La Couronne de Cuivre

Albérich lui sourit douloureusement.
« Et bien, c’est le moment où jamais de voir si vous pouvez puiser cette concentration en vous. »
Il s’en voulut de mettre une telle pression sur les épaules de la jeune fille. Si elle échouait, ils auraient brûlé leur dernier bois et devraient s’en remettre à un miracle, ou à la mort inévitable de l’enfant. Mais il n’y avait pas le choix. Il avait lui-même enseigné la magie divine à des dizaines de novices. Il n’était pas impossible qu’il puisse lui transmettre ce qu’il fallait savoir même s’il était incapable de le réaliser lui-même.
Comme un maître d’armes manchot, songea-t-il.
L’analogie n’était pas dépourvue de sens.
« Bastien est stabilisé, nous ne devons pas précipiter les choses. » commença-t-il.
Avisant sa mine inquiète, il la regarda droit dans les yeux, puis jeta un œil à son père.
« Désirez-vous un peu de tranquillité pour que nous passions la technique en revue ? »

-Messire !
Il y eut un bruit d'éclaboussures et quand Albérich se tourna dans la direction du cuvier, il découvrit un vieil homme pâle comme la craie... et un petit garçon en pleine crise de convulsions.
-Plus le temps pour la technique... lâcha Elisa d'une voix blanche, en arrachant littéralement des mains d'Ada le parchemin à demi rescapé.

Albérich se plaça derrière Elisa, sans succomber à la panique, et posa ses mains, d’autorité, sur ses épaules.
« Concentrez-vous. Ne relâchez pas votre effort avant la fin du parchemin où vous le détruirez sans qu’il fonctionne. Laissez-vous guider par le rythme du phrasé. Puisez dans la source qui se propose à vous. Ne vous focalisez pas sur Lathandre. Chauntéa, Séluné, Sunie, peu importe à qui vous vous adressez, suivez votre élan. » souffla-t-il à voix basse tandis que la jeune fille se préparait à tenter l’impossible.
L’instant était critique mais Albérich ressentait un certain soulagement à l’idée que quoi qu’il advienne, cette période d’attente fébrile touchait à sa fin. Si Elisa échouait, il resterait possible de relancer le cœur du gosse par des moyens mécaniques, mais le Luménien n’était pas certain qu’il les mettrait en œuvre. A quoi bon s’acharner quand le dernier espoir s’est envolé ?

Sous ses mains, Albérich sentit la tension gagner les épaules de la jeune fille. Elle demeura un moment pétrifiée, regardant comme sans le voir le parchemin froissé, taché. Difficilement lisible.
-Mais... vous..
Sa détermination vacilla un instant, et l'ancien aubemestre cru bien que l'adolescente allait rejeter le vélin et s'enfuir en courant. Pourtant, elle se ressaisit, prit une profonde inspiration... et se lança. Le nez quasiment contre les pattes de mouches du défunt chapelain, elle ânonna syllabe après syllabe, dans un murmure presque inaudible. Parfois, elle donnait l'impression qu'elle allait s'interrompre, en butte à une tournure, à une lettre effacée... Mais elle continua, les muscles si tendus qu'ils en devenaient durs comme du bois.
Enfin, elle prononça le dernier mot, et l'écriture s'effaça, le parchemin se froissa, tomba en morceaux épars qui glissèrent entre ses doigts. Elisa se détendit alors brusquement et s'affaissa tandis que, derrière eux, une lueur vive illuminait un instant la pièce.
Bastien ne bougeait plus, dans le cuvier.
La jeune fille, elle, n'avait rien remarqué.
-Le parchemin est détruit... gémit-elle. J'ai échoué. Je l'ai tué...

« Ne dites pas n’importe quoi. » murmura l’ancien clerc en la soutenant. « Vous avez fait tout ce qui était possible. »
Il l’aida à s’asseoir sur le banc qui jouxtait la table, puis l’abandonna aux bons soins d’Ada. Il y avait eu une lueur, quelque chose s'était produit, Elisa avait effleuré une énergie. Cela pouvait vouloir dire tout et n’importe quoi, cependant. Il revint donc vers le grand-père qui tenait toujours l’enfant immobile et doucement, plongea les mains dans l’eau tiède, pour mettre enfin un terme à leurs incertitudes.

Cette fois, il ne lui fallut guère de temps pour trouver le pouls de l'enfant. Il était plus fort, plus rapide. Plus volontaire, aussi. Et sa poitrine se soulevait de manière visible : il n'y avait pas besoin de coller une main sous son nez ou sa bouche pour voir que sa respiration était plus ample.
En la matière, le progrès était significatif... Pas autant, toutefois, que celui touchant à l'état de ses extrémités gelées : elles avaient troqué leur sinistre couleur noire, pour un rouge sombre, violacé.
Bastien n'était pas encore guéri, non. Requerrait des soins importants. Mais il était vivant.
Et semblait devoir le rester.

Albérich poussa un profond soupir.
« Vous avez réussi, Elisa. Vous lui avez sauvé la vie. » dit-il en se redressant.
Il décocha un sourire las à l’assemblée. L’incroyable s’était produit. Il se sentait épuisé, malade, et avait les nerfs à vif. Mais il ne fallait pas relâcher sa vigilance pour autant. Ada et lui-même allaient devoir déployer tout leur savoir-faire pour minimiser les séquelles de l’enfant. Il laissa cependant un instant aux personnes présentes pour reprendre leurs esprits. Bastien ne les lâcherait plus dans l’immédiat.

Le silence se prolongea, comme chacun recouvrait ses esprits, avec la vague impression d'émerger d'un long rêve chaotique. Le contraste entre la tension de l'instant précédent et le calme précaire qui l'avait remplacé était saisissant.
Sire Eudes, le premier, brisa son mutisme.
-Très bien... fit-il en se passant une main lasse sur le front. Nous allons nous retirer et vous laisser le soigner...
Elisa se releva. Elle avait les traits chiffonnés, le teint pâle, et son corps était parcouru, encore, de quelques frissons.
-Père... Ne pourrais-je pas... Pour les aider...
Le baron la dévisagea un instant, puis acquiesça, tandis qu'un mince sourire étirait les commissures de ses lèvres.
-Messire Albérich ? fit-il en se tournant vers l'ancien aubemestre. Accepteriez-vous d'héberger Elisa, cette nuit ? Je suis sûr qu'elle pourrait vous prêter main forte...

« Bien sûr. Elle est la bienvenue. »
Albérich sourit doucement à l’adolescente.
« Nous aurons certainement l’usage d’une faiseuse de miracles. »
L’ancien clerc se tourna ensuite vers le grand-père qui était resté silencieux et le rejoignit.
« Nous allons le sortir de l’eau, le sécher et le réinstaller sur la table. Il reste des couvertures pour l’emmitoufler, mais désormais, nous devons essayer de le réchauffer de l’intérieur, en lui faisant boire des infusions tièdes. Si vous voulez rester dormir, vous êtes évidemment le bienvenu, vous aussi. »
Le luménien n’avait aucune idée du temps qui s’était écoulé depuis son réveil et la battue. Etait-il possible que la journée touche déjà à sa fin ?

Le vieil homme hésita un long moment, puis secoua la tête.
-Je vous remercie pour votre proposition. Mais je ne pourrai vous être d'aucune utilité, je ne ferai que vous encombrer et... Non, honnêtement, je préfère rentrer chez moi où je trouverai à m'occuper... Je reviendrai demain matin. J'apporterai ses affaires...
Il caressa un instant les cheveux de Bastien, puis, sitôt qu'Albérich eut pris le relais auprès de l'enfant, il se releva, sourit à Elisa et s'éloigna. Le baron, pour sa part, finit par pousser un profond soupir. Il échangea un long regard avec sa fille, sans prononcer un mot et, sur un salut de la main, emboîta le pas au vieillard.

