La Couronne de Cuivre

" Trois raisons, de ce que j'ai compris. D'abord la route est très mauvaise, vu qu'elle n'a plus été empruntée depuis un moment... Pas le genre de choses qui m'effraie, a priori. Mais c'est surtout qu'elle est infestée de kobolds et qu'elle est devenue très instable à cause de son abandon : l'eau remonte dans les galeries et sape la structure. Bref, s'aventurer à l'intérieur est à haut risque... Nous devons espérer, si nous en arrivons jusque là, que s'il y a des responsables, ils seront à l'extérieur. Entrer... Je le ferai seul."

Astrée resta silencieuse, songeuse.
" C'est toi qui vois, fit-elle enfin. Moi, ça m'ennuie de te laisser y aller seul, surtout s'il y a des kobolds : être plusieurs ne serait pas du luxe. Mais si le principal danger est l'état des galeries, s'il y a un risque d'effondrement... alors il faut aussi qu'il y ait quelqu'un à l'extérieur pour pouvoir aller chercher de l'aide si nécessaire. Mais nous aviserons là-bas, je suppose. Et comme tu dis, on trouvera peut-être bien du monde dehors, si le souci est là-bas."
Elle ne se posa pas réellement la question de savoir si la mine était sur son chemin ou non : elle pouvait prendre le temps de faire un détour, au besoin.

" Je sais me débrouiller dans un effondrement... J'ai la peau dure." dit le genasi.
Il eut ensuite un haussement d'épaules.
" Mais c'est sûr que c'est bien si quelqu'un garde un oeil sur Eyri. Il est fichu de vouloir aller tirer quelques flèches pour gagner ses galons d'aventurier."
L'elfe avait reconnu son nom et il les dévisagea d'un air mauvais. Kalju lui retourna son habituel regard placide, ce qui le fit capituler et revenir à son assiette. Passé son incertitude initiale, il avait l'air de trouver le repas à son goût, pour le plus grand bonheur de Félicie.
" Je vais l'avoir par l'estomac. Je le savais."

Astrée sourit.
" L'estomac, ça a toujours été l'une des meilleurs armes pour apprivoiser un animal... Alors, forcément, ça marche aussi pour apprivoiser un elfe ou qui que ce soit d'inconnu ! Et tout le monde sait que les halfelins sont doués dans ce domaine. Moi, je lui ferais bien une infusion au miel, je suis sûre qu'il aimerait.... mais il est fichu de se méfier encore plus que pour toi, vu que je suis humaine."
Elle ne se faisait pas trop de souci, par ailleurs, sur l'attitude d'Eyri face à la mine : il n'était pas évident qu'il ose, tout simplement, y mettre les pieds... même avec Kalju.

Astrée ne s'était pas trompée : Eyri les accompagna pour dormir. Il s'arrogea un lit en hauteur et Kalju s'installa en dessous. Les matelas étaient sommaires et ils utilisèrent leurs propres couvertures. Avant d'aller dormir, ils passèrent tous à la salle d'eau voisine, sauf Eyri, ou du moins s'il le fit, ils n'en surent rien. Le début de nuit fut un peu difficile car il y avait du bruit dans la rue : les ouvriers décompressaient après leur journée de labeur. Les conversations au rez de chaussée filtraient à travers les lattes du plancher, bien que leurs compagnons de gîte ne soient pas particulièrement bruyants. Cela ne dérangea pas Félicie et il était difficile de juger de l'état d'Eyri, qui demeura en tailleur sur sa couche. Kalju finit par redescendre et ne remonta que beaucoup plus tard.
Enfin, le silence se fit et la nuit glissa en quelques battements de coeur.
L'aube fut précédée de murmures puis de fracas : le travail à la carrière commençait avant le lever du soleil. Au final, ils avaient mieux dormi dans la broussaille que lors de cette étape.

Astrée avait particulièrement mal dormi : elle était trop habituée au calme de la nature. Incapable de trouver le sommeil, elle avait laissé ses pensées vagabonder, se préoccupant d'Eyri, puis, de fil en aiguille, se remémorant sa traversée de la Lorien, ses mésaventures, glissant peu à peu dans une semi-torpeur. Quelques images du cauchemar qu'elle avait fait en présence de Ceru vinrent brutalement l'éveiller de sa somnolence. Ce n'était qu'un cauchemar... et tout cela lui paraissait lointain, un peu irréel. Elle se demanda si son sang avait repris sa couleur normale -elle n'était plus en Lorien, était-ce lié ? Mais elle se refusait à céder à la curiosité en s'entaillant le doigt le lendemain. S'en inquiéter était inutile, elle le saurait tôt ou tard.
Elle se tourna, se retourna, songea à Garahel, à Palen, Jill, Nremyn et son frère, refusant de s'y attarder... puis à Reynald qui devait être coincé à Erhedun, mutilé par sa faute, puis à d'autres souvenirs plus lointains. Elle entendit Kalju remonter, poussa un soupir en se demandant combien de temps de repos il leur restait... et finit par s'endormir, bien trop tardivement compte tenu de l'heure à laquelle les bruits du dehors les éveillèrent. Le point positif était qu'ils ne perdraient pas de temps pour reprendre la route...

HRP : le sang d'Astrée avait changé de couleur !?

Misère, je me souviens même pas...

Un crachin assez désagréable les accompagna pendant la première moitié de la journée, jusqu'à la pause de midi où le soleil, magnanime, daigna les réchauffer. Ils avaient quitté la proximité des deux petites rivières et avançaient désormais dans un terrain plus rocailleux, où seuls poussaient des conifères presque noirs, drus, serrés les uns contre les autres. Par moments, ils tombaient sur un vallon d'herbes et de fleurs, où les chevaux grignotaient un moment avant de reprendre leur route. Le vent était piquant, il faisait plus froid, et on apercevait de plus en plus nettement les contreforts des monts acérés, formant un rempart glacé entre la forêt, déjà distante derrière eux, réduite à une masse sombre, et l'inconnu.
Si Kalju et Eyri étaient illisibles, Félicie goûtait au voyage avec bonheur, s'extasiant devant tout et n'importe quoi, parfois avec tant d'emphase qu'elle réussissait à arracher un sourire au genasi. Elle était cependant capable de moments de silence, souvent lorsqu'elle prenait conscience qu'elle était la seule à piailler avec bonheur. Elle prenait alors une mine faussement sérieuse et ne tenait jamais très longtemps. Quand elle était en manque d'interlocuteur, elle bavardait avec Kimik, donc elle avait déjà tressé tout le poil à sa portée, couvrant la bête de curieuses petites nattes hirsutes.
Ils trouvèrent un nouvel abri pour bivouaquer le soir, et vu la roche et l'humidité ambiante, personne ne refusa d'y poser son sac, en ce compris Eyri. Tout en demeurant en périphérie du groupe, il parut curieux de voir ce que Félicie allait cuisiner. Kalju proposa d'aller placer des collets. De l'eau, aussi, n'aurait pas été un luxe, mais il n'y avait que des ruisselets aux alentours et rien qui aurait permis de s'y tremper.

HRP : Alzeimher te guette, ma pauvre

(l'esprit lui a pris une partie de son sang pour se soigner et lui a laissé le sien à sa place, me semble-t-il... certes, il ne l'a pas dit explicitement, mais elle l'a déduit en voyant que son sang avait viré presque vert sombre ; je sais, ça date...)

Astrée, de son côté, se chargea d'amasser un peu de combustible pour faire un feu -utilisant, pour l'allumer, un petit sortilège particulièrement utile dans l'humidité ambiante-, puis de remplir leurs gourdes : l'essentiel était d'avoir à boire, et les maigres ruisseaux suffiraient pour des ablutions sommaires.
Puis elle s'éloigna un moment du campement tandis que Félicie cuisinait, décidée à trouver quelques baies ou racines comestibles, et surtout désireuse de vérifier qu'il n'y avait pas de trace de prédateurs aux alentours. Après tout, on leur avait parlé d'un ours. Elle utiliserait un sortilège d'alerte pour la nuit, juste au cas où.

HRP : si tu retrouves l'endroit, à l'occasion, ça m'intéresse... J'ai cherché hier sans trouver. Par contre, je peux te dire que l'interprétation d'Astrée est complètement fausse

(mais c'est la spécialiste des interprétations qu'elle transforme ensuite en certitudes

)...

Elle trouva des crottes de lapin et chèvre, mais rien qui puisse ressembler aux déjections d'un carnivore. La nuit était silencieuse, hormis le souffle du vent. Après avoir mangé la fricassée au jour, ils purent se pelotonner sous leurs couvertures et profiter de la chaleur de leur abri, protégés de la bise. La nuit se déroula sans événement notable et au petit matin, dans une brume imprévue, ils reprirent leur route. Elle aurait pu leur poser des problèmes en haute montagne mais ici, vu la largeur du passage, ils ne risquaient rien. Ils parvinrent au petit chemin encaissé à la mi-journée et constatèrent qu'un groupe s'y trouvait. Un système de poulies, actionné par des ouvriers, permettait de faire descendre les blocs de marbre un à un le long d'une paroi escarpée. C'était un travail fastidieux, difficile et dangereux. Kalju offrit de les aider tandis que les autres en profitaient pour déjeuner au pied de la falaise.

Astrée s'adossa contre la roche, à proximité de la falaise, et observa les manœuvres des ouvriers en cassant la croûte. Elle jetait de temps à autre des coups d'oeils à Eyri, mais sans inquiétude particulière : elle se sentait simplement responsable de sa sécurité.
La présence du groupe les retardait dans leur progression, mais ils avaient du temps devant eux, et, le cas échéant, ils pouvaient camper sous tente, la nuit prochaine, en l'absence d'un abri en dur. Et puis, une pause était toujours bienvenue : marcher en montagne était plus fastidieux qu'en plaine. Ils attendraient donc que l'intégralité des blocs soit descendue avant de reprendre leur chemin.

Edit - HRP : j'ai retrouvé le post qui parle d'égratignures et de tâches de sang noir sur ses vêtements, mais effectivement ça pouvait être celui de Ceru, vu les circonstances... et je croyais avoir vu une autre allusion mais je ne la retrouve pas.
Donc j'ai lu trop vite / mal interprété (tout ça parce qu'à ce moment je me demandais à quoi il avait fait allusion en disant qu'il lui avait pris suffisamment, sans préciser de quoi il parlait)... mais c'était un mois de juin, et en juin je suis claquée !

HRP : pas de mal... j'ai mauvaise mémoire, ça aurait été possible... Mais on est de nouveau en juin ! Est-ce que ça veut dire que la période est propice pour te manipuler ?

Ils ne durent pas attendre jusqu'au bout. La caravane était déjà presqu'intégralement descendue et il ne restait que quatre hommes en haut, pour superviser l'arrimage des blocs. Kalju se retira au bout d'un moment et revint dans leur direction, pour manger quelque chose.
" Ils disent qu'on fait mieux de repartir pour arriver avant la nuit. Le terrain est glissant à cause de la pluie et des ornières laissées par les chariots. C'est sans doute leur avant-dernier passage... Après, ils abandonnent la route à l'hiver et au printemps, ils doivent la terrasser à neuf avant de pouvoir reprendre. Ils disent qu'il y a des loups... et pas tous des loups normaux... et qu'on fait donc mieux d'être à la carrière avant qu'il fasse nuit."

Astrée grimaça.
" Je crois qu'on fait bien de suivre leur conseil, dans ce cas. Des loups pas normaux, je ne sais pas trop ce qu'ils entendent par là, mais je n'ai pas une envie folle de le savoir. Il vaut mieux qu'on ait un toit sur la tête ce soir, et si possible qu'on ait rejoint la carrière. Ils nous laissent passer, je suppose ? On ne risque pas de se prendre un bloc de marbre sur la tête ? C'est très aimable de leur part..."
Déjà, elle rassemblait une partie de leurs affaires, désireuse de reprendre leur marche dès que Kalju en aurait terminé.

HRP : Ah, oui, en juin je n'ai qu'un demi-cerveau (surtout la première quinzaine, là ça va aller mieux, je n'ai plus d'élèves... trop tard, tu as loupé la pire période !)

Je ne suis pas sûre que ça me rende plus manipulable, surtout plus étourdie et claquée, physiquement, nerveusement... éventuellement bouchée et incapable de comprendre des trucs (mais donc... tu me trouves trop dure à manipuler ? Je vais faire un effort

)

HRP : non, tu ne dois rien changer... Tu ne pourrais pas t'empêcher de cogiter, de toute façon

(mais elle n'a que 12 en intelligence, ta druidesse

)

Le chemin ne passait pas le long de la falaise, mais partait dans une toute autre direction, si bien qu'à aucun moment les randonneurs n'étaient menacés par les blocs. Ils purent en suivre la progression tout au long de la leur, cependant, et virent que les ouvriers de la carrière maîtrisaient bien leur affaire. Le travail était éreintant mais il n'y eut ni cris, ni fracas, même quand il se mit à pleuvoir. De leur côté, Astrée et ses compagnons durent progresser avec prudence, car le roc était mouillé et glissant. Kimik, le pied sûr, progressait en tête, mais ni Mémoire, ni Prince n'étaient très assurés et tant Kalju qu'Astrée durent faire le trajet à pied. Eyri fermait la marche, à pied lui aussi, quelques mètres derrière son cerf qui bondissait et glissait puis se reprenait et continuait à avancer. Ils s'élevaient petit à petit, le moindre coup d'oeil en arrière leur révélait la distance déjà parcourue et la forêt lointaine.
Ils furent récompensés pour leurs efforts en débouchant sur un plateau qui menait à la carrière : on la distinguait déjà, au pied des monts, comme une saillie dans la roche. La pluie cessa et ils reprirent leur voyage aisé sur la route, non sans saluer les hommes qui surveillaient la descente des blocs. Un groupe. Il y avait là un hangar où étaient stockés les chariots de transport en attendant le retour des équipages, ainsi que des écuries.
Mémoire, Prince et le cerf galopèrent un moment, profitant de la prairie qui s'ouvrait devant eux, tandis que Kimik et Félicie continuaient à leur rythme tranquille, sans s'offusquer des débordements puérils de leurs compagnons.
Ils cheminèrent ainsi encore pendant quatre bonnes heures, entrecoupées de petites pauses pour brouter, boire ou ramasser des baies, avant d'atteindre la carrière de marbre. Il y avait de nouveau un village, mais il était beaucoup plus petit, et composé de cinq ou six grandes bâtisses à étages, au toit pentu, qui semblaient toutes avoir des fonctions multiples, comme si on avait regroupé plusieurs bâtiments ordinaires sous un même toit. La carrière était cette fois plus éloignée et on n'en entendait les bruits que de manière étouffée. Le marbre était présent, cependant, en blocs abandonnés ici et là, en transit, du marbre gris veiné de rose pour la plupart, parfois presque blanc, parfois presque noir.

Astrée avait pris le temps de vérifier que le dénommé Réginald ne faisait pas partie du groupe d'hommes -ce n'était pas son travail, mais il aurait pu donner un coup de main au passage- avant de poursuivre leur route. Elle apprécia pleinement le paysage qui s'offrait à eux, après tant de jours en forêt où le regard ne portait jamais loin. Elle n'en oubliait pas pour autant, la présence des loups dont on leur avait parlé, et veilla à rester en vue du cerf d'Eyri, qui heureusement ne montrait aucune velléité de s'éloigner trop du groupe. Elle n'était pas réellement inquiète, cependant : les loups ne chassaient pas en pleine journée.

En apercevant le petit hameau et les blocs de marbre abandonnés, ses pensées se tournèrent instinctivement vers Mathieu : puisqu'ils ne l'avaient pas croisé sur la route, il était probable qu'il s'y trouve. Elle accéléra imperceptiblement l'allure, observant avec curiosité les lieux, cherchant à déterminer où pouvait se trouver le gîte accueillant les visiteurs. S'il y en avait un.

HRP : si tu savais... je cogite bien plus qu'Astrée, je ne lui laisse penser que ce qui me semble à sa portée (enfin j'essaie)

HRP : après, mes scénarios ne nécessitent généralement pas d'avoir un QI de 150... et c'est pas mal, en fait, tu cogites trop, du coup... tu te manipules toi-même

Il y avait un semblant de taverne, au rez de chaussée de l'une des bâtisses, et une écurie en bas d'une autre. Difficile de savoir si elles étaient en lien l'une avec l'autre et ils divisèrent le groupe, pour aller se renseigner. Ils purent installer leurs bêtes dans des stalles (le cerf décida de lui-même de rester avec Kimik) mais la taverne n'était pas une auberge et la tenancière leur expliqua qu'ils devaient se renseigner auprès du contremaître pour savoir s'il lui restait des chambres dans le complexe. Celui-ci, installé au premier étage d'une troisième maison, consulta son registre et trouva une chambre pour Félicie et Astrée deux étages au-dessus de la taverne, et une autre pour Eyri deux étages au dessus de l'écurie. Il leur expliqua qu'on payait à la nuit, que s'ils avaient l'intention de manger, il leur faudrait se rendre à la cantine, située dans le même bâtiment que la taverne mais de l'autre côté. Félicie avait l'air de beaucoup s'amuser du dédale, Kalju était absolument interdit, Eyri était resté dehors.

Après avoir grimpé le long du chemin escarpé, il leur faudrait donc achever leurs mollets dans des dédales d'escaliers. Astrée, à l'instar de Félicie, trouvait cela plutôt amusant, bien que fort peu reposant.
Il ne leur restait plus, dans l'immédiat, qu'à aller s'installer dans leurs chambres respectives -encore fallait-il les trouver.
Elle se tourna vers Kalju.
" Est-ce que tu veux te rendre à la carrière dès maintenant ? On prend tout de même le temps de poser nos affaires et de repérer les lieux, la cantine, s'il y a un comptoir ? Ou est-ce qu'on se divise ?"

" On dort de toute façon séparément, dit Kalju. Et je peux aller à la carrière seul. On peut décider de se retrouver à la taverne avant d'aller manger. Il doit nous rester deux heures avant l'heure de table.
— Ce serait peut-être bien que tu reviennes ici dehors après avoir posé ton sac. Je ne crois pas qu'Eyri aura envie de monter à la carrière et il ne va pas rester tout seul... pas ici."
L'elfe ne les avait pas quittés d'une semelle. Il paraissait distant mais son langage corporel indiquait à nouveau une grande fébrilité. Kalju haussa les épaules en acquiesçant. Il posa ensuite la main sur l'épaule d'Eyri et l'entraîna vers l'endroit où ils allaient dormir.
" Et nous ? On fait quoi ? On va chercher ton ami ? On va poser ton paquet ? On va boire ? Du cidre. Bien sûr."

" On va d'abord monter nos sacs, nous aussi, puis retrouver Eyri ici. Et j'aimerais bien me débarrasser d'abord de ce colis, si ça ne t'ennuie pas, donc chercher le cordonnier. Ensuite, c'est promis, on boira tout le cidre que tu veux ! Enfin, s'ils en ont. Je parie plus sur la bière, dans ces contrées."
Joignant le geste à la parole, elle chargea son sac sur son dos et se dirigea vers la taverne : il fallait sans doute entrer par la salle principale pour trouver l'escalier...
"Pour le reste...Il y a tout de même de fortes chances que je trouve Mathieu soit à la taverne, soit à la cantine au dîner. Et Réginald aussi. S'ils n'y sont pas, l'un ou l'autre, je demanderai..."

La chambre qu'on leur avait allouée était fonctionnelle et propre, mais sentait un peu le renfermé. De ce qu'Astrée et Félicie en virent, elles étaient logées dans un couloir où une dizaine d'autres chambres s'échelonnaient. Certaines avaient des portes décorées, la plupart portaient un nom ou deux, mais d'autres étaient dans leur état d'origine, et il était difficile de savoir si elles étaient occupées ou pas. Au moment où elles allèrent s'installer, en tout cas, il n'y avait personne. Elles trouvèrent une pièce d'aisance (on y avait suspendu des fleurs séchées et un panonceau enjoignait les visiteurs à jeter un seau d'eau dans la fosse après leur passage) mais pas de salle d'eau : le contremaître leur avait expliqué qu'il leur faudrait se rendre aux thermes.
Elles regagnèrent ensuite l'extérieur où les attendaient Eyri et Kalju. Dès que le génasi les vit arriver, il leur souhaita une bonne fin d'après-midi et il s'en fut vers la carrière, les laissant tous trois dans l'espace terreux entre les six bâtisses qui constituaient le hameau de la marbrerie.

Astrée avait amené son colis, et sourit à Eyri, un peu embarrassée à l'idée de devoir lui expliquer leurs intentions pour la fin d'après-midi. Le plus simple était sûrement qu'il reste avec Félicie tandis qu'elle parcourait les étages... Mais ça pouvait prendre un peu de temps.
" Je vais aller demander, à la taverne, où se trouve le cordonnier. Vous m'attendez là juste quelques minutes ? Ou si vous voulez boire un verre pendant que je livre le colis, vous pouvez aussi. Après tout, c'est peut-être plus simple..."

" Boire un verre ? dit Félicie en riant. Tu crois qu'il oserait tremper ses lèvres dans le genre de trucs qu'on sert ici ?"
Elle ouvrit des yeux scandalisés.
" Mais va, oui, on va se débrouiller. Je goûterai avant lui pour le rassurer."
Eyri les dévisageait avec suspicion, sans doute bien conscient qu'on parlait de lui, mais il ne parut pas effrayé lorsqu'Astrée s'éloigna.
Elle trouva la cordonnerie au premier étage du dernier bâtiment, voisinant des tas d'autres échoppes toutes installées les unes à côté des autres, comme dans une sorte de rue commerçante en intérieur. Derek, le cordonnier, était un homme minuscule, aux allures d'oiseau, qui n'avait certainement jamais dû être ouvrier dans la carrière. Il accueillit Astrée avec un sourire et réceptionna le paquet qu'il s'empressa d'ouvrir, pour admirer la fourrure rousse des écureuils.
" Apportez-moi les bottes que vous voulez que je répare et je m'en chargerai. Le plus tôt le mieux, si vous êtes pressés."

" J'hésite... J'ai une paire de bottes souples fourrées pour la neige, je ne sais pas si vous pouvez les rendre encore plus chaudes... ou, si ce n'est pas possible, celles que j'ai aux pieds, même si elles sont encore fonctionnelles. Ou peut-être que ça peut intéresser ma compagne de voyage, je n'ai pas pensé à lui demander. Mais la question essentielle est de savoir combien de temps il vous faut..."
Elle aurait dû se concerter avec Félicie à ce sujet : peut-être la halfeline avait-elle davantage besoin des services du cordonnier, après tout ?

" Ça dépend du travail, évidemment, dit le cordonnier en fronçant les sourcils. Une heure, deux, dix... Comment pourrais-je le savoir ?"
Il paraissait un peu décontenancé par la question.
" Je ne peux pas répondre à vos questions sans constater de mes yeux."
Il se pencha vers ses pieds.
" Réparez celles-ci devrait prendre une demi-heure. Mais rendre plus chaudes des bottes, c'est impossible sans les déconstruire intégralement. On peut les imperméabiliser davantage, rien d'autre, si on ne veut pas changer la doublure. Après, en montagne, il faut choisir entre chaud et peu souple, ou souple mais peu chaud. Raison pour laquelle peu de gens grimpent sans y perdre quelques orteils."

Astrée hocha la tête.
" Hum... Je vais vous amener les autres pour voir ce que vous en pensez -elle demanderait au passage à Félicie si elle ne souhaitait pas profiter de l'offre. Les réimperméabiliser pourrait déjà être une bonne chose, effectivement : elles ont une dizaine d'années. Vous me direz ce que vous en pensez, en les voyant... Si c'est trop compliqué, je me contenterai de celles-ci."

" Ça me semble le plus sage, dit le cordonnier. En fin de saison, comme maintenant, j'ai du temps, donc je pourrai m'y consacrer dès demain."
Pour le reste, Derek n'avait jamais rencontré de dénommé Mathieu et ne put renseigner Astrée à son sujet. Quant à Réginald, il était revenu avec deux ours la veille et il resterait sans doute quelques jours, pour ravitailler la communauté en viande fraîche. Il était généralement à la taverne autour de l'heure de table, avant de ressortir chasser au crépuscule.

Astrée repartit, rassurée sur le fait qu'elle trouverait sans peine Réginald. Pour Mathieu, c'était une autre histoire... mais ce n'était pas vraiment une nécessité absolue, après tout. Elle espérait cependant avoir un peu de chance à l'heure du repas.
Elle revint dans sa chambre pour récupérer la paire de bottes dont elle se servait pour marcher dans la neige. Elles étaient chaudes, imperméables, mais fragiles : elle évitait de s'en servir en terrain rocailleux et encore moins pour grimper. Pour cela, ses bottes de tous les jours étaient largement préférables -avec de bonnes chaussettes en hiver.
Elle rejoignit ensuite la taverne, pour vérifier si Félicie n'avait pas un besoin urgent de faire réparer ses propres bottes : autant lui faire bénéficier de l'offre.

Félicie et Eyri étaient assis dans un coin d'une taverne encore fort dépeuplée à cette heure. L'elfe s'était évidemment placé dos au mur et surveillait l'assemblée clairsemée avec vigilance, les doigts refermés sur un verre de terre cuite dans lequel fumait quelque chose. Félicie, par contre, se souciait peu de ce qui se passait dans son dos et bavardait avec la même insouciance que si elle avait été face à un compagnon capable de la comprendre.
" Je le familiarise avec le commun." expliqua-t-elle à Astrée lorsqu'elle apparut.
Elle écouta ensuite la proposition de la rôdeuse.
" C'est gentil mais mes bottes sont en excellent état et je n'ai pas l'intention de monter jusqu'à la neige."

" Alors je vais profiter de l'offre pour les miennes, conclut Astrée en souriant. Je me dépêche..."
Elle sourit à Eyri, sans se préoccuper de son absence de réaction, et revint vers le cordonnier avec les idées un peu plus claire. Si ce Derek pouvait rendre plus chaudes et imperméables les bottes de neige, de façon rapide et efficace, elle les privilégierait -ce n'était pas quelque chose qu'on pouvait faire avec de la magie. Sinon, consolider ses bottes de tous les jours serait une excellente idée.

Derek était prêt à faire l'un et l'autre, mais Astrée devait bien en garder une aux pieds, aussi proposa-t-il de commencer par imperméabiliser les bottes de neige (il ne pouvait pas les rendre plus chaudes, à moins de lui en fabriquer des nouvelles, avec un autre type de fourrure à l'intérieur, mais c'était un travail qui prendrait beaucoup plus de temps et qui dépassait quelque peu leur accord) et de réparer les bottes ordinaires le lendemain matin, si Astrée avait encore le temps de s'attarder à la carrière.

Astrée accepta sans hésiter le marché, et lui laissa ses bottes de neige. Réparer ses bottes ordinaires ne prendrait pas beaucoup de temps, le lendemain matin, et ils pourraient certainement le faire avant qu'ils se remettent en marche.
Elle s'en revint à l'auberge pour y rejoindre Félicie et Eyri. Elle comptait en profiter pour demander à l'aubergiste s'il avait eu Mathieu parmi ses clients -un jeune négociant d'Erhedun- et de lui indiquer si le fameux Réginald était là.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon