La Couronne de Cuivre

Cette échange avait laissé la paladine impatiente de trouver enfin une issue à ce maudit tunnel mais surtout - et c’était bien le plus important – rassérénée et prête à se frayer un passage au travers de tout obstacle qu’on aurait eu le mauvais goût de dresser sur leur passage. Tout en rampant sur ses coudes et ses genoux, elle se donnait l’énergie d’avancer en imaginant comment elle pourrait éventuellement forcer Arthur à honorer sa promesse. Mais peut-être serait-il plus agréable encore de voir s’il comptait le faire sans encouragement. Une question difficile à trancher qui avait au moins le mérite de ne pas lui faire penser aux cadavres qu’ils étaient peut-être en train de piétiner dans le noir et surtout à cette maudite épreuve qui n’avait plus de fin.

Devant Arthur se découpa bientôt un disque de lumière. La sortie était proche. Il ne tarda pas à percevoir des voix.

"Attendez, je vois quelqu'un. On dirait ..., fit la voix de Luna.
- Excusez moi, mais vous devriez peut-être lâcher votre arbalète. Il me semble que vous avez la gâchette un peu facile. La prochaine fois, vous risquez de ruiner plus qu'un chapeau, intervint Maelys.
- Je vois un marteau qui brille avec un paladin au bout., repartit Luna, abaissant une nouvelle fois son arme en faisant fi de la remarque.
- J'étais sûre qu'ils nous rejoindraient.", conclut Eli.

Arthur poussa un soupir de soulagement.
" Nous y sommes... Les autres nous attendent." dit-il à Chandara, ignorant si elle avait entendu les voix de leurs compagnons.
Elles ne paraissaient pas plus inquiètes que cela, aussi s'extirpa-t-il du boyau sans craindre d'être frappé par la foudre ou la lame d'une hache astucieusement positionnée. Il avait mal partout : sa grande carcasse n'était pas faite pour ce genre de contorsions. Il se remit debout en osant à peine regarder l'état de son harnois. Ramper dans les pierres et les ossements ne lui avait sûrement fait aucun bien même s'il l'avait sans doute efficacement protégé des ecchymoses... Il sourit aux trois femmes, constatant avec soulagement que Brus était également vivant, puis se retourna et mit un genou en terre pour aider Chandara à sortir à son tour. Il avait posé le marteau sur le sol, espérant ne pas commettre un crime de lèse-majesté...

Les voix de leurs amis, l’impression que l’air devenait moins étouffant, la voix enjouée mais pourtant calme et sereine d’Arthur. Autant de baumes qui firent bien vite oublier à Chandara les derniers mètres restant à franchir avant la libération, la fin de son calvaire personnel, la victoire – quoique certainement temporaire - de sa bataille contre l’une de ses pires angoisses. Et pour compléter ce tableau parfait, son beau paladin l’attendait à la sortie du tunnel exactement comme elle l’avait désiré, majestueux dans sa position humble, grand fort et rassurant surtout après cette terrible heure passée dans les ténèbres, mais – plus que tout – toujours aussi séduisant et attentionné, avec un sourire qui paraissait encore plus charmant. Alors, quand il l’aida à s’extirper du tunnel et à se redresser, elle ne perdit qu’un court instant pour constater que ses compagnons étaient tous sains et saufs. Puis elle les occulta temporairement de son esprit, plaça ses mains derrière la nuque du paladin et l’embrassa fougueusement sur la bouche sans même lui laisser le temps de s’exprimer.

Arthur avait vu Chandara se relever de la poussière, défraîchie mais divine, et pendant un battement de coeur infime, il s'était demandé si elle allait brusquement réaliser qu'elle s'était mépris, qu'il n'était qu'un petit Luménien de rien, un freluquet en armure, un Lathandrite à la noix qui avait osé — ridicule — croire un instant qu'il pouvait prétendre à la frôler. Et puis elle l'avait saisi et embrassé, et des émotions extrêmes s'entrechoquaient dans son esprit, et s'il était sûrement écarlate et embarrassé, il était surtout fier, en réalité : fier qu'une femme aussi extraordinaire l'estime digne d'un baiser et ose l'afficher devant quatre autres personnes. Il ne put s'empêcher de la serrer un moment contre lui, passant un bras autour de sa taille, un autre autour de ses épaules, et il fut fidèle à sa promesse, mettant tout ce qu'il pouvait de lui-même dans cette étreinte.
Et puis le sens des convenances lui revint brusquement, comme une taloche à la base de la nuque, et, la mort dans l'âme, il s'arracha aux lèvres de la jeune femme.
" Vous avez été formidable, lui dit-il cependant, à mi-voix. Je n'en avais jamais douté."

Chandara s’était pleinement abandonnée entre les bras de son bien aimé, savourant chaque instant de ce nouveau baiser qui n’était plus empreint de doutes ou guidé par la peur imminente que le plafond ne s’effondre sur leur tête. Non, cette fois elle s’était montrée volontaire, entreprenante même et Arthur lui avait donné toutes les confirmations qu’elle espérait. Le pincement au cœur quand il mit fin à leur tendre étreinte était un peu moins douloureux cette fois qu’elle avait acquis la certitude qu’il y en aurait d’autre, dès que le moment s’y prêterait davantage. Elle réalisa alors où elle se trouvait et surtout qu’ils n’étaient pas seuls. De façon très prévisible, son teint vira aussitôt au cramoisi et elle n’osait pas regarder en direction de Brus, Maelys, Eli et surtout Luna qui devait se trouver passablement goguenarde en l’instant. Qu’à cela ne tienne, cela lui fournissait une parfaite excuse pour ne pas quitter le paladin des yeux. Elle lui adressa un regard timide après avoir ramassé son épée pour la lui tendre avec quelques mots murmurés :

- Je n’y serais jamais parvenu sans le formidable compagnon que vous êtes ! Reprenez votre épée, mon cher et allons combattre côte à côte !

Sur la lancée de sa précédente blague, Brus composait à mi-voix quelques rimes en "ate" en l'honneur du Loviathe écrasé sous le tunnel : blatte, plate, écarlate, acrobate, dont il faisait profiter Eli, puisqu'elle appréciait manifestement l'humour, lorsque Luna leur signala l'arrivée d'un groupe. Arthur sortit bientôt du tunnel, suivi de près par Chandara. Mais ce qui se produisit ensuite entre les deux paladins laissa le roublard muet de stupeur. Il ne parvint à articuler qu'au bout de quelques secondes :

"Ben ça..."

Que dire d'autre? Brus était tenté de lâcher une connerie, comme à son habitude, mais il devait bien admettre que, pour une fois, il séchait. De ce point de vue là, ce serait sans doute à Luna de débloquer le compteur, mais en attendant, le roublard se trouvait comme enveloppé par une sorte d'attendrissement. Luna avait vu juste depuis le début et Arthur semblait avoir, de son côté, soudainement trouvé l'assurance et la prestance qui lui faisait défaut. Le constat s'imposait de lui-même, éclatant : le pied-bot marchait, Arthur en avait.

Luna avait souri jusqu'aux oreilles et avait poussé Brus du coude.

"Tu vois, je te l'avais dit. Bon, on fait pareil ? Non, je rigole."

Maelys soupira les bras croisés.

"Quoi ? Vous voulez aussi un bisou ?, lui demanda Luna
- Oh vous, je vous interdis de me toucher. Pour m'embrasser ou me faire quoi que ce soit.
- Vous n'êtes pas drôle du tout.
- Peut-être, mais je ne suis pas hystérique.
- Qui est hystérique ? Oh, vous savez, Chandara est parfois un peu excessive."

Maelys soupira de nouveau.

"Nous continuons ?"

Pendant un moment, Arthur s'était senti terriblement gêné. Mais cela ne dura pas longtemps. Alors que Luna et Maelys échangeaient quelques paroles acides, un sourire bourgeonna sur ses lèvres et il se sentit au contraire incroyablement fort. Ils pouvaient dire et penser ce qu'ils voulaient. Le monde entier pouvait rire, jurer, les montrer du doigt. Cela lui était complètement égal. Il était le plus heureux des hommes et cela l'emplissait d'une confiance et d'une énergie à toutes épreuves.
Il sourit à Brus, soulagé de le voir en bonne santé, rendit son marteau à Chandara avec révérence puis leva son épée.
" Vous avez raison, allons-y. Il me tarde de sortir de ce trou."
Où étaient ces fichus Loviates ? Il allait leur montrer !

Le sourire et la confiance d’Arthur étaient contagieux. Si Chandara avait tout d’abord était mortifiée par les remarques qui la visait directement, c’est avec un sentiment de fierté qu’elle parada devant les jeunes femmes dont le fiel était sans doute guidé par la jalousie. Et sa fierté était double : fière qu’Arthur se montre ainsi à son avantage, prenant toute la mesure de son rôle de meneur et plus fière encore de s’être rapprochée de lui, sinon bien davantage. Quand elle passa devant Luna, elle ne put s’empêcher de lui adresser un sourire extatique quoiqu’un brin puéril, le tout ponctué d’un regard pétillant de malice, qui en disaient long sans qu’elle ait besoin d’employer de mots. Puis elle se hâta de rejoindre son compagnon et de se placer à ses côtés à l’avant de leur groupe. Elle dut faire un grand effort sur elle-même pour se concentrer à nouveau sur les dangers qu'ils allaient avoir à affronter et un peu moins sur le charmant paladin qui marchait juste à côté d'elle.

Brus haussa les épaules et lança à son tour :

"Alors en piste!"

L'aura des deux paladins était décidément contagieuse, du moins pour l'enthousiasme qu'il procurait, à défaut d'encourager les propositions tordues de Luna. Quant à la route à suivre, Brus devait bien admettre qu'il ne savait plus trop où ils en étaient. Mais comme Arthur avait pris la tête - le roublard songea qu'il finirait par s'habituer à ce nouvel allant - il n'y avait qu'à s'en remettre à lui. Brus resserra sa veste de cuir autour de ses épaules et recouvrit sa vigilance coutumière. Malgré tout ce chemin, le livre et le nécromant restait hors de portée, quant aux Loviates, leur rôle était encore bien énigmatique.

Ils avancèrent donc, et au fur et à mesure qu'ils progressaient, la galerie leur apparut mieux emménagée, plus ouvragée. Au bout d'un moment, apparurent à leur vue des colonnes et d'autres statues soutenant le plafond dans une pause inique et obscène. Leurs visages exprimaient à la fois la souffrance et le plaisir. Ils progressaient toujours dans la galerie en spirale, sachant que sous peu, ils parviendraient au centre.

Une nouvelle fois, la puanteur de charnier se fit sentir. Et une prière se fit entendre. A portée d'oreille, trois personnes récitaient. Deux hommes et une femme. Pour l'instant, elles étaient hors de vue. Ils entendirent aussi, à chacun de leur silence un râle lointain, une plainte.

Le décor, l’atmosphère et l’odeur de ce maudit temple mettait la paladine extrêmement mal à l’aise en même temps que sa colère montait à chaque nouvelle découverte viciée. Ces lieux étaient tout à fait déplacés alors qu’une petite part d’elle n’aspirait qu’à une ballade à la lumière du soleil en charmante compagnie. Et le danger qui rôdait dans ces souterrains, menaçant ses amis, ne faisaient que renforcer son indignation. Si elle s’était écoutée en entendant les chants corrompus des Loviates, elle les aurait immédiatement attaqué sans sommation pour les leur faire ravaler. Mais au bout de quelques secondes et à la faveur d’un silence, elle entendit la plainte qui lui donna à nouveau à réfléchir : s’agissait-il d’une victime, d’une cible consentante ou de toute autre chose encore ? Que ferait Arthur dans cette situation délicate ? Tiens, il suffisait de le lui demander ! En silence et via un simple regard interrogateur, une fois n’était pas coutume.

En bon Lathandrite, Arthur avait la conviction profonde que le Mal absolu n'existe pas chez l'homme. Que les Dieux peuvent être pervers, fous, maléfiques, mais que l'être humain n'est jamais qu'une faible créature qui peut, ou pas, découvrir la lumière. Ce qui ne signifiait pas qu'il était toujours possible de ramener les âmes égarées sur la voie de la vertu... Il devait d'ailleurs bien avouer que ceux qui avaient procédé à la décoration et à la construction de cet endroit étaient sérieusement dérangés. Bien sûr, Loviatar était sans doute la divinité la plus corrompue du panthéon des ténèbres, aussi n'était-ce pas une totale surprise. Il avait pris le pli de ne pas trop regarder ce qui les entourait : de toute façon, il faisait trop sombre pour en distinguer les détails, ce qui était mieux.
Il entendit alors les prières, refusa d'en comprendre le sens, envahi par les odeurs de charnier, par la certitude qu'ils allaient bientôt être confrontés à une vision d'horreur et qu'ils seraient forcés d'y faire face. La plainte qui résonnait entre deux prières n'avait rien d'engageant : quelqu'un était en train de se faire torturer, assurément, et n'avait plus la force ou la possibilité de crier. Etait-ce le jeune nécromant qu'ils cherchaient, était-ce une victime innocente que les Loviates avaient capturée ? Ils ne le sauraient que trop tôt.
Croisant le regard de Chandara, il fit signe au groupe de s'arrêter, puis à Brus de s'approcher.
" Pouvez-vous user de l'ombre pour vous glisser jusque là et observer ce qui se trame dans cet antre putride, puis nous en faire rapport ?" murmura-t-il à voix basse.

"Bien sûr."

Rétorqua Brus d'une petite voix. "Antre putride", quoiqu'épaulé d'un nouvel aura, Arthur aurait sans doute à suivre quelques leçons de communications avant d'être un chef tout à fait accompli, à moins qu'antre putride fût une description galvanisante aux oreilles d'un paladin. De ce point de vue-là le roublard tenait assez peu du chevalier. Mais une fois de plus, et dans la situation qui était la leur, ses qualités de discrétion le désignaient comme le pion parfait de la première ligne. C'était peut-être ça, son côté chevaleresque. Brus prit donc les devants, tâchant de regarder où il mettait les pieds plutôt que de s'attarder sur les postures des statues. Quand le moment fut venu, il se fit tout à fait silencieux. Qui prononçaient ces prières? Touchaient-ils au but?

Brus suivit donc la galerie jusqu'au bout. L'odeur de charnier était de plus en plus forte, aussi, le jeune roublard dut trouver un moyen de se protéger le nez pour pouvoir avancer sans vomir. Et tout d'un coup il déboucha sur une immense caverne dont le plafond disparaissait dans l’obscurité. Des milliers de bougies éclairaient le décor de leur lueur fébrile et malsaine. Au centre, quatre colonnes de marbre noir se dressaient hautaines et obscures jusqu'à une hauteur indéfinissable. A coté de chacune d'elles, jusqu'à la moitié de leur hauteur se dressait jusqu'à la moitié de leur hauteur ce que Brus prit pour une simple sculpture de membres entrelacés et de têtes pendantes. Mais il réalisa bien vite qu'il s'agissait d'un véritable amoncellement de corps humains disposés selon les caprices d'un artiste fou.

Entourant les morbides colonnes, une rigole remplie d'un liquide rouge qu'il n'eut aucun mal à reconnaître. Au centre exact des quatre colonnes se dressait une immense structure, une pyramide de la même pierre noire et froide. Au plafond, un éclair d'argent attira son attention. Une épée brillait de mille feu. Objet étrange, presque insolite, brillant au cœur d'un temple dédié au mal et que les adeptes fous, ignorant totalement ses propriétés bénéfiques avaient fini par adorer. Idole du bien dont l'aura illuminait la pièce de son faible halo, en attendant que des mains amies viennent s'en emparer.

Au pied de la pyramide, Brus vit trois hommes encapuchonnés. Deux priaient, les mains ouvertes. Le troisième était penché sur une forme sanglante au corps si tordu que le roublard eut du mal à penser qu'il s'agissait d'un être humain.

Brus voulut déglutir mais l'horreur lui serrait si fort la gorge qu'il ne le pouvait même pas. Quant à l'odeur révulsante du sang et du charnier, il lui semblait qu'elle s'insinuait dans son crâne pour engourdir son cerveau. Le roublard jeta tout de même un dernier coup d’œil à la salle, ainsi qu'à l'épée qui planait au-dessus d'eux, puis rebroussa chemin aussi discrètement qu'à l'aller pour s'en aller rejoindre ses compagnons. En chemin, la pression retombant, sa gorge se dilata soudainement et Brus regarda son précédent repas lui échapper pour se répandre au sol. Quand il eut mis quelque distance avec le charnier, il put enfin respirer librement de nouveau. Il trouva le reste du groupe où il l'avait laissé. Sans vraiment savoir par où commencer, il leur fit une peinture de la pièce en tâchant de n'omettre aucun détail, avant de conclure :

"L'temps qu'vous trouviez quoi faire, j'vais aller m'asseoir et m'reposer un peu..."

La description de Brus était répugnante mais en réalité, Arthur ne s'était pas attendu à autre chose, et finalement, savoir ce qu'il en était mettait un terme aux délires d'une imagination qui s'était révélée plus créative qu'il ne l'aurait cru. Aussi ne perdit-il pas de temps en vaines déclarations scandalisées et autres serments ronflants.
" Ils ne sont que trois et nous sommes six. Ils sont occupés. Nous pouvons bénéficier de l'effet de surprise et de supériorité numérique. Mais ils ont un otage..."
Il se tourna vers Luna, Eli et Maelys.
" Que pouvez-vous faire, exactement ? Autant je me représente assez bien, je pense, les possibilités dont Chandara et moi-même disposons, autant vos propres capacités me sont étrangères..."
Il préférait laisser Brus hors de l'équation le temps qu'il se remette.

Chandara était passablement horrifiée par la description détaillée que venait de faire Brus. Et pour avoir bien cerné l’adolescent lors de leurs missions précédentes, elle savait qu’il n’était pas du genre à exagérer. Elle s’attacha néanmoins à porter une vision pragmatique sur la situation, ce qui ne lui était pas du tout naturel, contrairement à Arthur qui dressait déjà brillamment des plans dans sa jolie tête. La jeune femme lui laissa l’initiative d’organiser le rôle de chacun en fouillant tranquillement dans son sac. Quelques secondes plus tard elle en sortit plusieurs vêtements dont un foulard et deux écharpes ainsi qu’une petite bouteille à l’aspect mystérieux. Elle en renversa quelques gouttes sur chaque vêtement avant de s'approcher de Brus pour lui en confier un :

- Cela devrait atténuer les odeurs. Et courage mon ami, nous en avons vu de bien pires ensemble, n’est-ce pas ?

Elle lui posa une main sur l'épaule avant de revenir près d’Arthur et de lui tendre timidement l’écharpe de soie sur un sourire radieux :

- Voici le vôtre mon cher. Je sais que vous n’avez jamais froid mais cela vous protégera un peu contre les miasmes, du moins je l’espère.

Le tissu imbibé avait une odeur très agréable, florale, presque entêtante. Sans doute un petit secret de coquetterie que Chandara révélait au grand jour. Elle se tourna vers les trois femmes avant d’ajouter :

- Je crains ne pas avoir assez de tissus pour tout le monde mais il me reste de quoi humecter ce que vous pourrez me confier.

Eli avait tendu son écharpe et Maelys, au bout de quelques secondes d'hésitation son chapeau. Et Luna un mouchoir. Elle glissa à l'oreille de Chandara.

"C'est divin comme parfum. Je suis sure que toutes les prêtresses de Sunie tueraient pour avoir ce parfum là. Où est-ce que tu l'as trouvé, dis ?"

Elle parlait de nouveau vite, et ses gestes trahissaient de nouveau l'angoisse depuis que Brus avait parlé de la victime des loviates. Maelys lui lança un regard inquiet, dévisagea quelques secondes les deux paladins avant de hausser les épaules.

"J'ai à peu près les mêmes talents que Brus, mais je lance aussi quelques sorts., dit-elle
- Et je suis barde.", compléta Eli.

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Brus gratifia Chandara d'un sourire avant de récupérer l'étoffe qu'elle lui tendait. Il se la passa autour du coup puis rabattit le devant sur la partie inférieure de son visage. Il avait sûrement l'air d'un vrai gangster et il allait s'empresser de le faire remarquer aux autres lorsqu'un détail l'arrêta.

"Hem, m'dame Chandara? C'est très gentil à vous, l'écharpe, mais... enfin... le parfum, vous voyez, si je dois m'faire discret... J'ai peur que... enfin, l'odeur, un peu inhabituelle pour le coup... ne trahisse ma présence... voilà."

Le jeune homme s'en voulait beaucoup de refuser le généreux présent de la paladine, mais il imaginait déjà le Loviate renifler puis se retourner soudainement au moment où il se glisserait dans son dos.

"Sinon, en c'qui concerne l'otage, si on veut sauver quelque chose, faudrait pas traîner. J'pas pu approcher, mais de loin, comme ça, ça ressemblait déjà plus à grand chose..."

" Et tarder nous n'allons plus." répondit Arthur avec un calme sourire.
C'était une façade, parce qu'il était à moitié intoxiqué avec les vapeurs qui se dégageaient de l'écharpe de Chandara. Elle était charmante, mais folle, ce qui était somme toute normal, c'était une fille, et ce n'était franchement pas le moment de penser à ça. Il en revint aux bardes et aux roublards.
" Je ne sais pas jusqu'à quel point vous pouvez vous faire discrets, dit-il à ces derniers, mais si vous pouvez vous glisser dans le dos de deux d'entre eux et les prendre par surprise... Bon... C'est pas très loyal, mais nous n'avons pas tous les mêmes... obligations en la matière, je suppose..."
Il jeta un regard à Chandara, espérant ne pas la scandaliser. Il se tourna ensuite vers les bardes.
" Quant à vous... Je crains de ne rien connaître aux sortilèges... Peut-être en est-il certains qui pourraient davantage nous servir dans les circonstances présentes ? Graisse... c'est pour glisser, ça, j'imagine ? Mmm... C'est peut-être pas idéal. Mais des sons imaginaires ? Je ne sais pas ce que vous en pensez, tous... Il faudrait qu'on puisse les maîtriser ou les affaiblir avant qu'ils ne nous mitraillent de sortilèges."

Chandara rougit de la remarque de Luna mais se fit un devoir de lui répondre en apparté en y mettant une petite pointe d’humour dans le but de la détourner de son malaise et son inquiétude légitime pour le sort de son frère :

- C’est une recette de ma mère en réalité. Elle m’a toujours dit qu’une femme devait toujours en avoir une bouteille sur elle. Jusqu’à aujourd’hui, je n’avais pas bien compris pourquoi mais avouez que ma mère est visionnaire ! Je me demande si je devrais écouter ses autres conseils… Mais porter des robes quand on part affronter des monstres n’est pas forcément très pratique.

La jeune femme ne poursuivit pas et récupéra le tissu que lui rendait Brus. Elle afficha une mine déçue mais juste l’espace d’une seconde et non pas parce qu’elle se voyait opposer un refus mais plutôt parce qu’elle n’avait pas su anticiper que le parfum puisse nuire à la discrétion du roublard.

De toute façon, Arthur organisait déjà les troupes pour le départ et la remarque de Brus sur l’état de l’otage allait ruiner sa belle tentative de remonter le moral à la plus jeune des bardes. Elle prit donc la suite du paladin, ne faisant que confirmer sa stratégie :

- Pensez bien à vous répartir une cible chacun : inutile que tous nos efforts portent sur la même. Arthur et moi iront au contact pendant que les roublards nous contourneront disrètement. Eli, Luna, si vous pouviez les distraire, cela amoindrirait les risques. Arthur, c’est à vous qu’il revient de récupérer cette épée. Alors ne vous attardez pas, je saurai faire face.

Arthur se tourna vers la jeune femme avec une grimace.
" Chandara, je ne parviendrai jamais à escalader une pyramide en harnois... Vous êtes déjà nettement plus... adroite que moi. Mais je pense que Brus pourrait aller la chercher. C'est le plus leste d'entre nous, à n'en pas douter... S'il faut la manier ensuite, et bien, il pourra toujours me la donner si vous pensez que je suis le plus à même de le faire..."
Il se tourna vers les bardes.
" Ciblez les deux qui psalmodient. Dame Maelys s'occupe du bourreau, que Brus viendra égorg... heu... blesser au passage. Chandara et moi-même interviendrons dès que vos sortilèges auront fait effet..."
Il grimaça.
" Est-ce que ça a l'air plus ou moins sensé, ce que je raconte ?"

En voyant la grimace qu’Arthur lui avait adressé et surtout en entendant sa remarque pleine de bon sens, la paladine avait regretté d’avoir laissé parler ses idées un peu trop chevaleresques et baissé les yeux soudainement un peu honteuse d’avoir étalé son inexpérience et son manque de connaissance tactique. Quand le paladin interrogea la cantonade, elle osa tout de même intervenir d’une voix timide :

- Cela me semble un bon plan mais j’aurais quelques questions : souhaitez-vous vraiment que nous restions en retrait pendant que nos amis bardes lanceront leurs sortilèges ? Ou les protègerons-nous sans aller immédiatement au contact avant qu’ils n’en aient terminé ? Et enfin, Eli, sauras-tu cibler un de nos adversaires sans assistance ?

Elle chercha ensuite à adoucir ce qui pouvait passer pour une critique par un sourire contrit.

Eli, loin de s'offusquer sourit.

"S'il fait assez de bruit, je pourrai l'entendre. Aucun soucis de ce coté.
- Au pire je l'aiderai ...", souffla Maelys un peu plus sur la défensive.

Luna dansait déjà d'un pied sur l'autre, le regard errant en direction de la caverne.

"Et ce que raconte Arthur est censé. D'accord, c'est pas très loyale, mais on est pas paladins, hein ?"

Elle sembla soudain se rappeler du corps de métier auquel appartenait ses deux acolytes en armure.

"Désolée ... Bon ... On y va ?"

Brus haussa les épaules avant de hocher la tête pour signifier qu'il était prêt. Tandis qu'il positionnait sa lame dans la manche de sa veste, le long de son avant bras, l'adrénaline se répandait dans ses veines. Le plan était bon, la situation était à leur avantage, et si tout se déroulait bien, le combat serait achevé rapidement. Mais il y avait un si, comme toujours, et les prêtres devaient être logiquement au courant de leur présence. Brus doutait qu'ils fussent aussi vulnérables qu'ils le paraissaient. Malgré ses doutes cependant, le roublard ne voyait pas d'autres façons de procéder, et si jamais la situation leur échappait, il serait toujours temps pour lui de se replier derrière les paladins.

"Bon, j'pars devant alors... Pas d'folies les amoureux", plaisanta-t-il pour les deux paladins, puis il s'évanouit dans l'ombre du corridor.

Tout en rebroussant chemin vers la salle de l'autel, Brus remarqua qu'il n'avait pas pensé à vérifier la présence éventuelle de pièges. S'il en avait l'occasion, il n'y manquerait pas à son arrivée. Il se fit invisible et suivit le son des voix.

Brus -> se cacher dans l'ombre + déplacement silencieux (la totale)

Pas de pièges sur le chemin, à croire que les loviates, confiants en leur puissance n'avaient pas pris la peine de se prémunir contre d'éventuelles attaques. Brus regagna rapidement l'entrée de la caverne. Les trois prêtres n'avaient pas bougé. De plus près, le roublard put voir leurs visages blafards et leurs yeux rougis. Depuis quand n'avaient-ils pas vu la lumière naturelle ? Ils avaient pourtant l'air de personnes en pleine santé. Celui au centre avait en main une serpe, celui de gauche avait un fouet noué à sa ceinture et le troisième avait une hache posée non loin de lui.

Ils étaient concentrés, les yeux rivés sur le corps torturé. Aussi aucun d'entre eux ne vit le roublard se faufiler dans les ombres jusqu'à eux. Ils n'entendirent pas non plus les bardes s'approcher et commencer à incanter. L'écho de leur ferveur se répercutait sur les parois de la grotte, enflant et revenant, leur empêchant d'entendre les sons extérieurs.

Arthur était resté juste devant les lanceurs de sorts et il s'immobilisa, quelques pas en avant, au moment où ils commencèrent à incanter. Brus était invisible, il fallait espérer qu'il pourrait mener sa double-mission à bien. Chandara était près de lui, prête à charger elle aussi, dans un instant, dès que les sortilèges seraient lancés. Il ne savait pas exactement ce que les bardes et la magicienne avaient choisi, mais il leur faisait confiance, n'y entendant pas grand chose. La distance à franchir n'était pas énorme, il faudrait calculer juste pour conserver un semblant d'effet de surprise. Il prit une profonde inspiration, jeta un regard à la dérobée à la jeune femme à côté de lui, concentrée, révoltée, et pourtant toujours si rayonnante. C'était imminent... Il faudrait que ce soit rapide. Et ce n'était que le début.

Chandara était prête, concentrée, déterminée. Cela se lisait dans sa mine impassible, son regard tourné vers la cible qu’elle s’était choisie : l’homme à la hache. Elle avait l’habitude de se défendre contre ce genre d’armes : maître Garath y avait pourvu. En silence, elle s’était placée devant au même niveau qu’Arthur, prête à foncer droit sur ses adversaires dès que Luna et Elie auraient achevé leur cantique. Elle savait que son équipement la ralentirait moins que son compagnon mais ce n’était pas une raison pour se montrer moins attentive au signal de départ. La vitesse était leur alliée alors autant en profiter le plus possible… Elle soupesa son marteau dans sa main une dernière fois. Trois, pour la justice, deux pour le devoir, un pour la lumière, maintenant !

La Couronne de Cuivre

[Quête] Guerre des plaines brûlantes : un certain goût pour la mort