La Couronne de Cuivre

-Il n'est pas impossible qu'il ait un très bon sens de l'orientation.
Il eut un sourire amusé.
-Ou bien il pense savoir où ça se trouve mais va se perdre !
Quoi qu'il en soit, et même s'il pensait pouvoir regagner leur tente, il préféra s'en remettre à leur guide : autant ne pas perdre le peu de temps qui les séparait du repas.

Victor avait pris la bonne direction et Naiara lui emboîta donc le pas, Taliesin et Baptiste dans son sillage. Autour d'eux, les gens vaquaient à leurs occupations quotidiennes, qui n'étaient somme toute pas très différentes de celles de villageois ordinaires. Davantage de personnes travaillaient le cuir, peut-être, mais au-delà de ça, aucune des activités qu'observa Taliesin n'était étrange.
Quand ils atteignirent la tente, Victor était déjà en train de s'y changer.
" Je peux continuer à vous guider pendant que les enfants jouent, si vous le désirez." dit la jeune femme à l'intention du barde.

-Pourquoi pas ? répondit-il.
On ne pouvait pas dire que sa compagnie soit désagréable, loin s'en fallait.
-Toutefois, je ne voudrais pas vous accaparer. Peut-être nos compagnons de voyage aimeraient-ils, eux aussi, vous avoir comme guide au sein du camp...

" Chacun de nos hôtes a son guide, ne vous en faites pas. Et c'est mon rôle... Je l'accomplis avec plaisir."
Victor et Baptiste s'étaient changés et reparurent.
" Bon, je vous mène à nos enfants, et puis je vous conduirai aux feux." ajouta-t-elle à l'intention de Taliesin.
Ils repartirent à travers le camp jusqu' à atteindre un espace dégagé où jouaient une bande de gamins entre quatre et douze ans. Quelques adultes les supervisaient d'un oeil distrait. A peine arrivé, Victor détala vers les garçons qui semblaient avoir son âge. Baptiste se tourna vers le barde.
" Je vais le surveiller."

Il sourit.
-Pense quand même, aussi, à t'amuser ou au moins à te distraire, répondit-il en lui adressant un clin d’œil.
Tout en se tournant vers leur guide, il songea que, seulement quelques jours plus tôt, Baptiste aurait peut-être hésité avant de s'éloigner de lui... Mine de rien, le voyage commençait à produire les effets escomptés.

Naiara l'accompagna ensuite vers l'intérieur du camp et l'endroit où se dressaient les feux sur lesquels les animaux terminaient de rôtir. Il y avait déjà une certaine effervescence et de nombreux nomades saluèrent Taliesin alors qu'il s'approchait. L'odeur était particulièrement délicieuse et son estomac se mit rapidement à gargouiller. Un homme lui tendit une brochette sur laquelle se trouvaient de tous petits oiseaux dorés.
" C'est un amuse-gueule, dit-elle. Il ne faut pas les dépiauter, les os craquent sous la dent."
Elle sourit.
" Je crains que notre régime soit très carnivore... J'espère que vous n'y verrez pas d'inconvénients."

Il sourit, amusé.
-Vous savez, tous les elfes ne sont pas herbivores. En ce qui me concerne, ce serait même plutôt l'inverse : j'ai un faible pour la viande. Vous ne devez donc pas vous en faire : le menu est des plus susceptibles de me plaire.
Il jeta un regard circulaire sur les environs.
-Comment l'accueil des voyageurs se passe-t-il, quand votre tribu se déplace ? La compagnie de coche modifie-t-elle son itinéraire ? Des installations restent-elles en place ici ?

" Nous restons ici pendant environ un mois, et pendant ce temps-là, nous accueillons des visiteurs. Après... J'imagine qu'ils campent : c'est un bon site, avec le point d'eau... ou alors ils poussent vers un des villages plus à l'est... Je n'en sais rien, je dois dire. C'est la quatrième année que nous le faisons, seulement. Et il vient un coche par jour, dans chaque sens. Ça fait une dizaine d'invités par jour."
Elle haussa les épaules. Les petits oiseaux étaient laqués au miel, délicieux, et croustillants sous la dent.
" Je ne sais pas s'ils ont des arrangements avec d'autres tribus."

-Pour être honnête, je n'imaginais même pas qu'il existait de tels accord. Mais c'est une solution très intelligente. Et agréable pour les voyageur, en tout cas en ce qui me concerne. C'est une belle surprise.
Là encore, en partant de chez lui, il ne s'était pas attendu à cela.
-Si ce n'est pas indiscret... reprit-il. Que faites vous lorsque vous n'officiez pas comme guide ?

" Oh, je suis chasseuse, principalement. Je donne des cours de pistage aux enfants. Et j'ai une certaine expertise dans la réparation des toiles de tente. Quand nous croisons d'autres tribus ou que nous venons camper près des villages ou villes en dur, je participe aux négociations commerciales. Un peu de tout, en somme, en fonction des besoins."
Elle sourit.
" Et vous ? Que faites-vous quand vous ne voyagez pas sur les routes ?"

" Barde ? C'est un beau métier. J'espère que vous apprécierez nos musiciens, tout à l'heure... Ce sera de la musique de la Trouée, très spécifique... et très différente de la musique elfique, de ce que j'en sais. Nous sommes plutôt versés dans les polyphonies... Nos bardes ne sont jamais solitaires."
Baptiste surgit soudain à côté de l'elfe et lui prit la main. Il lui jeta un regard embarrassé.
" Ça ne gêne pas, si je reste avec toi ?"

Mince, que c'était-il passé pour que le petit garçon revienne si vite et ait besoin de lui tenir la main ? Il faudrait qu'il le lui demande. Mais cela attendrait un mment opportun.
-Cela ne gêne pas du tout, mon grand, dit-il.
Après lui avoir dédié un sourire qu'il espérait réconfortant, il se tourna vers Naiara.
-Je connais la musique elfique mais par la force des choses, je ne m'y cantonne pas. Ayant été élevé par des humains, ayant beaucoup voyagé, j'ai découvert et pratiqué beaucoup de styles divers... Je suis donc très curieux d'entendre le vôtre.

" Ne vous inquiétez pas, vous ne pourrez pas y échapper !" dit la jeune femme en souriant.
Elle jeta un regard inquiet vers Baptiste, puis revint au barde. Apparemment, elle trouvait également son retour précipité pour le moins surprenant. Mais elle se garda bien de poser la moindre question.
" Si vous voulez aller vous installer... Nous mangeons assis sur les peaux tannées... C'est rustique mais pas inconfortable en cette saison. Au menu, du buffle de la Trouée. Ce sont les bêtes que nous élevons. Je pense que vous n'aurez jamais rien goûté de meilleur."

Il décida de prendre le taureau par les cornes et de lui poser la question qui le tarabustait. Ce n'est pas lorsque Victor serait revenu qu'il pourrait le faire, après tout.
-Est-ce qu'il s'est passé quelque chose pour que tu reviennes aussi vite ? s'enquit-il d'un ton descendu, pour montrer qu'il n'entendait pas faire une montagne de l'incident. Quelqu'un t'aurait-il embêté ?

Baptiste grimaça.
" Non, non, pas du tout, vraiment, mais..."
Il eut un geste circulaire.
" C'est un peuple... cavalier, tu vois. Ils ont proposé à Victor d'aller monter à cheval. Il était enthousiaste, c'est normal. Moi, j'ai préféré... prendre la tangente tant que c'était encore possible."
Il haussa les épaules.
" Désolé. J'espère que ça ne te gêne pas que je sois dans tes pieds. Tu peux faire comme si j'étais pas là."

Il leva les yeux au ciel, songea à lui dire très sérieusement que sa présence ne le dérangeait en rien mais... préféra opter pour une autre tactique.
[color=#FFFFF66]-Je voudrais bien mais... je n'y arrive pas : impossible de t'ignorer quand tu es là. C'est fou comme tu prends de la place même quand tu te fais tout petit, même quand tu ne dis rien... Et pourtant, les dieux savent que j'aimerais parvenir à faire comme si tu n'étais pas là. C'est vrai, quoi : tu me déranges terriblement à chaque fois que tu t'approches à moins d'une lieu de moi... Et pourtant, je ne proteste pas. Je dois aimer souffir, je ne vois pas d'autre explication.[/color]

Baptiste le dévisagea avec stupeur et pendant un moment, il sembla à Taliesin qu'il allait prendre sa tirade au premier degré et éclater en sanglots. Mais il finit par comprendre que le barde était ironique et il s'empourpra, avant de se renfrogner et de lorgner ses genoux.
" C'est pas drôle. Ça arrive d'avoir envie d'être seul. Je pensais que, peut-être... tu aurais pu vouloir un peu de tranquillité. Ou avoir des conversations d'adultes. Ce genre de choses."

Il grimaça, subitement très embarrassé.
-Pardon, Baptiste : je n'aurais pas dû plaisanter. Mais voilà, j'aimerais tellement que tu te sentes enfin à l'aise avec moi, que tu n'aies plus cette impression constante de me déranger, alors que ce n'est nullement le cas...
Il posa une main sur son épaule.
-Écoute, voilà ce qu'on va faire. S'il devait arriver que, pour une raison ou pour une autre, je préfère rester seul ou avec seulement des adultes, je m'engage à te le dire. Si je ne dis rien... C'est que tu ne me dérange pas.

" Tu ne feras jamais ça : tu es bien trop gentil et trop inquiet de me blesser, dit le garçon, candide. Tu crois que j'ai peur du rejet. Tu n'as pas tout à fait tort, je ne suis pas complètement... tranquille, toujours. Mais tu ne diras rien. Je devrai le deviner à la manière dont tu fronces les sourcils, dont tu tords légèrement le coin gauche de ta bouche... Mais je suis bon, à ce genre de choses. C'est une des rares choses utiles que j'ai appris en Dorrandin."

-Sauf que ça t'oblige à tout le temps guetter, à tout le temps m'observer pour savoir si oui ou non tu me déranges... Ce n'est pas une solution.
Il sourit.
-Et je crois que tu te trompes, me concernant. Si tu me dérangeais vraiment, je te le dirais. J'y mettrais les formes, bien sûr, parce que je suis conscient que tu n'es pas tout à fait tranquille. Mais... Je le dirais. Quitte à ce qu'on en discute ensuite pour que je m'assure que tu ne l'as pas mal pris.

" Quand on a appris les signes, on n'est plus tant sur le qui-vive. On les repère vite et on agit en conséquence, dit-il. En plus, manquer les signes... Ce serait loin d'avoir des retombées dramatiques. J'en prendrais conscience un peu plus tard, au ton de ta voix, à ton choix de mots... Rien de dramatique."
Il sourit.
" C'est important, de savoir quand on dérange, non ? C'est moins humiliant que de se l'entendre dire."

" Je trouve que c'est deux choses différentes... Baisser sa garde, percevoir quand on dérange... Ce n'est pas antithétique. C'est juste lire les gens. On lit tous les gens. Mais certaines émotions sont plus subtiles, moins faciles à détecter."
Il haussa les épaules.
" Bref, c'était pas le principal. Tant mieux si je ne te dérange pas."

-De fait, tu ne me déranges pas le moins du monde, bien au contraire.
Il faillit le serrer contre son flanc mais renonça, par peur de l'embarrasser.
-Est-ce que tu as des envies particulières pour la soriée ? Hormis déguster la cuisine et écouter les polyphonies de nos hôtes ?
Victor devait être aux anges, a chevaucher avec les autres gamins : ce serait donc bien si Baptiste, lui aussi, pouvait pleinement se distraire.

" Non, dit-il. Ça fatigue, mine de rien, de ne rien faire. Mais... peut-être... je crois que si le ciel est beau, j'aimerais profiter des ténèbres pour regarder les étoiles. A Luménis, avec tous les bâtiments, on n'a jamais de vraiment beaux ciels... Dans le parc, il y a quelques beaux coins, mais ici... ça va être fantastique, le ciel qu'on aura, s'il reste dégagé... Evidemment, le soleil n'est pas encore prêt de se coucher... Mais je crois que j'arriverai à attendre... Tu pourrais me dire comment on appelle les constellations classiques sous d'autres latitudes. Ça m'intéresserait."

-Vendu !
De toute façon, ce ne serait pas un problème même s'ils se couchaient tard : ils pourraient dormir dans le coche le lendemain.
-Si tu veux, je pourrais aussi te parler des différentes propriétés astrologiques des planètes et des constellations qui s'offriront à nos regards, ajouta-t-il sur le ton de l'humour. J'ai révisé tout ça récemment, autant que ça serve !