'étude n'est pas du tout mon domaine de prédilection... Je commence à m'habituer, vu mes activités de ces derniers temps. Lesquelles touchent à leur fin, d'ailleurs.
Il jeta unr egard en coin à Hubert puis sourit.
-Et si on allait manger ? proposa alors Ruth.

" Bonne idée." dit le Luménien en regagnant la porte.
Hubert se dirigea vers lui et fut le premier à sortir.
" Je suis désolé." souffla-t-il en passant devant lui.
Albérich ne dit rien et ne bougea pas, attendant que Giovanni et Ruth regagnent à leur tour le couloir.
" Allez vous installer dans la salle à manger. Je vais vous trouver quelque chose."

La salle à manger était vide et pour cause : le repas ne serait pas servi avant sans doute une heure. Pour autant, Albérich n'eut aucun mal à trouver de quoi sustenter ses compagnons : on avait pensé à eux. Ainsi, seulement quelques minutes après avoir pris place à une table, le trio put enfin apaiser sa faim.
Hubert remarqua que, tout en mangeant avec appétit, Ruth jetait de fréquents regards en direction de la porte, comme si elle attendait quelqu'un. Mais personne ne vint.

Il restait encore ce différend à aplanir, bien sûr, et la mine de Ruth en disait long sur la manière dont cela l'affectait. Vu ce que Giovanni lui avait révélé sur son compte, cela devait être particulièrement douloureux pour la petite fille. Hubert hésita et finit par aborder le sujet.
" Veux-tu que j'aille parler à Alban ? C'est de ma faute s'il est furieux sur toi... et la sortie d'aujourd'hui n'a pas dû le remplir de bonheur. "

Elle jeta un regard à Giovanni et Albérich, comme si elle rechignait à discuter de cela en leur présence. Puis elle secoua le tête et soupira.
-Oh, vous embêtez pas pour ça : ce sont des broutilles.
Elle s'arracha un sourire.
-Franchement, je pense que ça l'aurait pas empêché de venir s'il en avait eu envie. Ou s'il avait pu : si ça se trouve, il est occupé à autre chose.

Hubert croisa le regard du clerc, ce dernier haussa les épaules avec une petite grimace impuissante, et le paladin soupira. Il ne pouvait pas poursuivre cette conversation en présence de Ruth et sans doute Albérich n'aurait-il pas de bonne idée à lui proposer, de toute façon. Mais peut-être Gabriel, qui semblait bien s'en sortir avec les enfants, pourrait-il le guider quant à la manière de gérer la personnalité particulière d'Alban. Il se sentait, personnellement, dépassé par tant d'absolu.
" Sans doute, oui." dit-il pour désamorcer la tension.
Il se força à sourire, réprimant un frisson.
" Puis-je connaître le fin mot de l'histoire, alors ? demanda alors le clerc. De votre aventure, je veux dire. Giovanni ?"

-Pourquoi moi ? Tu attends un résumé et les bardes détestent résumer !
Il soupira.
-Enfin... En gros, Ruth n'avait en rien désobéi : elle avait simplement franchi une porte secrète en ne faisant que s'appuyer sur un mur. Nous avons fini par retrouver ladite porte secrète... ainsi que Ruth. Comme nous ne savions pas comment juste rebrousser chemin, comme des escaliers montaient alors que nous pensions être au dernier étage, nous les avons empruntés. Et après qu'Hubert soit venu à bout de plusieurs portes magiques, nous avons débouché sous le dôme, dans une grande pièce qui tenait du véritable sanctuaire. En son centre, une estrade et des candélabres entourant un lutrin, sur lequel était le livre que tu as vu, et un coffre, contenant les autres objets que nous avons ramenés. Une fois tout ça sous le bras, nous sommes retournés jusqu'aux escaliers, nous les avons descendus jusqu'en bas où nous avons trouvé un passage ramenant aux souterrains.

Albérich avait un petit sourire en coin révélant qu'il était bien conscient que le barde ne lui disait pas tout, mais il parut se contenter de son récit.
" En tout cas, nous sommes heureux que vous soyez de retour tous les trois, et en un seul morceau."
Son regard se fit plus dur.
" Ne perdez jamais de vue l'importance que chacun d'entre vous a pour la communauté. Pas seulement par vos compétences, mais surtout par les liens que vous avez avec les autres. Aucun livre, aucun bâton de mage, aucun marteau de guerre ne vaut vos vies. Je sais que vous le savez, mais... Bah. J'avais besoin de le dire."
Il était embarrassé, subitement, et Hubert le trouva touchant. Il aurait voulu se lever et l'étreindre, mais il ne se le permit pas. Il espéra qu'Albérich savait qu'il aurait aimé le faire.
" Je vais vous laisser terminer. Je... lisais quelque chose."
Il ne leur laissa pas le temps de répondre et disparut.

Leurs estomacs n'étant pas encore rassasiés, c'est en silence qu'ils terminèrent leur repas.
-A moins que vous ayez besoin de moi, m'sire, je pensais aller faire un brin de lessive après avoir ramené mes couverts en cuisine, dit Ruth. Je préfère pas que ma mère me voie comme ça : elle s'inquiéterait...
-De mon côté, j'ai quelques livres à consulter... fit le barde.

" Vas-y, Ruth." dit le paladin.
Il posa la main sur le poignet du barde.
" Mais pas toi. Pas tout de suite."
Il lui jeta un regard qui, il l'espérait, le convaincrait de rester.

Ruth se leva et resta quelques secondes à les observer, sourcils froncés. Même si elle n'en connaissait pas la nature, elle savait que Giovanni et Alban menaient, depuis quelques temps, des recherches livresques liées d'une façon ou d'une autre à Hubert. Et elle avait, quelques heures plus tôt, assisté à une scène sortant de l'ordinaire. Bref, elle savait qu'on lui cachait quelque chose. Pour autant, elle ne posa pas de question et finit par s'éloigner d'un bon pas.
Quant au barde, il demeura immobile et silencieux.
En attente.

Hubert soupira.
" Tu ne vas pas pouvoir me faire lanterner encore longtemps. Je sais que toi et Alban, vous voulez être sûrs et recouper vos affaires et... je conçois même que vous trouviez cela... intrigant... mais pour moi... c'est incroyablement déstabilisant... Je n'ai jamais aspiré à être autre chose que... que moi-même... et je ne vais pas supporter d'être... dans cet état de... de trouble... pendant encore des jours... J'ai besoin que vous me disiez ce qu'il en est. Même si ce ne sont que des supputations... Je n'en sais rien... mais... j'ai l'impression que... mon identité m'échappe. Et c'est vraiment... quelque chose que je ne peux pas gérer."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue