La Couronne de Cuivre

Si Marcus remarqua le trouble d'Albérich, il n'en laissa rien paraître et lui rendit un sourire chaleureux.
-Parfait, alors... Je vais me mettre à l'ouvrage dès ce soir et je te tiens au courant sitôt qu'il y a du nouveau.
Il se leva, observa l'Aubemestre et parut hésiter.
-Je... je suis heureux de voir que tu vas mieux... dit-il finalement, un peu embarrassé. Je sais que le chemin sera encore long et difficile, qu'on ne se remet pas de ce que tu as vécu, perdu, en quelques jours... Mais tu es sur la bonne voie, et cela me réjouis. Vraiment. Et si... Et si je peux t'aider d'une manière ou d'une autre, je voudrais que tu n'hésite pas à me demander. Quoi que ce soit. Tu peux compter sur moi, Albérich. Et ce ne sont pas des paroles en l'air.
Il s'empourpra légèrement, parut au comble de la gêne et, sur un signe de la main, il quitta les appartements de son supérieur. Marcus n'était pas un habitué des confidences ou des effusions, ce qui rendait la chose qui venait de se produire encore plus exceptionnelle et expliquait sa vive retraite...

L’attitude de Marcus, si elle toucha Albérich, le remplit en même temps d’horreur. L’image que lui renvoyait l’intendant, celle d’une victime, de quelqu’un qu’il faut aider, soutenir, était effrayante et c’était exactement à cela que l’Aubemestre voulait échapper, même s’il comprenait Marcus, qu’il ne pouvait pas lui en vouloir pour cette sollicitude… Il lui fallait trouver un refuge où il serait étranger, où les stigmates seraient invisibles, les douleurs tues et cachées, c’était la seule solution pour survivre… Entouré du souci des autres, même si ce souci n’était qu’amour, il ne tiendrait pas le coup.
Il quitta précipitamment le bureau, traversa la petite salle à manger et regagna sa chambre, où il ouvrit l’armoire en évitant de regarder son reflet, et empila au hasard quelques vêtements sur le lit. Il finit par s’asseoir, pantelant, réalisa qu’il était furieux.
Furieux contre lui-même, de s’être laissé faire par Marcus, de n’avoir pas osé dire ce qu’il avait à dire, de refléter toujours cette ombre qu’il abhorrait.
Furieux contre Marcus aussi, dont le paternalisme emprunt d’humilité avait quelque chose d’insupportable, Marcus qui prétendait comprendre et savoir, et qui jugeait, malgré lui, de choses dont il n’avait pas la moindre idée.
Tu es sur la bonne voie.
Qu’en sais-tu ?
Il se força à respirer plus lentement, pour calmer le bouillonnement du sang dans ses veines, la colère indue qui lui brûlait les tempes. L’intendant n’était coupable de rien. Il faisait de son mieux, il suivait ce que lui dictaient son cœur et sa conscience.
Comment réagirais-tu si tu étais dans sa situation ?
Il faudra bien qu’il assume, pourtant.
Il frissonna, se releva et alla se mouiller le visage, lentement, effaçant l’émotion de son visage, chassant cette angoisse solitaire qui l’avait à nouveau privé de lui-même. D’abord, une once d’exil. Ensuite, il verrait bien. Il reviendrait, bien sûr, il l’avait promis. Mais pour combien de temps ?

Ce fut dès le lendemain, en milieu de matinée, que Marcus reparut dans les appartements de l'Aubemestre. Il avait les traits tirés, les yeux cernés, mais ne paraissait pas mécontent de lui.
-Tout est réglé ! fit-il après avoir salué son supérieur. Frère Alaric et frère Tallad t'accompagneront. Ils m'ont semblé les plus adéquats pour cette... expédition. Et ils ne se sont pas fait priés pour accepter. Je suis allés les voir directement. Ainsi, en dehors d'eux et moi, personne n'est vraiment au courant. j'aurais donc toute lattitude pour raconter ce que je voudrais... Ah, et ils sont prêts à partir dès aujourd'hui, aussi. Donc, si tu en as envie...
Marcus avait agi avec célérité... et avait porté son choix sur des hommes qui, à n'en pas douter, seraient en mesure de venir à bout de bien des incidents fâcheux. Frère Alaric mesurait dans les xis pieds et demi, était aussi large qu'un taureau et, malgré ses soixante ans, paraissait encore aussi vert et vigoureux que lorsqu'Albérich l'avait rencontré pour la première fois. Pour autant qu'il s'en souvienne, il s'était toujours trouvé au Grand Sanctuaire où il faisait partie des clercs destinés à assurer la sécurité. Et, pour autant qu'il s'en souvienne également, il ne l'avait jamais entendu prononcer un mot. Sa voix, il la réservait pour les offices, où son timbre de basse profond et vibrant ne manquait jamais de faire son petit effet.
Frère Tallad, de même, ne parlait pas. Du moins, il ne parlait plus. Plus depuis que les Morféens lui avaient tranché la langue. La trentaine fraichement sonnée, petit, râblé, agile et le regard alerte, il était comme Alaric affecté à la sécurité. Et, lors du coup d'état, on l'avait torturé pour savoir où diable les clercs cachaient leurs artefacts les plus puissants. Comme il était demeuré obstinément muet, ses bourreaux, par dépit, avaient décidé de le rendre muet pour de bon. Libéré en même temps que la ville, Tallad avait repris ses fonctions au Temple, plus discret et effacé que jamais. Mais toujours aux aguets...

Tallad et Alaric. Marcus avait fait au mieux compte tenu des circonstances : Albérich ne serait pas importuné par une conversation malvenue et personne n’oserait, ni ne parviendrait, à s’en prendre à lui. L’Aubemestre était reconnaissant de la discrétion dont faisait preuve son cadet : ses gardes du corps ne péroreraient pas dès leur retour en ces murs, trahissant le semblant d’intimité qu’il espérait conserver pendant son périple. Il aurait pu être tenté de lui accoler une paire d’espions et il s’était abstenu.
Il voulait à tout prix éviter les regards curieux. Il était encore tôt, s’ils partaient rapidement, ils pourraient rallier Belles-Vagues avant la nuit, pour autant qu’ils ne soient pas pris dans le blizzard en descendant vers le sud. Et pour autant que…
« Marcus, est-ce que tu as… songé à nous procurer des montures ? » demanda-t-il, embarrassé.

Marcus sourit largement.
-Tu penses bien qu'en tant qu'intendant et donc responsable de la logistique, c'est la première chose à laquelle j'ai pensé ! Et je me suis abstenu de recourir aux services du Fort. Trois montures prêtes à être harnachées attendent dans les écuries de nos amis de la Commanderie, je peux envoyer Tallad les chercher dans l'instant. J'ai aussi assemblé quelques provisions, des couvertures, une tente... Rien de bien spectaculaire, mais il vaut mieux parer à toute éventualité.

Bien sûr, Marcus avait pensé à tout.
L’idée de monter en selle n’était pas vraiment propice à réjouir Albérich, mais il n’avait pas le choix. C’était déjà une chance que l’intendant lui ait ouvert les portes sans se faire prier.
« Je pense que… oui, j’aimerais que nous partions lorsque… profiter du repas pour faire ça sans trop de remue-ménage. » dit-il.
Il eut un sourire contraint. Comme un voleur, déguerpir sans être vu. S’il avait pu, il serait parti de nuit, mais il doutait que ses compagnons aient apprécié de cheminer dans les ténèbres. Avec un peu de chance, le rude temps hivernal lui permettrait de garder un capuchon pendant la traversée de la ville, ce qui lui éviterait toute rencontre malvenue.
Tu ne devrais pas t’inquiéter, tu es méconnaissable, de toute façon.
« Merci de cette diligence, en tout cas. »

Marcus haussa les épaules.
-Pas de quoi, vraiment. Hum... Le repas sera servi dans une heure et demie, en gros. Juste le temps de mettre la main aux derniers préparatifs..Tallad et Alaric t'attendront à la petite porte des jardins, ce qui évitera d'autant plus d'être vus par d'éventuels indiscrets.
Il jeta un coup d'œil par la fenêtre.
-Le temps est couvert, mais pour l'heure, il ne neige pas. J'espère que cela continuera jusqu'à votre arrivée à Belles-Vagues... Dans tous les cas, je crains de devoir te dire au revoir dès à présent. Je ne peux pas m'absenter du repas sans susciter moult questions... J'espère que ton voyage sera bon, et qu'il t'apportera ce que tu espères y trouver. Ne serait-ce que le revigorant air marin !

Albérich acquiesça pensivement.
« Je serai de retour dans quelques jours. » ajouta-t-il finalement. « Tout se passera bien. »
Marcus hocha la tête, puis renonça à en attendre plus, et sortit. L’Aubemestre l’écouta s’éloigner, son pas sonore claquant sur les dalles du couloir, puis soupira. Il aurait sûrement pu, dû, dire autre chose, mais le silence était le juste reflet de son état d’esprit. Peut-être cela rendrait-il le véritable départ moins difficile. Peut-être Marcus comprendrait-il, finalement, qu’il ne servait à rien de s’accrocher à quelque chose, quelqu’un, qui avait disparu dans les brumes de l’hiver.
Laisser aller.

Albérich retourna dans sa chambre, prit le sac qu’il avait déjà préparé la veille, puis s’assit sur le lit et attendit, décomptant mentalement les secondes, les minutes, ces derniers instants avant une bouffée de délivrance. Il l’espérait du moins. Bien sûr, le ciel n’atténuerait pas les souvenirs, mais il sentait qu’hors des murs du temple, la pression qui pesait encore sur ses épaules s’allégerait. Moins surveillé, moins traître.
Il finit par se lever, regagna le bureau et après une brève hésitation, fourra son journal dans son paquetage. Puis il se ravisa, le remit sur le bureau et sortit. Il n’écrirait pas. Il ne fallait pas qu’il ait la tentation de se relire. Marcus n’était pas le seul qui devait accepter de laisser aller.

Il traversa les couloirs déserts, à l’affût des mouvements et des bavardages, mais comme prévu, les clercs s’étaient rassemblés pour le repas et le sanctuaire était silencieux. Il se glissa jusqu’à la porte des jardins en lorgnant ses pieds, comme un enfant qui essaie de ne pas marcher sur les lignes des pavés, puis l’ouvrit, sortit, et la referma dans un mouvement rapide.

Le blanc du ciel l’accueillit, immense, lumineux, comme une voûte lézardée prête à s’écrouler et l’ensevelir, le transperçant brutalement d’une angoisse qu’il n’avait pas anticipée. L’air glacé le saisit à la gorge et il s’appuya contre le mur du temple, forçant sa respiration à retrouver un semblant de calme, s’hypnotisant un instant dans le nuage vaporeux de son souffle, jusqu’à ce qu’il soit capable de se tenir debout sans soutien, et de marcher jusqu’à l’endroit où se tenaient ses gardes du corps et leurs montures. Ils ne pouvaient pas avoir manqué son instant de panique, mais Marcus les avait choisis juste pour ça : pour qu’ils assistent et se taisent.

Alaric et Tallad étaient bien là, tenant par la bride leurs montures, de solides chevaux qui pourraient affronter sans peine le froid et la neige recouvrant les routes. Et, quoi qu'ils aient pu penser de l'instant de faiblesse de leur supérieur, ils ne pipèrent mot, se contentant de l'accueillir d'un salut de la main. Puis, toujours silencieux, ils montèrent en selle. Revêtus de manteaux anonymes, ils avaient tout l'air de simples voyageurs. Mal assortis, certes : un colosse qui semblait rendre dérisoire son cheval, pourtant grand et solide, et un petit homme mince, nerveux, qu'on sentait prêt à bondir malgré son immobilité parfaite. Mal assortis, donc. Mais de simples voyageurs tout de même, en apparence. A les voir, nul n'aurait pu soupçonner qu'il s'agissait là de l'escorte de l'Aubemestre.

Prenant appui sur le pommeau de la selle, Albérich s’installa à son tour sur le dos de sa monture, un petit cheval roux au poil dru et à la mine revêche. L’Aubemestre savait cependant que Marcus lui aurait choisi un animal placide, son aversion pour les chevaux était célèbre, et les premiers pas tranquilles que fit le hongre le rassurèrent. Les trois cavaliers se glissèrent sous la petite arche de pierre qui séparait la cour de la rue et s’engagèrent entre les demeures cossues des riches luméniens, direction la petite porte sud. De toutes les entrées de la cité, c’était la mieux gardée et la moins empruntée, car le zèle de ceux qui la surveillaient frôlait parfois l’obsession. Néanmoins, comme partout ailleurs, quitter Luménis était beaucoup plus simple que d’y entrer.
Albérich s’était logiquement placé entre ses deux gardes du corps, et une légère nausée l’avait saisi, crispation incontournable qui disparaîtrait tôt ou tard. Il frissonna malgré lui alors que les sabots claquaient sur les pavés glacés. Le quartier sud était tranquille sans être désert, des passants empressés, calfeutrés dans leurs manteaux épais, s’y promenaient d’un pas rapide, tout à leur destination. Il faisait terriblement froid, Albérich sentit le poil de sa barbe se hérisser sur ses joues et son nez geler. Même s’il ne neigeait pas encore, la laine de son capuchon le protégeait déjà, et voûté sur sa monture, il s’espérait méconnaissable. De toute façon, personne ne s’arrêtait, personne n’avait le loisir, ou l’envie, de scruter les voyageurs. L’hiver était un rempart.
Les façades des grandes maisons, ces villas bourgeoises, empesées, crâneuses, n’évoquaient rien au conseiller. Il n’avait jamais été de ce Luménis. Il avait grandi dans les ruelles du port avant de gagner les canaux d’Eredhùn. Il ne rattachait aucun souvenir à cette architecture flamboyante et chargée. Il ne regretterait pas ces allées propres et ces jardins entretenus, il ne les avait jamais vraiment connus. La nostalgie, le déchirement, viendrait d’ailleurs.
Tu ne pars pas vraiment, songea-t-il. Pas cette fois-ci.
Les bâtiments retrouvèrent un semblant de mesure comme ils arrivaient non loin de la muraille. Ils dépassèrent les casernes de la garde, qui semblaient aussi paralysées sous une couche de givre, une sentinelle figée sous sa guérite, puis gagnèrent les portes.

Quête : Brumes

Que la nouvelle de leur passage par les portes ou dans les rues du quartier sud ait été rapportée au temple, ou, simplement, que leur petit cortège ait été repéré par les clercs, ils étaient nombreux à les attendre sur les marches du Sanctuaire. Au premier rang, se tenait Marcus, qui vint, à pas pressés, se porter à leur rencontre.
-Content de vous revoir ! fit-il. Mais, fichtre, qui est-celui là ?
Alaric, déjà descendu de sa monture, adressa à l'intendant un sourire radieux.
-Le Sharite qui s'était échappé de la tour. Il nous a causé quelques ennuis mais... Nous avons eu le dessus.
Marcus fronça les sourcils. Dévisagea Alaric, l'aubemestre, Tallad. Le prisonnier.
-Il faudra que nous ayons une petite discussion.. murmura-t-il. Mais, pour l'heure, nous allons vous laisser vous remettre de votre voyage...
IL adressa un demi sourire à Albérich.
-J'espère que votre séjour vous aura été profitable... Bienvenue chez vous, en tout cas.

Albérich ne s’était pas attendu à un tel comité d’accueil. Il avait espéré se glisser par la porte de service, comme le jour du départ, filer jusqu’à sa chambre après avoir échangé de rapides adieux avec ceux qui l’avaient escorté. C’était manifestement mal parti. Mais malgré toute sa tension lorsqu’il démonta, la sensation d’avoir mille regards braqués sur sa silhouette amaigrie, sur le moindre de ses gestes, sur son visage tiré, il se sentit moins désemparé qu’il ne l’avait craint. Un novice vint lui prendre les rênes des mains, rougissant, et l’Aubemestre demeura debout dans l’allée, ne sachant pas bien où poser les yeux. Peut-être attendaient-ils qu’il déclare quelque chose… Après tout, il n’avait plus vu la plupart d’entre eux depuis des veilles… Il les avait évités, s’était cloîtré, avait joué les morts… Mais qu’aurait-il pu dire ?
Heureusement, Marcus se porta à son secours en venant vers lui et Albérich reprit ses esprits.
« Merci. » murmura-t-il. « Nous sommes heureux d’être rentrés. »

Marcus fit un signe, et les clercs commencèrent à se disperser. Sans doute avaient-ils passé un accord : l'intendant leur permettait de venir accueillir l'Aubemestre mais, en échange, ceux-ci acceptaient de ne pas être oppressants, curieux, de ne pas l'ensevelir sous une avalanche de questions.
Marcus échangea quelques mots avec deux de ses pairs qui réceptionnèrent un Noir-Dessein toujours inerte et l'emportèrent à l'intérieur du temple.
-Il faudra que nous le livrions au Fort, sans doute... dit-il à son supérieur. Mais nous en déciderons ensemble. C'est notre prisonnier, pour l'heure. Les soldats, eux, ont failli à le retrouver.
Il paraissait un peu tendu, sous ses dehors calmes, et Albérich ne manqua pas de remarquer le regard noir qu'il coula, en catimini, vers ses gardes du corps.
-Voulez-vous que je vous accompagne jusqu'à vos appartements ? s'enquit-il enfin.

« Avec plaisir. » répondit l’Aubemestre, désarçonnant peut-être son intendant. « Mais je ne pense pas m’y éterniser. Je dois me laver. »
Il lui décocha un léger sourire, qu’il espérait moins embarrassé que rassurant. Son cœur cognait, la voûte du Temple l’ébranlait malgré lui, il avait toujours la sensation d’être un intrus parmi les siens, mais en même temps, curieusement, il aspirait à retrouver la protection de ses murs. La tranquillité des allées. La familiarité de sa chambre. Même si la présence de Noir Dessein l’inquiétait, insidieusement. Il l’avait vu franchir les portes avec un tressaillement irrépressible. Le frelon dans la ruche. Il ne devait pas rester.
Avant d’emboîter le pas à Marcus, il se tourna vers ses deux gardes du corps et leur adressa un signe amical de la tête. Il espérait qu’ils étaient conscients de tout ce qu’il ressentait à leur égard, mais il ne se sentait pas capable de le formuler à cet instant, alors qu’il y avait des témoins et qu’il devinait sa vulnérabilité et son trouble en pleine croissance.

Les deux hommes lui répondirent d'un geste, souriants, puis, sans rien dire, s'esquivèrent discrètement. Marcus les suivit du regard, cherchant à garder une mine impassible sans tout à fait y parvenir puis, lorsqu'ils eurent disparu, se mit en marche vers le temple, accompagnant l'aubemestre, comme il l'avait proposé, jusqu'à ses appartements.
Une fois parvenu devant leur porte, il grimaça. Hésita. Puis demanda, dans un souffle :
-Réponds-moi franchement... Est-ce que ces deux olibrius t'ont fait courir le moindre risque ? T'ont-ils mis en danger un seul instant ?

Albérich se tourna vers son cadet et poussa un léger soupir, avant d’esquisser un sourire embarrassé.
« Je voudrais qu’il y ait une réponse simple à cette question, Marcus. Mais il n’y en a pas. Nous avons tous les trois courus des risques, mais c’est moi qui ai fait l’erreur de quitter le Temple alors qu’un Sharite courait toujours. J’aurais dû l’anticiper. Dans les circonstances, Tallad et Alaric ont fait tout ce qu’il fallait, et plus encore. Ils se sont battus, ils m’ont protégé, ils ont attrapé le Sharite et ils m’ont offert quelque chose d’inestimable. »
Il réalisa que ses yeux s’étaient mouillés, effaça une larme avant qu’elle ne coule.
« Ce voyage aurait pu nous coûter énormément à tous. Mais il m’a sauvé. Je ne peux pas t’en dire plus. Tu as choisi les meilleurs des hommes, pour m’accompagner. Je t’en suis redevable. »

Totalement pris au dépourvu, quelque peu ébranlé, aussi, Marcus abandonna son masque de sérénité et, la bouche entrouverte, dévisagea un long moment Albérich. Puis il se reprit.
-Hum, et bien... Moi qui songeais déjà à les mettre de corvée de latrines pour un millénaire, je crois que... je devrais peut-être les remercier, en fin de compte...
Il soupira, mais un léger sourire étira ses lèvres pincées.
-Il faudra que tu me racontes, si tu veux bien. Et qu'on décide ce que l'on fait, pour le Sharite. On n'aura guère le choix, je pense, il faudra le remettre à l'armée. Mais l'important est que cela reste notre démarche. Qu'ils ne viennent pas le prendre de force... ou, du moins, qu'ils ne tapent pas du poing sur la table et nous ordonnent de le leur confier.
Il secoua la tête. Son sourire s'élargit.
-Mais je t'ennuierai avec ça plus tard. Pour l'heure, je vais te laisser à tes ablutions. Ah, et... Content de te revoir, vraiment. Je suis heureux si ce voyage t'a apporté quelque chose.

Albérich acquiesça.
« Merci. » murmura-t-il. « Nous reparlerons de tout ce que tu veux. Il y a des choses urgentes dont je dois t’entretenir, de toute façon. Mais tout cela peut attendre. Je sens le vieux bouc et je suis toujours aussi mauvais cavalier, j’ai besoin de me reposer. »
Il adressa un dernier sourire à l’intendant, puis disparut à l’intérieur de ses appartements. Une fois la porte refermée, une fois seul dans le trois-pièces qui était son unique foyer, il se mit à trembler. Il n’avait pourtant pas eu la sensation de jouer la comédie, mais il se sentait épuisé, comme si l’apparente légèreté des derniers échanges lui avait coûté plus d’énergie qu’une demi-journée à cheval. Il était de retour et il était vivant. Ils étaient tous les trois vivants. C’était en soi un miracle. Il fallait qu’il soit à nouveau prisonnier du Temple pour vraiment réaliser ce qui aurait pu être et ce qui s’était en définitive produit. L’incroyable. L’inespéré.
Il marcha jusqu’à la chaise qui faisait face au bureau et s’y assit. Le danger était de se complaire dans cette sensation intime de sécurité. Et d’isolement. Le périple avait été une folie, les risques encourus trop élevés, Marcus avait raison de s’en inquiéter, et il aurait raison d’être furieux. Mais s’il était resté au Temple, dans l’univers protégé des siens, rien n’aurait bougé. Et il pouvait déjà deviner le retour de l’inertie. A peine entré, il s’était assis, gagné par la torpeur. Il devait se mobiliser.
Il se releva, gagna rapidement sa chambre, dénicha un drap de bain, un peignoir, des vêtements de rechange… Une aube ? Non, pas encore… Puis il fila vers la sortie et ressortit dans le couloir, bien décidé à mettre ses premières résolutions à exécution.

Bien que la nuit ne tarderait pas à tomber - d'ici une ou deux heures, compte tenu de la saison - il était encore tôt, le milieu de l'après-midi, sans doute. De ce fait, les novices étant en classe et les prêtres confirmés occupés à diverses activités, Albérich ne rencontra pas grand monde dans les couloirs. Les rares confrères dont il croisa le chemin se contentèrent de le saluer poliment, de lui souhaiter la bienvenue, parfois. S'ils faisaient effort pour ne pas se montrer trop bavards, pour ne pas l'ennuyer avec des questions, leurs mines étaient autrement plus expressives que leurs dires : elles affichaient invariablement de la joie. Et une once d'étonnement, mâtinée de soulagement manifeste. Cela faisait bien longtemps qu'on avait plus vu l'Aubemestre arpenter le temple en pleine lumière. Sans doute se disaient-ils que les choses, doucement, étaient en train de rentrer dans l'ordre.
La salle d'eau, quant à elle, était complètement déserte. Ce n'était pas vraiment le moment où l'on procédait, d'ordinaire, aux ablutions. Côté positif : le clerc y serait à son aise, loin de la curiosité des autres résidents du Sanctuaire. Mieux encore : contrairement à sa dernière visite en cette pièce, il pourrait jouir de la clarté diurne. Et d'eau chaude, selon toute apparence. En bon intendant, Marcus avait pensé à tout.

Une fois propre, Albérich regagna ses appartements sans s’attarder. Même s’il ne ressentait plus l’oppression qui l’avait écrasé les jours précédents, il n’avait pas le courage de jouer les mondains. Pendant qu’il se lavait, il avait retrouvé son corps maigre, les stigmates discrets de sa détention, une certaine peur de lui-même, de ce qu’il était devenu. Comme il l’avait craint, le Temple le protégeait et le fragilisait en même temps, comme si ses murs solides l’invitaient à redevenir faible. Il savait que la flamme était toujours en lui, mais déjà la brume la dissimulait, le menaçant d’une torpeur maladive. Il était plus que jamais conscient d’avoir des efforts constants à faire pour ne pas perdre ce qu’il avait brièvement entraperçu.

Il mangea seul, à peine, mais s’y astreignit sans se donner la possibilité de se défiler. Ensuite, il s’installa dans sa chambre, face au miroir de la penderie, posa le broc d’eau sur une chaise devant lui et entreprit de se raser. Sa barbe avait près d’un mois, elle était drue et récalcitrante, et il ne parvint pas à en venir à bout sans l’inévitable coupure. Il fut étonné, presque ému, de se retrouver. Surpris aussi, de découvrir les marques discrètes des derniers événements sur son visage, la tension dans sa mâchoire, la courbe de ses joues creusées. Il avait indéniablement vieilli, ses tempes commençaient à griser, certaines rides à s’attarder. Il s’était souvent senti jeune, trop jeune, même, ces derniers mois. Désormais, il avait l’impression que l’âge l’avait rattrapé. Qu’il pouvait prétendre à la sagesse requise pour s’affirmer là où il se trouvait. A l’instant de partir…
Une fois satisfait de son œuvre, une fois réconcilié avec son apparence, il se mit au lit. Le sommeil l’envahit sans attendre, malgré la douleur sourde qui lui accablait le dos entier, vestige de la cavalcade du matin. Il ne rêva de rien, protégé dans son cocon de marbre et d’étoffe.

Il ouvrit les yeux avant l’aube et gonfla les poumons, déterminé. Pas la moindre envie de quitter le lit. Rabattre le drap sur ses yeux. Replonger dans l’oubli tranquille. Il se leva néanmoins, se rafraîchit à l’eau glacée, retira sa tunique et passa une aube, une de ces tenues quelconques, ternes, qu’il affectionnait autrefois. Puis il gagna le couloir et bientôt le sanctuaire, encore désert, plus pour longtemps. Le ciel était gris bleuté, révélé au travers de la grande arche orientale qui s’ouvrait sur les jardins. Il s’arrêta un instant pour observer cette fin de nuit, si paisible, si glacée. Bientôt les premiers novices arriveraient, puis le reste des clercs, bientôt l’aube serait saluée…
Il ravala sa tension, dirigea ses pas vers un des bancs latéraux, sur lesquels s’asseyaient les fidèles trop faibles pour rester debout pendant la durée de l’office. A l’écart mais pas dissimulé. Spectateur simplement. En dépit du froid, il avait les mains moites. Il savait que l’angoisse allait monter petit à petit, qu’il devrait se concentrer tout entier pour y résister, pour ne pas fuir. En se plaçant vers l’avant du sanctuaire, il rendait la débandade plus difficile, c’était un artifice, mais tout était bon à prendre.
Tu en es capable, se souffla-t-il à voix basse.
Puis il attendit.

Peu à peu, les habitants du temple firent leur apparition. Les plus jeunes, d'abord, sous la houlette des clercs dévolus à leur encadrement. Les plus âgés, ensuite, du prêtre fraichement nommé au vieillard cacochyme. Certains avaient les yeux bouffis, d'autres la mine hagarde, d'autre encore semblaient souffrir de quelque étrange mal de tête. Beaucoup, pourtant, étaient éveillés : en hiver, la nuit était longue, ils pouvaient se reposer. Il en allait autrement de l'été où un coucher des plus tardif allait de paire avec un lever précoce.
Tous prirent leur place, dans un chaos apparent pourtant régi par un ordre tacite, informel. Et tous ne manquèrent pas de noter la présence de l'aubemestre à leurs côtés. Il y eut quelques murmures. Des sourires, beaucoup. Des saluts. Personne, cependant, ne vint le déranger.
Marcus, enfin, fit son apparition. Il présidait la cérémonie, en tant que suppléant d'Albérich. Le silence tomba, presque complet, sur le sanctuaire. On aurait pu entendre une mouche voler.
Puis les premières lueurs de l'aube, encore infimes, embrasèrent l'horizon.
Et les hymnes commencèrent.

Il fut forcé de fermer les yeux. Certains y virent peut-être un signe de communion plus étroite avec le ciel, avec Lathandre, mais c’était tout le contraire. Il se sentit glacé et creux, terrifié, anticipant violence et larmes alors que la lumière déferlait dans le sanctuaire, balayant les fidèles de ses doux rayons. Mais rien ne vint, sinon les voix. La puissance des chants, la subtile harmonie des timbres, du plus aigu au plus bas, du plus juste au plus hésitant. Mélange des souffles. Il n’entendit pas vraiment les paroles. Seul l’accord de ces volontés humaines s’imprima en lui, le rassérénant petit à petit, comme on berce un enfant. Il ne savait pas s’il y avait une quelconque divinité dans cette manifestation magnifique. Elle était sourde, de toute façon. Mais il y avait des hommes. Son esprit commença à papillonner de l’un à l’autre, sans les identifier, mais en les individualisant. Une jeune femme mal assurée. Un homme mur, serein mais discret. Un adolescent en train de muer. Une vieille femme transcendée. Il devina Alaric, reconnut Marcus, se laissa emplir, resta muet. La tension refluait, se glissait le long de ses jambes, dans la mosaïque du sol, pavés bleus, pavés jaunes, disparaissait quelque part dans les jardins. Il se sentit immensément calme, même si le message de la musique lui était perdu, étranger, même s’il se sentait aussi immensément seul.
Puis les hymnes se turent et il rouvrit les yeux pour regarder le ballet des clercs qui quittaient le sanctuaire et filaient petit déjeuner. Il avait réussi. Il avait peine à le croire et l’estomac au bord des lèvres. Mais il avait réussi.

Le seul a s'attarder fut Marcus. Il s'entretint avec quelques clercs venus lui soumettre requêtes ou questions puis, lorsque le dernier fut parti, il s'approcha à pas tranquilles d'Albérich. Demeura un instant près de lui, silencieux, avant de sourire.
-C'était bon de t'avoir avec nous... fit-il simplement.
Il jeta un regard sur le sanctuaire déserté. Soupira, comme s'il regrettait de devoir ennuyer son supérieur. Le fit, pourtant.
-Veux-tu déjeuner au réfectoire ? s'enquit-il. Préfères-tu que l'on t'apporte quelque chose dans tes appartements ? Et... Penses-tu que nous pourrons parler, aujourd'hui ? Cela peut encore attendre, bien sûr. Mais pas trop longtemps, je le crains.

Albérich était encore à moitié perdu dans un songe privé lorsque Marcus s’arrêta en face de lui. L’intendant ne fit aucun commentaire concernant sa mise, mais son regard parlait pour lui.
Pas l’intendant, l’aubemestre, songea Albérich.
Car Marcus s’était comporté comme tel. Il avait mené la danse, la cérémonie, avec le doigté d’un clerc confirmé, d’un homme à sa place, affranchi du doute ou de l’obséquiosité. Albérich avait craint que son cadet ne vienne s’enquérir de ses intentions, ne se dérobe à l’idée de le remplacer en sa présence, voire ne tente de le convaincre de jouer son rôle. Mais il n’en avait rien été. Marcus assumait pleinement. Les choses se ritualisaient déjà, idéalement, pour qu’il puisse se retirer sans heurts.
Albérich lui sourit.
« Je ne suis pas encore prêt pour le bain de foule. » dit-il simplement. « Mais va petit-déjeuner à ton aise. Ramène-moi quelque chose de léger, quand tu as terminé, et nous parlerons. »

-Très bien... fit Marcus. A tout de suite, alors.
A tout de suite... L'expression était particulièrement appropriée en la circonstance. Peu de temps après qu'Albérich eut regagné ses appartements, l'intendant toquait à la porte. Il avait dû déjeuner de manière expéditive. Ou simplement omettre de le faire. Dans tous les cas, il était chargé d'un plateau, de parchemins - dont certains coincés sous les bras - et semblait plutôt à l'aise dans ce rôle d'équilibriste, au point d'avoir pu frapper à l'huis alors qu'il n'avait aucune main de libre. Sans doute en était-il coutumier, passant aux cuisines, encore chargé de documents, de missives, avant de repartir manger dans son bureau... Le travail abondait pour qui dirigeait le temple.
-Ne t'inquiètes pas... dit l'intendant lorsque son supérieur jeta un coup d'oeil à la pile de parchemins qu'il était en train de poser sur la table. Les trois quarts ne nous serviront pas, et je n'aborderai aujourd'hui pas la moitié des sujets dont nous devrions discuter dans l'absolu... On va y aller doucement, pour une première séance... Et il y a des choses urgentes à régler en priorité.

Albérich le laissa s’installer sans faire de commentaires, hésitant entre lui couper la parole pour lui faire part de ses dernières résolutions et l’inviter à commencer. Il opta finalement pour la seconde solution. Marcus avait l’air dans de bonnes dispositions et il ne voulait pas le brusquer en se montrant trop rude d’emblée. Il ne savait pas non plus ce dont l’intendant voulait l’entretenir et s’il avait parlé avec Alaric et Tallad. Albérich avait trouvé une lucidité imprévue chez ses compagnons de route, il n’était pas impossible que Marcus lui aussi en ait compris, ou en sache, bien plus que ce qu’il pensait a priori. Il se pencha donc sur le plateau, y prit une pomme et entreprit de la peler, attendant que l’intendant engage les hostilités.

Marcus, comme de coutume méticuleux et organisé, rangea ses parchemins dans un ordre précis, déroula l'un d'entre eux, tira d'une de ses poches des plumes taillées et un encrier, puis, avant de prendre la parole, consulta quelques notes rédigées à l'avance.
-Bon, je propose que nous commencions par le plus urgent... C'est à dire ce Noir Dessein. J'ai discuté avec Alaric et Tallad. Je sais donc ce dont il est capable, ce dont il est coupable. Pour l'heure, il est dans nos murs, sous bonne garde. Mais cela ne pourra plus durer très longtemps. Le Fort va apprendre son existence... s'il n'est déjà au courant. Et nous le réclamer. Si nous le leur donnons, il y aura une enquête, des interrogatoires, un procès. Et tu seras sans doute amené à témoigner... Mais je ne vois pas comment le garder, comment traiter cette affaire nous-mêmes... Instaurer un tribunal religieux, ça serait bien une première... Mais toi, as-tu des idées, des désirs particuliers, concernant cetta histoire ? Il me semble que, légitimément, tu as ton mot à dire. Et je doute que le Fort t'écoute, malheureusement.

C’était évidemment un point épineux et Albérich était à la fois soulagé et embarrassé que Marcus l’ait abordé d’emblée.
« Le Fort ne m’écoutera peut-être pas, mais jusqu’à nouvel ordre, nous avons un système judiciaire à Luménis, et je pense que nous devons en remettre à lui. Je connais bien la juge Garnell, c’est quelqu’un que tu pourrais contacter en priorité. Elle est intègre et elle pourrait tenir tête à Maelwedd… si c’est possible. Il n’y a pas de raison que ceci soit géré par une cour militaire. Aucun des leurs n’a été impliqué ou lésé. »
Noir Dessein tiendrait peut-être un autre discours devant ses juges.
« Cependant… »
Il s’interrompit et sentit la faiblesse qui le guettait reprendre ses quartiers dans sa carcasse.
« La vérité est que je ne suis pas en état, pour l’instant. » murmura-t-il. « Ni en état que ces choses soient déballées au grand jour, ni en état de faire face au Sharite. »
Il poussa un profond soupir, se massa un instant les yeux du bout des doigts. La lassitude était prompte à revenir le hanter.
« Je n’en suis pas capable. » souffla-t-il, esquissant un faux sourire, maladroit, pour atténuer son trouble. « Il faudrait voir avec Garnell s’il est possible de reporter… et que les choses se passent à huis clos. »

Marcus grimaça.
-Le souci, c'est que Maelwedd, lui, va considérer que cette histoire doit être jugée par une cour militaire. Parce que les Sharites s'en sont pris à Luménis, à travers toi. Ils ont osé s'attaquer non seulement l'aubemestre, mais à l'un des membres du Conseil. Ce qui constitue une atteinte à la sûreté de l'État... Je ne suis pas juriste, mais nul doute que Maelwedd jouera là-dessus, argumentera pour que ce soit l'armée qui instruise le procès. Point positif, avec eux : l'audience ne serait certainement pas publique.
Il soupira.
-Ce serait le seul point positif, ceci dit... Parce qu'ils ne te ménageront pas, eux... Enfin, dans tous les cas, je vais contacter dès aujourd'hui cette juge. Elle sera en mesure de me dire quels contre-arguments opposer au général, quelle forme pourrait prendre ce procès. Et bien sûr, je verrai avec elle s'il est possible d'en retarder l'organisation... De faire ça discrètement. Tu peux compter sur moi à ce niveau là.

Albérich se frotta les joues des deux paumes, surpris de les retrouver glabres, et poussa un nouveau soupir. Il ne comprenait pas bien pourquoi Maelwedd, qui avait mille autres chats à fouetter, aurait voulu à tout prix se mêler de ce procès. Bien sûr, il était particulièrement soucieux de l’intégrité de la ville et voulait qu’elle renvoie l’image d’une structure forte et inébranlable, apte à faire face à la moindre menace. En cela, il avait intérêt à ce que Noir Dessein soit jugé… mais publiquement. L’autre explication était que l’armée avait quelque chose à cacher et un désir particulier d’étouffer l’affaire ou son témoin.
Il frissonna. Si Maelwedd avait voulu l’écarter, il aurait pu recourir à d’autres moyens, moins alambiqués. Un coupe-jarret en maraude aurait suffi pour lui trancher la gorge. Les Sharites avaient tout intérêt à semer la zizanie au cœur du gouvernement luménien, il ne fallait pas tomber dans leur piège.
« Inutile de faire des plans sans savoir à quoi nous en tenir. » dit finalement Albérich. « Essaie de voir Garnell quand tu as le temps. Vois ce qu’elle dit. Nous aurons peut-être de quoi faire un compromis avec Maelwedd. Et si passer par l’armée peut nous garantir le silence… Peut-être n’est-ce finalement pas si mal. »
Il leva les yeux sur l’intendant.
« Mais il ne faut pas que cet homme reste entre nos murs trop longtemps. Il ne doit pouvoir nous tenter d’aucune manière et je sais ce dont il est capable. »

La Couronne de Cuivre

[Temple] Le Sanctuaire de Lathandre

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