La Couronne de Cuivre

Kmir n’hésita pas un instant, il monta à bord. Sitôt que l’attelage serait parti, il commencerait en effet à s’aménager une cachette pour anticiper la fin de l’invisibilité. Puis, il finirait de fouiller les quatre boîtes en sa possession. Si le bijou s’y trouvait, il n’aurait qu’à partir. Sinon… sinon, il lui faudrait probablement attendre d’être arrivé à destination pour examiner les autres boîtes. Le faire en plein trajet lui semblait impossible, à moins qu’il puisse toutes les prendre et sauter du chargement, se faisant la belle avec.

Il ne lui était malheureusement pas possible de s'emparer de toutes les boites simultanément : il y en avait une dizaine, et, s'il prenait le risque d'en faire tomber une partie au sol, l'incident attirerait immédiatement l'attention des conducteurs. Il n'avait pas d'autre choix que d'attendre.
Par chance, il n'était pas gros, et il parvint, en écartant quelques caisses, à se glisser au centre du chargement. Les deux hommes qui menaient l'attelage, devant, ne pouvaient se rendre compte de rien. mais il n'était pas impossible que des passants, dans les rues, aperçoivent des caisses se déplacer toutes seules. D'ailleurs, alors que les chevaux ralentissaient avant de s'engager sur une plus grande artère, un cavalier fit de grands signes aux conducteurs et les informa que les caisses bougeaient. Mais ceux-ci ne prirent pas l'affaire très au sérieux, et se contentèrent de descendre pour vérifier que les cordes qui maintenaient l'ensemble étaient toujours en place. Le sortilège était encore efficace, aussi Kmir ne fut-il pas importuné, d'autant qu'il avait eu le temps de se cacher -peut-être pas parfaitement, mais suffisamment pour être à l'abri d'un regard pas trop inquisiteur. Sa position était inconfortable, mais il parvint tout de même à ouvrir, l'une après l'autre, les quatre boites qu'il avait emmenées. Sans succès.
Entre-temps, son sortilège avait cessé de faire effet, et il ne pouvait plus espérer descendre discrètement de l'attelage. La charrette ralentissait, et, par un interstice entre les caisses, Kmir constata qu'ils arrivaient sur un quai de chargement.

Il fallait maintenant guetter le bon moment pour se volatiliser. Dieu qu’il prenait des risques, mais c’était nécessaire. Non, c’était indispensable ! Si ce bijou prenait la mer, Kmir était condamné.
Un bateau donc… Comment faire pour monter à bord sans être vu ? Pour ça, déjà, il fallait voir ce qui se passait. Le gnome écarta un peu plus l’espace entre deux caisses qui lui permettait d’observer. La première étape allait probablement consister à vite se faufiler hors du chariot pour passer dessous. Si le chargement commençait, ce serait probablement trop tard.

L'attelage s'arrêta en face d'un cargo de taille relativement importante. Le bateau était en cours de chargement, à en juger par l'agitation qui régnait à bord : on y voyait des hommes transportant à bout de bras des caisses de toute taille, disparaissant les uns après les autres par une étroite ouverture menant en cale. Deux charrettes se trouvaient déjà à quai, juste devant celle qui abritait Kmir, et la première était quasiment entièrement déchargée : les dockers s'attelaient maintenant à la seconde.
Nul ne semblait s'intéresser pour le moment à l'empilement de caisses qui le dissimulait, mais cela ne saurait tarder : il voyait l'un des conducteurs parlementer avec un des hommes de l'équipage. Il lui était impossible en revanche de savoir ce que faisait le second.
Il y avait trop de monde côté mer pour prendre le risque de descendre : on le verrait immanquablement. Mais l'autre côté du chariot semblait relativement calme. Certes, il y avait quelques douaniers, plus loin, mais ils étaient en grande conversation avec des civils et lui tournaient le dos pour le moment. Il pouvait donc se laisser glisser hors du chariot sans trop de risque.

Kmir saisit donc cette occasion. Hésiter ne servait à rien, il ne pouvait s’offrir le luxe de la vraie prudence, toute sa démarche était déraisonnable. Enfin, elle le serait il n’y avait pas tant en jeu.
S’il parvenait à glisser hors de la charrette, il passerait dessous, puis commencerait à planifier son infiltration dans le navire. Il se demandait vaguement s’il n’aurait pas dû avertir la garde que le mage et lui avaient décelé des marchandises volées, pour ensuite les laisser intervenir. Mais, quand bien même tentait-il de s’appuyer sur les autorités afin de monter une expédition et de s’attirer l’aval des temples, pour ce qui était de la récupération du bijou, il estimait els gardes trop lents. Et puis, encore une fois, le vol, c’était son job.

Il put se glisser hors de la charrette, puis sous la charrette, sans que personne ne lui prête attention. Côté mer, l'un des conducteurs discutait avec deux marins. Côté rue, il y avait un peu de passage, mais essentiellement des gens pressés qui regardaient droit devant eux.
Il n'était pas vraiment en sécurité, cependant : il y avait le risque que quelqu'un à proximité se penche, pour une raison quelconque, ou qu'une personne située plus loin regarde dans sa direction. Il ne pouvait pas s'éterniser ici. Embarquer sur le bateau n'avait rien de simple non plus : il y avait deux passerelles, où les vas et viens étaient permanents puisqu'il était en cours de chargement.
Des pas s'approchèrent, côté rue, et le nouveau venu se joignit à la conversation -il lui sembla reconnaître la voix du second conducteur de la charrette. En les écoutant, il apprit que les marchandises au-dessus de sa tête seraient transférées à bord dans une dizaine de minutes, et que d'autres marchandises devraient encore arriver. Le bateau partirait le lendemain à l'aube, en direction du port d'Anarelis, apparemment, sur Dorrandin. Cela lui laissait la possibilité de s'infiltrer plus tard dans la soirée, mais cela signifiait qu'il aurait à fouiller tout le navire pour retrouver les marchandises. A moins qu'il ne réussisse à se dissimuler tout de suite dans l'une des caisses moins chargées... Il pouvait aussi essayer de s'emparer des boites restantes, s'il trouvait quelque chose pour les transporter. Les filets et les cagettes en tout genre ne manquaient pas en divers endroits du quai.

Kmir n’hésita guère. Sa nature le poussait de l’avant. Il aimait les défis, le frisson. Entrer là où il était difficile d’aller, c’était toujours quelque chose qui lui procurait une grande satisfaction.
Embarquer sans être vu semblait difficile. Attendre la nuit restait une alternative, mais il ne comptait s’en saisir que s’il y était contraint, et encore… Non, se laisser embarquer dans une caisse, ça semblait le bon plan. Encore fallait-il trouver une caisse à proximité pouvant l’accueillir et saisir une occasion pour s’y mettre. Il était petit, mais lourd. La caisse devait être volumineuse, un minimum, pour que son poids ne soit pas suspect.

Les caisses volumineuses ne manquaient pas, sur la charrette qu'il avait empruntée. Certaines étaient particulièrement lourdes -il avait pu s'en apercevoir quand il les avait légèrement déplacées pour se glisser dans sa cachette. Donc particulièrement pleines. Mais il en avait repéré une ou deux, plus légères, entassés par-dessus les premières.
Il grimpa à nouveau sur la plateau de la charrette, côté rue -le mieux était de le faire ouvertement avec un air aussi naturel que possible, comme s'il ne faisait qu'en contrôler le contenu. Il put alors ouvrir l'une de ces caisses légères, par le dessus, et découvrit qu'elle contenait simplement des lainages : des pulls, manteaux, châles, en pure laine de moutons des montagnes de fer, à en croire l'étiquette. Il était possible de s'y glisser, en espérant que les convoyeurs ne s'apercevraient pas de la différence nette de poids. Heureusement, la majorité des caisses semblaient être transportées par les dockers.
Le seul petit problème était que cette caisse, à peu près dissimulée par les autres quand on regardait depuis le bateau, était en revanche parfaitement visible de la rue : un badaud pouvait trouver très étrange de voir une silhouette s'y glisser, et peut-être donner l'alerte.

Ne pas hésiter. Ne surtout pas hésiter. N’importe qui, à tout instant, pouvait le voir. Sa seule protection, outre le positionnement de la caisse et le chariot qui le cachait d’un côté, son attitude naturelle et sa promptitude à agir. Il entreprit donc de se dissimuler à côté de ces lainages. Rien besoin de retirer, son poids allait suffire à tasser la marchandise. Si rien n’indiquait qu’il avait été repéré et qu’il avait pu refermer la caisse sur lui, il ne resterait plus qu’à croiser les doigts et à attendre probablement un long, long moment.

Il put refermer la caisse sans encombre. Et rien d'alarmant ne se passa dans les minutes suivantes. Il avait été rapide, et personne, probablement, n'avait regardé dans sa direction à ce moment-là.
Une dizaine de minutes s'écoula. Puis une autre. Il entendait des bruits de pas, et de conversation, étouffés par le bois et la laine. Il sentit, enfin, que sa caisse était soulevée, et dut se raidir pour résister aux mouvements imprévus : si on sentait un poids lourd se déplacer trop violemment à l'intérieur, il était possible qu'on cherche à vérifier si rien ne s'était cassé... ou peut-être pas. Quoiqu'il en soit, personne n'ouvrit le couvercle.
La caisse s'immobilisa enfin, déposée quelque part. Il y avait encore des bruits de pas et de discussion aux alentours : il devinait des va et viens.

Kmir n’allait pas mettre le nez dehors temps qu’il entendrait du bruit dans les parages. Le bateau ne partait que le lendemain, il n’était plus pressé. Il se trouva une position confortable et continua à attendre. Fatalement, il n’était plus forcément aussi vigilant, mais il faisait quand même attention à ce qu’il entendait. La suite du plan semblait toute tracée. Sortir quand il pourrait se le permettre, fouiller jusqu’à dénicher ce maudit bijou, puis filer, peut-être à la faveur de la nuit.

Les bruits de voix s'éloignèrent, puis revinrent. Il sentit qu'on bougeait légèrement sa caisse, devina qu'on calait d'autres marchandises tout autour. Puis il n'y eut plus de bruits de voix, mais il devinait encore des pas, assourdis par les lainages. Il n'y eut plus rien, pendant quelques minutes, puis à nouveau quelqu'un s'approcha.
Le temps passait, lentement, trop lentement. Et enfin, il lui sembla que la pièce où il se trouvait avait été réellement désertée. Il y avait un très long moment, désormais, qu'il n'entendait plus le moindre bruit. Bien sûr, caché ainsi dans l'obscurité, loin de toute source de lumière, il lui était impossible de savoir l'heure qu'il pouvait être. Mais le chargement semblait terminé... au moins dans cette partie du bateau.
Lorsqu'il se risqua enfin à mettre le nez en-dehors de sa cachette, il s'aperçut... que c'était impossible. Ou du moins qu'il était extrêmement difficile de soulever le couvercle de la caisse. Il y avait quelque chose au-dessus, quelque chose de lourd. En y mettant toute sa force, il pourrait certainement venir à bout du poids, mais il risquait de provoquer l'effondrement de la pile de marchandises qui se trouvait apparemment au-dessus de lui.

Heureusement que Kmir était bien plus fort que sa taille ne le laissait supposer. Il aurait eu l’air fin s’il s’était retrouvé bloqué dans sa caisse.
Mais, présentement, il n’en était pas encore sorti.
Plutôt que de forcer comme une brute, il commença par soulever le dessus de la caisse juste assez pour jeter un regard à l’extérieur par le fin interstice ainsi créé. Il voulait savoir où il était positionné, où était le mur, les caisses autour de lui. Les bruits lui avaient déjà donné des indices à ce sujet, mais un regard rendait tout de suite ça plus précis. Une fois renseigné, il allait tenter de bourrer de la laine dans l’interstice, d’un côté et de l’autre, pour le maintenir légèrement ouvert sans qu’il ait à forcer. Enfin, s’il n’avait pas déjà tout fait écrouler, il allait tenter de se glisser par l’interstice, en se contorsionnant, afin de sortir en soulevant le moins possible le couvercle.

Il ne vit pas grand-chose par l'interstice. Juste devant ses yeux, il y avait d'autres caisses. Sur les côtés également. Au-dessus de lui également. En ouvrant légèrement plus, de façon à pouvoir modifier son angle de vue, il conclut qu'il y avait, face à lui, trois grosses caisses empilées les unes par-dessus les autres -en espérant qu'il n'y en ait pas d'autres en-dessous. Il en était de même sur les côtés, et probablement au-dessus de lui. Il ne pouvait pas voir clairement ce qu'il y avait derrière.
Les deux caisses au-dessus de sa tête était terriblement lourdes. Il devina, à la résistance qu'il rencontrait, qu'elles ne basculaient pas -ou pas encore. Elles devaient être retenues par d'autres caisses derrière lui.
Puisqu'il était totalement entouré d'un véritable mur de caisses, il n'eut d'autre choix que de continuer à soulever le couvercle... Et tout bascula derrière lui, en un vacarme assourdissant, brisant le silence total qui régnait dans la cale.

Ho, ça c’était pas bon. Même s’il n’y avait personne dans la calle, on avait dû entendre le vacarme jusque sur le pont où des vigiles devaient se trouver. Kmir se hâta de sortir de sa caisse, puis de se dégager des autres. Il fit alors un tour d’horizon de l’endroit où il était.
Repérer les lieux, localiser les cachettes, les échappatoires et les boîtes avec le bijou, il devait faire tout cela. A moins que par une chance extraordinaire personne n’ait entendu le bruit, il ne pourrait pas tout faire d’un coup. Il allait donc devoir se planquer. Il préférait alors un coin d’où il était possible de bouger plutôt que de se coincer dans une planque, fut-elle moins évidente. Le gnome était de ceux qui pensait que la meilleur cachette, c’était celle qui avait déjà été fouillée. Et pour trouver cette cachette, il fallait forcément pouvoir s’y rendre au beau milieu de la fouille.

Observant un peu mieux les lieux, il découvrit une pièce toute en longueur, ou des rangées de caisses étaient alignées le long des deux murs les plus longs, de part et d'autre d'une allée centrale. Trois rangées de caisses, sur trois étages, du côté où il se trouvait, et deux rangées de l'autre côté. Le tout soigneusement empilé pour ne pas perdre la moindre place. Il était impossible de se glisser entre deux caisses.
Il était possible, en revanche, de se dissimuler dans le petit espace resté libre tout au fond, mais il serait coincé si des hommes approchaient. Une autre cachette possible était le sommet des empilements. En s'y tenant en retrait de l'allée centrale, et à plat ventre, il serait à l'abri des regards -sauf si quelqu'un s'avisait de grimper à son tour.
Quant aux boites qui l'intéressaient, il n'avait pas vraiment le loisir de les chercher tout de suite, mais les petits emballages se trouvaient apparemment tous aux sommets des piles de caisses.

Kmir décida de grimper aux sommets des caisses. L’endroit n’était pas à son avantage, il n’y avait pas assez de recoin. Peut-être pourrait-il déplacer quelques boîtes, histoire d’aménager un léger creux où il pourrait disparaître à plat ventre. Mais pas certain que ça ne fasse pas qu’attirer encore plus l’attention.
Pour l’instant, il resta simplement à plat ventre, sans rien bouger. Il se mit à dresser l’oreille et, dans le même temps à chercher du regard les boîtes qu’il cherchait. Au pire, s’il trouvait le bijou, peut-être pourrait-il vider les lieux en catastrophe.

Kmir eut à peine le temps de grimper par-dessus les empilements de caisses qu"il entendit des pas approcher, et le léger grincement d'un gond mal huilé. Un passage à peine visible entre les caisses, à peu près au milieu du mur le plus long, menait apparemment à une porte. Heureusement, sa cachette en était suffisamment éloignée pour qu'on ne puisse pas l'apercevoir, même en levant la tête. Et les nouveaux entrants avaient de toute façon le regard attiré par les deux caisses tombées sur le sol, à proximité de l'entrée. L'une était complètement éventrée, l'autre simplement renversée et en partie vidée. Il y avait là des objets artisanaux de bois, soigneusement sculptés, et pour la plupart brisés par la chute, de la vaisselle de grès en miettes, mais également, lui semblait-il, divers ustensiles en fonte ou en métal - il n'avait guère eu le loisir de détailler l'ensemble.
" C'est quoi c'bazar ? T'as mal empilé les caisses ?
- Bien sûr que non ! Regarde le reste, tout est bien calé...
- Oui mais t'as pas fixé les cordes d'arrimage.
- Mais je les mets juste quand on part ! On n'est pas en mer, ça peut pas tomber tout seul !
- La preuve que si !
- Ça peut pas tomber tout seul, j'te dis ! Faut qu'on prévienne le capitaine, y'a p't'êt quelqu'un... "
Tout en se chamaillant, les deux hommes entreprirent de dégager l'allée centrale, remettant dans l'une des caisses ce qui était encore en état, faisant l'inventaire à voix haute de ce qui était cassé. Kmir, à plat ventre sur une caisse solide, ne pouvait pas les voir, mais ce qu'il entendait indiquait clairement qu'ils en avaient encore pour un bon moment.
Observant ce qui se trouvait aux alentours, il aperçut divers petits emballages se trouvaient sur l'empilement en face de lui, de l'autre côté de l'allée, et d'autres à proximité de sa cachette. Mais il ne voyait pas ceux qu'il cherchait, probablement trop loin de lui.

Ils n’étaient que deux…
Kmir hésita. Devait-il prendre le risque de fouiller en présence des deux marins ? Il avait déjà pris tant de risque, pouvait-il prendre celui d’être repéré ? Une autre solution lui vint à l’esprit, plus radicale. Il ne l’aimait pas, mais il n’aimait pas toute cette histoire. Il jouait sa peau et cette malédiction le mettait à cran.
Alors, silencieux, il se rapprocha des deux marins, toujours à plat ventre. Puis, il dégaina son épée, se redressa et, sans un mot, se laissa tomber sur une de ses deux cibles. Son objectif : la tuer net d’une frappe aérienne dans la nuque ou le crâne. S’il y parvenait, qu’il arrivait à bien se réceptionner et que la surprise était toujours de son côté, alors il tenterait d’éliminer la seconde personne dans la foulée d’un coup précis. Sinon, il ferait appel à sa magie pour la rendre aveugle et ensuite il la tuerait. Voilà qui réglerait tout problème.

Les deux manutentionnaires n'avaient rien de combattants, même s'ils étaient solidement bâtis.
La forte constitution de celui que Kmir attaqua lui épargna la mort, ou du moins la mort immédiate. Il s'écroula au sol en serrant les mains contre sa blessure à la nuque, tentant d'endiguer le flot de sang qui coulait bien trop vite. Son comparse, lui, fixait la scène avec des yeux ronds, stupéfait. Il réagit cependant, poussant un hurlement de terreur en tentant maladroitement de s'enfuir. Kmir n'eut qu'un coup d'épée à donner pour le faire taire : il était visiblement trop choqué pour opposer la moindre résistance. Mais son cri, même rapidement étouffé, avait pu être entendu.

Certes, mais entre un cri et le vacarme de caisses qui se fracassent, il n’y avait guère de différence. Kmir pouvait espérer qu’il avait éliminé les seules personnes capables d’entendre et de venir le déranger. Il essuya brièvement sa lame, rengaina puis, sans un regard pour les corps, entreprit de fouiller sérieusement la calle en quête du bijou. Maintenant, il devait le trouver !

Il dut parcourir une bonne partie de l'allée, et grimper, à intervalles réguliers, sur les piles de caisses, avant d'apercevoir enfin ce qu'il cherchait -ou du moins quelque chose qui en avait l'apparence.
Une dizaine de petits emballages, identiques à ceux qu'il avait fouillés précédemment, étaient à demi dissimulés derrière des caisses plus imposantes. Les fouiller nécessitait, à nouveau, de se jucher sur des piles de caisses. Mais alors qu'il était en train de rejoindre son perchoir, il entendit des pas rapides dans la coursive. Le cri avait peut-être alarmé quelqu'un... à moins que l'intrus ne vienne s'enquérir de ce que faisaient ses acolytes. L'intrus... ou les intrus plutôt, à en juger par les bruits de pas.

[]Kmir acheva de grimper pour se positionner hors de vue, à côté des petites boîtes. Il avait l’intention de les fouiller discrètement alors que les importuns découvraient les corps. S’il trouvait le bijou, il aurait une nouvelle option à sa disposition, option dont il commençait vraiment à avoir un besoin urgent : se tirer !
La situation devenait vraiment galère ! Pourquoi tout était toujours aussi compliqué ?[/i]

Il eut tout juste le temps de se dissimuler, profitant de ce que l'attention des nouveaux venus étaient attirée par les corps sans vie et le sang jonchant le sol. Il entendit des exclamations d'horreur, des appels à l'aide, tandis qu'il fouillait consciencieusement les boites.
" Bon sang, ils sont morts !
- Attends, touche-les pas, faut attendre la garde..."

Il en était à sa troisième boite. Toutes contenaient des bijoux ou pierres précieuses : c'était bien le butin qu'il cherchait.
" On f'rait mieux d'pas rester ici, y'a un assassin qui traîne...
- T'as raison."
Son cerveau, en alerte, enregistrait d'instinct les informations utiles. Il y avait trois voix différentes, donc au moins trois personnes. Il entendit la porte claquer, et une clé clé tourner dans la serrure.
Mais il n'entendit pas de bruits de pas.

Et la sixième boite lui apporta ce qu'il cherchait : le rubis.

« Enfin… » murmura-t-il.
Il l’avait ! Il le rangea dans sa poche, hésita une seconde, puis récupéra d’autre bijoux. Qui sait si ça ne lui serait pas utile. Ensuite, il se demanda comment sortir. Il était dans la merde, c’était peu de le dire. Si c’était bien la garde qui venait, ce serait une catastrophe absolue ! Tout du moins, s’il était pris. Si, en revanche, il avait de nouveau affaire aux trafiquants… ce serait à la fois pire et mieux, pire parce qu’il pouvait être exécuté sur place, mieux parce que même pris il pouvait encore négocié. Quoi qu’il en soit, quelque chose de curieux dans ce qu’il avait constaté le frappa.
Il n’avait entendu aucun bruit de pas s’éloigner de la porte. Comment ça aucun bruit de pas ? Pourquoi n’y avait-il pas au moins une personne qui allait chercher les renforts ?
Ce n’était pas normal. Le gnome se mura dans le silence et l’immobilité totale. Il tendait l’oreille.

Le silence n'était pas total. Il n'avait pas entendu de pas s'éloigner de la porte, mais il entendait, maintenant qu'il était parfaitement silencieux, des sons étouffés au-dessus de sa tête : il y avait du mouvement à l'étage supérieur.
En tendant l'oreille près de la porte, il entendit, au bout d'une ou deux minutes, le froissement d'un textile, un soupir étouffé. Apparemment, une ou plusieurs personnes attendaient discrètement juste derrière la porte verrouillée.
Puis il entendit des voix, trop étouffées pour qu'il comprenne ce qu'elles disaient, probablement à une bonne dizaine de toises de la porte. Et à nouveau le silence.

Hors de question, donc, de crocheter la serrure. Mieux valait demeurer d’une complète discrétion. Les autres pouvaient supposer qu’il était là, mais supposer uniquement. Kmir se dissimula de son mieux et attendit le moment d’agir.
Cependant, tout ceci était suspect. Ça ne ressemblait pas au comportement d’un équipage ordinaire en proie à un crime de sang. Il aurait dû y avoir plus de cris, plus d’affolement…

HRP : pourrais-tu me dire où il se cache : Au sommet des empilements ? Loin de la porte, près de la porte ? Ou il cherche plus sophistiqué, par exemple dans une caisse ?

Il ne se passa rien pendant quelques minutes. Puis il y eut des bruits de voix, derrière la porte : ses adversaires avaient manifestement compris que l'embuscade discrète avait échoué.
Il n'entendait pas clairement ce qu'ils se disaient, malheureusement.
" .... doit avoir filé....
- T'en sais rien !
- Oui mais....."
Il y eut ensuite des chuchotements peu audibles au milieu desquels il crut entendre le mot "gardes". Puis il y eut des déplacements, le bruit d'autres serrures, des bruits de pas, de nouveaux arrivants probablement, une courte discussion.
Et puis la clé tourna dans la serrure de la pièce où il se trouvait.
" Oh purée... il les a pas loupés...
- Tu sors de ta cachette les mains sur la tête, beugla soudain une voix autoritaire. Sinon t'es mort."
Aux différents bruits de voix, ils étaient au moins cinq.

Ce n’était pas la garde. Ce n’était pas les manières du guet. Ils avaient toujours des formules plus ou moins officielles.
Kmir était remonté au sommet des caisses, non loin de la porte. Tuer cinq personnes d’un coup, ça faisait un peu beaucoup pour lui. Et puis, là n’était pas son objectif. Il devait juste partir. Lui serait-il possible de créer la panique ? D’où provenait la lumière ? Lui voyait dans le noir complet, pas les humains. Avait-il affaire qu’à des humains ? Serait-il possible d’éteindre les sources de lumière ? La porte était-elle restée ouverte ?
Pour l’instant, le gnome, qui bien sûr ne répondit rien à l’injonction, calculait son coup. Et il avait intérêt de bien calculer.

La lumière provenait d'une seule lanterne accrochées au plafond, au-dessus de l'allée centrale, qu'un homme pouvait atteindre en levant les bras. Elle était toute proche de Kmir -même si l'atteindre en tendant le bras révélerait sa position. Elle avait été allumée par les deux hommes venus constater l'étendue des dégâts -ceux que Kmir avait tués. Il en apercevait deux autres, vers la gauche et vers la droite, qui étaient pour l'instant éteintes. Une autre source de lumière, bien plus ténue, provenait de la coursive, qu'il devinait au-delà de la porte restée ouverte. Apparemment, aucun des hommes ne portait de lumière sur lui.
Les intrus, cependant, s'avançaient de quelques pas décidés.
" Joris, tu restes pas loin de la porte. Tom, tu grimpes à gauche, Elvis, à droite. Il est probablement là-haut. Lucas, tu vas voir s'il se cache au fond là-bas... je vais nous faire un peu plus de lumière."
Il était difficile de risquer un coup d'oeil pour vérifier la race précise de ses adversaires. Les timbres des voix qu'il avait entendues évoquaient des humains, mais il ne pouvait pas avoir de certitude.
Celui qui parlait était en mouvement, et se rapprochait, a priori, de la lanterne.

La Couronne de Cuivre

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