Ornegemme, cité svirfnebline

[Kasumi]

Il y avait une certaine ironie à chercher à se faire mal pour contrer les efforts d’un bourreau drow. D’ailleurs, celui-ci semblait maintenant se désintéresser de lui et quitta la salle en le laissant dans l’incertitude de la suite des opérations. Alchem était donc maintenant seul avec son double simulacre. Seul ? Non, une voix familière se fit entendre dans sa tête. Celle d’une certaine prêtresse de la surface :

- Alchem ? Comment se passe votre mission ?

[Alchem]

Avant que le Drow ne sorte, Alchem l’apostropha. Sa voix était tintée d’hostilité et de crispation.
« Continuez comme ça, vous remontez dans mon estime ! »
Il fallait le reconnaître, ce mage elfe noir se débrouillait bien au final. Voilà bien pourquoi le gnome se résolut à faire quelque chose qu’il aurait dû faire depuis le début. La voix dans sa tête le troubla. Dotha ? Ou une fourberie de Drow ? Il ne pouvait pas répondre, ce qui, mine de rien, était la réponse idéale. S’il s’agissait bien de Dotha, elle saurait que non, tout n’allait pas bien. Dans le cas contraire, Alchem n’avait rien dit de compromettant. Il ferma les yeux, adressa une prière silencieuse à Baravar, Baravar qu’il doutait sérieusement rejoindre, puis, mû par sa volonté de fer, il se sectionna la langue d’un mouvement sec de la mâchoire. La douleur explosa dans tout son être, mais il se contraignit à ne pas crier, à ne pas cracher. Le monde se mit à tanguer. Sans soin, il allait se noyer dans son propre sang. Une mort assurée. Même si on le soignait, il retenterait, encore et encore, jusqu’à ce que son esprit ait perdu les dernières traces de lucidité qui y restaient. Il était un patrouilleur, il avait fait le serment de donner sa vie si nécessaire. Il respectait maintenant ce serment.

[Kasumi]

Cette façon de mourir n'était ni rapide ni sans douleur. Son corps lutta instinctivement pour déglutir, pour essayer de tarir le flot continu de sang s'écoulant de sa langue. Mais il devint rapidement trop faible alors que la volonté d'Alchem avait été forgée dans les plus sombres des épreuves de la vie. Peu à peu il se sentit lâcher prise, sentit un soulagement l'envahir en réalisant les horreurs qu'il pouvait enfin abandonner, laisser derrière lui. Seule et ultime note discordante : il perçut une vague de désespoir heurter ses dernières bribes de conscience : le désespoir de son familier qui n'était pas destiné à lui survivre.

***

L'âme du svirfneblin était cernée de vide de toute part, il ne pesait plus aucun poids, n'éprouvait plus aucune sensation physique. Seule persistait la conscience ténue de son existence. De sa solitude infinie.

[Alchem]

Dalius...
Il l’avait perdu, pour toujours...
Ce constat l’accabla au-delà du concevable. Son familier avait toujours été la voix de la raison. Il s’était détourné de lui, il s’était fourvoyé. Son masque n’ayant plus lieu d’être, il fondit en larmes, autant qu’une âme en était capable. Il avait peur de s’être damné. Pire encore, il avait peur d’avoir toujours été dans l’erreur. Combattre le feu par le feu avait été sa philosophie. L’avait-il fait pour les siens ? Ou par pur égoïsme, par pur soif de vengeance ? Au moins avait-il été capable de se donner la mort avant de divulguer des informations sensibles. À côté de la cité Drow restaient les autres patrouilleurs, tous de valeurs, tous plus sensés que lui. Peut-être qu’ils trouveraient l’antidote. Peut-être que Deskata serait aussi compétente qu’il le pensait. Et puis il y avait aussi sa mère, si sage, si déterminée, et Dotha, si volontaire. Peut-être qu’Ornegemme tiendrait. Il s’accrocha à cet espoir. Il n’avait plus que cela pour essayer de résister aux tourments de son être, aux regrets, à la perte de son familier, au sentiment d’échec.