Ce dernier regard, échangé entre le père et la fille, mit Albérich vaguement mal à l’aise. Il ne pouvait repousser les inquiétudes qu’il avait eu plus tôt, quant à l’existence d’une volonté malfaisante derrière ce drame. Bien sûr, Elisa avait sauvé Bastien. Il lui aurait suffi de buter sur un mot pour réduire à néant toute chance de survie, et personne ne lui en aurait voulu : elle n’était qu’une adolescente, pas un clerc, et ce qu’elle avait réussi dépassait de loin les espérances les plus folles qu’aurait pu avoir le Luménien. Alors pourquoi ne parvenait-il pas à se défaire de cette méfiance ? A cause des Sharites, bien sûr. Les Sharites l’avaient amené à ne plus croire en rien.
Il jeta un rapide coup d’œil à Elisa, puis repoussa ces pensées honteuses, car elles étaient méprisables, la jeune fille ne les méritait pas, et se remit en mouvement. Il souleva l’enfant, le posa sur une première couverture dont il se servit comme d’une serviette, et le sécha en douceur, veillant à ne pas brusquer son organisme tout juste remis.

Ada fit signe à la jeune fille de la suivre et toutes deux s'esquivèrent dans la cuisine. Elles revinrent quelques instants plus tard, la halfeline portant une infusion fumante, l'adolescente des pots contenant les onguents fraichement préparés. Elles déposèrent le tout sur la table, puis se tournèrent vers l'ancien aubemestre.
-Par quoi voulez-vous commencer ? s'enquit Ada, visiblement décidée à lui laisser la direction des opérations.

Albérich regretta qu’ils ne profitent pas de quelques minutes de répit pour décompresser, mais les deux femmes semblaient désireuses de ne pas faiblir dans leurs efforts. Lui-même accusait le contrecoup de la tension avec plus de violence, et il fut saisi d’un vertige qui lui brouilla un instant la vue. Il s’assit sur le banc, posa les coudes sur la table, et le visage entre les mains, lorgnant le bois entre ses doigts.
« Il faudrait commencer par le faire boire. Je ne sais pas ce que vous avez préparé, vous vous y connaissez mieux en refroidissements que moi. Quant aux extrémités… Il faudrait d’abord voir où elles en sont, je ne m’en suis pas vraiment soucié jusqu’ici, je dois dire. »
Il redressa la tête.
« Moi, il faut que je mange, sinon vous aurez bientôt deux alités sur les bras. »
Et avec un léger sourire, il s’efforça de gagner la cuisine.

Il entendit la halfeline et l'adolescente échanger quelques mots à mi-voix puis s'activer auprès de l'enfant. Cependant, il n'était pas dans la cuisine depuis une minute que, déjà, Ada le rejoignait.
-Elisa le fait boire... expliqua-t-elle simplement.
Elle avait les traits tirés, les multiples rides de son visage comme creusées. On la sentait presque aussi fatiguée que ne l'était Albérich. Elle ne resta pas oisive pour autant, fouillant dans les étagères pour en tirer un bocal puis se mettant en devoir de préparer une nouvelle infusion. Ce qui ne prit guère de temps : il y avait encore beaucoup d'eau chaude.
-Buvez... fit-elle en tendant une tasse à l'ancien aubemestre. C'est un miracle que vous ayez tenu le coup si longtemps alors que vous êtes tout juste convalescent. Autant ne pas tenter davantage le diable.

Il accepta la tasse avec un sourire.
« Vous êtes épuisée, vous aussi. Vous feriez mieux de vous servir également. » dit-il.
Il ajouta une dose généreuse de sucre à ce qu’il buvait, histoire de se donner un semblant d’énergie, puis tendit une tranche de pain couverte de confiture sombre à la halfeline. Soudain, l’idée qu’Elisa soit seule avec l’enfant le remplit d’un semblant d’angoisse. Mais il le tempéra avant de sauter sur ses pieds. Elle l’avait sauvé, elle l’avait doublement sauvé, même, car si elle n’avait repéré la grotte dans laquelle il s’était réfugié, ils n’auraient retrouvé qu’un cadavre, peut-être à la fonte des neiges, peut-être jamais. Il trompa sa méfiance en affirmant le contraire, pour se persuader lui-même, en partie.
« Ce qu’a réussi Elisa était inespéré. Je me demande néanmoins si nous ne devrions pas envoyer quérir le clerc de Sylvanus dont le temple est sur la route d’Eredhun. Avec nos maigres moyens, je ne suis pas certain que nous soyons à même de préserver l’intégrité du gamin. »

-L'urgence donne parfois des ailes... ou coupe tout moyen. Heureusement que ce fut la première solution pour Elisa.
La vieille halfeline poussa un soupire las, s'arracha un sourire, puis avala quelques gorgées de sa propre infusion.
-Je ne crains plus pour la survie du petit. Ses extrémités sont mal en point, mais le baume que j'ai préparé devrait éviter qu'il ne les perde. Pour le reste, il se requinquera doucement... Non, ce qui m'inquiète, c'est la perte de son familier. Nul ne peut dire comment il va réagir. Mais... Oui, en cas de besoin, nous ferons appel à ce clerc. Nous évitons, autant que faire se peut, de faire intervenir des gens de l'extérieur. Mais nous ne sommes pas sectaires au point de nous tenir à cette ligne de conduite quand la situation requiert des compétences que nous n'avons pas. Alors, s'il le faut, je lui enverrai un oiseau.

L’ancien clerc soupira.
« Je dois avouer que ces liens entre familier et maître m’échappent un peu… Mais je veux bien vous croire lorsque vous dites que sa perte sera terrible… A-t-on retrouvé le cadavre de la chienne ? Ou bien les recherches se sont-elles avérées infructueuses ? »
Tôt ou tard, il le savait, il verbaliserait certaines de ses inquiétudes. Mais pour l’heure, il avait l’opportunité, enfin, de laisser un peu de sa culpabilité filer.
« Je suis désolé de l’avoir renvoyé sur la piste en pleine nuit… » ajouta-t-il. « J’ai cru… j’ai pensé qu’il savait ce qu’il faisait. Je connais si mal la région, si mal ses usages… J’aurais dû insister pour le garder ici… Mais j’avais l’esprit ailleurs et… Je sais que les regrets ne servent à rien, vous me l’avez assez répété. Je regrette néanmoins. »

-Vous ne devez pas... répondit Ada. C'est moi qui vous l'ai envoyé. Et aurais-je été là quand il est venu vous trouver que je l'aurais laissé repartir sans la moindre hésitation. Bastien connaît la région comme sa poche, il peut s'y déplacer les yeux fermés, sait comment survivre en cas de problème, où s'abriter, où sont les caches de bois... Avec sa chienne à ses côtés, de surcroît, il ne risquait absolument rien. Ils étaient... nos guetteurs, en quelque sorte. Et qui aurait pu penser que des loups seraient venus si près du village ?
Elle grimaça.
-Nous n'avons pas encore retrouvé le cadavre de Belle. Mais nous avons tout lieu de croire qu'elle a été attaquée par une meute de ces animaux. Elle aura essayé de les entraîner loin du garçon, se sera sacrifiée pour le sauver...

« Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi il n’a pas fait demi-tour pour regagner le cottage… Il n’était pas si loin, pourtant… Je sais que les murs empêchent la lumière de se voir de loin, mais… Enfin, j’imagine que nous n’en saurons pas plus tant qu’il n’aura pas repris connaissance… »
Il haussa les épaules, affligé, et se leva. Savoir qu’Ada aurait agi comme il l’avait fait était un réconfort inestimable, et elle devait le sentir. Il n’était pas certain qu’elle ne l’ait pas dit pour qu’il se sente mieux. Néanmoins… néanmoins, n’avait-il pas entendu un hurlement au moment où l’enfant était parti ? Il avait pensé qu’il s’agissait du vent, rien d’autre. Mais peut-être Ada y aurait-elle perçu le cri d’un prédateur… Albérich n’était vraiment pas connaisseur en matière de pleine nature. Les dangers de la ville lui étaient éminemment plus familiers.
« Peut-être pourra-t-il, aussi, localiser la chienne… s’ils étaient liés par quelque chose de particulier… »
Il regagna ensuite la salle à manger pour voir comment Elisa s’en sortait.

Lorsqu'il regagna la salle commune, la jeune fille terminait tout juste de faire boire le petit garçon. Elle l'avait légèrement redressé, veillant à ce qu'il reste emmitouflé dans sa couverture et, avec d'infinies précautions, avait fait couler le liquide entre ses lèvres. Bien sûr, le menton de Bastien était humide, et la couverture maculée de gouttelettes. C'était inévitable, mais Albérich eut tout de même l'impression que les pertes étaient plutôt limitées. En tout cas, l'adolescente n'avait pas ménagé ses efforts, et il y avait une sorte de tendresse, diffuse mais manifeste, dans la manière dont elle s'occupait de lui.

L’ancien clerc s’assit contre le mur, non loin du feu, et continua à siroter son infusion, tout en se réchauffant. Sa tension s’évapora comme il observait le soin qu’Elisa mettait dans ses gestes. S’il y avait un danger à Combeloup, au donjon, même, il n’émanait pas d’elle. Des loups avait dit Ada. Et peut-être Eloi, malade, avait-il eu un instant de confusion qui l’avait mené à détruire ses parchemins. Albérich lui-même savait qu’il n’était pas à l’abri d’accès imprévus de violence. Il ne savait rien du chapelain.
Il se laissa doucement gagner par la quiétude des lieux, le silence tranquille, le contrecoup d’émotions négatives et brutales. Il se sentait fier de la jeune fille, tout en n’étant lié en rien à elle, et en la regardant travailler, il réalisa qu’elle aurait pu être sa fille. Cela l’emplit d’une douce mélancolie. Il n’avait jamais imaginé fonder une famille, avoir des enfants… Certains clercs le faisaient, le Temple disposait d’une série de petites maisons privées à disposition des prêtres qui le désiraient, et il n’était pas rare d’en voir l’un ou l’autre offrir une visite guidée du sanctuaire à sa progéniture. Mais Albérich avait tout donné à sa vocation, sans compter, sans se ménager d’espace pour autre chose. Il n’y avait même pas songé, même pas réalisé qu’il posait un choix, qu’il renonçait à quelque chose. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
« Vous devriez vous reposer, Elisa. Vous avez beaucoup donné. Je vais prendre le relais. » fit-il en se levant.

La jeune fille secoua la tête.
-Oh, je peux tenir encore un peu, ne vous inquiétez pas... fit-elle avec un sourire fatigué mais volontaire. Je n'ai pas été malade des jours durant, je n'ai pas passé ma dernière nuit à soigner sire Eloi et ma journée à diriger l'expédition... C'est normal que je vous aide autant que possible. On va lui passer le baume, puis le mettre au lit. Après... Je pourrai me poser.
Ada reparit sur ses entrefaites et, sans qu'on eu besoin de rien lui dire, l'adolescente dépouilla le petit garçon de sa couverture et l'allongea doucement sur la table.

L’ancien clerc ne protesta pas et se leva à son tour. S’ils s’y mettaient tous les trois, Bastien serait plus rapidement soigné et ils pourraient tous aller se coucher. Peut-être exigeraient-elles que quelqu’un le veille, mais Albérich pensait la chose inutile. Il était, comme l’avait dit Ada, tiré d’affaire. Il alla donc prendre un peu de l’onguent qu’avait préparé la halfeline et commença à en enduire les pieds du petit garçon, veillant à agir aussi doucement que possible. Il était inconscient, mais cela ne signifiait pas qu’il ne ressentait pas la douleur. Il lui emballa ensuite les pieds dans des bandes de toile, pour les protéger des chocs et des frottements. Quand cela fut fait, ils purent le déplacer jusqu’à un lit qui l’attendait dans une des chambres d’appoint. Un petit âtre crépitait non loin et Ada avait chauffé les draps à l’aide d’une bassinoire. Une fois installé, il avait l’air presque serein dans son sommeil.

Effectivement, comme il s'y était attendu, les deux femmes proposèrent de veiller l'enfant. Elisa se montra la plus insistante en la matière, arguant que, s'il venait à se réveiller durant la nuit, il vaudrait mieux qu'il y ait quelqu'un près de lui, afin qu'il ne se sente pas seul, perdu dans un lieu qu'il ne connaissait pas. Quand Ada avança qu'elle devait tout de même se reposer, l'adolescente répondit que le fauteuil que comportait la pièce lui semblait des plus confortables, qu'elle pourrait aller se chercher des couvertures dès qu'elle aurait mangé un morceau... Elle se mit d'ailleurs, aussitôt, en devoir de joindre le geste à la parole.
La vieille halfeline secoua la tête, souriante, puis se tourna vers Albérich.
-Et bien, laissons la main à la jeunesse, et allons nous coucher... Je crois que nous l'avons tous les deux bien mérité.

Albérich souhaita la bonne nuit à Elisa et Ada et battit en retraite vers la propre chambre. Il se sentait toujours faible, vaguement nauséeux, et le sang pulsait à ses tempes. Il était épuisé. Il prit tout juste le temps de se changer, se rafraîchit rapidement dans le broc, puis alla s’emmitoufler dans ses couvertures. Le sommeil ne tarda pas à le saisir et l’emporter. Il rêva de neige et de loups, s’éveilla deux fois, un peu hors d’haleine, avant de replonger sans réellement s’être éveillé. C’est seulement au petit matin, dans l’aube grise, qu’il émergea finalement, vaseux, et il demeura allongé longtemps, contemplant le petit filet de lumière triste qui tombait sur son couvre-lit.
Après s’être rapidement habillé, il se rendit directement dans la chambre de Bastien.

La maison était parfaitement silencieuse, signe que, contre toute attente, Albérich était le premier a avoir quitté le sommeil. La petite chambre était paisible, tranquille, et rien n'avait changé depuis son départ. Ou presque : Elisa avait tiré le fauteuil tout contre le lit et s'y était endormie, emmitouflée dans une couverture, la main posée sur celle, bandée, du petit garçon. Ce dernier semblait ne pas avoir bougé d'un pouce... Mais il était toujours bien vivant.

L’ancien clerc eut un sourire attendri, puis s’esquiva sans faire de bruit pour regagner la salle à manger. Il y ralluma le feu et décida de préparer un bon petit déjeuner pour ses invitées imprévues. Il restait du pain, du fromage, de quoi préparer un gruau consistant, quelques fruits secs, du miel, et il se fit un devoir d’organiser ça au mieux, mettant la table comme si elles avaient été dans une auberge de bonne tenue. Ensuite il s’assit et attendit qu’elles se lèvent. Malgré l’absence de la chienne, il avait l’impression de sortir d’un mauvais rêve, des brumes opaques de Combeloup. Cependant, l’urgence l’avait arraché un instant à son sinistre apitoiement sur lui-même. C’était une forme de victoire sans en être une. Retrouver une utilité. Il était persuadé que c’était la clef de sa survie, plus que d’affronter les événements.

Les planchers de la maison finirent par grincer, et Ada apparut dans l'encadrement de la porte. Ses traits tirés faisaient peine à voir, et on aurait dit que sa nuit ne lui avait apporté aucun repos. Cependant, elle afficha un large sourire en découvrant la table du petit déjeuner et, sans tarder, elle se laissa tomber sur une chaise.
-Vous avez mis les petits plats dans les grands, dites donc ! Il ne fallait pas vous donner tant de mal... même si, je l'admets, c'est fort agréable d'être ainsi reçue si tôt matin. Avez-vous bien dormi ?

Il l’invita à s’asseoir, souriant. Il craignait de lui avouer combien cette compagnie lui faisait plaisir.
« Apparemment mieux que vous… » fit-il en lui servant une tasse de thé. « Est-ce toujours le destin du chien qui vous trouble ? Ou est-il autre chose que vous aimeriez partager ? Je ne veux pas me montrer indiscret… et surtout pas vous importuner alors que vous sortez du lit… »

Ada l'observa un instant, puis fit la grimace.
-Bah, de toute façon, vous le saurez tôt ou tard, vu les mesures qu'il nous faudra finir par prendre... Des loups ont rôdé près de la maison, cette nuit. Ils se sont faits discrets mais... Je les ai entendus, tout de même. Ils ont longé le mur d'enceinte, et seraient entrés dans le jardin, si sire Eudes n'avait refermé la grille en partant.
Elle soupira.
-Je suis désolé de briser d'emblée la quiétude matinale, mais... le répit n'aurait de toute manière été que de courte durée. D'autant que tout cela n'augure rien de bon...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes