La Couronne de Cuivre

Chandara avait fait honneur au repas en goûtant à tous les plats avec un bel enthousiasme puis elle se joignit à la conversation, révélant qu'elle avait l'intention de se rendre au temple de Tymora pour y porter un message. Elle garda cependant pour elle son contenu et le fait qu'il soit adressé au grand prêtre Brandon Devlin en personne.

- Et peut-être que si j'en ai le temps, je ferai un tour par le marché : je n'ai fait que l'apercevoir lors de mon arrivée d'hier matin.

" Méfiez-vous du marché, dit une paladine, la très jolie femme aux cheveux noirs qu'elle avait vue plus tôt, et qui se prénommait Ermeline. C'est un endroit où on entre la bourse pleine et dont on sort la bourse vide. Et pas à cause de tire-laines.
— C'est vrai que ton enthousiasme pourrait te jouer des tours, souffla Arthur, indulgent.
— Vous devriez laisser votre bourse à la commanderie, comme ça, vous ne risquez rien. Juste prendre de quoi vous acheter quelque chose à grignoter à midi." dit Sullyan.

La Dorrandine sourit aux paladins, prenant bonne note de leurs bons conseils. Elle avait cependant l'intention de prendre un peu plus que la somme nécessaire à un repas. Juste pour ne pas manquer de se faire plaisir de façon raisonnable, s'entend : ce n'est pas tous les jours que l'on avait de telles occasions !

- Vous m'avez convaincue : je vais laisser l'essentiel de mon or ici mais peut-être que je garderai tout de même de quoi faire l'un ou l'autre cadeau : vous n'avez pas idée de combien il est difficile de s'offrir de belles choses à Manost, surtout depuis la fin de la guerre !

" Oh mais l'idée n'était pas du tout de vous empêcher d'acheter quoi que ce soit ! s'exclama Ermeline. Au contraire, nous encourageons le commerce local, c'est lui qui rend notre cité si florissante !
— Je crois que l'idée était davantage de ne pas emporter d'argent lors de votre premier repérage. De la sorte, vous aurez le loisir de regarder à votre aise, sans risquer d'acheter trop vite, quelque chose qui pâlirait ensuite devant l'étal suivant..."

Chandara se frotta le menton pensivement : décidément les conseils des luméniens lui semblaient tout à fait excellents et puisque son séjour devait durer au moins une veille, elle aurait largement le temps de repasser faire des emplettes à une autre occasion.

- Encore une fois, je vais m'incliner et faire conscience à la sagesse locale : je ne doute pas que je me laisserais par trop tenter par toutes ces belles choses si je ne prenais pas le temps de la réflexion !

Elle emporterait donc une petite somme mais elle chercherait sans doute à se renseigner sur les prix de certains articles malgré tout. Une idée avait en outre bourgeonné dans son esprit mais elle ne la réaliserait que si elle était certaine de pouvoir ensuite se rendre au temple de Sunie comme elle l'avait prévu. Sinon, ce ne serait que partie remise là encore.

Les paladines rirent mais n'ajoutèrent rien sur le sujet. Le petit déjeuner toucha doucement à sa fin et Arthur se leva pour aller participer au rangement, non sans souhaiter une bonne journée à Chandara. Il convint de la retrouver dans l'après-midi, à la commanderie. Il était difficile de fixer un moment précis, car il ne pouvait pas vraiment anticiper la durée de ses travaux du jour. Une chose était certaine : la jeune femme disposait maintenant de sa journée pour arpenter la cité...

Chandara aurait bien volé un baiser au jeune-homme mais elle ne voulait certainement pas le faire devant ses amis et il s'était esquivé bien rapidement. Elle ne lui en voulait certainement pas d'autant que c'était partie remise et qu'ils auraient le plaisir de se retrouver dans l'après-midi.

D'ici là, elle avait de nombreuses heures pour découvrir un peu plus de la cité et l'idée était excitante en soi ! Elle prit donc congé à son tour, faisant un bref passage dans ses quartiers pour récupérer la lettre d'Amélie et l'équivalent de cinq pièces d'or dans une petite bourse. Ces affaires récupérées, elle se dirigea vers la cour et l'arche permettant de retourner dans la rue. Elle avait l'intention de demander son chemin pour rejoindre le temple de Tymora, la première étape de son programme...

Elle n'eut pas à chercher bien longtemps : les novices en faction devant la commanderie semblaient désireux de lui rendre service et ils lui indiquèrent la route à emprunter : elle était très simple, car Chandara était quasiment passée devant le Temple en arrivant, la veille, depuis le port. Il lui suffisait de retracer son parcours à l'envers, puis de bifurquer dans une petite rue à gauche, à mi-hauteur de la large artère qui menait aux quais. Elle trouverait sans problème quelqu'un pour la guider dans ces parages, cependant, si elle ne parvenait pas à dénicher le Temple elle-même...

Chandara avait remercier les novices d'un sourire gracieux et reconnaissant avant de s'engager dans l'artère des beaux quartiers d'un pas tranquille. Elle hésita l'ombre d'une seconde à faire un détour par le parc mais elle ne voulait pas prendre le risque de se perdre et s'y promener seule n'aurait assurément pas le même effet. En passant devant le temple de Sunie, elle ne put s'empêcher de jeter un bref regard par delà la grille juste par curiosité. Mais elle n'avait de toute façon pas l'intention de s'y arrêter. En tous cas pas avant d'avoir porté la lettre et le message si importants pour son amie.

Le Temple de Sunie était parfaitement silencieux et les jardins déserts. Il était sans doute encore bien trop tôt pour que les adeptes de la Déesse aux Cheveux de Feu ne s'extirpent de leurs lits douillets : après tout, le soleil était levé, mais en plein été, cela signifiait qu'il était encore très tôt, comme Chandara s'en rendit rapidement compte : la rue était encore presque déserte, hormis pour quelques serviteurs affairés qui tentaient de remplir leurs premiers devoirs de la journée avant le lever des maîtres. De la même manière, si les rues animées du quartier du port n'était pas complètement vides, on était bien loin de l'atmosphère de la veille. Luménis adorait le soleil, mais la grasse matinée aussi, apparemment...

La jeune-femme douta de sa démarche : peut-être arriverait-elle bien trop tôt au temple de Tymora. Mais elle se rasséréna en songeant qu'il lui suffirait alors de patienter dans le quartier, ne doutant pas d'y trouver quelque distraction, même de bon matin. En tous cas, elle se sentait en pleine forme après son solide petit-déjeuner et elle était ravie de disposer de plusieurs heures de libertés avec l'assurance de pouvoir retrouver Arthur juste après pour lui raconter ses aventures.

HRP : tu pouvais faire la transition jusqu'au Temple !!!

Chandara marcha donc dans les rues, demanda à nouveau son chemin quand elle eut gagné les abords du port, et un jeune marin proposa de la guider jusqu'au perron du Temple de Tymora.

Quête : Un autre appel

Revenant du parc verdoyant, Chandara atteignit donc la commanderie et franchit l'arche, sous laquelle deux novices en tunique légère somnolaient, écrasés par la chaleur. La cour était déserte, signe que personne n'avait osé braver la température et que tous les paladins étaient soit de sortie, soit à l'abri à l'intérieur. Difficile de savoir, sans le chercher, où pouvait bien se trouver Arthur.

Plutôt que de chercher Arthur un peu partout dans la commanderie, Chandara s'empressa de regagner le bâtiment principal et sa fraîcheur bienvenue. Son intention était de demander à la première figure connue - ou à défaut à un autre paladin - où elle était le plus susceptible de trouver le jeune-homme.

Les deux premières personnes qu'elle croisa, des paladins qu'elle avait entrevus sans les connaître, n'en avaient pas la moindre idée. La troisième lui suggéra de tenter les écuries : il lui semblait bien avoir aperçu Arthur avec un groupe de novices, armés de seaux, pénétrant dans les lieux. En effet, quand Chandara s'y rendit, elle découvrit le jeune homme en train de diriger une équipe qui récurait les stalles. Une odeur de crottin sec flottait dans l'air tandis qu'ils passaient les lieux aux grandes eaux. Arthur lui-même était passablement crotté et semblait s'en soucier comme d'une guigne, jusqu'au moment où Chandara survint et qu'il s'empourpra. Il garda ses distances, soucieux de ne pas la salir à son tour, et s'enquit de sa matinée.

Chandara lui jeta un regard ravi, ne se souciant apparemment pas le moins du monde de l'état de ses effets ou de la situation. Elle n'avait de toute façon d'yeux que pour lui aussi répondit-elle avec tendresse :

- J'ai l'impression que je suis rentrée un peu trop tôt mais ce n'est pas grave. Ma matinée s'est très bien passée mais je n'ai pas pu rencontrer directement le grand-prêtre de Tymora. Pas encore en tous cas. Je suis allé ensuite au marché comme prévu et j'ai déjeuné au parc. Tu veux que je repasse un peu plus tard ?

Elle hésita à parler de la visite du temple sunite : d'un côté elle ne voulait pas lui donner l'impression de lui mentir ou de lui cacher ses activités mais d'un autre le lieu et le public n'étaient pas forcément idéaux pour s'étendre sur le sujet.

" C'est comme tu préfères, dit-il. Je n'ai pas encore complètement terminé, comme tu peux le constater."
Il eut une moue embarrassée.
" Tu peux aussi aller te reposer un moment et je viendrai te prévenir quand j'ai fini. A toi de voir. Je ne sais pas si tu avais des envies pour la fin d'après-midi, aussi..."

Chandara y réfléchit quelques instants sans le quitter des yeux avant de répondre d'un ton enjoué :

- Je vais attendre que tu viennes me chercher dans ma chambre alors, commença-t-elle par déclarer sans s'empêcher de lui asséner un discret clin d'œil.

- Et pour le reste, je m'adapterai en fonction de tes disponibilités et de tes envies !

C'était peut-être lui mettre la pression mais elle n'avait pas pu s'en empêcher. Du reste, elle était sincère : elle n'avait pas d'idée précise en tête sinon de passer un peu de temps avec Arthur, ne fut-ce que pour une promenade en ville.

Il la rejoignit une petite heure plus tard, lavé et changé. Enfin... Il frappa à sa porte, mais refusa d'entrer, chose qu'il trouvait inconvenante. Il attendit donc qu'elle soit prête en demeurant dans le couloir. Ensuite, il l'escorta vers la cour mais ils demeurèrent à l'intérieur, pour se garder du soleil de plomb.
" As-tu envie de voir quelque chose en particulier ? demanda-t-il. Avec la température, je ne crois pas que nous devrions marcher longtemps, mais je peux te montrer un endroit ou un autre."

Chandara avait trouvé très amusant et même touchant qu’Arthur n’ose pas pénétrer dans sa chambre. Elle n’en avait cependant rien montré pour ne pas risquer de le brusquer : ces barrières devaient tomber naturellement et par petites touches mais elle n’était pas certaine de montrer les mêmes réserves si l’occasion lui était donnée de pénétrer l’espace personnel du jeune-homme. Tout en songeant avec délice à cette perspective, elle avait suivi son compagnon d’un air rêveur puis s’était arrêtée dans le couloir pour réfléchir à leur destination : la chaleur était effectivement à prendre en compte et excluait d’opter pour une nouvelle longue promenade en extérieur. Elle passa donc plusieurs idées en revue avant que son visage ne s’éclaire d’anticipation ravie pour l’une d’entre elles :

- Tu vas sans doute me trouver affreusement sérieuse mais puisque nous devons rester en intérieur… J’ai toujours rêvé de visiter votre grande bibliothèque : il paraît qu’elle est encore plus grande que celle que nous avons à Cojum.

" Je ne connais pas la bibliothèque de Cojum, il faudra donc que tu juges par toi-même, répondit le jeune homme en l'entraînant vers la sortie. Bon, c'est plus ou moins à l'autre bout de la ville, mais nous allons passer par le parc et les arbres nous protégeront."
Une fois encore, Arthur bifurqua vers l'entrée de l'espace vert qui ne nécessitait nullement de passer devant le Temple de Sunie... Etait-ce délibéré, mystère...

Si c’était délibéré, Chandara ne lui en tint absolument pas rigueur et ne se priva pas non plus de passer un bras autour de la taille du jeune-homme dès qu’ils furent hors de vue de la commanderie et du temple attenant.

- Je me demande si je vais trouver l’ouvrage que je recherche : à savoir comment plaire aux beaux et jeunes paladins lathandrites blonds ! Si votre bibliothèque est aussi bien fournie que ce que j’en ai entendu, c’est tout à fait possible !

Elle leva la tête pour lui sourire, son regard rieur prouvant qu’elle plaisantait. Ou pas tout à fait.

Il lui retourna un regard embarrassé mais ne dit rien et se contenta de la guider vers le parc, dans lequel ils pénétrèrent quelques secondes plus tard. Les allées bruissaient de rires, musique et conversations, et ils ne détonnaient parmi les promeneurs.
" Je suis désolé que tu n'aies pas pu rencontrer le grand prêtre de Tymora. Mais c'est un bon ami de Sire Othon. Si tu veux, nous pouvons lui demander d'intercéder en ta faveur."

Chandara poussa un soupir d’aise : elle se sentait si bien au bras d’Arthur qu’elle avait relégué la conversation avec Sire Othon mais l’évocation du sous-officier lui arracha tout de même une légère grimace. Elle se devait de refuser mais certainement pas pour cette raison :

- Je me sens déjà tellement privilégiée de pouvoir rester à la commanderie et du bon accueil qu’on m’y a fait alors que je ne suis pas l’une de vôtres : je ne voudrais pas abuser encore davantage et requérant un tel service. J’ai laissé un message à un prêtre pour qu’il puisse m’obtenir un rendez-vous alors nous verrons bien. Si je n’ai pas de nouvelles d’ici quelques jours peut-être qu'il faudra forcer la chance parce que c'est important pour Amélie que je donne sa lettre.

" Tu pourrais simplement la déposer là-bas. On livre le courrier, tu sais, à Luménis ! dit Arthur avec un sourire. Si Maître Devlin veut y apporter une réponse, et voudrait que tu la portes à Amélie, il saura aisément te la faire parvenir à la commanderie."

Chandara hocha la tête même si cette solution ne lui plaisait pas vraiment :

- C’est évidemment une bonne solution et le prêtre me l’a proposée mais j’hésite un peu : je me dis que je voudrais pouvoir répondre aux questions d’Amélie concernant cet homme si elle m’en pose. Si elle avait voulu simplement envoyer la lettre, elle s’en serait chargée elle-même sans faire appel à moi. Peut-être que je prends ça un peu trop à cœur comme beaucoup d’autres choses mais c’est dans mon caractère, après tout, non ?

" C'est toi qui vois, dit Arthur. Mais je persiste à penser que si tu veux avoir une véritable entrevue, tu fais mieux de demander à Othon d'intercéder en ta faveur. Les grands prêtres ont généralement des programmes chargés, et ils ne peuvent pas recevoir toutes les personnes qui passent, surtout dans une ville de cette taille ! Enfin, il a peut-être des permanences, qui sait... Tu peux aussi assister à un office, si tu veux juste le voir et l'entendre, et essayer de le coincer à la sortie..."

Chandara n’avait pas très envie de s’étendre sur ses autres raisons qui la dissuadaient d’en appeler aux services de Sire Othon : elle n’était pas de nature rancunière mais elle souhaitait quelque part prouver à ce dernier qu’elle pouvait se débrouiller seule et qu’elle était plus qu’une jeune paladine déchue ayant jeté son dévolu sur un jeune lathandrite. La solution proposée par le jeune-homme lui paraissait donc davantage porteuse et elle se redressa pour le remercier d’un léger baiser sur la joue :

- C’est une très bonne idée : heureusement que je peux compter sur toi ! Si je vais au temple pendant un office, je pourrai sans doute lui glisser la lettre et il voudra sans doute me parler ensuite ou à une autre occasion !

" C'était une suggestion comme ça, dit le jeune homme. Je n'ai aucune idée de l'heure à laquelle ils célèbrent leurs offices, cela dit. Je ne suis pas un grand spécialiste en matière de religions."
Le chemin qu'ils suivaient longeaient les limites du parc et déboucha bientôt sur une allée très vaste, qui remontait vers le nord de la ville, et était suffisamment large pour que s'y croisent des chariots. Les passants préféraient d'ailleurs marcher dans l'herbe pour ne pas risquer d'être heurtés par les véhicules et les cavaliers. Arthur se joignit à ce flot de promeneurs, entraînant toujours Chandara avec lui.

Chandara était curieuse de tout, s’étonnant des petites différences d’avec les villes de son pays mais qui contribuaient pourtant à donner une ambiance si particulière à Luménis. Ici, les rues et les avenues n’avaient pas qu’un côté purement fonctionnel ou militaire mais elles étaient aussi conçues pour le plaisir et le confort des piétons. On sentait aussi tout le goût des luméniens pour les espaces naturels se manifestant dans les allées plantées d’arbres offrant leur ombre et une touche colorée au paysage. Bien qu’elle soit un peu plus silencieuse que de coutume, la jeune-femme interrogea parfois le jeune-homme sur l’usage de tel ou tel bâtiment d’allure impressionnante et écoutait calmement ses explications.

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] La Commanderie des Paladins de Lathandre