La Couronne de Cuivre

Pas de protocole ? Pas de cérémonial pompeux ? De courtisans guindés aux murmures onctueux, de table aux milles couverts brillants dont chaque place a été attribuée pour correspondre à l'étiquette très précise des cours princières ? Pas de hérauts en grande tenue clamant la généalogie du moindre invité ? Diantre, la soirée s'annonçait bien différente de ce à quoi Taliesin était habitué en pareil cas. de ce à quoi il s'était attendu. Et le moins qu'on puisse dire était que la surprise n'était pas pour lui déplaire, loin s'en fallait. Peut-être même parviendrait-il a passer un bon moment... En tout cas, le sourire qu'il adressa aux princes et aux autres personnes présentes étaient sincères, et il entreprit de vider son verre. Histoire d'être dans l'ambiance et de chasser les sombres anticipations qui rôdaient toujours dans les parages...

La soirée se déroula comme elle avait commencé. L'ambiance était légère, tous les convives semblaient jouer d'un instrument ou pousser la chansonnette. Taliesin était cependant le seul barde, et on lui fit donc une place toute spéciale, lui proposant de jouer quelques morceaux en solo. Cependant, les plus motivés de l'assemblée eurent du mal à se contenir, et Taliesin fut plus d'une fois accompagné alors qu'il imaginait se produire seul. Différents groupes se formèrent, la soirée s'éternisa autour d'infusions et de petits alcools capiteux, accompagnés d'herbe à pipe et de friandises sucrées. Toutes les personnes présentes se montrèrent chaleureuses et prolixes, s'intéressèrent à l'elfe sans le pousser à se révéler, partagèrent avec lui anecdotes et bons conseils. Le prince était ravi de sa soirée et lorsque Taliesin tenta de prendre congé, il usa de mille cajoleries pour le garder encore un peu parmi eux. Puis, finalement, le soleil commença doucement à se lever.

Cette vision laissa Taliesin pantois. Il n'aurait jamais imaginé que la nuit ait passé si vite. Au pire, il pensait qu'il était deux ou trois heures après la minuit. Mais certainement pas que l'aube le surprendrait ! C'était presque incroyable, surnaturel : certes, la soirée avait été des plus agréables, les convives chaleureux, les diverses improvisations collectives fort distrayantes.. Mais qu'elles lui aient ainsi fait perdre la notion du temps... C'était bien la première fois que semblable chose lui arrivait. Et pourtant, il était n habitué de ce genre de réjouissances...
Il pensa soudain à Victor. S'il avait été aussi anxieux que lors de son absence précédente, il y avait fort à parier qu'il n'avait pas fermé l'œil de la nuit.
Il fallait donc qu'il rentre dans l'instant...
-Monseigneur... fit-il au prince en s'inclinant. Je vous remercie de tout cœur pour cet agréable moment. Ce fut un grand plaisir et un grand honneur de le passer en Votre compagnie et celle de vos amis. A tel point que je n'ai pas vu l'heure passer... Je crains cependant que le moment soit venu pour moi de solliciter la permission de me retirer.

Le prince fronça les sourcils et une expression faussement sévère transforma son visage avenant.
" Mmm... Seulement si vous promettez de revenir. Dans un an ou dans dix." fit-il. " En fait, je cherche des bardes de renom pour animer mes épousailles. Je suis certain que vous feriez merveille ! Bon, je reconnais que l'intervention de Colminn dans votre interprétation des "Trois sanglots de la Femme-Loutre" a un peu gâché vos effets, mais nous le bâillonnerons, je vous le promets. Cela dit, rassurez-vous, je ne me marierai que d'ici une vingtaine d'années. Mais vous êtes d'ores et déjà invité, tenez-vous le pour dit !"
Puis, avec un sourire rayonnant, il s'inclina devant le barde.

Une vingtaine d'années... Il avait le temps de voir venir. Et il ne lui serait pas désagréable de repasser dans les parages de Loth Imarhil. Enfin, il lui était impossible de se projeter jusque là... Pour les elfes, vingt ans, c'était une bagatelle. Mais lorsque l'on vivait avec les humains, la chose n'est pas si anodine.
-Vous avez ma parole... dit-il en souriant.
Puis, après avoir salué les autres convives, il s'empressa de mettre le cap sur le Rendez-Vous-Des-Moins-Que-Rien, en espérant que la soirée et la nuit de Victor n'aient pas été trop mauvaises...

