[Lieu] Mine pénitentiaire de Gargouille

[Galathée]

Victor leva la tête, s'essuyant les yeux d'un bras maladroit, puis pinça les lèvres, comme pour réprimer un sanglot. Il sembla d'abord ne pas vouloir bouger, contemplant l'elfe avec une détresse visible, mais sans parvenir à quitter la sphère d'influence du petit brasier.
Puis soudain, avec la vivacité d'un chat, il traversa la grotte, franchit les quelques mètres qui les séparaient et se blottit contre lui, évitant son bras blessé mais moins son flanc bleuâtre, ce qui arracha une grimace de douleur à Taliesin. Victor éclata en sanglots douloureux contre sa poitrine.
" Je... Je n'aime pas quand tu as mal..." finit-il par articuler entre deux sanglots. " Et j'ai peur... Et je voudrais que tu ailles mieux..."

[Taliesin]

Le barde ouvrit la bouche. La referma sans qu'il en sorte un son. Puis, doucement, entoura l'enfant de son bras valide. Ce n'était pas exactement une étreinte protectrice. Trop frêle, trop tremblante. Mais c'était tout ce qu'il pouvait lui offrir.
-Mais je vais mieux, bonhomme, et grâce à toi... murmura-t-il. Les plantes m'ont déjà fait du bien, tu as eu raison de t'en servir ainsi. Tu as réussi à les identifier, ce que je n'aurais pas su faire. J'ai eu mal, oui, mais je ne sens presque plus rien, à présent. En tout cas, c'est bien mieux que ça ne l'a été tout aujourd'hui.
Il soupira.
-Demain, je serai peut-être capable de me jeter un sort de soin. Voir deux. Et après-demain... Nous pourrons peut-être repartir comme si de rien n'était. Il nous suffit juste d'être patients. Mais, encore grâce à toi, nous avons du bois, nous avons de quoi manger... Tu te débrouilles admirablement bien, Victor. Sans mentir. Tu m'as sauvé la mise. La vie, sans doute. Alors n'aies aucune crainte : sous peu, je serai remis.
Il lui ébouriffa les cheveux.
-On ferme une bonne équipe, je crois. Gal sera fière de nous.

[Galathée]

Victor releva des yeux humides sur lui, à moitié convaincu, et l'observa à la lueur des flammes. Il passa un doigt sous son nez pour y recueillir les larmes qui s'y promenaient. Il se mordit la lèvre, puis essaya d'acquiescer, mais la détresse le reprit d'assaut et il fut secoué de quelques sanglots silencieux.
" J'espère que ça va marcher... J'en ai gardé, tu sais. Pour demain matin, qu'on recommence... Parce que c'est quand même moche... Moi je suis pas comme Galathée, j'ai horreur de ça... Je me dis... Je devrais peut-être essayer de recoudre... Ou de couper les morceaux qui sont en train de devenir sombres... Mais je n'y connais rien... J'aimerais bien qu'elle soit là... Elle saurait quoi faire, elle. Avant, tu as aussi été blessé, et elle t'avait soigné. Mais j'ai pas fait assez attention... Je ne fais jamais assez attention... Pourtant je devrais savoir, avec le temps, que les choses peuvent mal tourner, qu'il faut se parer pour les éten... étenvuali... éventualités."
Il soupira.
" Peut-être qu'on devrait vraiment demander de l'aide à quelqu'un, tu sais... Juste demander... Je pourrais dire que c'est pour mon chien..."

[Taliesin]

Taliesin secoua doucement la tête.
-Et l'on te demanderait ce qu'un enfant fait dehors, seul, en plein hiver. Où peuvent bien être tes parents. Et l'on voudrait te suivre, sans doute... Non, Victor, tant que nous serons de ce côté des montagnes, nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes.
Brièvement, il serra le petit garçon contre lui.
-En tout cas, tu ne dois te faire aucun reproche. Tu as horreur du sang, des blessures ? Tu t'en occupes malgré tout, sans rechigner. Et pour quelqu'un qui n'écoute jamais, je trouve que tu sais des tas de choses. Et je n'évoquerai même pas le lion que tu as terrassé... A franchement parler, quand j'avais ton âge, j'aurais été incapable de faire le quart de ce que tu fais, toi. Alors non, tu ne dois rien te reprocher. Rien de rien. On veille l'un sur l'autre, chacun dans la mesure de ses moyens. Et les tiens m'étonnent chaque jour davantage.
Le barde se fendit d'un sourire rassurant.
-Pour les plantes, je ne te raconte pas d'histoires, tu sais. J'ai moins mal, vraiment. On va laisser passer la nuit. On en remettra, demain, au besoin. Puis j'essaierai de lancer un sort de soin. J'y arriverai, quitte à y passer la journée. Quand ce sera chose faite... Tout ira mieux. Il me faudra juste du repos. J'en profiterai pour te dire tout ce que je peux, sur l'endroit où il faudra commencer à chercher Galathée, sur les gens que nous allons voir, dans la Lorien. Nous parerons au maximum d'éventualités, et nous ne nous laisserons plus surprendre.

[Galathée]

Victor semblait peu convaincu, mais il acquiesça quand même, avant de retourner jeter une brassée de bois dans le feu. Il prit ensuite sa couverture et vint s'installer près du barde, veillant, cette fois, à ne brusquer ni son bras en charpie, ni son flanc tuméfié. Il décocha un dernier petit sourire, vaillant, à l'elfe, puis se pelotonna sous la laine et s'immobilisa. Taliesin eut l'impression qu'il peinait à trouver le sommeil, mais sa respiration régulière finit par emplir l'air un peu brumeux de la grotte, alors que les flammes crépitaient de plus belle.

[Taliesin]

Bien qu'il fût demeuré inconscient une bonne partie de la journée, le barde se sentait épuisé, et la douleur qui émanait de son bras, modérée mais bien réelle, ne semblait pas suffisante pour repousser le sommeil qui déjà le menaçait. Il rechignait à dormir, pourtant. Le souvenir de l'assaut dont ils avaient été victimes la veille était cruellement présent, tangible. Baisser à nouveau la garde, se fier encore à la chance, c'était une absurdité. Il devait rester vigilant, veiller, se déplacer tant bien que mal pour alimenter le feu...
C'était ce qu'il devait faire, oui. Malheureusement, il s'en savait incapable. Garder les yeux ouverts tenait de plus en plus de l'exploit. Il tenta de se concentrer sur le feu, les ombres dansantes, la pierre froide sous sa main. La respiration tranquille de Victor. Tenta de fixer son esprit sur ce qu'il devrait lui enseigner, les précautions qu'il faudrait prendre, les choses à écrire pour que le gamin soit à l'abri d'un trou de mémoire...
Son esprit se mit peu à peu à dériver, sans qu'il y prenne vraiment garde. IL songea au lion, à son dépeçage sauvage. Se sentit horriblement coupable des pensées qui l'avaient traversé alors qu'il observait l'enfant. Il ne devenait pas un monstre, non. Il réagissait à sa manière à tout ce qu'il subissait, tentait de faire face, de son mieux. Comment aurai-il réagi, lui, à son âge ? IL préférait ne pas l'imaginer... Il n'aurait pas tenu bon, probablement.
Il pensa à Galathée, retenue quelque part, soumise à un châtiment dont il ne savait rien, toujours. Qu'on lui infligeait à cause de lui, encore. Mais se sentir coupable n'aiderait à rien, sinon à lui couper les jambes, à drainer ses forces. Il devait serrer les dents, faire taire les émotions douloureuses qui le menaçaient. Aller de l'avant, pour la retrouver, la serrer dans ses bras. Lui ramener son fils sain et sauf. Pour qu'elle soit fière d'eux. Qu'il soit digne d'elle...
Et alors tout reprendrait. Une vie tranquille, loin des ténèbres...
Avant qu'il ne s'endorme tout à fait, il revit une clairière, une chaumière au milieu des bois, les rayons d'un soleil estival se reflétant sur l'aube pure d'une rivière...
Et, malgré lui, il sourit.

[Galathée]

Les mésaventures de la nuit précédente ne se répétèrent pas, mais c'est néanmoins la douleur qui réveilla Taliesin, irradiant depuis son bras lacéré, en ondes qui colonisaient son être entier. Victor était déjà debout et le regardait, accroupi, en rongeant un morceau de pain. Apparemment, il avait réussi à invoquer le petit déjeuner sans son aide. Dehors, il faisait jour.
" B'jour." dit-il en croisant le regard de l'elfe. " Si tu as le courage, on devrait recommencer le traitement sur ton bras. Sauf si tu veux manger d'abord..."
Il eut une grimace.
" C'est infecté."
Baissant les yeux sur sa main droite, Taliesin put constater que celle-ci avait pris une couleur rouge sombre de mauvaise augure. Difficile de savoir si la situation aurait été pire sans la potion. Peut-être. En tout cas, il était incapable d'en mouvoir les doigts.

[Taliesin]

Taliesin lui sourit d'un air dégagé.
-D'abord l'effort, après le réconfort. Hier, ça m'a fait beaucoup de bien...
S'il avait pu dire le fond de sa pensée, il aurait révélé à quel point il était inquiet. Le soulagement que lui avaient apporté les plantes lui avait fait penser que les choses iraient mieux. Or, elles allaient de mal en pis. L'infection avait gagné sa main... Et pouvait encore s'étendre. Si en plus la gangrène s'en mêlait...
Il frémit. S'efforça de sourire, toujours. Victor n'avait pas besoin d'être inquiété. Et lui voyait toujours tout en noir...
-Allons-y, alors... fit-il en retirant tant bien que mal ses bandages. Mais je peux m'en charger moi même, tu n'es pas obligé de regarder...
Victor secoua la tête, Il avait raison, bien sûr : il serait bien plus efficace... L'elfe s'allongea donc, ferma les yeux, serra les dents...
Et affronta la douleur. Aussi effroyable que la fois précédente. Pire, peut-être. Et, une fois encore, elle le laissa amorphe, au bord de l'épuisement...
Et si en plus le traitement était inutile...
Ne pas penser... A cela et à tant d'autres choses...

[Galathée]

Mais la douleur reflua, comme la veille, peut-être un rien plus vite. Victor demeura près de lui, cette fois plus stoïque, même si son visage reflétait une tension extrême. Taliesin sentit qu'il touchait sa main engourdie et gonflée, qu'il en dépliait les doigts, mais les sensations étaient diffuses, déformées, insupportables et à peine perceptibles en même temps. L'enfant plissa les yeux, grimaça, puis dévisagea Taliesin.
" J'ai l'impression que ça va un peu mieux. Ce n'est pas facile à voir dans la pénombre, comme ça. Quand tu t'en sens la force, peut-être que ce serait bien que tu viennes à la lumière... On pourra mieux voir. C'est pas guéri, c'est sûr, mais peut-être que j'ai été trop économe avec la dose hier soir. J'ai mis le double maintenant. Si on recommence tout à l'heure et ce soir... On devrait voir la différence, j'en suis certain. C'est rien que des bonnes plantes, tu sais, je me souviens maintenant de celle qui pue, c'est cicatrisant, normalement."
Il eut un brave sourire, réconfortant.
" Ça risque juste de prendre du temps."

[Taliesin]

Il acquiesça.
-On prendra le temps qu'il faudra;.. fit-il d'une voix mal assurée.
Il avait beau faire entièrement confiance à Victor, le fait que l'infection se soit répandue l'inquiétait fortement. Cela venait peut-être d'une dose trop faible, effectivement. Ou d'une inefficacité totale des plantes. Leur but était peut-être simplement d'apaiser la douleur. Ou de lutter contre des plaies superficielles...
Tu verras bien, de toute façon. Inutile de te perdre en conjectures : les heures t'apporteront la réponse.
Lorsqu'il se sentit un peu mieux, il entreprit de se traîner vers un endroit plus lumineux. Ses jambes tremblaient, sa tête tournait, et il dut s'appuyer lourdement contre les rochers pour y parvenir. Et lorsque se fut chose faite, il se laissa retomber, avec la sensation d'être déjà épuisé.

[Galathée]

Victor lui déposa un bol de gruau sur les genoux et le dévisagea avec une malice un peu inquiète. Il cherchait à plaisanter sans en avoir vraiment le coeur. Il avait mis du miel et des fruits secs dans la mixture, et glissa d'autorité la cuillère dans la main gauche de Taliesin. Il entreprit ensuite de défaire le bandage, lentement, doucement, avec soin, et observa les plaies à la lumière, songeur. L'effet analgésique de la potion continuait de faire de l'effet, l'elfe ne sentit pas grand chose. Victor s'arracha à son inspection quelques minutes plus tard, resserra les bandages, sourit doucement.
" Je pense que ça serait pire sans. Il y a des endroits infectés, mais à d'autres, ça a l'air normal... Mais je ne suis pas expert."
Il grimaça.
" En tout cas, c'est pas joli !"

[Taliesin]

Taliesin lui sourit à nouveau.
-Oh, tu sais, dans le pire des cas, on coupera tout le bras. Ce ne serait pas grave : c'est bien connu, les elfes sont comme leurs cousins trolls, tout ce qu'on tranche, ça repousse !
Plaisanter sur une éventualité qui pouvait bien leur tomber sur le coin de la figure à un moment ou à un autre n'était peut-être pas très malin. Quoi que... Mieux valait en rire qu'en pleurer, non ?
Il s'efforça en tout cas de se donner les apparences d'une humeur joyeuse et entreprit d'avaler son petit déjeuner. Il avait faim, indéniablement, malgré sa gorge sèche. Et la qualité de la cuisine invoquée par le pipeau ne se démentait pas, ce qui ne gâchait rien...

[Galathée]

Quand Taliesin eut fini de manger, Victor retourna à sa carcasse de lion. Il n'en restait que la peau et les os, et il les tira devant le barde, tout en surveillant sa mine pour être certain qu'il ne tournait pas de l'oeil.
" Bon, la peau, j'vais la frotter, je pense, avec un caillou, c'est comme ça qu'on fait, non ? Mais pour les os... Tu crois qu'on peut sauver quelque chose d'utile ?"
Le lion avait été de bonne taille et certains de ses os étaient assez longs, même si dans l'ensemble, c'était un animal léger.

[Taliesin]

L'elfe opina du chef. Décidément, Victor gardait la tête sur les épaules;..
-Oui, je crois que c'est comme ça qu'on fait, pour la peau... Quant aux os, et bien... On pourrait en garder certains pour faire des pointes de sagaies ou de flèche, voir... Je ne sais pas, une sorte d'épieu. Avec les plus grands.
Comme les peuplades du nord... Comme dans les temps anciens...
-On peut aussi prendre le crâne pour se faire un casque ! ajouta-t-il, amusé. Ou les dents pour un collier. On aura l'air tellement effrayants que les gens s'enfuiront sur notre passage...
Pas besoin de cela. Il suffirait qu'ils lisent l'inscription sur son collier...
Mais mieux valait ne pas songer à cela. Plaisanter était une approche bien plus constructive...

[Galathée]

" Moi, j'vais juste mettre la peau sur ma tête. Si tu veux jouer au vieux shaman plein d'osselets, c'est ton problème !" s'exclama-t-il. " En plus, vu qu'on n'a pas vraiment de moyen de bien les faire tremper... ça promet, la charogne !"
Victor entreprit donc de racler la peau de son mieux, avec détermination, mais abandonna au bout d'une demi-heure, éreinté. Il palpa les muscles frêles de ses bras avec consternation.
" La compagnie des freluquets..." commenta-t-il.
Puis il sourit à Taliesin.
" Petite pause. Tu n'avais pas dit que tu avais des choses à me raconter ?"

[Taliesin]

-Des freluquets ? Tu me vexes profondément, Victor. J'ai pourtant pris du muscle, en travaillant à la mine ! J'ai l'impression d'avoir le profil d'un barbare, désormais !
Son sourire disparut comme il se concentrait. Rassemblait les éléments qu'il devait transmettre à l'enfant.
-Et oui, j'ai des choses à te raconter... Ce n'est pas bien long, rassure-toi. Ce sont juste des choses que tu dois savoir, toi aussi. Si tu veux, je te les noterai quelque part...
Il soupira, tenta de sourire à nouveau.
-D'abord, il faut que tu saches où nous allons. Mélégorn m'a conseillé de franchir les montagnes, d'aller plein ouest, de trouver la rivière qui traverse la Lorien. Jusqu'à une cité elfe nommée Loth Imarhil. Nous devons y demander Halderion Polfinn. Si nous lui remettons ce qu'a écrit Mélégorn à son intention, après en avoir déchiré la dernière page, il devrait nous aider.
L'ensorceleur en avait l'air sûr. Lui ne pouvait s'empêcher d'en douter.
-Quant à Galathée... Ils l'ont laissée chez la soeur de Gabrile Kanter, dans un petit village près de Luménis. Le village s'appelle Fernell. Et la maison... est assez cossue, d'après ce que je sais. Ils l'auront sans doute amenée ailleurs, mais c'est là qu'il faudra commencer les recherches.

[Galathée]

Victor écouta le barde avec attention, les bras repliés autour de ses jambes, concentré. Il grimaça cependant au fur et à mesure que le barde citait les noms et les directions.
" Faudra que tu me rappelles tout ça." murmura-t-il. " Je n'ai pas d'oreille pour les Lortil Eladrion, ou je ne sais quoi."
A la mention de Galathée, il se rembrunit et son expression se fit plus déterminée.
" Taliesin... Tu as pensé... S'ils ont prévenu Gabriel Kanter de ton évasion... Il va sûrement savoir où nous allons, non ?"

[Taliesin]

Il grimaça.
-Oui, j'y ai pensé... murmura-t-il. Je ne pense pas qu'il lui fera de mal à cause de mon départ. Mais il se peut qu'il nous tende un piège. Il faudra donc être prudent... La solution serait sans doute de demander de l'aide aux autorités luméniennes, mais... Il se peut qu'il les ait prévenues. De ce que j'étais. Auquel cas...
Il secoua la tête.
-Mais ça n'a pas la moindre espèce d'importance. S'ils veulent m'emprisonner tout en acceptant de rechercher Galathée, qu'ils jugeront innocente, eux, je suis prêt à l'accepter. Que vous deux soyez saufs et en sécuré, c'est tout ce qui compte, pour moi.

[Galathée]

Victor parut se contenter de cette explication, hochant la tête, pensif, aux paroles du barde.
" C'est dommage qu'on leur a pas tout de suite dit ce qu'il en était, peut-être. Tu sais, avec Lathandre, tout ça, ils auraient peut-être compris. Même si..."
Il s'interrompit, un sourire barra son visage.
" Ça n'a pas d'importance. Je vais retourner chercher du bois, d'accord ? Si tu as faim, il y a encore une pomme près du feu, et des pommes de terre froides de hier soir, que j'avais fait griller. Et l'eau est là. Tu t'en sortiras ?"

[Taliesin]

-Je crois que oui...
Il songea à lui demander de rester. Y renonça presque aussitôt.
-Sois prudent, d'accord ? fit-il cependant. Ne t'éloigne pas trop. Surveille les alentours, qu'il n'y ait personne. Sois discret...
Le barde sourit, un peu penaud.
-Excuse-moi. Je sais bien que tu feras tout ça, je n'ai pas besoin de te le rappeler... Je garde la grotte en t'attendant. Si je m'ennuis, je ferai des peintures rupestres. Avec les ossements, la peau de lion, ça fera un tableau parfait, je crois.