Et à présent, allait-il gagner la Gisombre pour y errer ? Qui viendrait revendiquer son âme ? Baravar ? Ou le rampant d’en dessous ? Un démon peut-être ? Il avait peur du jugement.

[Kasumi]

En se concentrant, le svirfneblin se rendit compte qu'il pouvait se mouvoir. A moins que ce ne soit qu'une sensation induite par son esprit, il se déplaçait dans la brume infinie. En même temps qu'il faisait l'expérience de ce phénomène, il se rendit compte que ses yeux étaient ouverts et que la brume opaque qui l'entourait n'était peut-être pas si homogène que cela : elle comptait de légère variation de densité et de lumière comme s'il lui était donné de progresser vers l'ombre quasiment omniprésente ou vers la lumière toute relative.

[Alchem]

Il n’hésita pas. Les ténèbres l’oppressaient, lui qui avait fini par se noyer dans ceux-ci. De surcroît, s’il y avait une petite chance pour qu’il ne soit pas damné, il allait quand même la saisir. Et puis de toute façon, il aimait la lumière. Sa mère l’avait emportée dans les profondeurs. C’était elle qui avait fait changer Ornegemme. Il alla donc vers cette lumière, se mettant à la fixer pour ne surtout pas la perdre.

[Kasumi]

Suivre la direction la moins sombre ne fut pas si aisé au début car les reflets changeant entre gris et anthracites n'étaient pas évidents à déceler même pour un svirfneblin rompu aux milieux sans lumière naturelle.

Mais à mesure qu'il se fiait à son instinct tout comme à ses sens, Alchem perçut avec davantage de certitude la direction d'où provenait la lumière. De faible lueur diffuse elle devint de plus en plus précise et Alchem sut qu'il en était maintenant tout proche quand un phénomène attira son attention : un mouvement dans la brume sur sa droite. Il pouvait choisir - une nouvelle fois - de dévier sa trajectoire ou au contraire de poursuivre avec détermination vers la lumière.

[Alchem]

S’il avait trouvé la mort dans des conditions plus paisibles, le cœur moins chargé de doutes et de remords, sa curiosité de magicien l’aurait poussé à s’intéresser à la brume, à ce qu’elle pouvait cacher. Présentement, cependant, il n’avait qu’une hâte, atteindre cette lumière, être fixé sur son sort, s’avoir l’étendu de ses erreurs, ou, peut-être, il n’osait l’espérer, obtenir quelques raisons de réconfort.

[Kasumi]

Alors qu'il se détournait du mouvement dans la brume pour suivre la source lumineuse, Alchem perçut une voix, une pensée qui n'était pas sienne - ou peut-être que si - et qui exprimait un profond regret, un sentiment d'urgence, d'abandon.

Il percevait ces tonalités avec une netteté inconcevable comme si le fait d'être déconnecté de son corps aiguisait son esprit ou que l'être à l'origine de cette pensée était lié au sien. Le message ne comportait pourtant que quatre mots : "Ne m'abandonnes pas !".

[Alchem]

Troublé par l’acuité avec laquelle il percevait cela, il s’immobilisa. Qui l’appelait ? Dalius ? Son âme avait-elle pu le suivre jusqu’ici ? Sinon, qui d’autre ? Il se détourna de la lumière, chercha le mouvement. Maintenant il devait savoir ce que c’était. L’idée même qu’il puisse abandonner son familier lui était insupportable. Il voulait ne pas être seul dans l’éternité. Et si jamais il s’était trompé, si jamais ce n’était pas Dalius, au moins n’aurait-il pas ce regret sur la conscience.

[Kasumi]

Son cœur ne le trompait pas : dès qu'il se fut retourné, Alchem sut qu'il avait pris une bonne décision en voyant la nappe d'ombre se dissiper pour former les traits familiers d'une silhouette translucide. La silhouette du rat qui lui était si familier. L'animal progressa dans sa direction par petits bonds joyeux et le svirfneblin sentit une vague de remerciements qui venaient de son compagnon.

Puis une vague du sarcasme qui lui était si cher même quand il n'osait pas se l'avouer forma une nouvelle pensée : " Ah, tu sais parfois écouter les conseils des gens plus avisés que toi quand tu y mets du tien !"

[Alchem]

Alchem laissa le rat se jucher sur son épaule. Deux âmes qui n’en formaient qu’une, qui n’en n’avaient toujours formé qu’une. Le gnome se dit que Dalius, initialement, était son reflet. Puis il avait changé, alors que le familier était resté le même. L’un s’était flétri alors que l’autre avait su rester sur la voie.
« Voilà, tu avais raison. Je l’ai dit », avoua Alchem avec une mauvaise grâce feinte.
Seulement, sa franchise transparaissait si aisément dans ce genre de communication spirituelle. À présent, il se sentait un peu plus fort, un peu moins perdu. Il se tourna vers la lumière et reprit sa progression. Ce n’était que lors des dernières années de sa vie qu’il avait commencé à se détourner du rat, qu’il avait commencé à vraiment entendre la petite voix maligne. Toute son existence n’était peut-être pas un échec. Combien de monstres abattus ? Combien de menaces écartées ? Si Ornegemme tenait, il pourrait considérer sa croisade contre le mal terminée, une croisade qui s’était au final achevée comme il s’y attendait dès le départ, par son décès. Cette dernière mission ne serait peut-être qu’un faut pax. Il voulait y croire.

[Kasumi]

Dalius ne s'était pas privé pour se jucher à la place qu'il affectionnait tant sur son épaule. Il était assez étrange que les deux âmes parviennent ainsi à interagir alors que leurs corps n'étaient plus que des souvenirs mais le rat ne se posait même pas la question : il était le compagnon d'Alchem et ce n'était pas une histoire de mort prématurée qui allait changer cet état de fait !

Alors qu'ils reprenaient leur progression de conserve, le svirfneblin ressentit à nouveau un tiraillement. C'était une sensation étrange et relativement désagréable : comme si on tirait avec insistance sur un fil qui lui passait au travers de la poitrine. Il se sentait libre de suivre ou non l'impulsion qui le tirait cette fois à l'opposé de la lumière. Alchem sentit les petites griffes fantomatiques de son rat s'agripper sur son épaule comme si Dalius avait peur de le perdre à nouveau.

[Alchem]

De quoi pouvait-il s’agir ? Alchem se méfia immédiatement. Il ignorait combien de temps s’était écoulé dans la réalité. Peut-être cherchait-on à le ramener à la vie, ou à le ramener tout court. Et ce on, ce pouvait fort bien être une prêtresse Drow. Ils devaient être pas mal frustrés qu’il se soit ainsi donné la mort. Le clone avait dû être détruit par la même occasion. Il n’avait plus qu’un cadavre alors qu’ils auraient pu tout savoir, qu’ils avaient enfin dû l’identifier en tant que chef des patrouilleurs. Il ne pouvait pas suivre ce fil comme cela. Il devait savoir qui se trouvait à l’autre bout. Il avait quitté l’enfer, il ne tenait pas à y retourner, il ne le supporterait pas.

[Kasumi]

Il n'y avait malheureusement aucun moyen de déterminer qui pouvait bien vouloir le ramener si tel était bien le cas : les drows tenteraient sûrement l'opération pour les informations précieuses qu'ils pourraient lui soutirer, pour sa valeur en tant qu'otage ou tout simplement pour assouvir leur cruauté sur un chef svirfneblin qui avait osé leur tenir tête.

D'un autre côté, il se souvenait parfaitement avoir interrompu la communication avec Dotha : elle avait pu se rendre compte de son agonie ou tout simplement enquêter en le sachant en danger. Mais pouvait-il se fier à cet espoir ?

[Alchem]

Non, il ne pouvait pas. Bien sûr, il aimait la vie, quoi qu’il ait cessé de vivre pleinement depuis la mort de Théass. Il se disait que, peut-être, il pourrait repartir sur de bonnes bases, suivre les conseils de cette Dotha qui lui plaisait bien. Comment ne pas regretter toutes ces perspectives perdues ? Revoir sa mère, revoir Ornegemme, revoir le soleil de la surface, Luménis... Mais il ne pouvait prendre le risque de retomber aux mains des Drow. La manière dont il s’était supprimé avait été particulièrement horrible. Il ne pourrait pas recommencer, il n’aurait pas la force, la volonté. Il allait donc parler, condamner à coup sûr tout ce pour quoi il s’était battu. Non, il ne pouvait pas prendre ce risque, ce serait odieusement égoïste. Alors il poursuivit son chemin vers la lumière.

[Kasumi]

Le tiraillement se fit tout d'abord plus insistant avant de finalement disparaître d'un coup. De toute évidence, qu'il se fut agi d'un piège ou d'une opportunité, il avait laissé passer définitivement cette occasion. Poursuivant son chemin avec légèreté, Alchem n'eut pas à aller bien loin avant de constater un nouveau mouvement dans la brume. Et cette fois, c'est la silhouette d'un svirfneblin qui se dessinait sur la brume omniprésente. Non, plutôt d'une svirfnebline : de Deskata. La patrouilleuse ne dit pas un seul mot mais son expression était clairement déchiffrable : elle approuvait sa décision, son courage et son abnégation. Elle partageait son sens ultime du sacrifice.

[Alchem]

Cette vision laissa Alchem partagé. D’un côté, cela lui fit du bien de savoir qu’il n’était pas dans l’erreur. Son sacrifice l’ayant éprouvé, c’était peu de le dire, il était en quête de repaires, de réconfort, d’indices sur son devenir et les conséquences de ses actes sur les siens. D’un autre côté, s’il voyait Deskata ici, cela pouvait-il signifier qu’elle était morte, elle-aussi ? Si c’était le cas, la situation à Ornegemme devait être très mauvaise. Il osa appeler la vision, espérant de tout son cœur que ce n’était que cela, et non une âme.

[Kasumi]

La vision s'approcha de lui et il put déterminer qu'elle constituait une copie parfaite de Deskata quoique translucide à la façon de Dalius plus que de lui-même. La patrouilleuse s'approcha jusqu'à se placer deux pas sur sa droite, exactement comme il le lui avait appris quand elle était encore son second à l'époque de leurs patrouilles communes. Alchem sentit que cela allait dans l'ordre naturel des choses, comme s'il retrouvait une petite parcelle de ce qui l'avait défini de son vivant. Il se sentait également plus fort, plus affirmé.

[Alchem]

Sans doute, mais il ne s’expliquait pas ce phénomène, ce qui ne pouvait que titiller son côté magicien. Seulement, le moment était peut-être mal choisi pour songer à prendre des notes. Plus confiant, il reprit la route vers la lumière, toujours désireux de savoir ce que les dieux réservaient à une âme comme la sienne. Le bilan de sa vie, rien que cela. Le résultat d’une vocation, d’un idéal et, à la fin, d’un acharnement fanatique.

[Kasumi]

Alchem chemina seul - en tous cas avec les deux mânes qui l'accompagnaient déjà - pendant un bon moment avant qu'un nouveau phénomène ne se présente à lui sous la forme d'un kaléidoscope de silhouettes tellement sombres qu'elles se détachaient sur la brume omniprésente en progressant en sens inverse de sa propre trajectoire. Le svirfneblin vit défiler des dizaines d'êtres anonymes avant de pouvoir mettre le nom sur certain : le Despote, ses victimes récentes, bien d'autres encore qu'il n'avait souvent fait qu'entre-apercevoir avant de les éliminer. La plupart étaient drows mais pas uniquement. A chaque fois qu'une âme passait à proximité, il se sentait un peu plus léger, comme déchargé d'un certain poids symbolique.

[Alchem]

Son œuvre, comprit-il alors que la peine, en lui, se tarissait. Peu de personnes, en ce monde, pouvait se targuer d’avoir vaincu tant de monstres, tant de menaces. Il appartenait à cette catégorie d’exception, celle des héros, encore que le terme le dérange. Il n’avait jamais fait cela pour la gloire. D’ailleurs, qui le connaissait ? Si peu de gens au final. Nul barde ne chanterait ses louanges et cela lui allait très bien ainsi. Il regarda l’assemblée des âmes noires et estima qu’il avait vengé Théass comme il se devait. Si Ornegemme s’en sortait, si les siens triomphaient, si sa dernière erreur restait sans conséquence, alors il serait en paix. Toujours il avançait vers la lumière.

[Kasumi]

Le flot intarissable de ses « victimes » finit peu à peu par s’éclaircir et s’éloigner et Alchem vit une autre silhouette approcher par sa gauche pour le flanquer comme l’avait fait Deskata. Sauf que cette fois, il ne s’agissait pas d’un être des profondeurs même si elle était également gnome. La silhouette de Dotha se positionna résolument à ses côtés tout en regardant dans la direction qu’il suivait déjà : la position de la lumière. Son visage ne reflétait guère d’émotion et elle semblait vouloir le guider vers l’endroit où il se rendait déjà.

[Alchem]

Alchem n’aurait vraiment pas imaginé l’au-delà ainsi. Il était encadré par des vivants, c’est ainsi qu’il l’interprétait, se refusant de croire que Deskata et Dotha étaient mortes. Il se serait plutôt attendu à trouver Théass ou d’autres défunts ayant comptés pour lui. Ou un dieu, ses messagers tout du moins. Le fait est qu’il ne savait rien et se contentait de poursuivre son périple vers la lumière. Dotha comptait effectivement pour lui. Elle avait été une main tendue par le destin, une main qu’il n’avait pu saisir, sa vocation l’en avait empêché. Mais elle avait diluée les ténèbres de ses dernières veilles, rendue sa carrière flétrissante un peu moins lourde à supporter. Pour cela, il lui en était reconnaissant. Il espérait qu’elle pourrait quitter Ornegemme saine et sauve, enrichie du savoir des profondeurs.

[Kasumi]

Dotha et Deskata demeuraient toutes deux silencieuses mais elles échangeaient fréquemment des regards graves et concentrés indiquant à Alchem qu'elles communiquaient au-delà de ce que ses souvenirs les concernant pouvaient lui permettre de concevoir. Elles remuaient parfois les lèvres mais Alchem ne parvenait à pas à capter le moindre soin provenant d'elles comme c'était pourtant le cas pour Dallius.

A mesure qu'il se rapprochait de la lumière - son intensité allait crescendo - le svirfneblin sentait que les deux gnomes étaient plus tendues, plus concentrées. Mais toujours elles le suivaient dans cette direction sans renier son choix.

[Alchem]

Il n’y avait de toute façon pas le choix, enfin selon Alchem. Il était pour lui hors de question de se détourner de la lumière. Il n’avait pas envie de se perdre dans la brume, se perdre dans l’au-delà. Personne n’avait encore réclamé son âme. Il n’était pas encore fixé sur le sort qui serait le sien pour l’éternité. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était emprunter la voie de la lumière.

[Kasumi]

Ses acolytes tendirent chacune une main vers lui pour l'inciter à se lier à elles tandis que la brume devenait enfin moins épaisse : au lieu de ne rien voir au-delà d'un mètre, Alchem percevait maintenant des formes dans la brume. Des formes de bâtiments qui lui évoquaient sa ville natale. Ici le temple de Baravar, là une simple boutique qu'il affectionnait et enfin la tour qui se détachait sur le fond du décor. La tour de sa mère d'où provenait toute la lumière qui éclairaient les ténèbres.