Une fois encore, l'auberge était éclairée au moment où Taliesin y rentra. Mais cette fois, il croisa l'équipe qui préparait les petits déjeuners et mettait les tables en prévision du lever des convives. Borgporkniel était déjà debout, lustrant son bar avec soin, et il salua l'elfe, avec un large sourire.
" Vous m'auriez interrogé, je vous l'aurais dit. Mais vous avez préféré faire à votre guise... Vous avez eu une bonne surprise." dit-il, amusé.
A l'étage supérieur, Victor ronflait avec félicité, en-dessous de ses couvertures. Taliesin nota cependant qu'il tenait le petit renard d'étoffe serré contre lui.

Taliesin demeura un moment à contempler l'enfant. Il avait tendance à oublier à quel point il était petit, encore, et le voir ainsi serrer le renard lui le rappelait douloureusement.
Huit ans. Seulement huit ans. Et déjà tant de pertes, tant de souffrances, tant d'épreuves...
Mais celles-ci seraient bientôt terminées. Il ne pouvait en être autrement. Ils prendraient le coche le lendemain. Le surlendemain, peut-être. Puis se rapprocheraient de Luménis, chercheraient Galathée. La retrouveraient, enfin. Alors, ils ne se quitteraient plus, et l'avenir serait dégagé de tout nuage.
Il le souhaitait de tout son cœur, en tout cas.
Le plus silencieusement possible, il gagna son lit, se changea puis se glissa sous les couvertures. Déjà, le sommeil s'abattait sur lui.
Il allait bien dormir. C'était presque une certitude. Restait à espérer qu'on l'éveillerait avant la nuit suivante...

Personne ne vint déranger le sommeil de Taliesin, et il s'éveilla de lui-même, beaucoup plus tard dans la journée. A voir l'angle des rais de lumière qui baignaient la chambre et les odeurs qui montaient à travers les lattes du plancher, il put deviner qu'il était aux alentours de la mi-journée. Et le silence relatif de la salle commune lui appris que le repas était probablement terminé. Victor s'était levé et était sorti de la chambre, comme la veille. Malgré la quantité indue de mixtures diverses qu'il avait avalées la veille, l'elfe se sentait relativement reposé.

Sans paresser outre mesure - il l'avait déjà beaucoup trop fait - l'elfe se leva, s'habilla et quitta la chambre. Il demanderait à Borgporkniel de lui servir quelque chose de très léger, puis se mettrait en quête de Victor : ils devaient se rendre à la forge de Loth Imarhil pour y achever leurs derniers préparatifs, peut-être les plus cruciaux... Si le petit garçon avait trouvé à s'occuper et ne désirait pas se livrer à de nouvelles emplettes - il avait été des plus patients la veille, alors qu'ils y avaient passé des heures - le barde irait seul. Ce ne serait guère long, de toute façon.
Ensuite, il ne leur resterait plus qu'à attendre le départ du coche. L'imminence de celui-ci faisait insidieusement monter la tension latente qui l'habitait. tout en apaisant sa conscience. C'en serait fini des haltes impromptues : ils allaient voler au secours de Galathée.

Taliesin n'eut pas à chercher bien longtemps : Victor était dans la salle commune, penché sur un livre qu'il tentait de décrypter, la langue sortie dans une moue d'intense concentration. En voyant approcher le barde, il lui fit signe, et Borgporkniel jaillit avant qu'il ne puisse atteindre la table de l'enfant.
" Petit déjeuner ou déjeuner ?" demanda-t-il simplement.

-Un... déjeuner. Oui, un déjeuner, ce sera très bien, dit Taliesin. Je mangerai quelque chose de plus consistant ce soir...
Il sourit à l'aubergiste puis vint s'assoir près de Victor, un peu étonné de ne pas le voir à l'extérieur, occupé à quelque épique bataille de boules de neige.
-Tu lis quoi de beau ? s'enquit-il.
La question n'était pas de pure forme : il était vraiment curieux de connaître la nature de l'ouvrage qui intéressait suffisamment le petit garçon pour le retenir à l'intérieur.

Victor lui sourit alors qu'il prenait place.
" J'étais un peu fatigué aujourd'hui. Puis je ne voulais pas te manquer quand tu te lèverais, parce que le cocher part déjà demain à la mi-journée, alors on n'a plus beaucoup de temps..."
Il souleva le livre, jeta un oeil à la couverture, puis le reposa.
" C'était dans les objets trouvés de Borgporkniel. Il a dit que je pouvais le prendre. Il y en a deux autres. C'est les mémoires d'un chevalier, celui-ci. Qui était à Eauprofonde. Ne me demande pas où c'est, j'en sais vraiment rien. Mais c'est écrit en commun, alors je peux un peu me perfectionner... Y'avait des livres au Temple, à Ithilion. Plus ennuyeux. Mais je veux pas perdre ce que je sais !"

-Tu as bien raison... répondit-il, souriant.
Ainsi, ils seraient en route dès le lendemain. C'était une bonne nouvelle. Ils étaient quasiment prêts, n'auraient pas l'occasion de s'ennuyer, de laisser la tension grandir tandis que se poursuivait l'attente. Bien sûr, le voyage leur paraîtrait long, mais... C'était la dernière grande étape avant la fin du voyage.
Avant que tout ne rentre dans l'ordre.
-Je retournerai en ville sitôt après avoir déjeuné... reprit-il. A la forge. Histoire de remplacer ou de compléter notre armement. Tu es évidemment le bienvenu, si l'aventure te tente. Après ça... Il ne nous restera qu'à patienter jusqu'au grand départ.

Victor acquiesça.
" Le cocher m'a dit qu'il ne descendait pas jusqu'à Luménis, mais il dit qu'à Rohan, on pourra trouver aisément un autre coche qui va par là. Tu crois qu'on doit aller jusqu'à la ville ? Sinon, on ne sera pas tous seuls dans le coche, malheureusement, mais bon... Il ne faut jurer de rien, peut-être que nos compagnons de route seront chouettes. Et la route est longue, on doit arpenter toute la trouée... Ça va nous prendre un bon bout de temps, tu sais ? On est quand même allés vachement loin... Moi ça va me faire bizarre..."
Il suspendit sa phrase et frissonna.
" C'est le chemin que j'ai pris pour aller jusqu'à Ithilion... avec... enfin..."
Il se tut, referma son livre.
" Dès que tu as fini de manger, on va à la forge ! Tu crois que je pourrais avoir un arc, moi aussi ?"

Taliesin lui adressa un sourire encourageant. Il comprenait ce que voulait dire l'enfant : lui-même ne manquerait pas d'être renvoyé à de douloureux souvenirs, lorsqu'il redécouvrirait des paysages entrevus lors des haltes, à l'aller, quand les sbires de Kanter le laissaient sortir de sa caisse...
-Tu verras, tout se passera bien... fit-il en lui touchant l'épaule. Et l'avantage d'un long trajet, c'est que nous pourrons préparer notre plan d'attaque... Pour le reste, je ne crois pas que nous irons jusqu'à Luménis. On se dirigera plutôt vers le village dont je t'ai parlé... Nous ne pourrons compter que sur nous mêmes, et il faudra être discrets...
Gabriel Kanter avait certainement prévenu sa sœur de son évasion. Et prévenu les autorités, peut-être. Il faudrait sans doute faire profil bas, se déguiser...
-Pour l'arc... Pourquoi pas ? Nous demanderons à la personne qui tient la forge si elle a quelque chose qui peut te convenir. Mais il se peut que ta fronde soit plus appropriée. Devenir archer ne s'improvise pas... En revanche... Je me disais que peut-être, pourquoi pas... Une épée courte, une vraie, pour quand tu te seras bien entraîné avec celle de Borgporkniel... ça pourrait être une bonne idée.
Donner une arme à un enfant de huit ans... Cela le mettait des plus mal à l'aise. Malheureusement, le monde était comme il était, il ne fallait pas que Victor se retrouve sans défense...

Victor hocha la tête avec concentration, puis grimaça.
" Tu crois qu'on va devoir se battre encore ? Pour de vrai ? Honnêtement... Je pense pas que ce soit prudent que j'aie une épée ou quoi... Je vais me blesser moi, personne d'autre. Faire des exercices avec une morceau de bois, tout ça... C'est comique, mais... Avec une épée ? Je saurais même pas la soulever. Non, c'est pas... Je crois qu'il vaut mieux s'en tenir à la fronde. L'arc, j'aimerais bien apprendre, un jour, et je me disais... Comme on est ici, et que les elfes font les meilleurs... Mais je comptais pas l'utiliser, en fait..."
Il fit un léger sourire à son compagnon.
" De toute façon, tu sais bien que je suis meilleur à la bûche !"

-En la matière, tu es un maître, et j'espère bien qu'un jour tu me trouveras digne d'apprendre tes bottes secrètes...
Il but une gorgée de son thé.
-Pour l'épée, tu as sans doute raison. On verra plus tard. Et pour l'arc aussi : c'est une bonne occasion. D'autant que l'été va venir, il faudra bien qu'on trouve à s'occuper. Alors, je t'apprendrai à tirer, si tu veux. Je ne suis pas exactement un expert, mais pour une initiation, ça devrait suffire...
Sur ces mots, il se mit en devoir d'achever son petit déjeuner. Ce n'était pas le moment de trainasser.

" Oh, Galathée pourra m'apprendre, si ce n'est pas ta spécialité." fit le petit garçon, léger. " Quant à mes bottes secrètes... Nous verrons si un jour tu le mérites !"
Il tira la langue au barde tandis que le demi-orque venait lui déposer une omelette plantureuse, chargée de tomates, de lardons et de champignons, ainsi qu'une miche de pain frais et un pot de beurre.
" Après les délices du prince, retour sur Toril." fit l'aubergiste avec un clin d'oeil, avant de retourner à son comptoir.
" Mais toi, tu n'as rien dit ?! C'était comment avec le prince elfe ? Borgporkniel m'a dit que tu serais certainement pris au dépourvu... Raconte !"

-Ah ça, j'ai été surpris, pour sûr ! fit-il en s'emparant de ses couverts. Je m'attendais à une soirée guindée, avec des discussions et un protocole assommants, mais il n'en a rien été. C'était... une sorte de pique-nique, en fait. A la bonne franquette. Le prince est très jeune, encore adolescent, et ses amis ne sont guère plus vieux que lui. Du coup, l'ambiance était assez légère, nous n'avons pas débattu de sujets sérieux. Nous avons simplement bavardé, joué de la musique... En plus, comme c'était dans la clairière printanière, il faisait bon... Très agréable, vraiment.
Il grimaça.
-Bon, évidemment, je ne m'attendais pas à y rester jusqu'à l'aube, mais enfin...
Son sourire revint.
-En tout cas, la harpe a fait des merveilles. Elle a vraiment un très bon son, c'est un plaisir d'en jouer... Bref, tu n'aurais pas pu faire meilleur choix.

Cette dernière phrase fit rougir Victor de plaisir.
" J'ai fait confiance au luthier, rien de plus." murmura-t-il, modeste. " Mais mange, ou tes oeufs seront froids, et c'est moins bon, alors."
Il posa le menton dans ses mains, coudes sur la table.
" Tu devrais peut-être aussi te trouver de la lecture pour le voyage. Le cocher m'a dit que ça prendrait au moins une semaine, peut-être dix jours, avant d'arriver à Rohan. La route est mauvaise jusqu'au premier bourg humain, après ça va mieux, mais on n'est pas à l'abri de mauvaises surprises, d'autant qu'on sera en plaine et que le blizzard y souffle dru. C'est lui qui l'a dit. Il m'a aussi demandé si on était prêts à pousser de temps en temps. J'ai dit que tu pousserais pour deux."

L'elfe éclata de rire.
-Tu te leurres, mon grand... Les bardes ne poussent pas : ils encouragent les autres dans leur effort par des chants appropriés. Ceci dit, si tu préfères, je pousserai, tandis que tu sortiras des airs mélodieux de ton pipeau.
Il avala quelques bouchées.
-Hum, et j'essayerai de me procurer des bouquins, oui... cela fait une éternité que je n'en ai pas lu, mais... Le conseil paraît judicieux.
Il se sentait bien incapable de lire quoi que ce soit, surtout avec, en tête, ce qui les attendait au bour de leur voyage. Cependant, il ne fallait présumer de rien, il finirait peut-être par être lassé des anticipations et des ébauches de plan basées sur du vide.

Une fois l'elfe rassasié, Victor bondit sur ses pieds et trépigna d'impatience en attendant qu'il termine de se préparer. Borgporkniel avait semblé sur le point de proposer une infusion ou un digestif à son client, mais le regard noir du garçon l'avait renvoyé derrière son comptoir, où il astiquait des chopes en sifflotant un vieil air de bataille.
Dès que Taliesin eut mis son manteau, il fut traîné dehors par le gamin, qui malgré sa fatigue, semblait désireux de se dégourdir les jambes. Comme les jours précédents, on les laissa pénétrer dans la grande cité sans leur chercher de noises et ils purent déambuler dans la neige épaisse, à la recherche de la forge. Le barde eut plus de mal à la localiser qu'il ne l'aurait cru, mais finit par en retrouver le chemin, et ils entrèrent peu après dans l'espace lumineux qu'occupait Miranda. Cette dernière était affairée près de son enclume et ne leva pas les yeux à leur arrivée. Victor, par contre, était ébahi par le décor imprévu.

Le barde sourit à l'enfant, comprenant très bien son étonnement : le moins que l'on puisse dire était que l'endroit ne correspondait guère à l'image que l'on se fait d'ordinaire d'une forge. Il demeura cependant silencieux, peu désireux de déranger l'artisan dans son travail. Ils n'étaient pas pressés. Il en profita simplement pour vérifier qu'il avait bien apporté les gemmes, ainsi que les armes qu'il comptait échanger. Tout était là, évidemment.

Miranda finit par se détourner de sa tâche et décocha un sourire au barde en le reconnaissant. Elle posa un regard plus interdit sur Victor, mais se garda bien de faire le moindre commentaire désagréable.
" Que puis-je pour vous, aujourd'hui, mon ami ?" demanda-t-elle en s'approchant.
Elle retira ses gants qu'elle glissa à sa ceinture. S'exprimant en elfique, elle n'était pas compréhensible par Victor, et Taliesin nota alors que leurs interlocuteurs mages, au contraire, avaient toujours fait l'effort de s'exprimer en commun, peut-être parce qu'ils le connaissaient.

Espérant, bien que cela n'ait au final guère d'importance, que la forgeronne ne parlait pas en commun à cause d'un manque de connaissance, et non par mépris, Taliesin lui répondit en souriant.
-Et bien, j'ai quelques achats à faire en matière d'armes... et peut-être d'armures.
Il lui tendit épée et arc courts.
-J'ai récupéré ceci chez une sorcière qui... nous avait cherché des noises. Ce sont de bonnes armes, mais.. Notre hôtesse les avait volées à ses précédentes victimes, ce qui me laisse une étrange impression, lorsque je m'en sers. De plus, je suis davantage habitué aux lames et aux arcs longs... Ainsi, j'aurais aimé savoir si vous auriez des choses dans ce domaine. Ainsi que, si possible, un arc adapté à la taille de mon garçon...
Son sourire s'élargit et il tira de sa bourse les pierres précieuses qui leur restait.
-Je préfère vous montrer tout de suite de quels moyens nous disposons... Je ne suis pas coutumier de ce genre d'achat, je n'ai donc pas d'idée précise en matièe de prix.

La forgeronne sourit.
" Et bien... Moi qui espérais pouvoir vous faire travailler quelques jours pour vous faire payer, j'en suis pour mes frais !" s'exclama-t-elle. " Ces armes sont de bonne facture, mais je crains de ne pas pouvoir en faire grand chose... Les lames sont des oeuvres humaines, personne n'en voudra ici. Sans vouloir manquer de respect à votre petit. Les elfes ont une morphologie un peu différente, et ils préfèrent leurs armes équilibrées autrement. Sans parler de l'ornementation, bien sûr. Quant à l'arc... Pourquoi voudriez-vous en changer ? Je peux changer la corde, mais c'est déjà un excellent ouvrage. Il ira bien pour votre... l'enfant. "
Elle se tourna vers les râteliers qui tapissaient ses murs.
" Si vous cherchez une épée longue... J'en ai plusieurs qui devraient faire l'affaire. Tenez..."
Elle désigna le mur et un mannequin d'entraînement.
" Testez les quatre à partir de celle au pommeau vert sombre. Vous en trouverez une qui vous conviendra."

Le barde s'exécuta sans perdre de temps. Acheter une arme... Autrefois, cette seule idée l'aurait mis des plus mal à l'aise. Il avait eu une épée, oui : mais, comme son armure, elle lui avait été offerte par le prince elfe à la cour duquel il s'était produit des années durant. Cette lame, magique de surcroit, il l'avait perdue durant le coup d'Etat de Nwalk. Ou plutôt Nwalk lui-même lui l'avait prise, avant de le faire prisonnier... Il en avait brandi une autre, ensuite, alors qu'il était le Monstre. Volée à quelque victime... Et c'était Galathée qui l'en avait dépouillé, lors de sa capture.
Lors de son sauvetage, rectifia-t-il.
Une fois, cependant, il avait procédé à un tel achat. Juste avant de partir à la rescousse du conseiller Megrall. Cette épée-là l'attendait probablement dans leur maison de Luménis. Il n'avait pas jugé utile de l'emporter, alors qu'il se rendait chez les Merlu.
Peut-être aurait-il dû...
L'elfe grimaça. Se concentra sur ce qu'il était en train de faire. Se laisser aller à de telles pensées. Pour une simple épée...
-Celle-ci, dit-il en enfin, en montrant à Miranda la lame qui lui convenait le mieux. Il n'avait jamais éprouvé de réel plaisir pour l'escrime, mais il avait dû se battre bien plus souvent qu'il ne l'aurait voulu,, et il savait parfaitement de quoi il avait besoin. Ce dont il se servirait avec le plus d'efficacité.

" C'est un bon choix." fit la forgeronne en prenant la lame.
L'épée était bien équilibrée, longue et légère à la fois, et sa garde aux entrelacs végétaux était relativement discrète, comparée à ses voisines. Miranda l'emporta vers l'arrière de la salle et revint avec un fourreau en étoffe gris sombre, renforcé de bois et de métal, qui lui était assorti.
" Avez-vous un symbole ? Que je puisse le graver sur la lame ? Je ne laisse pas sortir une épée sans une petite touche qui l'identifiera comme vôtre."

Le barde ouvrit la bouche. La referma lentement.
Un symbole ? Il n'en avait jamais eu. Fils d'inconnus dont il ne savait rien, pas même le nom, représentant d'une cité qui s'était gardée d'arborer tout emblème, individu voué dès son plus jeune âge à une quête derrière laquelle il devait s'effacer, il n'avait jamais songé à arborer un signe distinctif. Se trouvait donc totalement dépourvu maintenant que la question se posait.
En désespoir de cause, conscient qu'il avait les idées trop peu claires pour réfléchir à cela, il se tourna vers Victor.
-J'ai besoin de ton aide, bonhomme... fit-il, en commun. Miranda veut apposer un symbole distinctif sur l'épée. Pour montrer... Qu'elle m'appartient. C'est une sorte de tradition, apparemment. Mais... Je n'ai jamais réfléchi à une chose pareille, moi... Alors, est-ce que tu aurais... une idée ?

Victor sursauta quand Taliesin l'apostropha soudain en commun. La mine de la forgeronne indiqua à l'elfe qu'il ne s'était pas trompé : elle n'y comprenait goutte.
" Heu... mais j'en sais rien !" s'exclama Victor, scandalisé qu'on lui impose une telle responsabilité. " Tu devrais sans doute lui demander... un symbole musical... ou une harpe..."
Il haussa les épaules.
" Ou alors une chouette, pour la mission..."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Loth Imarhil

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