La Couronne de Cuivre

-Je pense que si nous allons les voir pour leur parler de catastrophe imminente, les Ithiliens nous riront au nez : ils penseront justement qu'il ne s'agit là que d'une manœuvre visant à les faire décamper.
-Je le crains également, sauf si nous disposons d'éléments tangibles prouvant nos dires, ce dont nous manquons pour l'heure. En revanche, j'ai commencé à progresser dans mes recherches concernant ce lieu. Dans les textes les plus récents, il est qualifié de mémorial. Mais dans les livres plus anciens, on fait référence à lui sous le nom d'arche, ce qui laisse entendre qu'il s'agirait bien d'un refuge.

" Imaginons qu'une catastrophe soit sur le point de se produire, dit alors Hubert. Imaginons que ce lieu soit un... abri, comme vous dites. Nous devons y mener tout le monde, le plus vite possible. Frida, Etienne, les gens qui sont à leurs côtés. Pour guider Frida et les siens jusqu'ici, nous pouvons utiliser les tunnels, les éclaireurs, ce n'est pas un souci. Ce ne sera pas facile, mais c'est possible. Pour faire sortir Etienne et les prisonniers, par contre... Nous n'avons pas progressé en deux jours. Ce que nous avons ramené aujourd'hui ne changera pas la face du conflit, et les artefacts de l'université n'ont pas encore révélé leurs secrets. Nous ne pouvons pas attendre, je pense. Demain, soit, rassemblons les informations que nous pouvons. Mais après-demain... Il faut qu'on aille les chercher."

-Je suis d'accord, dit le rôdeur sans une once d'hésitation.
Marthe grimaça.
-Comme vous, j'ai hâte de libérer nos compagnons et, au regard des nouvelles données dont nous disposons, cela paraît plus urgent que jamais. Néanmoins, gardons à l'esprit que nous n'aurons probablement qu'une seule et unique chance d'y parvenir. C'est pourquoi, si d'aventure les démarches d'Albérich et de Freya nous révèlent que nous disposons de plus de temps, ou si les informations récoltées demain s'avèrent insuffisante, je proose que nous ne nous précipitions pas. L'arrivée de la colonne nous apportera du matériel et surtout des renforts, lesquels pourraient s'avérer d'un grand secours.

" Nous ne pourrons jamais mener une guerre dans les souterrains, Marthe, dit Hubert. Le terrain ne s'y prête pas. La forteresse est imprenable de l'extérieur. Même si nous trouvons cinq cent personnes de plus, nous serons à deux de front dans ces fichus couloirs... Et ils nous attendent. Même s'ils ne nous ont pas vus à l'université de la Magie, ils doivent avoir compris que nous venions de passer... à moins qu'ils ne soient complètement aveugles, mais je ne crois pas qu'ils le soient. Ils savent que nous rôdons quelque part. Je suis partisan d'un affrontement franc, ma voie me l'impose, mais nous ne l'aurons pas. Je ne crois pas que les forces de Frida changeront fondamentalement la donne... Oui, peut-être nous apporte-t-elle des mages ou des clercs susceptibles de faciliter les choses... Je ne sais pas..."
Il se tourna vers Albérich.
" Tu devrais le lui demander, franchement, que nous sachions exactement à quoi nous en tenir."

-C'est sûr que s'il y a moyen de savoir sans hésitation quelle est la bonne voie, cela faciliterait grandement les choses. Pour nous, car nous ne perdrions plus de temps à nous perdre en conjectures. Pour les captifs, car ils seraient sûrs d'être libérés.
Marthe soupira.
-Évidemment, j'aimerais que cela se passe ainsi. Mais quelque chose me dit que l'on obtient pas toujours aussi facilement des réponses des dieux... Enfin, ça ne nous coûte rien d'essayer.

" Je parlais de demander à Frida qui l'accompagne exactement, pas à Lathandre, dit Hubert. Je ne doute pas que notre dieu veuille nous aider, mais je ne crois pas qu'il va nous livrer la biographie de nos futurs compagnons de lutte.
— Je ferai ça, dit le Luménien. Interroger Frida, interroger Lathandre. Mais je pense que Giovanni doit retourner à la forteresse... et la question est de savoir quand nous organiserons une assemblée, en plus de tout ça."

-Que Giovanni aille à la forteresse, cela me paraît indispensable. Outre savoir comment la situation évolue là-bas, nous devons réssembler des données précises sur la manière dont nos compagnons sont surveillés, tant ceux qui travaillent que ceux qui sont au repos, sur celle dont le duc est protégé...
Marthe acquiesça.
-L'assemblée peut tout à fait être réunie demain soir : nos aurons alors au moins une partie des réponses et des informations dont nous avons besoin.
Elle marqua une pose.
-Le Conseil devra cependant se réunir au préalable. Non seulement pour en prendre connaissance mais, le cas échéant, pour envisager des alternatives. Albérich m'a parlé de quelques idées qui méritent d'être examinées.

" Pouvons-nous les connaître ? demanda Hubert, curieux.
— Je pense que... c'est prématuré, dit le Luménien, embarrassé. La situation est déjà bien assez complexe en l'état, et nous devrions nous concentrer sur une direction qui nous agrée tous..."
Le paladin parut contrarié.
" Non. S'il y a des options, je veux les connaître."
Le clerc jeta un regard en coin à Marthe puis haussa les épaules.
" J'ai parlé avec Marthe des possibilités d'amener Luménis à s'impliquer de manière plus franche. Peut-être en nous envoyant un conseiller... ou des mages de l'université. Mais ce serait hypothéquer notre indépendance. Nous devons d'abord explorer les autres possibilités."

Si Marthe demeura impassible, Ézéchiel arbora une mine qui disait assez que cette idée ne lui plaisait pas. Qu'elle ne lui plaisait pas du tout.
-Tu as raison, gardons cela pour plus tard. Pour le cas où nous n'aurions vraiment plus d'autres recours.
Il secoua la tête.
-De toute façon, seule l'Assemblée pourrait trancher sur une question aussi fondamentale qui signifierait, soyons francs, la fin de la Communauté.

Mais la survie des individus qui la composent, songea Albérich sans le verbaliser, conscient que cela n'amènerait rien de bon.
Le joug luménien était incomparablement moins douloureux que l'ithilien, même Ezéchiel devait en être conscient. D'autant qu'Albérich pourrait sans doute négocier un statut avantageux pour la cité... Non, il ne pouvait pas en être certain. Si Lathiriel aimait ce qu'elle découvrait en leurs murs, elle pourrait se montrer absolument impitoyable et arguer d'une raison d'état contre laquelle il devrait s'écraser. L'éclaireur avait raison : c'était l'ultime dernier recours. Mais la puissance antique ne devait pas tomber entre les mains du Prince, c'était aussi un élément fondamental... Le Luménien préférerait la détruire lui-même que de prendre ce risque.
Un instant, le clerc eut l'impression qu'ils tergiversaient, incapables de faire face à leurs responsabilités. Mais le moment était passé et Hubert s'engouffra dans la brèche.
" Bon. Giovanni va à la forteresse demain. Je voudrais, comme je l'ai dit, demander à Varamyr de le chaperonner. Il a été extrêmement secoué par ce qu'il a vu la première fois et je pense qu'un... garde du corps pourrait lui être utile, au moins pour les passages dans les souterrains. Il n'est pas très chaud, et Varamyr peut être... brut de coffre... mais je veux bien me charger de gérer ces aspects."

Le rôdeur acquiesça. Marthe, elle parut plus hésitante.
-Je suis d'accord sur le principe. Cependant...
Elle soupira.
-Parfois, lorsqu'on est peu motivé à l'idée de recommencer quelque chose qui nous a ébranlé, se voir adjoindre un chaperon fragilise encore davantage. Mais je me fie à ton jugement, Hubert.

Hubert parut embarrassé.
" Je comprends... et je suis d'accord... mais j'aurais tendance..."
Il jeta un regard inquiet vers Albérich, que le Luménien ne sut pas vraiment interpréter.
" Je préfère soigner son amour-propre ensuite que pleurer sa perte parce qu'il a craqué."

-Je suis de ton avis. Et même en faisant abstraction du ressenti de Giovanni ou du risque qu'il craque s'il y va seul... Pour une telle mission, un rôdeur saura se rendre utile.
Marthe opina du chef.
-Soit. Comme je l'ai dit, je m'en remets à votre jugement.

Hubert regarda à nouveau vers Albérich, et celui-ci comprit qu'il devait intervenir.
" Faisons au plus prudent." dit-il sobrement.
Cela suffit au paladin.
" Il faudrait avoir une idée claire des informations dont nous avons besoin. Le duc, les prisonniers...
— La manière dont les relais entre les équipes s'effectuent. Le nombre d'hommes qui les accompagnent à la mine... La manière dont ils vérifient que tout le monde est présent...
— Il faudrait presque envoyer une équipe à la mine pour observer comment les choses se passent... mais sans invisibilité, cela va être complexe."

-Sauf erreur de ma part, il y a ici une ou deux personnes ayant participé à l'exploration des mines. Elles pourraient sans doute nous en dessiner un plan sommaire. Néanmoins, y envoyer quelqu'un me semble trop risqué : il aurait toutes les chances de se faire repérer, attraper...
-Et ensuite, tout serait fichu, soupira Marthe. C'est aussi pour cela qu'à mon avis, nous ne devons pas trop en demander à nos espions ou, au moins, définir des objectifs prioritaires et d'autres... dispensables. Plus ils s'attarderont à la forteresse, plus les risques seront grands qu'ils soient pris.

" Nous avons a minima besoin de savoir si le duc est présent et s'il est accessible via les passages secrets... ou s'il y a moyen d'arriver au plus près de lui.
— Avoir une idée de la distribution des forces me semble aussi indispensable, ajouta Hubert.
—*Le plus simple aurait été de libérer une personne pour qu'elle nous donne ces informations. Mais ça dépend de si les Ithiliens ont une idée très précise du nombre de prisonniers et s'ils le contrôlent régulièrement... ou s'ils n'y prêtent plus guère attention."

-Je vois mal les Oghmans, d'ordinaire si méticuleux, se montrer à ce point négligents... Mais qui sait, s'ils sont obnubilés par la recherche des gemmes et des autres secrets que cache la cité...
-On devrait coucher toutes nos idées sur le papier. Avec une liste en bonne et due forme, on y verrait plus clair, on pourrait hiérarchiser...
ll eut un regard songeur.
-Albérich, n'avais-tu pas parlé d'essayer d'entrer en contact avec l'un des captifs ? Si cela est possible... Nous pourrions, par la magie, obtenir pas mal d'informations et ainsi décharger nos espions...

" Oui, c'est vrai, dit le Luménien. Mais mon idée était surtout de savoir si la forteresse était imperméable à la magie... Il me reste un sortilège de ce genre, en fait, que j'avais prévu au cas où l'expédition tardait... Je pourrais le faire maintenant... mais je ne sais pas qui contacter...
— Un des bardes, dit Hubert. Il saura jouer la comédie si les Ithiliens flairent quelque chose...
— Mais ce sont des lanceurs de sorts. Ils sont sûrement particulièrement surveillés et probablement coupés de la Toile. Non, je pensais contacter Gus. Le cuisinier. Ou alors Ulrich.
— Ce pauvre Ulrich doit être sévèrement exploité, vu son gabarit." murmura Hubert.

Ézéchiel et Marthe s'entreregardèrent puis acquiescèrent.
-Très bien, tente tout de suite, alors.
-Si ça marche, nous arriverons peut-être à... avancer plus rapidement.Comme toujoutrs, le taciturne rôdeur ne prisait guère les longues discussions, surtout quand les progrès n'y étaient pas flagrants.

Albérich se leva, incertain, et Hubert l'imita.
" Bon, je vais appeler Gus, alors, dit le Luménien. Il me connait bien, il sera moins décontenancé par mon contact que le forgeron. J'espère que je pourrai en tirer quelque chose d'utile.
— Je t'ouvre les portes." dit le paladin.
Ils s'esquivèrent et remontèrent rapidement le couloir.
" Tu crois que je devrais leur dire ? demanda subitement Hubert.
— Leur dire ? Quoi ça ? répondit Albérich, déjà complètement concentré sur l'échange à venir.
— Que je suis un demi-céleste.
— Quoi ? Pourquoi ?
— Je ne sais pas.. J'ai l'impression que c'est... un élément.
— Honnêtement... Vu le contexte, je ne vois pas trop l'intérêt. Mais c'est à toi de voir...
— J'ai l'impression d'être une sorte d'imposteur."
Ils avaient atteint les caves.
" Hubert... C'est juste ta nature. Elle est particulière... impressionnante, même... mais elle ne change rien à qui tu es."
Le paladin acquiesça, troublé, et ouvrit la première porte, puis la seconde. Quelques secondes plus tard, ils atteignaient le couloir et Albérich incantait.

...Et obtenait une réponse.
M'sire Megrall ?!
Le ton du cuisinier dénotait l'ahurissement. L'avantage, c'est que la surprise l'empêchait, pour l'heure, de parler davantage et donc de gaspiller ses mots. Car lui n'était sans doute pas familiarisé avec le fonctionnement de ce sortilège...

La forteresse était donc perméable à la magie. C'était à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Cela signifiait qu'il y avait probablement moyen d'y pénétrer mais aussi que les communications étaient possibles entre la mine et ceux qui restaient à l'intérieur.
Gus. Sois bref. Combien d'Ithiliens accompagnent aux mines ?
Trente mots ne suffiraient jamais.

Silence. Gus devait se débattre entre sa surprise, la nécessité de ne pas trop la montrer, celle de répondre en étant bref...
Pas compté. Beaucoup, pour nous surveiller, secouer ceux qui fatiguent...
Nouvelle pause.
Une cinquantaine, j'dirais.

Cinquante sur trois cents, ce n'était pas tant que ça. La grosse majorité des soldats restaient donc à la forteresse. L'attaquer devenait de plus en plus illusoire, mais libérer le groupe de mineurs plus réaliste. Malheureusement, cela signifiait laisser la moitié des colons, et les otages choisis, entre les mains de l'ennemi.
Vérifient-ils votre nombre, votre identité ?

Cette fois, la réponse ne se fit pas attendre.
Yep. Appel et tout, Avant et après le travail.

Cela ne voulait pas dire qu'ils étaient capables de reconnaître les gens. Il y avait peut-être moyen de substituer une personne pour une autre, histoire d'avoir un espion dans les lieux, capable de les renseigner davantage. Albérich hésita.
Le Duc est-il présent ? Protégé ?
Il ne restait que quelques mots à Gus, sans doute pas assez pour répondre en détails... Albérich sentit la frustration flamber en lui-même, mais il la contint. Confusément, il sentit qu'Hubert l'étreignait par derrière, comme pour le stabiliser.

Et comment qu'il est...
Gus, venant d'épuiser les mots auxquels il avait droit, fut brusquement interrompu en plein milieu de sa phrase.
Sans doute continuait-il à s'adresser au Luménien et serait-il bien dérouté en constatant que la communication avait été si radicalement coupée...

Il restait des mots à Albérich, aussi ne perdit-il pas de temps...
Ayez foi. Nous viendrons. Soyez sages.
C'était une expression rude, à double sens, mais qui avait toute son importance.
Contact demain. Courage.
Et ce fut le néant. Il fut pris d'un grand frisson et se retourna contre la poitrine d'Hubert, qui le serra plus fort.
" Je comprends Giovanni." souffla-t-il.
Le paladin l'embrassa sur le front.
" Nous les sortirons de là.
— Je l'espère, Hubert. Franchement... Franchement, il le faut."
Le paladin le garda contre lui d'un bras et réenclencha le pouvoir des portes, le soutenant tandis qu'ils rentraient à l'intérieur. Mais le clerc reprit ses esprits, demeura une minute immobile dans la pénombre, profitant de l'aura de son ami, adressant des prières troubles à Lathandre.
" Allons faire notre rapport."

Leurs compagnons n'avaient pas bougé et ils gardèrent le silence un moment après avoir pris connaissance des quelques informations glanées par Albérich.
-Récapitulons : le duc est là, ses hommes comptent les prisonniers et font l'appel, et une cinquantaine de soldats surveillent les mines.
-Cela ne nous avance pas beaucoup... soupira Marthe.
-Cela fait malgré tout de petites zones d'ombre en moins.

Albérich était de l'avis de Marthe, malheureusement, mais il ne voyait pas bien comment il aurait pu en sortir davantage avec ce sortilège limité.
" Et nous savons qu'il est possible de communiquer directement avec les gens dans la forteresse. Si nous voulons qu'ils soient prêts à réagir ou qu'ils créent une diversion, nous pourrons le leur demander. Cela signifie aussi que si nous attaquons le groupe de la mine, ils pourront avertir leurs alliés qu'ils ont des ennuis."
Sans pouvoir le réprimer, il poussa un profond soupir et nicha un moment son visage entre ses mains. Entendre la voix de Gus l'avait affecté plus qu'il ne l'aurait cru. Il savait, pourtant, ce qui se passait derrière les murs de la forteresse. Mais jusque là, il avait complètement refoulé toute pensée réelle concernant les prisonniers, conscient que son courage était précaire.
Mais demain, il interrogerait Lathandre...
" Je pourrais effectuer une scrutation sur Gus. Si le message est passé, cela devrait marcher. J'aurais alors une vue précise de tout ce qu'il voit sans qu'il soit en danger. Pendant une dizaine de minutes, seulement. C'est peut-être inutile."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue