La Couronne de Cuivre

" De toute façon, tu as besoin du gouffre pour te débarrasser des morceaux, dit l'homme de feu. La survivance des fragments constitue un trop grand risque. Le gouffre et le marteau sont apparentés, tu dois éviter d'approcher le second du premier. Le gouffre se trouve tout à l'est de la bibliothèque. Tu y trouveras une zone avec un damier sur le sol, qui pulse d'une énergie orangée, comme au rythme d'un coeur. La chaleur y est forte mais pas insupportable. Le gouffre se trouve... quelque part dans le damier. Deviner où n'est pas toujours aisé, mais si tu restes en dehors de la zone, tu ne risques rien. Il s'ouvre soit quand on marche directement dessus, soit à l'aide d'un tableau de commande qui s'alimente au feu. Il se trouve contre le mur du fond. Il faut atteindre une certaine température et la maintenir... comme si tu alimentais un four, en somme."
La femme d'eau haussa les épaules.
" Tu peux utiliser les livres. Ils ne serviront plus à personne."

Astrée écouta attentivement les consignes, essayant de visualiser les choses. Mais elle n'avait pas suffisamment observé les lieux, dans la journée, pour que la description lui évoque quoi que ce soit.
"Je pense que j'ai compris. Enfin, je ne vois pas trop comment alimenter le tableau de bord, mais ça s'éclaircira une fois sur place..."
Elle hésita.
"Mais donc, ce sera demain...Et pour cette nuit... vous pensez que je peux la passer au chaud dans la bibliothèque ou ce serait dangereux? Et si je me faisais petite souris pour aller explorer le sous-sol, il s'en apercevrait?"

" C'est risqué... Il n'est pas impossible qu'il puisse détecter toute trace de vie, lui qui existe dans la non-mort... dit la femme d'eau.
— Si tu descends à sa rencontre, tu es obligée d'envisager qu'il engage le combat, ajouta l'homme de vent.
— Et c'est un mage extrêmement puissant, quel que soit son état présent."
L'homme en flammes secoua la tête.
" Ce serait extrêmement déraisonnable. Mais tu peux certainement rester dans la bibliothèque... Il n'y monte pas pendant la nuit."

Astrée songea que l'homme de feu n'était certainement pas du genre à être raisonnable... et qu'il était donc mal placé pour lui conseiller la raison. Mais il n'avait pas tort : elle ne devait pas se mettre en danger bêtement. Leur sort en dépendait... et surtout, pour ce qui la concernait, le sort de Dimitri.
" Je vais rester dans la bibliothèque, dans ce cas. Après, si vous dites qu'il ne se souvient de rien, à chaque nouveau jour, il risque d'être surpris de m'y trouver demain matin...
Il songea qu'il était peut-être plus prudent de ressortir pour qu'il la découvre au-dehors et l'invite à entrer... mais non, il apercevrait la corde qui pendait et s'en inquiéterait. Et il valait mieux qu'elle ait les artefacts à portée de main.
Elle haussa les épaules.
" Et sinon... pour mon ami... Est-ce qu'il y a quelque chose là-haut dont vous auriez besoin ?"

" Non. Nous ne pouvons plus interagir avec le monde physique, sans quoi nous aurions déjà frappé." dit l'homme de vent.
La femme d'eau croisa les bras.
" La malédiction se lèvera quand tu tueras l'elfe. Ton ami retrouvera sa forme originelle à ce moment-là. Tu ne dois pas t'en faire."

Elle ferma brièvement les yeux, et pria de toutes ses forces pour qu'il en, soit ainsi. Elle n'avait que leur parole... et elle les pensait sincères, mais ils pouvaient se tromper. Et elle allait tuer l'autre personne qui lui avait promis de l'aide. Si Dimitri ne reprenait pas vie, alors elle n'aurait plus aucun espoir de le tirer de là.
" Alors... je vais monter attendre là-haut. Me reposer. Je suppose que c'est là-bas que je serai plus en sécurité... à l'abri des traces de magie résiduelles."
Elle soupira.
" Y a-t-il autre chose que j'aie besoin de savoir ? Vous parliez d'une purification..."

Les quatre êtres s'entreregardèrent.
" Non. Tout devrait se dérouler comme attendu, si tu parviens à le neutraliser et le détruire."
La femme d'eau sourit.
" Nous te remercions de nous aider, même si cela t'en coûte. Sache que cette mort nécessaire... apportera le repos à des milliers d'âmes qui errent ici depuis une éternité."

Elle acquiesça, et se souvint de son étrange rêve..
" Oui... Je le comprends. La nuit dernière, j'ai rencontré, dans une sorte de rêve, ce qui devait être l'âme d'une petite fille. Phayu, je crois. Une fillette très gentille. De qu'elle m'a expliqué, je sais que vous étiez un peuple heureux... et ce qui vous est arrivé n'est pas juste. C'est aussi pour cela que je vais faire ce que vous me demandez. Pas juste pour sauver mon ami. Il n'aimerait certainement pas l'idée que je prenne une vie pour sauver la sienne... et je n'aimerais pas ça, moi non plus. Mais puisque je ne peux pas vous rendre la vie, que je ne peux que vous aider à trouver le repos... alors je le ferai."

" Rappelez-vous qu'il ne s'agit pas d'une vie mais d'une non-mort. Votre ami comprendrait peut-être que vous mettiez fin à une existence qui ne s'est pas terminée comme elle l'aurait dû. C'est... une forme d'équilibre. Vous-même êtes liée aux cycles de la nature, je peux le percevoir... Dites-vous que vous agissez en accord avec vos préceptes en libérant cet endroit... et Wethrin lui-même... de leur situation hors du temps.
La femme eau acquiesça, avec son sourire tranquille. Sa congénère de terre marmonnait. L'homme en flammes surveillait le ciel, comme s'il craignait de voir le jour se lever trop vite.

Il fallait qu'elle s'applique à voir les choses ainsi, même si cela contredisait son expérience de la journée passée.
" Oui. Je sais bien que vous avez raison... même si les apparences, disaient autre chose. Mais je vais vous laisser et aller finir la nuit là-haut. J'ai besoin de repos. Et je suppose qu'il ne va rien arriver à mon ami pendant ces quelques heures. Est-ce que... je vous retrouverai près de lui, demain, quand j'aurai jeté le mage dans le gouffre ?

" Non, dit la femme eau avec un sourire. Si tu remplis ta mission, nous serons libérés en même temps que les lieux. Il est d'ailleurs possible qu'ils se... délitent rapidement, aussi ne t'y attarde pas plus que nécessaire."
L'être feu s'était déjà éloigné de quelques pas, la femme terre semblait moins nette, comme si elle allait s'évaporer. Le jeune homme de vent demeura un peu en arrière, auprès de la femme bleue.
" Bonne chance. Le repos de notre peuple dépend de toi."
La femme terre avait disparu. La femme eau se brouillait. L'être feu était en train de s'éloigner, empruntant une des ruelles qui retournaient vers l'extérieur du site. Astrée devinait que l'homme vent disparaîtrait en un éclair quand elle aurait fait volte-face. La neige, qui les avait évités pendant leur conversation, était déjà plus proche, plus froide, et elle finirait par reprendre ses droits naturels, tout comme la nuit.

Elle sourit bravement malgré son serrement de coeur.
" Au revoir..."
Puis elle se détourna. Mais plutôt que se diriger tout de suite vers le bâtiment, elle décida d'aller jeter un dernier coup d'oeil à Dimitri, profitant de la lumière multicolore émanant du coeur pour avancer, puis allumant une petite flamme une fois dans la ruelle sombre. Elle voulait vérifier qu'il était toujours intact, qu'il ne risquait rien... et se donner un peu de courage pour le lendemain.
Elle n'approcha pas plus que nécessaire, se contentant de se placer face à lui et de lui adresser quelques mots d'encouragement -certainement inutiles. Elle lui promit, avec émotion, qu'il retrouverait sa forme le lendemain matin.
Puis elle revint vers le coeur, à pas lents dans la tempête. Elle se demanda si elle devait ôter la corde, puis se souvint qu'il lui faudrait descendre rapidement. Elle se contenterait de la rouler au sommet des marches, pour qu'elle n'attire pas trop l'attention du mage le lendemain matin.

Dimitri était toujours intact. Une petite couche de neige le recouvrait, mais pas suffisamment pour menacer sa structure. La paroi du coeur le protégeait des bourrasques, qui s'étaient faites plus nerveuses avec l'arrivée de la nuit. A présent que les quatre créatures élémentaires avaient disparu, l'hiver paraissait à nouveau décidé à en découdre avec Astrée, et elle ne put pas s'attarder longtemps auprès du mercenaire pétrifié. Elle regrimpa donc jusqu'au coeur, le traversa à nouveau les yeux fermés, car la lumière y était toujours épouvantablement violente, arriva dans une des arrière-salles, gravit l'escalier et atteignit la bibliothèque. Celle-ci était toujours pleine de magie, et toujours déserte. L'âtre accueillant semblait attendre qu'elle vienne s'y réchauffer.

Astrée se rapprocha de l'âtre, par réflexe plus que par volonté consciente. Son regard se dirigea machinalement vers la table sur laquelle le mage avait travaillé durant l'après-midi, et elle réprima un soupir. Elle le revoyait, tout heureux d'une rencontre inattendue, l'aidant à sortir Dimitri de l'espèce de galerie où il se trouvait, et l'assurant qu'il allait trouver une solution. Elle entendait encore ses explications sur ce lieux, la passion qu'il vouait à ses recherches. Il s'était montré ouvert, amical. Le tuer paraissait tellement... incongru. Injuste. Impossible.
Et pourtant, elle le devait. Elle n'avait pas le choix : la vie de Dimitri en dépendait. Mais non, elle ne devait surtout pas voir les choses ainsi. Elle ne devait pas faire porter sur Dimitri le poids de ce choix difficile, ou cela resterait comme une ombre entre eux. En réalité, ce n'était pas seulement pour lui qu'elle devait agir, c'était aussi et surtout pour le repos des âmes de ce peuple, et même pour le repos de Wethrin lui-même. C'était cela qu'elle devait garder en tête, cela qui guiderait ses gestes le lendemain matin : elle devait les libérer, tous, de cette malédiction.
Certes, Wethrin ne méritait pas de mourir, si ce qu'elle en avait vu était le reflet de ce qu'il avait été. Mais il ne pouvait pas non plus continuer à vivre ainsi une vie maudite, hors du temps, où chaque journée passée était aussitôt oubliée. Il était déjà mort, avaient dit les quatre élémentaires. Et pourtant il semblait vivre, jour après jour. Elle se demandait ce qu'il en était la nuit, mais elle ne pouvait pas prendre le risque de descendre. Elle devait les croire sur parole.

Elle laissa vagabonder ses pensées ainsi, pendant un moment, tandis que son corps se réchauffait. Il lui fallait faire taire ses doutes et ses hésitations, et pour cela, elle devait les affronter, un à un, pour être sûre de ses actes le lendemain. Elle parvint, peu à peu, à trouver une certaine sérénité, une acceptation de ce qu'elle devait faire. Malgré cela, elle s'attendait à passer une mauvaise nuit.
Une fois réchauffée et l'esprit apaisé, elle se décida enfin à explorer les lieux. Elle devait repérer le damier, le marteau des cendres, et la baguette de pétrification dans son pot de fleur. Et, idéalement, dormir à proximité de cette dernière.

Le damier n'était pas difficile à trouver, il occupait une large zone vers l'est de la salle et pulsait d'énergie. Les dalles qui le composaient, mauves et blanches, régulières, s'étendaient presque jusqu'au mur. Le panneau de contrôle était également facile à repérer : il était muni d'un cadran, d'un quadrillage et d'une petite ouverture sur le dessous, sans doute le fameux compartiment d'alimentation. La magie était dense dans cet endroit et Astrée devina intuitivement qu'il aurait été dangereux de s'avancer sur le damier comme si de rien n'était.
La baguette trônait à l'endroit prévu, l'air de rien, comme un morceau de charbon rabougri. Le marteau des cendres fut plus difficile à trouver, mais c'est sa lumière orange, en mouvement, qui permit à Astrée de le localiser. Il était gris veiné de magma, moins grand et massif que ce qu'aurait pu craindre la druidesse. Il paraissait dangereux, cependant, et Astrée eut l'impression, en l'approchant, de l'entendre murmurer à mi-voix.

Elle resta à l'observer quelques instants, un peu inquiète de la façon dont elle allait pouvoir le contrôler le lendemain. Elle le devinait plein de colère, comme son propriétaire. Il fallait utiliser un morceau d'étoffe humide, avaient dit ses interlocuteurs... mais elle avait laissé son bonnet, son écharpe et son pull de laine à Dimitri, et elle ne pouvait pas espérer trouver le moindre morceau d'étoffe sur les lieux. Elle songea à déchirer un morceau de tunique ou à utiliser une chaussette... avant de réaliser qu'elle portait des gants et qu'elle pourrait simplement les mouiller. Décidément, la fatigue et l'inquiétude lui brouillaient les idées...
Se souvenant du conseil qu'elle avait reçu, elle murmura d'un ton ferme et froid.
" Demain, j'aurai besoin de toi... mais sache que si tu ne m'obéis pas, je te jette dans la neige."

Puis elle revint vers la baguette. Elle n'osait pas la prendre en main tout de suite, craignant d'être influencée par l'esprit de sa propriétaire si elle la gardait trop longtemps sur elle. Elle se contenta de l'effleurer, brièvement, pour éprouver les sensation qui en émanaient, avant de chercher un endroit, à proximité, où elle pourrait s'installer pour la nuit de façon confortable

La baguette parlait de printemps, de feuilles et de fleurs, de petits insectes industrieux et de racines profondes. Astrée y puisa, curieusement, un certain réconfort, comme une promesse de jours meilleurs.
Non loin, elle trouva deux grands fauteuils qui se faisaient face, d'apparence confortable et dénués de magie. Ils étaient un peu loin de l'âtre, mais s'il lui restait un peu d'énergie, elle parviendrait certainement à en tirer un jusqu'à l'endroit approprié.

Astrée jugea qu'il ne faisait pas vraiment froid dans la pièce. Elle déplaça légèrement l'un des fauteuils, pour le tourner face aux flammes, sans trop l'éloigner de l'emplacement de la baguette dont elle aurait besoin le lendemain. Elle ne chercha pas à se dissimuler : Wethrin remarquerait sûrement que le fauteuil avait été déplacé. Et puis, elle espérait que la lumière du jour la réveille avant l'arrivée de l'elfe. Et même s'il la trouvait endormie, il ne s'était pas montré hostile, la veille...

Elle s'installa en laissant échapper, malgré sa tristesse, un léger soupir de bien-être. Elle avait l'impression de n'avoir pas dormi confortablement depuis une éternité. Elle sentit aussitôt toute la fatigue accumulée de ces derniers jours lui tomber dessus, mais elle prit le temps de prier, longuement, pour le repos des âmes du lieu, pour trouver la force et la volonté de faire ce qu'elle avait à faire, pour que Dimitri revive... et pour que les dieux pardonnent à Wethrin tout le tort qu'il avait involontairement causé.

Elle fut réveillée par un mouvement au-dessus d'elle et en ouvrant les yeux, elle découvrit le vieil elfe penché. Il fit un bond en arrière dans un cri de surprise en croisant son regard. Il parla ensuite en elfique, rapidement, et Astrée réalisa que le sortilège qui leur avait permis de communiquer la veille s'était estompé. Il ne paraissait pas hostile, juste stupéfait, et elle le vit dessiner dans l'air les mêmes gestes que la veille, assortis du même rayonnement argenté.
" Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous faire peur ! s'exclama-t-il. C'est juste... Je ne m'attendais pas à trouver un être vivant dans la bibliothèque. Qui ne soit ni flamboyant, ni gazeux, ni terreux, ni humide, de surcroît."

Elle se réveilla en sursaut, et resta tétanisée tandis qu'il incantait. Ce n'était pas la peur qui l'avait envahie, mais la conscience brutale de ce qu'elle s'apprêtait à faire, de ce qu'elle devait faire.
Il ne se souvenait de rien... comme les êtres élémentaires le lui avaient annoncé. Cela prouvait qu'ils avaient raison -ce dont elle n'avait jamais douté- mais cela ne rendait pas les choses plus faciles pour autant.
Elle lâcha un soupir.
" Je suis... une humaine."
Elle se redressa lentement pour ne pas l'effrayer.
" Je suis arrivée hier...," fit-elle, tout en s'efforçant de faire un ou deux pas dans la direction où se trouvait la baguette.
Ses mouvements étaient anormalement raides, et elle se sentait tendue comme la corde d'un arc, terriblement mal à l'aise.

" Hier ! Et vous avez erré dehors tout ce temps ? Je suis heureux pour vous que vous ayez trouvé le coeur... C'est le seul endroit sûr de tout ce site. Ailleurs... Il demeure une magie puissante et largement hostile."
Il fit un geste circulaire.
" Elle est ici aussi, mais domestiquée."
Il plissa les yeux.
" Je ne savais pas qu'il y avait des humains sur Hélonna. Votre peuple est-il arrivé récemment ?"

Elle songea qu'elle n'y arriverait jamais. Ça aurait été tellement plus facile s'il s'était montré agressif... Mais non : il était toujours aussi amical.
Elle s'efforça de se ressaisir, se souvenant qu'il était victime d'une malédiction, qu'elle devait l'en libérer, aussi douloureux cela soit-il.
" Non, ça fait déjà un bon moment. Je ne sais pas trop combien, en fait. Trois cent ans ?"
Elle fit encore un pas, puis un autre, se rapprochant de la baguette à l'allure inoffensive.
" Mais... Vous ne savez rien de ce qu'il se passe en-dehors... Vous ne voyez jamais personne ?"

Il haussa les épaules.
" J'ai vécu parmi les miens pendant des siècles, dit-il. Il vient un âge où les elfes se retirent du monde pour consacrer le temps qu'il leur reste à d'autres choses... On devient... fatigué des choses quotidiennes, voyez-vous, quand elles se sont répétées et répétées encore. Les elfes apprennent à gérer leur longévité de la sorte, sinon ils deviennent fous."

Des siècles avec les siens... et mille ans ici ? Il était incroyablement vieux... Bien sûr, cette longévité était due à la malédiction.
Elle soupira à nouveau.
" Et donc... vous consacrez vos dernières années à étudier la magie de cette cité. Vous... vous me l'avez expliqué hier, ajouta-t-elle, sur une impulsion, tout en faisant les derniers pas qui la séparaient du pot de fleur. Mais vous avez oublié..."

Wethrin eut un léger rire.
" Oublié ? Ça m'étonnerait. Je n'oublierais pas une si charmante rencontre. Et inespérée !"
Il secoua la tête.
" Mais les lieux nous jouent des tours. Il n'est sans doute pas étonnant que vous ayez été affectée, si vous traînez dans les ruines depuis hier."

Elle effleura la baguette avec un curieux soulagement, la retrouvant comme une amie, et espérant que, à l'instar de ce qu'elle avait éprouvé durant la nuit, son contact la rassérénerait un peu. Elle la prit délicatement entre ses doigts, et se sentit aussitôt un peu plus assurée. Elle savait ce qu'elle devait faire, et elle n'avait pas le droit d'échouer.
" Justement... J'ai discuté... avec les fantômes de cette cité. Cette nuit. Ils m'ont expliqué ce qu'il s'est passé autrefois," dit-elle d'une voix calme, plus ferme.
Tant que le mage ne faisait rien d'inquiétant, elle pouvait patienter quelques instants, et, peut-être, tenter d'expliquer rapidement son geste juste avant d'utiliser la baguette. Au moindre changement d'attitude, elle devrait agir immédiatement... en espérant que cela fonctionne. Elle aurait peut-être dû l'essayer durant la nuit...

L'expression du mage changea et Astrée réalisa instantanément qu'elle avait pris un risque.
" Les esprits de cette cité ? De quoi parlez-vous ? dit-il, la voix tendue. Qu'est-ce qui s'est passé autrefois ?"

Elle brandit aussitôt la baguette, sans même attendre la fin de sa phrase, l'agitant d'un geste sec dans sa direction... en espérant que sa magie fonctionne comme prévu. Ils avaient dit que la baguette était très sensible. Elle avait confiance. Cela allait marcher.

Le mage elfe repéra son mouvement, leva une main défiante, mais n'eut pas le temps de faire quoi que ce soit. La magie terreuse de la baguette agit instantanément, se déployant en un fin filament vert qui le frappa en plein coeur. Il demeura figé et sa peau comme ses vêtements prirent la même teinte verte, celle d'une pierre veinée, magnifique, luisante, telle qu'Astrée n'en avait jamais vu. Dans sa paume, son bras, son épaule, puis sa nuque et son visage, quelque chose palpitait, vivant et printanier, sautillant de bonheur, murmures de naissance, de croissance, d'épanouissement formidable et immortel. Autour d'elle, le monde gronda. Une seule secousse. De la poussière s'échappa du plafond lointain, quelques livres tombèrent des étagères. A ses oreilles, quelque chose d'avide et puissant bourdonnait.

Elle eut la tentation d'arrêter là et de fuir immédiatement. Tout semblait indiquer que quelque chose allait se produire, que tout allait s'effondrer. Il allait donc être détruit, non? Mais les êtres élémentaires avaient dit que ça ne suffirait pas. Elle devait achever sa tâche.
Elle s'avança rapidement vers le marteau, versa un peu d'eau de sa gourde sur son gant et saisit l'arme sans la moindre hésitation.
" Tu dois détruire celui qui est à l'origine de la malédiction", expliqua-t-elle d'une voix ferme.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Traversée de la Lorien