Ce constat se formait dans son esprit au moment même où un violent et puissant tiraillement dans son dos voulait entraîner son âme légère vers l'arrière, vers la nuit ou autre chose de plus terrible encore que le néant et l'oubli.

[Alchem]

De ce que savait Alchem, il était impossible de ramener une âme contre sa volonté. Les Drow devaient s’acharner, signe probable que son suicide les dérangeaient au plus haut point. Ils déployaient des sorts coûteux, mais ce serait en vain. L’ex chef des patrouilleurs ne quitterait pas l’au-delà avant d’avoir l’absolue certitude de ne pas retomber aux mains de ses ennemis. Or, il fallait être lucide, son corps étaient aux mains de ses ennemis. Sans celui-ci, le ressusciter devenait particulièrement difficile. Ornegemme ne comptait pas de prêtre assez puissant. Il regarda sa cité, tout du moins la représentation qui lui était offerte de contempler. Lorsqu’il s’était donné la mort, il savait qu’il n’y aurait pas de retour. C’était tout un symbole que tout s’achève là où tout avait commencé, dans la tour de lumière.

[Kasumi]

La pression qui le tirait en arrière était très forte et il devait mobiliser toute sa volonté pour y résister mais Alchem était aidé par les amis qui l’entouraient : par Dallius qui se cramponnait à son épaule, par les deux gnomes qui lui serraient chacune une main. Et il vit se dessiner le parvis de la tour si familière mais pourtant toujours aussi étrange qui tranchait avec le reste de la cité typiquement svirfnebline. La tour de lumière lui tendait les bras : il rentrait chez lui. Il allait retrouver les siens. Les morts sans doute. Les vivants peut-être. Une autre force, plus pure et plus profonde l’attirait ici.

[Alchem]

Prenant conscience de cela, il s’immobilisa. S’était-il trompé ? Y avait-il quelqu’un ici capable de le ramener à la vie ? Le grand prêtre de Callarduran Doucemain peut-être. C’était le plus puissant de la cité. Ou alors Dotha avait-elle dans ses bagages un parchemin approprié ? Trouver les composantes matérielles n’était en tout cas pas un problème. Les diamants, ils en avaient. Ils étaient un peuple de la terre. Oui, on devait chercher à le ressusciter. Ses proches étaient à la manœuvre, pas les Drow cette fois. Mais alors, pourquoi cette hésitation ? Était-ce par orgueil ? Avait-il peur de tout oublier ? De recommencer les mêmes erreurs ? De revenir pour mieux se damner ? Il tourna la tête vers Dalius, le fil de sa raison qu’il comptait ne plus lâcher.
« Tu voulais te battre jusqu’à la mort. Tu le voulais depuis le premier jour où tu t’es enrôlé dans la guerre. Maintenant c’est fait, tu es mort et ça, tu ne l’oublieras pas. Ce serment de vengeance est terminé. »
Alchem hocha la tête et s’avança vers la porte. Il pensa à Théass, qu’il allait peut-être croiser ici. Après tout, c’était chez lui. Il pensa à sa mère et il se dit qu’il n’avait pas le droit de refuser de revenir, ne serait-ce pour elle. Elle avait déjà perdu un fils et c’était déjà trop. Il entra dans la tour.
« Oh hé, Alchem.
- Quoi ?
- Je voulais dire... Tu vas devoir à nouveau me rappeler, lancer le rituel, tout ça. Ce serait bien si j’étais plus un rat ;
- Ah bon, pourquoi ça ?
- Parce que, à la surface, ça fait peur aux gents. Tu te souviens de la Sunite, le cri qu’elle a poussé en me voyant ? T’es déjà moche, il en faut un pour rattraper l’autre.
- Merci, ça fait plaisir ! »
Point d’animosité, juste des taquineries entre maître et familier.