La Couronne de Cuivre

" Ecoutez Elia..."
Il ne retombait plus sur son nom.
" Ce n'est pas une décision que nous avons prise de gaieté de coeur. Nous aimerions pouvoir préserver la vie de chacun d'entre nous, quel que soit son mérite, ses qualités, son nom, son origine... Mais nous sommes obligés de nous montrer pragmatiques face à l'adversité. Nous sommes cinq cents. Le corps de Quentin sera bien sûr préservé et emporté à Clairétoile. Si nous pouvons le ramener, nous le ferons, soyez-en certaine. Mais dans l'immédiat, c'est un risque que nous ne pouvons pas prendre."
Il ne servait à rien de s'embarquer dans de grandes explications, il n'y en avait nulle autre. Il fallait garder les diamants pour Giovanni et Gabriel, Etienne et Hubert, Guillermo ou Ezéchiel ou Gaspard ou Edgar, ou... il n'avait aucune idée du nom des magiciens.

Un éclair de fureur pure traversa le regard de la jeune femme qui serra aussitôt les poings.
-En quoi est-ce un risque de ramener QUentin ? De ramener un bon combattant ?
Ses lèvres s'étirèrent en un sourire mauvais.
-Ah oui, je vois ! Un risque pour vos amis ! Pour les grands pontes ! S'il n'y a plus assez de diamants, on ne pourra pas relever les seules personnes qui comptent vraiment ! Vous appelez ça du pragmatisme ? C'est copinage et compagnie, oui ! C'est tout sauf l'égalité qui est censée régner dans cette Communauté !

Il comprenait qu'elle soit offusquée. Ce qu'elle disait était vrai. Ils auraient pu — ils auraient sans doute dû — ramener les trois premiers morts sans se poser la moindre question sur leur utilité. Cette mesure de la valeur de chacun était répugnante. Quentin aurait pu faire un excellent officier, peut-être. Qui étaient-ils pour en juger ?
" Nous devons les conserver pour les lanceurs de sorts, en priorité. Ils sont peu nombreux, ils sont vulnérables, ils nous sont indispensables, s'entendit-il dire, sans broncher devant la violence de son interlocutrice. Il ne s'agit pas de relever un chevalier plutôt d'un soldat, non. Je suis conscient de l'aspect injuste de la décision, mais nous essayons de faire ce qui nous semble le mieux pour l'ensemble du groupe... Je suis navré que cela se passe au détriment de votre bonheur... Mais treize hommes sont tombés hier, et trois il y a quelques jours. Seize disparus qui tous, sans doute, ne le méritaient pas. Il y a de tout façon de l'injustice, là dedans."

-Sauf que la Communauté se voulait différente, cracha Elia. Qu'elle était censée être une société nouvelle, plus égalitaire... et plus juste. Quant à vos putains de lanceurs de sorts, ils restent toujours planqués à l'arrière, bien tranquille, pendant que les braves petits soldats comme Quentin se jettent dans la mêlée et s'y font massacrer.
Des pas, dans la pièce qu'elle avait quittée un peu plus tôt : constatant que l'échange s'envenimait, ses amies s'approchaient.

" Je suis conscient de la dette que nous avons tous envers des gens comme Quentin, Elia. Mais... vous saviez, quand vous vous êtes engagée dans ce projet, que les risques étaient grands. Vous avez décidé d'assumer ces risques. Dans la plupart des endroits du monde, la mort est un voyage dont nul ne revient. Ici... la communauté a décidé de rendre ce retour possible... Et j'espère que vous pourrez récupérer votre homme... mais il faisait son métier... il a vaillamment combattu et il a sauvé le fort... Lui et d'autres. Je sais que ça ne rend pas la situation plus facile à accepter mais... même si vous le retrouvez, c'est un risque qu'il courra toujours."
Il s'égarait, il soupira.
" Elia, je suis navré. Dans quelques jours, nous aurons atteint la cité, et si les dieux le veulent, vous retrouverez votre époux. Jusque là... J'espère que vous trouverez du réconfort auprès de vos amis."

-Je l'espère aussi, parce que ce n'est certainement pas auprès de gens comme vous que j'aurais une chance d'en trouver.
S'il avait été possible de tuer quelqu'un d'un regard, Albérich serait mort depui slongtemps, vu ceux que lui décochait la jeune femme.
-Mais je vais tenter de prendre mon mal en patience... Et en attendant, comptez sur moi pour que le plus strict pragmatisme soit respecté. Si un proche d'un membre du Conseil, de l'état-major ou des lanceurs de sorts tombe... et que son retour n'est pas absolument indispensable à la survie de la Communauté, je veillerai à ce qu'il doive attendre. Comme Quentin. Comme les autres petits soldats.
L'instant suivant, elle tournait les talons.

Albérich s'éloigna sans plus attendre. Tout bien considéré, il s'était attendu à ce que les deux femmes réagissent de la sorte : il s'en sortait donc plutôt bien. Il regagna son intendance et s'y posa un moment, sans savoir bien quoi faire de lui-même. Le découragement l'envahit doucement, tandis qu'il songeait à d'autres temps, à d'autres lieux. Ce qui était certain, c'était que si Solarcis ne l'avait pas déjà fait, Clairétoile le sèvrerait de toute envie d'exercer le pouvoir, jamais. Il s'imagina faisant tout autre chose, récoltant le miel d'une ruche, pêchant la truite, labourant un champ. Il se demanda si Hubert accepterait d'atteler Grand Vent pour le faire tirer la charrue, puis sourit en réalisant qu'il plaçait le paladin dans son univers imaginaire. Jamais Hubert n'accepterait de se ranger, bien sûr. Mais c'était un juste reflet de la place que son ami avait prise dans sa vie. Ou plutôt de celle qu'il espérait le voir continuer à occuper.
Il chassa ses considérations. Ni les fantasmes, ni les regrets n'avaient la moindre utilité dans la situation présente. Mais la décision impopulaire qu'avait prise le conseil menaçait désormais l'unité de la communauté : il fallait qu'ils atteignent la cité, sous peine d'avoir rapidement de gros problèmes...

***

De son côté, Hubert commençait s'impatienter, à défaut de s'inquiéter. Il avait envie de voir débuter l'attaque sur le camp ennemi... ou au moins avoir une indication que tout se déroulait comme prévu de l'autre côté de la passe.

Ses guetteurs finirent par l'informer qu'il y avait du mouvement dans l'autre fort : on était en train d'en barrer les portes. Quelques minutes plus tard, Guillermo le rejoignait.
-La place était vide, annonça-t-il. Si les barbares ont envoyé une escouade pour relever les guetteurs, celle-ci a rebroussé chemin en constatant qu'ils n'étaient plus là. Pour le reste, les trois balistes sont montées, et ce sera également le cas de la catapultes d'ici très peu de temps.

" Parfait, dit le paladin. Je vais faire monter les mages sur le rempart ouest. Je préfère les garder tous de ce côté-ci, et il faudra dire aux hommes de l'autre côté de se replier si nous ne parvenons pas à empêcher les cannibales d'approcher. Avec la porte barricadée, ils devraient avoir le temps de disparaître avant qu'ils ne la forcent. Il faudra aussi leur dire de détruire les balistes et la catapulte, si nous devions en arriver là..."
Il pinça les lèvres.
" Comptez-vous commander ce fort-là ? Ou bien dois-je y envoyer Edgar ?"

Le mercenaire sourit.
-La seule chose que je sois habilité à commander, c'est ma compagnie. Pour l'heure, c'est Ézéchiel qui exerce le commandement là-bas, mais je gage qu'il ne verra aucun inconvénient à ce que l'un de vos officiers le remplace. Pour le reste, tout le monde se tient prêt à se replier, et s'il paraît difficile de détruire les armes de siège, vu la nature de leurs matériaux et leur robustesse, nul doute qu'il soit possible de subtiliser rapidement l'une ou l'autre pièce dont l'absence les rendra inutilisables.

" Non, très bien, qu'Ezéchiel reste là-bas... J'imagine que de notre côté, nous devrions commencer à remonter les chevaux. Même si nous ne chargeons pas aujourd'hui, autant en disposer au plus vite."
Il leva les yeux vers le ciel. Il serait bientôt midi, sans doute. Une journée sans sommeil en perspective. Peut-être serait-il raisonnable d'aller demander quelque chose de fortifiant à Barthélémy, histoire de garder un minimum de vigilance.
" Dans combien de temps la catapulte sera-t-elle en position ?"

-A mon avis, dans une demi-heure à tout casser. Ceci dit, rien n'empêche de demander aux balistes de tirer dès à présent, même si l'effet de tous les engins de siège entrant en action en même temps serait peut-être plus marquant...
Il haussa les épaules.
-Je vais aller dire à mes hommes de monter leurs chevaux et de se tenir prêts à un éventuel assaut. Enfin, si vous comptez nous mobiliser, évidemment.

" Je compte mobiliser tout le monde, Guillermo. Nous n'avons qu'une poignée de cavaliers, comment pourrais-je me passer de l'excellence de votre compagnie ? Pouvez-vous passer le message à Gaspard et Edgar, en descendant ? Je vais essayer de débusquer Giovanni..."
Et Albérich, Ruth et Alban, mais c'était une autre histoire. Il ne lui restait qu'une petite demi-heure pour tout organiser avant que les choses sérieuses — et avec un peu de chance, les dernières — ne débutent.

Le mercenaire acquiesça et tourna les talons.
Le barde, lui, comme on en informa Hubert, était dans la pièce qui, quelques jours plus tôt, lui avait servi d'étude. IL avait réinstallé son tas de couverture, rouvert le coffret aux antiques documents et consultait ces derniers en grignotant un morceau de pain.
-Oulà, petite mine... dit-il à Hubert en guise de salut. Il n'y a personne pour te rappeler de dormir, de temps à autre ?

" Ce n'est pas faute d'y songer mais... pas le temps." dit Hubert avec une grimace.
Il s'assit sur le sol, devant le barde.
" Tu déniches des choses intéressantes ? Ou peut-être même... utiles ?"

-J'essayais de comprendre cette histoire de coffres. Parce que, mine de rien, ça me travaille. Je sais qu'on peut me trouver frivole et fantasque, et que mon cœur n'est sans doute pas le plus pur qui soit. Mais quand même, ça ne fait pas pour autant de moi quelqu'un de mal intentionné ou d'infréquentable... Sans parler des deux petits demi-elfes, là, gentils comme tout... Bref, j'ai voulu relire les phrases que j'avais déjà relevées... Et j'ai l'impression que rentre aussi en ligne de compte... Comment dire ? La... "loyauté" de celui qui touche les coffres. Apparemment, non seulement il faut être bienveillant mais, de surcroit, du genre à considérer comme une vertu essentiel le respect des consignes, des serments ou de l'ordre établi...
Il grimaça.
-Bon, mais tout ça n'est guère crucial, je l'admets... Tu avais besoin de moi pour quelque chose ?

" Il me semble qu'Albérich avait envisagé cette hypothèse... Mais Ruth me paraissait tellement indisciplinée... Ces coffres doivent détecter une certaine forme de loyauté... Je ne sais pas laquelle, je dois dire. Et je n'ai pas envie de m'interroger. Parce que je n'ai pas envie de penser que tu vas me claquer dans les doigts, Giovanni, surtout après ce que je vais te demander..."
Il sourit.
" Je veux que tu prennes le commandement de ce fort pendant que je chargerai. Tu as l'influence et l'intelligence qu'il faut. Tout le monde sera à cheval. Et je vais embarquer Albérich, je le crains. Il ne voudra pas lâcher son stupide phylactère, je le connais. Ezéchiel sera de l'autre côté et... si nous devions échouer, il faut que vous fermiez les passages secrets et que vous filiez à Clairétoile par le tunnel souterrain. Je n'ai pas assez d'hommes pour mener la charge et pour protéger efficacement les forts. D'autant que j'emmènerai sans doute un mage ou deux."

Giovanni parut stupéfait.
-Hubert, tu es sûr de ton coup, là ? Tu es certain que la fatigue ne te fait pas penser de travers ? Parce que je te rappelle qu'à la base, je suis juste un artiste un peu vain, avec un fichu caractère et un égo surdimensionné. Lequel est flatté par ta demande, c'est vrai. Mais l'honnêteté m'oblige à émettre des réserves... Et puis, je ne te serais pas plus utile sur le champ de bataille ? Je me débrouille avec une arbalète, j'ai deux trois sortilèges sympa, je peux faire apparaître des ours... Et si je viens, je serai en première ligne pour rédiger une ma-gni-fique chanson sur de hauts faits que j'aurai vus de mes propres yeux !

" Giovanni, tu gères les archers de main de maître, tu as repris les lanceurs de sorts depuis le départ de Gabriel... J'ai une confiance absolue en toi. Tu es barde, tu sauras mener les gens..."
Il soupira.
" Mais non, non, je ne suis pas certain... C'est vrai que ta présence sur le champ de bataille aurait du sens... Mais à qui d'autre pourrais-je demander ? J'ai besoin de quelqu'un qui aura la force d'entraîner le groupe quoi qu'il advienne... Mon alternative est de parvenir à convaincre Albérich de rester en arrière et de me confier son phylactère. Mais il va refuser, je le sais d'avance, et je ne sais pas quels arguments je vais pouvoir déployer... Ou alors je demande à Barthélémy... mais malgré tout le respect que je lui dois... Je ne suis pas certain qu'il ait encore la force de s'improviser meneur d'une communauté de cinq cent personnes..."

-Bah, il le ferait si on le lui demandait, mais il faut qu'il se ménage : on a trop besoin de lui. Quant à Albérich...
Il se fit très sérieux.
-Hubert, je sais que tu aimerais pouvoir le protéger de tout, le préserver de tout. Mais, honnêtement... Ça n'est pas une bonne solution. Je pense même, en toute honnêteté, qu'elle risque d'être très contreproductive à moyen terme. D'autant qu'il ne faut pas oublier de qui il s'agit : de l'ancien Aubemestre d'Helonna, d'un clerc de Lathandre qui a pour vocation de semer la lumière et de repousser les ténèbres. Alors laisse lui donc son phylactère, laisse-le donc se rendre utile même sur le champ de bataille. Je suis convaincu que c'est bon pour lui, de constater... qu'il peut être déterminent.
Ses lèvres s'étirèrent en un sourire espiègle.
-Bref, ne reste que moi pour commander ce fort. Soit, je peux y consentir, à quelques conditions. D'abord, que tu poses pour moi à la première occasion. Ensuite, que tu m'autorises à rendre publiques les chansons concernant tes mains et ton postérieur magiques. Enfin, que tu m'appuies dans ma démarche de créer une fresque où tous les colons figureront dans le plus bel appareil qui soit, c'est à dire... le plus simple.

" Misère ! Tu es dur en affaires ! Tu ne me demandes pas une chose scandaleuse mais bien trois ! Comment puis-je même l'envisager..."
Il redevint sérieux. Hésita à reparler d'Albérich. C'était étrange d'avoir subitement un interlocuteur possible, quelqu'un qui savait et qui pouvait... peut-être l'aider... ou l'écouter... ou même le guider. Et il eut envie d'ajouter quelque chose sur ses inquiétudes et son malaise face à la métamorphose, son sentiment qu'Albérich ne reprendrait pas confiance en s'illustrant dans la peau de quelque chose qui n'était pas lui. Mais il se contint. Ce n'était pas le moment. Il avait une demi-heure — moins d'une demi-heure, devait encore voir Alban et Ruth, et Albérich, avant que les catapultes n'attaquent.
" Mais je ne peux pas m'engager pour les colons. J'accepte donc les deux premières conditions, mais pas la troisième."

-Hubert, je te demande de m'appuyer, pas de forcer les gens... Et puis, en quoi cela est-il scandaleux ? Nous parlons d'une œuvre d'art ! D'une œuvre d'art qui rendra jaloux les palais et les temples de tout Helonna ! Même les SUnites d'Antelucas nous envieront !
Son sourire s'élargit... S'élargit encore.
-Mais soit, va pour tes conditions. De toute façon, j'ai déjà beaucoup d'alliés. Et puisque je commanderai le fort en ton absence, je pourrai obliger tout le monde à poser pour moi. Bon, il faudra que je travaille vite, mais je devrais m'en sortir, surtout si la bataille se prolonge...

" Je ne veux rien savoir. Je te ferai prévenir quand nous serons sur le point de lancer notre charge. Et j'avertirai Ezéchiel. N'oublie pas qu'il reste le conseiller officiel."
Il se leva.
" Je ne peux pas croire que tu m'aies fait accepter des choses pareilles. C'est dire combien je suis désespéré ! Ah, maudits bardes !"
Puis, sur un sourire, il le salua et repartit d'un pas rapide dans les couloirs. Alban et Ruth, à présent. Sans doute étaient-ils à l'étage inférieur. Il songea avec embarras au fait qu'il ne leur avait pas reparlé depuis la veille, et qu'il ne les avait pas vus sur les remparts au crépuscule. Sans doute aurait-il dû faire la démarche plus tôt, mais il n'avait pas vu le temps passer... et il n'aurait à nouveau pas l'occasion d'aller au bout des choses dans l'immédiat.

Mais ni l'un ni l'autre ne s'entraînait dans la nef, et la raison lui en revint subitement en mémoire : ils étaient allés à l'école, celle-ci devait n'être terminée que depuis peu, et c'est donc à la cantine qu'il avait toutes les chances de les dénicher. C'était le cas, et c'est à la sortie des lieux qu'il les vit, entourés de leurs camarades. Tous deux sursautèrent en l'apercevant... mais ne s'en approchèrent pas moins de lui, RUth embarrassée, Alban le visage fermé.
-Bonjour, m'sire... fit la première, tandis que le second s'inclinait.

" Bon. Je sais que nous devons parler, mais une fois de plus... je n'en ai pas le temps, juste là maintenant. Ne prenez pas ma franchise pour de la mauvaise humeur, ça n'en est pas. Dans quelques heures, il est probable que je fasse une sortie avec tout ce que nous comptons de cavalerie pour attaquer le camp paludier et, avec un peu de chance, mettre un terme à leur agression. Je voudrais que vous restiez ici, avec la communauté, que vous suiviez le mouvement s'il était décidé de lever le camp pour gagner Clairétoile par le tunnel, que vous usiez de votre bon sens et de votre courage pour l'insuffler à vos camarades."
Il relâcha sa respiration.
" Mais j'ai besoin de savoir si ce souhait est vain et que vous allez de toute façon contrevenir à mes ordres pour me rejoindre sur le champ de bataille. Si c'est le cas, je préfère en être informé immédiatement de manière à pouvoir organiser votre protection."

Ruth devint cramoisie et Alban, pâle comme un linge.
-Je... commença la fillette, sans aller plus loin.
-Ruth obéira à vos consignes, messire, intervint son ami, d'un ton neutre. Elle n'avait aucune intention de vous désobéir hier, et si elle l'a finalement fait, c'est entièrement à cause de moi. Je crois qu'on ne l'y reprendra plus. En ce qui me concerne...
Il prit une profonde inspiration.
-Avec tout le respect que je vous dois... Tout dépend, messire. Si j'ai la certitude que vous ne vous exposerez pas inutilement, que vous ne rajouterez pas aux périls ordinaires d'une bataille en vous lançant dans une action dont vous n'avez aucune chance de réchapper, mon honneur m'obligera à respecter vos ordres. En revanche, si je n'ai point cette certitude... Je ne puis jurer de rien.

Ce fut au tour d'Hubert de changer de couleur. Comment le gosse pouvait-il savoir ? Lui-même ne s'en était pas complètement rendu compte sur le moment-même. Et pourtant... pourtant, ce n'était pas son rôle à lui de venir sauver son maître. C'était un enfant.
" Alban. Je vais immanquablement risquer ma vie. C'est le lot de la guerre. Je me ferai peut-être tuer. Mais je te donne ma parole que je ne me mettrai pas... plus inutilement en danger."
Ce ne serait pas facile, Hubert le savait.
" Mais si je dois me sacrifier pour une raison valable... Je ne peux pas promettre que je ne le ferai pas. C'est le lot des paladins, des chevaliers, Alban... Si je dois donner ma vie pour sauver la tienne, je le ferai toujours."
C'est ce que Robert aurait fait. Il songea aux mises en garde d'Albérich sans parvenir à ajouter quoi que ce soit.

Le petit garçon le regarda droit dans les yeux.
Puis il baissa les paupières et fut secoué de ce qui ressemblait fort à un sanglot. Pourtant, quand il les releva, son regard était sec. Et lorsqu'il reprit la parole, sa voix tremblait à peine.
-Messire, je ne vous demanderai jamais de manquer à vos devoirs, de faillir à l'honneur. Je ne suis personne pour exiger une telle chose, et celle-ci serait une horrible trahison. Si vous tombez au cours de la bataille, si vous donnez votre vie pour en sauver d'autres, je vous pleurerai, mais je comprendrai. C'est uniquement... si vous tombiez inutilement que... que...
Il se mordit la lèvre, toussa dans son poing.
-J'ai foi en votre parole, messire. Et vous pouvez avoir foi en la mienne : je respecterai vos ordres.

" Je ne te décevrai pas cette fois-ci."
Il s'agenouilla devant les enfants et les dévisagea à leur hauteur.
" Je sais que vous aimeriez chevaucher avec moi. Et je ne peux que vous admirer de le vouloir. Vous êtes braves et loyaux, et vous n'avez jamais démérité. Mais vous savoir près de moi... Cela nuirait immanquablement à ma concentration. Voilà ce que je veux que vous fassiez : vous allez descendre avec nous dans la plaine jusqu'à l'endroit où les mages s'arrêteront. Vous userez chacun de votre pouvoir. Puis vous vous replierez dans le fort. Je prendrai un seul cheval pour vous deux, Douce, pour qu'elle ne charge pas avec nous. L'étalon pourrait facilement prendre le mors aux dents. Est-ce que ceci vous convient ?"

Si, quelques minutes plus tôt, sa demande avait laissé Giovanni pantois, sa déclaration-là stupéfia tellement ses écuyers qu'il fallut une bonne minute avant qu'ils ne puissent réagir.
-M'sire... Ce serait... FORMIDABLE ! s'exclama Ruth. Mais...
-Mais il ne faudrait pas que ça vous cause du tracas, enchaîna Alban. Nous pouvons très bien demeurer ici et faire ce que vous avez commencé par nous demander.
-On peut même prêter nos objets pour que vous les filiez à des gens dont vous saurez qu'ils peuvent se défendre, reprit la fillette.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée