La Couronne de Cuivre

-Je pense au contraire que cela peut-être très utile. Plus tu en verras par ce biais, moins les espions devront prendre de risques... Peut-être, d'ailleurs, cela vaudrait-il le coup que tu prépares plusieurs sortilèges de ce type. Ou que tu demandes au sieur des Rosières de le faire : après tout, qu'est-ce qui nous empêche, dans l'absolu, d'observer plusieurs personnes ? L'idéal serait d'en trouver une dans les mines et une autre parmi les captifs au repos.
-C'est vrai... opina la magistrate.

" J'en parlerai avec Thibault, dit Albérich. J'avais prévu de me coordonner avec lui pour que nous répartissions au mieux nos sortilèges, mais comme il a accompagné les expéditions ces deux derniers jours, j'ai finalement préféré le laisser décider de son attirail... Mais je vais lui en parler ce soir. Nous pouvons effectivement scruter plus d'une personne. On peut imaginer faire ça tôt demain matin et n'envoyer Giovanni et Varamyr en expédition qu'ensuite, après un court conseil de crise...
— Ça me semble une idée." fit Hubert, songeur.

-Très bien. Cela aura l'immense avantage de clarifier la liste d'observations dont les espions devront s'acquitter. Et si la chance est avec nous, cela la limitera de manière conséquente, ce qui réduira aussi les risques que l'opération tourne mal.
-Espérons que la chance soit avec nous, dès lors...
Marthe observa un instant ses compagnons.
-Bon, puisque nous sommes d'accord là-dessus, passons aux autres points. Envisageons-nous une autre expédition de fouilles, demain ?

Albérich ne répondit rien, à nouveau perdu dans ses pensées. Hubert acquiesça.
" Oui. Si seuls Varamyr et Giovanni sont impliqués dans l'espionnage, ce serait vraiment bête de ne pas continuer à vider les bâtiments d'intérêt... Mais tu as dit que tu avais lu des ouvrages sur la cité, aujourd'hui... As-tu identifié des endroits que nous devrions visiter en priorité ?"

-Pas de manière aussi précise que pour l'école de magie ou la caserne, avoua-t-elle. Depuis la conversation que j'ai eue avec Albérich, à midi, j'ai concentré mes efforts sur notre refuge... Mais j'ai glané des informations de-ci, de-là, sur divers bâtiment susceptibles de nous intéresser. Le souci, c'est qu'il y en a beaucoup : Clairétoile est vaste et l'on y trouve tout ce que peut abriter une grande cité, depuis de grandes forges jusqu'aux sièges de guildes marchandes ou professionnelles, en passant par maints temples... Après, bien sûr, il y a également le siège du gouvernement.

" J'aurais tendance à aller aux forges, mais nous disposons sans doute déjà de suffisamment d'armures et d'armement... dit le paladin.
— Le siège du gouvernement pourrait enfin nous apporter des informations sur la catastrophe, murmura Albérich. Mais c'est un pari. Il peut n'y rien rester, ça dépend de la manière dont ils ont conservé leurs archives... Jusqu'ici, ça n'est pas brillant, dans ce domaine."
Il pinça les lèvres.
" Y a-t-il un bâtiment plus intéressant dans ce coin-là ? Ça éviterait de faire le chemin pour rien... On pourrait diviser l'équipe en deux et ramener quand même quelque chose d'utile..."

-Cela me surprend que tu sois à ce point persuadé que les Anciens ont eu le temps d'écrire quelque chose à propos de cette catastrophe, fit Ézéchiel. Personnellement, le les vois mal l'avoir fait : il semble que le drame se soit produit de manière assez subite et il me paraît peu probable, dès lors, que quelqu'un ait pu tranquillement s'installer devant son écritoire... Après, j'admets que, n'ayant rien d'un érudit, ce n'est pas un réflexe que j'aurais, surtout dans le feu de l'action. Et s'il existait de tels textes, ce serait assurément un atout.
-Je n'ai pas encore pu localiser précisément les édifices les plus prometteurs, mais je peux y consacrer la soirée. Il me semble néanmoins que le siège du gouvernement n'est pas très loin d'ici.

" Disons que c'est la lettre que nous avons trouvée avec les cadavres barricadés qui me fait l'espérer... Je me rends bien compte que si traces il y a de la catastrophe, c'est hors d'ici, auprès des survivants que nous devrions la trouver. Freya m'a dit qu'il existait des légendes, dans son peuple, à propos de celle-ci... Floues, malheureusement, mais je pense qu'elles renvoient au pouvoir des gemmes. Enfin... C'est sans doute parce que je le crains moi-même. Mais soit, je m'égare... La personne disait, dans cette lettre, que des gens avaient eu raison, que leurs rêves s'étaient révélés exacts... Donc même si la catastrophe a été subite, certains l'avaient anticipée... Je ne sais pas comment. Mais je me dis que parmi ceux-ci, certains ont pu aller voir les gouvernants pour tenter de les prévenir. Je veux dire... comme Freya l'a fait aujourd'hui. Elle m'a prévenu. Je vous en parle. Si nous avions eu un gouvernement réel, sans doute aurions-nous eu un secrétaire pour prendre note de nos discussions... Bref. Aussi brutal ait été le cataclysme, ce sont les traces de ces rêves, de ces prémonitions, que je cherche... Nous avons trouvé la lettre tout à fait par hasard... J'ai l'espoir qu'en cherchant au bon endroit, nous puissions en découvrir davantage."

-Le cas de la lettre est un peu particulier : elle a été écrite par une personne qui a dû partir sans pouvoir attendre le retour de son conjoint qu'elle devait donc prévenir. Et même si le secrétaire du gouvernement a pris des notes, cela risque d'être aussi évasif que ce dont t'a fait part Freya... Honnêtement, je suis dubitatif. Pour autant, j'espère que c'est toi vois juste et que nous mettrons la main sur des documents utiles. De surcroit, je n'ai pas d'autre piste à proposer.

" Je ne sais pas... Ça fait beaucoup de supputations, je trouve. Nous ne savons pas ce qui s'est passé, pas ce qui s'est raconté... Mais je suis conscient que notre temps est compté, je ne veux pas nous envoyer sur des chemins de traverse inutiles... Si la catastrophe que pressent Freya est imminente, sans doute n'aurons-nous pas le temps de l'identifier avant qu'elle ne nous frappe, quoi que nous trouvions..."
Il pinça les lèvres.
" Mais peut-être devrions-nous alors renoncer à de plus amples explorations... A part pour baliser le parcours de Frida et de la colonne qui arrive incessamment."

-Le trajet jusqu'aux portes est a déjà été repéré par Gaspard. Et comme le disait Hubert, puisque nous avons encore une journée de libre et les effectifs nécessaires, pourquoi nous priver d'une expédition ? Tentons le siège du gouvernement : nous n'avons rien à perdre.
Marthe acquiesça.
-Je suis d'accord. Mais, Albérich, pourrais-tu nous en dire davantage sur les légendes dont t'a parlé Freya ?

" Juste un mot sur mon souci des explorations... Si la catastrophe doit arriver... Si cet endroit est une arche... Nous devrions laisser le moins de gens possible dehors. C'est pour ça qu'à moins d'avoir de bonnes raisons d'espérer des trouvailles utiles... Je ne suis pas forcément pour persévérer dans cette voie."
Il se tourna vers Marthe.
" Freya dit qu'il y a en gros trois rumeurs... Mais toutes partent du principe que ce sont les hommes eux-mêmes qui ont provoqué la catastrophe. La première version veut qu'ils aient mal utilisé les savoirs et les présents des dieux... d'où mon inquiétude concernant les gemmes... La seconde version parle d'une influence mauvaise... Mais finalement, ça peut être la cause de la première, quand on y réfléchit bien. La troisième version parle de conflit entre puissances extérieures... Ce qui éliminerait en fait la responsabilité humaine."
Hubert parut songeur, et un peu empourpré, peut-être.
" Est-ce que la source ne doit pas se trouver à la mine, alors ? Si c'est imminent... Nous ne faisons pas grand chose, nous, hormis... piller, d'accord... Hum.
— Honnêtement, je n'en sais rien. Peut-être que le seul fait d'avoir posé le pied dans cet endroit a réveillé quelque chose. Ou peut-être qu'un usage meurtrier des gemmes magiques, par l'ennemi, provoquera un cataclysme."

Leurs collègues demeurèrent silencieux et songeurs.
-C'est peut-être cela que voulait Ignace : les gemmes.
-Et c'est avant tout cela que veulent les Ithiliens.
Le rôdeur se frotta le menton.
-Il faudrait lles empêcher d'exploiter les mines. Ce qui passe par la libération de nos compagnons. Nous en revenons donc au même point.

" Restons-en à nos plans pour demain, proposa Albérich. Avec une exploration des bâtiments du gouvernement, l'espionnage, l'usage de la magie divine au préalable. Quand nous aurons tout rassemblé, nous organiserons un conseil, puis l'assemblée, pour leur soumettre nos décisions... ou les options possibles. Ensuite, nous y verrons immanquablement plus clair, dans un sens ou un autre."

Marthe et Ézéchiel acquiescèrent.
-Fort bien.
-Mais nous pouvons aussi retenir ton idée de mieux repérer l'itinéraire jusqu'aux portes est : nous avons largement de quoi monter deux expéditions, demain, d'autant que celle chargée du balisage n'a pas besoin d'être très fournie.

" Je ne sais pas. Comme je l'ai dit... moins il y a de gens dehors, moins il y a de risques..."
Il haussa les épaules.
" Si la catastrophe est imminente, plus vite nous agissons, mieux ce sera. Nous nous diviserons en deux groupes." dit Hubert.
Le Luménien acquiesça, soulagé que le paladin tranche la question.
" Je vais aller parler à Thibault.
— Et moi à Giovanni et Varamyr. Peux-tu te charger des autres, Ezéchiel ?"
Dès que l'éclaireur aurait accepté, chacun partirait à la recherche de son interlocuteur.

Thibault se trouvait dans la salle à manger quasiment déserte. La mine pensive, il sirotait un verre de vin assurément tiré des caves de leur refuge. Il esquissa un sourire en apercevant le Luménien et l'invita à s'assoir à sa table.
-Alors ? Une mission à me confier ? Des sorts à me faire mémoriser ?
Il ne s'agissait pas vraiment de questions...

Albérich s'assit près de son ami et soupira. Thibault avait raison : ils ne s'étaient pas beaucoup vus ces derniers jours. Le Sunite avait accompagné les expéditions, lui-même était resté à l'intérieur. L'idée que leurs échanges puissent se cantonner à l'utile le peinait, mais les circonstances l'exigeaient, et sans doute était-ce en réalité plus facile pour Thibault...
" Oui. Enfin... Ta mission va sans doute rester la même : accompagner une nouvelle expédition à l'extérieur. Mais avant cela, nous devons parler sortilèges. Nous avons beaucoup de questions sur les conditions dans lesquelles sont détenus nos amis... afin de pouvoir organiser une opération de libération. Pour cela... Il faudrait que nous mémorisions des sortilèges de scrutation. J'imagine que comme moi, tu peux en retenir trois. Mais peut-être est-ce dangereux de n'avoir aucun mur de pierre à notre disposition... Je ne sais pas."

Thibault acquiesça.
-On va couper la poire en deux. Enfin... presque. Je mémoriserai deux sorts de scrutation et un de mur de pierre. Ainsi pourrais-je aider sur les deux tableaux.
Il grimaça légèrement.
-J'espère juste qu'on croisera quelques monstres durant l'expédition. Parce qu'après avoir été témoin du sort infligé par les Ithiliens à nos compagnons... Je crois que j'aurai besoin de me défouler.

Et je n'aurai pas cette liberté, songea Albérich.
" Oui, je comprends. Au pire, tu pourras affronter quelqu'un ici en rentrant... Il y a toujours des volontaires pour croiser le fer avec une bonne lame."
Il soupira.
" Il faut aussi que tu mémorises un maximum de sorts de communication. Et je vais interroger Lathandre demain... Au cas où ça ne fonctionnerait pas... Prévois d'interroger Sunie le lendemain. Je sais que nos dieux n'aiment pas qu'on les presse mais... Lathandre s'est déjà adressé à moi... Sunie sera peut-être plus réceptive."

-Pas sûr. Pour l'instant, je n'ai pas vraiment l'opportunité de faire triompher l'amour et la beauté... Enfin, surtout la beauté, car venir en aide à nos compagnons va dans le bon sens.
Il haussa les épaules.
-De toute façon, ça ne coûte rien d'essayer. Au pire, elle me dira de me débrouiller par moi-même.

" Nous verrons bien. Comme tu dis, ça ne coûte rien."
Il sourit à son ami, faillit se lever, réalisa que s'il le faisait, il validerait réellement ses propos antérieurs.
" Thibault, n'oublie pas... Si tu as des suggestions... Je sais que tu ne veux pas faire partie du conseil mais... Nous avons besoin de toutes les bonnes idées possibles."

Le clerc parut embarrassé.
-J'aimerais beaucoup avoir des idées et, ainsi, pouvoir vous aider. Malheureusement, je n'en ai pas. Libérer des captifs, mener des explorations, découvrir des mystères cachés dans des livres... Tout ça n'est pas mon rayon, malheureusement. Ce que je sais faire n'a absolument aucune utilité dans l'immédiat ou bien serait terriblement déplacé. Bref, objectivement, jusqu'à ce que la situation change drastiquement, j'en suis réduit à vous prêter ma lame et mes sorts. Ce n'est pas rien, je sais bien, mais pour le reste...

" Ce n'est pas rien, déjà..."
Albérich haussa les épaules.
" Bon... et bien merci... Nous nous reverrons demain pour effectuer la scrutation, juste après les prières matinales. Je pense que... quitte à s'infliger pareille torture, autant ne pas le faire tout seul..."

-Je vais en faire des cauchemars. Avant et après.
Soupir.
-Mais oser nous plaindre alors que nous ne ferons que voir, alors que nos compagnons subissent... Ce ne serait pas très juste. D'autant que ce que nous verrons nous aidera à les libérer. Il faut penser à ça... Et quand ils seront de retour parmi nous, nous organiserons un banquet. C'est le genre de choses que je sais faire...

" Oui... Je te fais confiance pour ça." dit Albérich en lui serrant l'épaule.
Il se leva. Si Thibault lui-même craignait ces visions... Il n'osait pas imaginer comment lui-même les traverserait. Il fallait qu'il se prépare mentalement, il en était conscient, mais il ne savait pas au juste comment faire.
" Bonne nuit."

De son côté, Hubert venait tout juste de dénicher la première des deux personnes avec lesquelles il voulait s'entretenir, à savoir Varamyr. Le rôdeur n'étant ni dans la salle commune, ni dans ses environs, ses recherches avaient pris du temps mais une bonne âme avait fini par lui apprendre qu'on l'avait vu du côté des jardins. Et c'est bien là qu'il se tenait, surveillant son fauve et profitant de la tiédeur des lieux.
-En quoi puis-je t'être utile ? s'enquit sobrement le Paludier.

Hubert n'y alla pas par quatre chemins.
" Varamyr, demain j'aimerais, si tu es d'accord, que tu escortes Giovanni jusqu'à la forteresse tenue par les Ithiliens. Giovanni connait bien les passages secrets qui en truffent les murs, et nous avons besoin d'informations qu'il est seul à pouvoir y glaner, mais pour aller jusque là... et surtout pour en revenir, je serais rassuré si tu pouvais l'accompagner... et veiller un rien sur lui."

Il l'observa quelques instants puis acquiesça.
-Très bien. Je peux lui assurer des trajets relativement sûrs tant à l'allé qu'au retour. Une fois dans la forteresse, par contre... N'y ayant jamais mis les pieds, n'étant par ailleurs pas habitué aux passages secrets, je ne peux rien garantir : sans doute les deux membres du clan des Dents Grises qui ont séjourné là-bas auraient-ils été plus utiles mais... ils ont rejoint l'ambassade. Enfin, je ferai mon possible.

Hubert acquiesça, soulagé que le Paludier ait accepté la mission.
" Je ne suis pas certain qu'il soit nécessaire que tu y pénètres avec lui. Il faudra que vous déterminiez rapidement si les Ithiliens ont découvert l'existence de ces passages... Les chances sont élevées que ce soit le cas, il faut bien l'avouer... Mais si Giovanni se sent d'y aller seul, ne force pas. Il n'est déjà pas ravi que je lui adjoigne un chaperon, je pense."
Il hésita, puis se lança.
" A ce sujet... Essaie d'être... ferme mais... compréhensif, avec lui, tu veux bien ? Je crois que vous êtes un peu aux deux extrêmes opposés du spectre de la... sensibilité à certaines choses et... Si tu dois le brusquer, brusque-le... doucement, peut-être ?"

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue