La Couronne de Cuivre

" Soigne-moi, oui. Je dois encore refermer la faille."
Elle jeta un oeil derrière son épaule, vers la déchirure entre les Plans, puis revint au cadavre du barghest.
" La chance t'a guidé auprès de moi. Regarde ce monstre... Encore quelques victimes et il n'aurait plus succombé à rien..."

Il lui jeta un coup d’œil mais ne s'attarda pas, par crainte de trop bien mesurer les risques qu'il avait pris et d'en subir le contrecoup dans l'instant.
-Il faudra remercier Victor : à Togoria, il a tenu à être béni par un clerc de Tymora...
Il se mit alors en devoir d'incanter, prêt à utiliser, si nécessaire, tous les sortilèges de soin à sa disposition.

Une fois en meilleur état, Ainhoa s'approcha de la faille. Mais avant d'incanter à son tour, elle fit signe à Taliesin.
" Je vais refermer la faille. Ensuite je vais dormir. Pendant plusieurs jours, sans doute. C'est ainsi que vit mon espèce. Tu ne pourras pas me porter jusqu'à la tanière, je suis bien trop lourde, mais tu retrouveras ton chemin... et ton cheval. Il est toujours près du ruisseau où vous l'avez perdu, la forêt le sait. Tu peux suivre le renard de Titus. Il te guidera."
Elle soupira.
" Je vais te demander une deuxième faveur, Taliesin. Je suis bien consciente que la première était déjà douloureuse, mais tu t'es montré parfaitement à la hauteur. Alors j'ai bon espoir pour la seconde."
Elle sourit doucement.
" Emmène le faune avec toi. A Champsdor, vous serez près de la Lorien, beaucoup plus près que moi. Ramène-le dans les bois. Il trouvera sa route et son peuple. Ici... il n'en sortira rien de bon."

Il en resta silencieux de surprise.
-C'est plus précisément à Vauxgrisants que nous nous rendons, donc encore plus près de la forêt, ce qui pourrait faciliter les choses. Mais vous devez avoir conscience que nous croiserons des humains, au cours de notre voyage, aussi bref soit-il : cela pourrait ne pas être esimple, pour Titus. Sans compter qu'il pourrait vouloir s'enfuir avant que j'ai pu retrouver ses semblables... Ne voudriez-vous pas, plutôt, rentrer avec moi et, au moins, lui expliquer la situation ? Cela serait également pour vous l'occasion de lui dire au revoir...

" Vous avez peut-être raison..."
Elle soupira.
" Mais je dois fermer cette faille... Hâtons-nous."
Sans attendre, elle repartit de son pas pesant dans les feuilles mortes, moins rapide qu'à l'aller, peut-être fatiguée, ou encore souffrante. Ils prirent un itinéraire différent, qui se révéla bien plus court, et pour cause : ils n'avaient plus rien à craindre du barghest et de sa forêt pervertie. Le jour se leva pendant qu'ils cheminaient, et ils atteignirent le vallon par un côté moins escarpé. Le renard de Titus furetait aux alentours, en meilleure santé que la veille : sans doute n'avait-il été que sonné par le coup de pied de Cordélia. Minuit se trouvait plus loin, en train de brouter les joncs, pieds dans l'eau du ruisseau. Il semblait n'avoir rien perdu de son paquetage et ne tenta pas d'échapper à Taliesin quand celui-ci vint à sa rencontre. Ils regagnèrent ensuite l'entrée "sèche" de la caverne, et se retrouvèrent dans la galerie. Le cheval dut rester en arrière mais le renard les accompagna jusqu'à la salle aménagée où... tout le monde dormait encore.

Les veinards, songea-t-il.
Mais il ne regrettait pas sa nuit, non. Pas un instant. Il avait juste conscience d'avoir eu beaucoup, beaucoup de chance.
-Est-ce que je peux vous aider à quelque chose ?
Sinon, il irait s'occuper de Minuit : il se voyait mal repartir dès l'aube et envisageait la possibilité de s'attarder une journée ici, pour qu'ils reprennent leurs forces, se remettent de leurs émotions...

" Nous pouvons réveiller Titus, si vous le désirez, et lui parler, dit Ainhoa. Je voudrais vraiment refermer la faille... avant que quelque chose d'autre n'en sorte. Mais vous préférez peut-être demander l'avis de vos enfants d'abord ? Je ne voudrais pas qu'il soit source de tensions parmi vous... même si je voudrais vraiment que vous acceptiez de le prendre."

Il réfléchit quelques instants.
-Je vais leur en parler tout de suite, pour qu'ils ne soient pas pris au dépourvus, mis au pied du mur. Mais ne vous inquiétez pas quant à leur réponse : Victor sera ravi et Baptiste... Et bien, vous l'avez constaté, il craignait que vous ne punissiez Titus trop sévèrement. Bref, ils seront d'accord, et je pense que côtoyer un être tel que lui sera pour eux une chance extraordinaire.
Et, sur un sourire, il entreprit de réveiller doucement ses fils.

Ensevelis sous les fourrures, Victor et Baptiste émergèrent difficilement. Le premier grommela et se ré-enfouit le plus profondément possible sous sa pelisse rousse, tandis que le second regarda le barde, dans la pénombre, avec la mine de quelqu'un qui ne sait absolument pas où il est et qui est en train de lui parler. Il leur fallut bien cinq minutes avant d'être capables, l'un et l'autre, d'écouter le barde sans bâiller ou s'écrouler à nouveau dans leur cocon de douceur.

-Désolé de vous avoir réveillés, les garçons. Vous pourrez vous rendormir sitôt que nous en aurons terminé mais là... Le temps presse un peu.
Il leur sourit.
-Ainhoa aimerait que Titus nous accompagne, afin que nous le conduisions dans la Lorien, auprès des autres faunes. Est-ce que ça vous dérange si je dis oui ?

" Qui c'est Titus ?" demanda Victor, encore mal réveillé.
Baptiste leva les yeux au ciel.
" C'est le faune.
— La petite ordure qui nous a piégés ? Pourquoi on le prendrait ?
— Je suis sûr qu'il n'est pas si méchant."

Il fut quelque peu décontenancé : au regard de la curiosité manifestée hier par Victor à l'égard du faune, il ne l'aurait pas imaginé si vindicatif.
-Titus n'est pas méchant, non. Simplement... Il a été capturé par des humains, puis recueilli par Ainhoa, qui ne peut l'éduquer comme devrait l'être un faune. Du coup... Il est perdu, il ne sait pas vraiment comment il doit se comporter, il se construit des rôles à partir des histoires qu'elle lui raconte, le soir... Certes, il n'a pas été gentil avec nous, hier, mais... Il devait s'imaginer que c'est comme ça qu'il devait agir. Et il se trompait.

" Moi je suis d'accord, dit Baptiste, prenant son frère de vitesse. Et j'en profiterai pour apprendre un peu de sylvestre. C'est une belle langue, je trouve... Toute en ondulations...
— Mais qu'est-ce que tu racontes, toi ? grommela Victor. Oui, on peut le prendre. Mais seulement s'il s'excuse !"

-A mon avis, il s'excusera de lui-même quand il aura pris la mesure de son erreur, quand il aura constaté que nous ne sommes pas ce qu'il pensait.
Il sourit à nouveau.
-Allez, vous pouvez vous recoucher si vous le souhaitez. On ne va pas repartir tout de suite.
A présent... Prévenir Ainhoa.

Mais Baptiste était réveillé, désormais, et il émergea de son repaire, tandis que Victor, lui, retournait au pays des songes. Cordélia dormait toujours, de son côté, tranquillement alanguie.
" Il a fallu parlementer, dit Ainhoa avec un léger sourire. Mais je ne les blâme pas... Ce n'est pas rien d'avoir un compagnon de route supplémentaire, et Titus demande une certaine... fermeté. Même si ce n'est pas très efficace, je le crains."
Elle déverrouilla la porte en bois et invita Taliesin à rentrer dans la petite grotte qui servait de chambre au faune. En réalité, on aurait dit un semblant de sous-bois. Des branches avaient été fixées un peu partout sur les murs et le sol était couvert de feuilles mortes. Le faune dormait sur un tapis d'herbe sèche, sous une fourrure, lui aussi. Il se réveilla cependant à leur approche, averti par le son de leurs pas. Il les dévisagea avec inquiétude, s'attendant manifestement à se faire passer un savon...

Il se tint en retrait, demeurant près de l'entrée.
Ce n'était pas à lui de parler, mais bien à Ainhoa.
Tout au plus pourrait-il soutenir celle-ci si son projet déplaisait par trop à Titus : il faudrait trouver des arguments et... il en avait quelques-uns en réserve. Cependant, la décision ne serait pas simple, pour le faune : elle impliquait quand même de se séparer de sa mère de substitution.

Ainhoa s'approcha de lui et Taliesin vit la défiance se peindre sur ses traits, l'inquiétude aussi. Elle lui parla doucement, dans un sylvestre chantant, probablement davantage sa langue maternelle que le commun qu'elle avait parlé avec Taliesin jusque là.
" Voilà. Toi et moi, on se connait depuis quatre ans, maintenant. Tu étais haut comme trois pommes quand je t'ai récupéré... Nous avons cohabité vaille que vaille et... Je pense que maintenant nous sommes conscients l'un et l'autre que ça ne marche pas."
Titus parut surpris, puis regarda le barde avec crainte.
" Tu vas partir avec Taliesin. Il ne va pas te traiter comme un animal ou comme une bête de foire, il te traitera comme ce que tu es : un enfant. Et il te ramènera dans la forêt dont tu viens.
— Il me déteste." lâcha Titus.

Il secoua la tête.
-Non, dit-il en sylvestre. J'ai été en colère contre toi, très en colère même, et je pense qu'il y avait de quoi. Mais d'une part, tout c'est bien terminé, ce qui fait que je n'ai plus de raison de t'en vouloir. D'autre part, Ainhoa m'a expliqué ta situation, ce qui m'a permis de mieux te comprendre. Bref, tu n'as rien à craindre de moi. Et pour t'en convaincre... Songe qu'hier, nous n'avons recouru à la force que quand nos n'avons plus eu d'autre choix, que quand nous avons réellement craint pour nos vies.

Titus hocha la tête d'un air apeuré.
" Tu vas devoir traverser le monde des hommes à nouveau. Mais Taliesin te protégera. Il ne laissera personne t'asservir, personne te traiter comme une bête. En échange, tu lui devras obéissance. Pas soumission. Juste obéissance. Comme ses deux fils lui obéissent. Parce qu'il est l'adulte à qui tu dois te référer."
Elle sourit.
" Et comme il est elfe, et vif, et courageux, peut-être que tu trouveras chez lui davantage un modèle que chez une vieille poilue comme moi."
Les yeux du faune se noyèrent et elle lui tapota la tête de son énorme main.
" Je ne t'en veux pas. Je comprends. Parfois, on est trop dissemblables pour pouvoir cheminer de concert. Cela ne signifie pas qu'on ne s'aime pas."
Il se blottit dans ses grands bras poilus et elle le serra contre elle.

Il se retira sur la pointe des pieds.
Ce moment leur appartenait, à eux et à eux seuls.
Mais il songea qu'il ne s'agissait pas forcément d'adieux : la Lorien était toute proche, la région qui les en séparait déserte... Rien n'empêcherait ces deux là de se revoir.

Ils ressortirent de la pièce une dizaine de minutes plus tard, le faune avait séché ses larmes, Ainhoa avait un large sourire.
" Merci, dit-elle au barde, en elfique, cette fois. Il n'est pas toujours facile, mais dans le fond, c'est un bon garçon. Je n'ai rien d'autre à vous dire : je sais que vous serez ferme mais bienveillant."
Titus s'était assis sur un banc et regardait Baptiste. Ce dernier musardait dans la cuisine de leur hôtesse, sans rien oser toucher... pour l'heure.

Il lui répondit également en elfique.
-Vous avez ma parole. Je veillerai de surcroit à ce qu'il localise bien l'emplacement de votre résidence par rapport à l'orée la plus proche de la Lorien. Cela facilitera vos retrouvailles.
S'ils avaient envie de se retrouver, bien sûr, mais il n'imaginait pas que le contraire soit possible.

Ainhoa sourit.
" Vous êtes gentil. La Lorien est loin d'ici, vous savez. Au moins une dizaine de lieues... Mais nous verrons, vous avez raison. Quand il sera plus grand, il sera peut-être curieux de cette période de sa vie."
Elle se tourna vers Baptiste et reprit en commun.
" Allons, arrête de fureter et sers-toi ! Je te prête ma cuisine."
Elle revint au barde et à l'elfique.
" Je vais m'en aller. Faites comme chez vous... et éteignez les bougies avant de filer !"

-Laissez-moi juste vous remercier pour votre hospitalité, votre bienveillance et votre aide. Sans vous... Cela se serait très mal terminé pour nous tous.
Il prit une profonde inspiration, ne parvint pas à totalement cacher son embarras - et n'essaya pas vraiment, en réalité.
-J'aurais... également... une question à vous poser. Je vous prie d'avance de m'excuser si elle est indiscrète et rien ne vous oblige à répondre, bien sûr. Mais étant barde et donc curieux... Voilà, je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme vous auparavant et... Pourriez-vous me dire à quel peuple vous appartenez ?

Elle sourit et battit des cils comme une demoiselle.
" Je suis une alaghi. Vous n'en rencontrerez probablement pas d'autres comme moi sur Hélonna. Nous avons toujours été peu nombreux... et nous le sommes de plus en plus. Il y a quelques villages dans le sud, cependant, mais... vous connaissez la chanson... Les humains, leur mode de vie, les difficultés d'adaptation, de coexistence... Les miens sont timides et ils reculent quand la civilisation humaine avance. Mais retenez ça alors : alaghi. C'est mon peuple."

Il sourit.
-Je ne l'oublierai pas. Ce fut un honneur et un plaisir de faire votre connaissance, Ainhoa. Et encore merci.
Il songea à lui demander si elle ne voulait pas qu'ils la reconduisent ici après qu'elle ait refermé la faille mais... sans doute préférait-elle dormir dans la forêt où ne rôdait plus, désormais, aucun ennemi susceptible de lui nuire.

Elle le serra contre elle, de ses grands bras poilus, puis le relâcha.
" Je ne vous oublierai pas, moi non plus. Vous m'avez rendu un immense service. A moi, à Titus, à la forêt entière."
Elle se dirigea vers la sortie.
" Vous leur direz au revoir de ma part."
Puis elle partit derrière son rideau. Titus trembla de tout son corps mais ne quitta pas son banc. Baptiste avait sorti une petite marmite et l'avait remplie d'eau. Il chercha ensuite des bûches, histoire de ranimer le feu.

Taliesin songea à aller décharger Minuit mais il lui sembla prématuré de le faire dans l'immédiat. Aussi se dirigea-t-il plutôt vers Titus et s'adressa-t-il doucement à lui, en sylvestre.
-Comme tu le vois, Baptiste prépare le petit déjeuner. Mais je voulais te demander... ce que tu manges. Je suis désolé, je ne suis pas expert en ce qi concerne les faunes.

" Je ne suis pas expert en faunes non plus, répondit Titus. Il y a des choses que j'aime et des choses que j'aime moins. Mais je ne sais pas si c'est parce que je suis un faune, ou juste parce que ce sont mes goûts."
Il eut une grimace embarrassée.
" J'aime pas tellement la viande. Mais s'il y en a, je ferai un effort. Je peux aider le garçon, aussi. Je sais couper des choses, et en cuire certaines. Et puis éplucher et laver... et puis autre chose, s'il m'apprend."

-Nous allons prendre un petit-déjeuner à la mode humaine : il y a donc moins de préparatifs que pour les autres repas. Mais je proposerai à Baptiste que tu lui files un coup de main. Toutefois... N'hésite pas à me dire ce que tu aimes manger, le matin. Je suis sûr qu'on pourra s'arranger.
Et il était sûr qu'avec sa douceur, sa gentillesse et sa patience, Baptiste saurait aider le faune à se sentir plus à l'aise parmi eux.

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...