[Galathée]

Victor lui tira la langue.
" Tu es barde, pas peintre, souviens-toi. Je ne veux pas faire de cauchemars." rétorqua-t-il, guilleret.
Puis, avec un dernier sourire tranquille, il se faufila hors de leur repaire.

Après un certain temps, l'elfe l'entendit revenir une première fois, jeter une brassée de bois sur la neige, à l'extérieur de la grotte, et s'éloigner à nouveau. Il devinait sa silhouette au travers du mur translucide de glace qu'il avait érigé, forme déformée, maigre et sombre, en mouvement. Mais il repartit donc, probablement peu satisfait d'une première récolte qui ne durerait pas la nuit.
En effet, leur feu était mourant, il ne restait plus grand chose pour l'alimenter, sinon des esquilles et des morceaux d'écorce, qui étaient tombés des branches utiles. Les braises diffuseraient une chaleur bienvenue pendant encore un certain temps, Taliesin ne risquait pas de geler dans les prochaines heures, mais des réserves leur garantiraient à coup sûr une meilleure nuit.

Puis le temps s'écoula. Lentement. Le vent soufflait, sifflant, mais il ne neigeait pas. Le son agaçant des stalactites de glace qui fondaient sous l'effet de la chaleur, percutant d'infimes flaques sur le sol de la caverne, résonnait dans l'espace réduit. Taliesin avait à la fois chaud et froid, la fièvre tentait de temps en temps de le renvoyer dans le flou, et la douleur, d'abord timide, puis plus assurée, refaisait son apparition dans son bras. Il eut faim et mangea. Puis le ciel s'assombrit. Victor n'était toujours pas rentré.

Enfin, après ce qui aurait pu être une éternité, la petite silhouette de l'enfant apparut devant la grotte, puis se glissa à l'intérieur. Le feu était mort depuis près d'une heure, il faisait glacial. Les yeux de l'elfe n'eurent cependant aucune difficulté à percer la pénombre et réaliser que la personne qui venait d'entrer, si elle avait la taille du petit garçon, n'en avait certes pas l'épaisseur, ni le visage. C'était une petite vieille, minuscule, au nez énorme, engoncée dans un manteau de peaux de lapin gigantesque qui lui donnait l'aspect d'une petite boule en mouvement. Une gnome, d'après ce qu'il put en juger. En l'apercevant, elle sourit et se dirigea vers lui.
" Voici donc le petit elfe souffreteux... Bien le bonjour, mon petit." fit-elle d'une voix aiguë.

[Taliesin]

Il s'était cru défaillir.
En réalité, son cœur avait bel et bien marqué un temps d'arrêt. Et à présent, il battait la chamade, incontrôlable, alors que la peur galopait, dévorante, engluant son esprit dans une brume sinistre. Ce n'était pas un monstre qui avait surgi. Ni un garde, ni l'un des paysans qui les avaient attaqués. Juste une petite vieille aux allures de sorcière...
Victor ne l'avait pas écouté. Etait allé chercher de l'aide. A moins qu'il ne se soit fait surprendre... Il avait parlé, en tout cas : la description ne laissait guère de doute à ce sujet.
Pourquoi ne l'avait-il pas écouté ? Pourquoi ne s'était-il pas contenté de ramasser du bois, comme il l'avait dit ?
Pourquoi ? Parce qu'il ne lui faisait pas confiance, voilà tout.
Et comment lui donner tort ? Il avait été témoin de son impuissance, des catastrophes provoquées par la moindre de ses décisions. Alors, il avait décidé de reprendre les choses en main, ignorant ses mises en garde...
Et sa chaîne, son collier étaient à découvert, trahissant son identité. Jetant sur lui l'anathème sans qu'il pût rien faire pour l'empêcher.
La vieille n'avait rien dit à ce sujet, encore. Elle n'y manquerait pas, pourtant.
Mais, pour l'instant, une seule chose comptait. Et ce n'était pas son propre sort...
-C'est bien moi, oui... répondit le barde en s'arrachant un sourire. L'un des plus douloureux de son existence, eut-il l'impression. Mes salutations, madame... Cependant, et quoi que cela puisse paraître discourtois de couper si rapidement court aux présentations... Me permettrez-vous de m'enquérir du garçon ?

[Galathée]

La vieille rit doucement, jetant un coup d'oeil autour d'elle comme si elle jaugeait leur maigre installation en acheteuse hésitante.
" Oh, ne vous inquiétez pas pour Coeur-de-Lion, il est bien au chaud chez ma modeste chaumière, probablement en train de siroter son lait au miel... S'il n'est pas déjà endormi." dit-elle finalement.
Elle se baissa pour ramasser le crâne du lion.
" Il n'a pas menti, c'était une grosse bête. Mille-Morceaux qu'on l'appelait, dans la région. Une propension à déchirer ce qu'il chassait, l'abandonnant en charpie... A part le meilleur bien sûr. La langue, le foie, le coeur, les abats... Mille-Morceaux était un connaisseur. Bah. Il a trouvé son maître, ça nous arrive à tous tôt ou tard."
Elle rejeta le crâne d'un geste distrait, puis ses yeux se posèrent à nouveau sur le barde.
" Mais je suis venue vous inviter en ma demeure. Je pense qu'un lit moelleux et quelques décoctions vous remettront plus vite sur pied que le froid glacial de notre hiver."

[Taliesin]

Taliesin poussa un soupir de soulagement.
Bien sûr, la vieille gnome pouvait mentir... Mais quel serait l'intérêt ? Victor était à sa merci. Lui-même, dans son état, ne pourrait lui opposer la moindre résistance, aussi fluette paraisse-t-elle. Apparences trompeuses, probablement : si elle se savait faible, elle ne se serait pas aventurée en ces lieux, seule...
Elle avait bien traité l'enfant. Le gratifiait même d'un surnom flatteur. Et l'invitait, à présent.
Comment refuser l'offre ?
Comment croire, aussi, qu'elle la lui faisait en toute connaissance de cause ? Il était difficile de croire qu'elle n'avait pas remarqué ses oripeaux de bagnard. Difficile mais pas tout à fait impossible, pourtant. Il n'y avait qu'une chose à faire, dès lors, puisque jouer la comédie n'était pas de mise.
-Je serai ravi de profiter de votre hospitalité et de vos bons soins, madame... Mais je me dois d'être honnête : m'héberger, me porter secours pourrait vous valoir des ennuis. Je ne suis pas à proprement parler en odeur de sainteté, dans la région, et si beaucoup voudraient m'avoir sous leur toit, ce n'est pas exactement pour me venir en aide...

[Galathée]

La vieille lui sourit, étirant sa myriade de rides.
" Chhhht. Peu importent les lois humaines, surtout celles des biens-nés d'Ithilion. Ils ne viendront pas nous déranger dans les replis des monts. Trop de créatures étranges, ils savent bien que vous avez été dévorés, hihi. Trop de lions affamés, d'aigles gigantesques et de dryades revanchardes. Nous leur laisserons des os, nous en avons plein, qu'en dites-vous ? Ces citadins n'entendent rien aux bestioles..."
Elle baissa les yeux sur le crâne.
" Peut-être juste cette gueule... Vous n'êtes pas fauve-garou, si ?"

[Taliesin]

L'elfe sourit, presque malgré lui.
-Heu, non... Pas aux dernières nouvelles, en tout cas... Pour le reste, si Mille-Morceaux était de cette espèce, il est possible que sa morsure m'ait contaminé...
Il avait du mal à croire à une telle aubaine. Cherchait l'anguille sous roche. Si les montagnes étaient redoutables au point que les habitants d'Ithilion n'y mettent jamais les pieds, il y avait fort à parier que leur périple serait encore plus suicidaire qu'il ne l'avait imaginé. Pour l'heure, c'était une bénédiction, toutefois...
-Laissez-moi juste le temps de rassembler nos affaires... fit-il en essayant de se lever. Puis je vous suivrai... Je pense que je peux y arriver, si du moins vous marchez lentement...

[Galathée]

La vieille étouffa le feu avec des poignées de neige pendant que Taliesin rassemblait leurs affaires de son unique bras valide. Elle n'offrit pas de l'aider, préférant trier les os du fauve, en rassemblant certains dans un large sac de peau, abandonnant les autres derrière.
" Ne vous inquiétez pas du poids, mon manchot, la Bourrique peut porter tout ça. Et je n'cavale pas vite, vous avez vu vos jambes ?"
La gnome arrivait à peine à la poitrine de l'elfe.
" Vous avez d'la chance que mon défunt Herbert était un gnome de taille, sinon je ne sais pas bien où j'vous aurais mis à dormir."
Puis, gloussant, elle sortit de la caverne dans la nuit naissante. Taliesin aperçut une mule grise, bâtée, qui attendait dans la neige, placide.

[Taliesin]

Les sacs accrochés dans le dos, la peau de lion jetée sur son épaule, l'elfe émergea de la grotte;.. Et fut saisi par le froid, saisi au point d'en être comme paralysé. Il n'avait pas réalisé combien leur abri était protégé, combien le feu y avait maintenu une température acceptable... Il le comprenait à présent.
S'arrachant à sa torpeur, tentant d'ignorer le vertige latent qui l'avait accompagné depuis qu'il s'était mis debout, la douleur vive qui embrasait son bras, il avança péniblement dans la neige. La couche était épaisse, ses jambes flageolantes, et il dut admettre qu'il n'irait pas bien loin. Il n'émit pas la moindre plainte, pourtant, rejoignit le mule et lui déposa les sacs sur le dos, renonçant à les arrimer : avec une seule main, gelée de surcroît, c'était chose impossible.

[Galathée]

La vieille gnome s'en chargea pour lui, habituée à ce type de manoeuvres, puis elle lui prit le bras en lui décochant au passage un petit coup de coude dans le flanc, du côté non tuméfié.
" Allons courage, mon manchot, tu as ce qu'il faut dans le ventre. Pense à tes pieds, pense au bon thé que je vais te préparer, pense au gosse qui doit nous attendre à la fenêtre... J'espère qu'il n'a pas oublié d'alimenter l'âtre, mais ça m'a l'air d'une bonne graine, pour un humain..."
Elle rit, puis frappa la croupe de la mule du plat de sa main libre.
" Allez, en avant la Bourrique !" s'exclama-t-elle, avant de resserrer sa prise sur le bras de l'elfe et de le guider dans la piste qu'ouvrait la bête, ce qui avait deux avantages : leur faciliter grandement la marche et dissimuler leurs empreintes.
" Si tu es crevé, tu lui prends la queue, elle te traînera un peu, c't'une costaude !"
Puis la gnome rit encore et ils se mirent en route, droit vers les montagnes.

[Taliesin]

Un moment, Taliesin se demanda s'il ne rêvait pas. S'il n'était pas victime d'un délire dû à la fièvre. La vieille gnome, sa manière de s'exprimer, les choses qu'elles évoquaient - un thé, une maison... Tout, jusqu'à la mule, semblait tellement en décalage avec la réalité, avec ce que l'enfant et lui avaient traversé au cours des derniers jours...
Si c'était un rêve, il était des plus réalistes, toutefois. La douleur pulsait dans son bras. Le froid lui brûlait la peau, engourdissait ses membres. Et ses forces déclinantes rendaient déjà la progression ardue...
Il fit effort pour suivre les conseils de la vieille, songer à ce qu'apporterait le terme de leur périple. Un bon feu. Une couche plus confortable qu'un sol de pierre. Des soins pour son bras... Et un Victor en parfaite santé, qui se demandait sans doute s'il allait ou non se faire disputer pour avoir désobéi.
La chose marcha. Au début, du moins. Mais bientôt, même penser lui devint difficile. Les dents serrés, il concentrait toute sa volonté pour mettre un pied devant l'autre. Juste cela. Un pas, un suivant...
Ils finiraient bien par arriver...