[Lieu] Une route oubliée

[Hubert de Maleval]

Hubert se fit une note mentale de ce qu'il découvrit. Il faudrait sans doute envoyer quelques cavaliers vers le campement, histoire de faire un état des lieux et de récupérer ce qu'ils trouvaient d'utile. Frissonnant dans la nuit froide, il songea aussi, curieusement, aux thermes du fort, à la chaleur bienfaisante et purificatrice de l'eau. Il se sentait sale et il avait froid. Ils avaient oublié d'emporter la gemme magique, ce serait aussi quelque chose à aller rechercher : ils en auraient sûrement l'usage une fois à Clairétoile. Musardant dans les affaires des cannibales, il se mit en quête d'une chemise. Il n'avait pas eu l'impression que c'était là la mode privilégiée des sauvages, mais s'ils avaient déjà tué d'autres voyageurs, il n'était pas impossible qu'ils possèdent ce genre de choses. Avec ses vêtements carbonisés et en lambeaux, le paladin était un peu fatigué de sentir la viande fumée.

[Taliesin]

De fait, Hubert ne trouva rien à sa convenance parmi les affaires des Écorcheurs. Mais, de toute façon, leur odeur et leur saleté n'avait rien d'engageant, sans compter qu'elles devaient être infestées de vermine... En revanche, il dénicha une chemise à peu près à sa taille au milieu des possessions des colons. Il n'avait aucune idée de l'identité de son propriétaire ; cependant, il y avait peu de chance que l'intéressé lui tienne rigueur de cet emprunt...
A présent qu'il était plus décemment vêtu, le paladin pouvait soit poursuivre ses recherches, soit regagner la salle souterraine. La nuit était déjà bien avancée : deux heures encore, peut-être trois, et l'aube viendrait.

[Hubert de Maleval]

Hubert emprunta également un pantalon à un colon anonyme et, une fois plus ou moins satisfait de sa nouvelle tenue, il observa un moment la Lande autour d'eux. La silhouette des forts, la cité à une distance pratiquement égale, ce plateau sur lequel ils se trouvaient, la nuit, les étoiles et l'hiver. Il avait toujours un vague sentiment d'irréalité, indéfinissable, une sensation d'avoir été projeté dans un plan légèrement différent de celui où il se trouvait avant l'assaut. C'était sans doute l'effet de la magie divine qui l'avait gardé en vie, réparant un organisme irrémédiablement endommagé. Il eut l'impression de percevoir un écho de la souffrance qu'il avait ressentie plus tôt. Il se demanda s'il était, pendant un moment, véritablement mort. Probablement pas. Albérich était moins expérimenté que Barthélémy, et il lui aurait fallu un diamant. Sans compter que c'était contre-nature.
Mais son trépas imminent avait amené le Luménien vers la renaissance. C'était immanquablement quelque chose de réconfortant, et au coeur de cette incertitude obscure qui lui rongeait les entrailles, quelque chose à quoi se raccrocher.
Il retourna vers les profondeurs et chercha l'endroit où Albérich dormait. Il le trouva sous sa couverture, dans un coin, assoupi. Son visage reflétait une sérénité tranquille, qui détonait sur l'atmosphère générale de la vaste salle. Hubert s'assit à côté de lui et l'observa un moment. Il réalisa avec un sourire qu'il n'avait même pas songé à lui dénicher d'autres vêtements, un bel acte manqué, avant de se souvenir que sa tenue habituelle devait se trouver ans les fontes de Grand Vent, dans un plan éloigné, là où le destrier pansait ses blessures. Il le réinvoquerait avant l'aube, histoire que le Luménien puisse retrouver une allure décente.
Puis il ferma les yeux et tenta de faire le vide. C'était difficile et il n'y parvint qu'imparfaitement. Mais bientôt, de toute façon, il serait l'heure de quitter l'ombre pour aller saluer le soleil.

[Taliesin]

Une main secouant doucement son épaule.
-Messire.
La voix d'Alban. Calme.
-Messire Ézéchiel vient d'aller jeter un coup d’œil au dehors : l'aube est proche.
Dans la salle, rares étaient ceux à être déjà debouts. Hormis son écuyer, toujours drapé dans le manteau de Ruth, et cette dernière.
-On se demandait s'il fallait aussi réveiller m'sire Albérich, fit-elle. Maintenant, il va vouloir prier, non ?

[Hubert de Maleval]

Hubert s'étira.
" Je pense que si on omet de le réveiller, il nous maudira sur les quinze prochaines générations...
— Mais je n'ai pas besoin qu'on me réveille. Je sens l'appel." ajouta Albérich en se redressant sur son séant.
Il les gratifia d'un sourire ravi, qu'Hubert lui rendit. Le paladin se leva ensuite pour invoquer son destrier. Quelques secondes plus tard, Grand Vent avait paru, indemne et piaffant, et cavalier et monture se saluèrent par la pensée, s'échangeant en privé, par des sensations, le bonheur qu'ils avaient à se retrouver. La veille, quand Hubert l'avait renvoyé dans son plan d'origine, il avait à peine pu le frôler. Il alla ensuite dans les fontes de l'animal et en sortit les vêtements d'Albérich.
" Pendant un moment, j'ai cru que tu comptais enfourcher ta monture pour sortir, dit Albérich en s'habillant.
— Je pourrais te porter comme une princesse jusqu'à ton rendez-vous galant avec le soleil.
— Je suis le prince, moi. La princesse endormie, c'est toi.
— Quoi ?
— Demande à Giovanni."
Hubert se sentit changer de couleur. Qu'est-ce que le barde avait été raconter...
" Je n'y manquerai pas." souffla-t-il en le suivant vers la sortie.
Albérich n'avait même pas prié mais il débordait déjà d'énergie. C'était effrayant.

[Taliesin]

-On vous prépare le petit-déjeuner ! lança Ruth, dans leur dos.
Le monde extérieur était gris, sombre. Pour Albérich qui devait se contenter d'une vue humaine ordinaire, il n'y avait guère que les formes à être perceptible. Celle de l'affleurement rocheux, tout près ; celles des chariots, à quelque distance ; celles des cadavres sur la route, aussi, tout juste discernables. Pourtant, la clarté croissait rapidement, en particulier à l'est.
Au-dessus de leurs têtes se déployait un ciel de cobalt où s'éteignaient les dernières étoiles.
La journée promettait d'être froide.
Froide mais lumineuse.

[Galathée]

Ils marchèrent un moment dans l'herbe givrée, côte à côte, sans rien dire, puis s'immobilisèrent à un endroit où l'horizon était ouvert sur la lande, loin vers l'est. Hubert planta son épée dans le sol puis mit un genou en terre. Albérich demeura debout et ferma les yeux.
Le soleil vint.
Le Luménien avait oublié cette déferlante d'énergie pure, son chant, cet embrasement subi de toutes les fibres de son corps, comme son être entrait en résonance avec son dieu, malgré les éons qui les séparaient, malgré leur essence incomparable, malgré qu'il ne fut qu'un homme et que Lathandre fut tout et plus encore. Il perçut la lumière autour de lui, en lui, dans chaque cellule de son organisme, l'emplissant d'un pouvoir incommensurable, d'un dessein, d'un espoir, enfin.
Soudain, il fut en dehors de sa carcasse, projeté dans le lieu intime qu'il ne partageait qu'avec le Seigneur du Matin, où il put lui demander pardon, le remercier, louer sa bienveillance. Tout ce qu'il s'était refusé des mois durant coulait à nouveau comme un torrent indomptable, un flux viscéral qu'il n'aurait même plus su comment canaliser. Il vibrait à l'unisson de quelque chose qui le dépassait et qui l'aimait, et ce quelque chose le ramenait vers lui-même, tout en lui conférant pouvoir et direction.
Quand il quitta sa transe, le soleil avait dépassé le niveau de l'horizon et brillait, presque blanc, dans le ciel d'hiver. Hubert l'observait avec une mine un peu effrayée. Albérich sourit.
" Ça va me passer, dit-il. Je dois reprendre mes marques.
— C'est assez... spectaculaire.
— Je t'ai déjà dit que j'étais un peu mystique, dans ma jeunesse ?
— Pernille me l'a dit.
— Je ne veux pas savoir ce qu'elle t'a dit. Diable. Cette fille n'a aucune retenue !"
Hubert rit joyeusement.
" Comme ça, j'étais un peu préparé ! Imagine le choc si je n'avais rien su ! J'aurais pu être tenté de te jeter un seau d'eau pour t'éteindre !
— Ne me fais jamais ce coup-là, je te préviens !"
Ils regagnèrent le sous-sol. En une heure, le petit déjeuner devait avoir refroidi.

[Taliesin]

Dans la salle souterraine, pas la moindre trace de petit-déjeuner, sinon peut-être une légère odeur de fumée. Les deux amis ne tardèrent pas à savoir pourquoi, car les écuyers d'Hubert, qui les attendaient au pied de la rampe, s'empressèrent de le leur expliquer.
-Messire Gustave a fait la cuisine dans le couloir, là où se trouve la colonne.
-Tout le monde s'est dit que ça serait vache de manger devant les prisonniers alors qu'ils doivent avoir une sacrée dalle.
-De surcroit, messire Ézéchiel a rappelé que vous aviez donné des consignes pour que les captifs soient montés à la surface avant le passage de la Communauté, afin que celle-ci ne les voie pas... heu... dans cet état.
-Bref, si vous avez faim, faut nous suivre !

[Galathée]

Albérich grimaça.
" Hubert, on ne peut pas laisser ces gens mourir de faim... souffla-t-il à mi-voix, tandis qu'ils remontaient vers la colonne.
— Que veux-tu qu'on leur donne ? Les cadavres qui se trouvent en haut ?"
Le Luménien fronça les sourcils. Le paladin était subitement mal luné. Sans doute était-ce le rappel du problème insoluble qu'ils avaient désormais sur les bras...
" Désolé. Non, je sais. Mais ils auront un peu faim, le temps que nous statuions sur leur sort."

[Taliesin]

La plupart des colons avaient déjà mangé, mais on avait gardé du thé au chaud pour les retardataires, ainsi que tout le nécessaire pour prendre un copieux petit-déjeuner. Toutefois, Ézéchiel étant demeuré dans la salle, il leur faudrait se restaurer rapidement et s'y rendre s'ils souhaitaient tenir conseil.
-Messire ? s'enquit Alban auprès de son maître. M'autorisez-vous à monter brièvement à la surface ? Peut-être pourrai-je y retrouver mes habits et ma cotte de maille, que j'ai laissés derrière moi après... l'incident du sceptre.
-On s'est tout de suite repliés, comme vous nous l'aviez demandé, fit Ruth.

[Galathée]

" Ne montez pas seuls, dit le paladin. Je sais qu'en plein jour, les risques sont faibles, mais il y a quand même d'autres créatures qui hantent la Lande et nous n'avons aucune certitude d'avoir tué ou capturé absolument tous les cannibales. Mais nous enverrons bientôt des soldats sécuriser un périmètre : les cannibales vont ressortir le temps que passe la colonie. J'aimerais autant que vous ne vous précipitiez pas : personne ne va venir voler ta cotte de mailles."
Albérich, de son côté, mangea en silence, observant les colons autour de lui, d'un oeil neuf. Il se sentait serein, prêt à affronter la journée. Dès qu'ils eurent terminé leur thé, ils repartirent à la recherche d'Ezéchiel.

[Taliesin]

Ézéchiel se trouvait au milieu de la salle, supervisant la relève : en effet, soldats et éclaireurs étaient en train de remplacer les colons qui, une bonne partie de la nuit. avaient surveillé les cannibales. Lesquels étaient désormais tous réveillés et, pour certains, aussi vindicatifs que précédemment.
-Vous avez l'air en forme, vous deux ! constata le rôdeur qui, lui-même, semblait fort fatigué. Cela fait plaisir à voir... J'espère que votre énergie nous aidera à triompher des dilemmes auxquels nous sommes confrontés...

[Galathée]

Hubert croisa les bras.
" J'ai parlé de la situation avec Barthélémy hier soir. Il est du même avis que toi. Laissons aux adultes le choix : soit ils se battent et meurent, soit ils acceptent la captivité avec, peut-être, une seconde chance, un jour. Les enfants, par contre, on les garde tous. Cela me fait penser, avant que nous poursuivions, à nos renforts. Nous n'en avons plus besoin, désormais. Je pense qu'il est urgent, et nécessaire, de prévenir Marthe et Frida d'annuler les missions. Sauf si vous voyez un intérêt à ce que Paludiers et Estuairiens débarquent à Clairétoile... Pour les Paludiers, à la limite, nous pourrions leur proposer de reciviliser les enfants des cannibales sans les arracher à leur... environnement naturel."
Albérich observa Ezéchiel mais ne dit rien. Il sentait que l'éclaireur abonderait dans le sens du paladin. Ils avaient apparemment déjà plus ou moins pris leurs décisions.

[Taliesin]

Leur confrère fit la grimace.
-Honnêtement, je ne suis pas certain que les Paludiers vont accepter de prendre en charge les rejetons d'une tribu qui ravagent cette région depuis des décennies. Si ça se trouve, ils ont encore plus de griefs que nous à son égard... Il se peut aussi qu'ils n'aient pas les moyens de les prendre en charge : la vie n'est pas exactement facile, dans le coin. Mais rien n'empêche de les sonder à ce propos... Toutefois, pour en revenir à nos deux missions, je propose de les laisser atteindre leur but tout en changeant leurs consignes. Celle de Frida pourrait annoncer aux autorités de Grand-Estuaire que nous nous sommes installés dans la cité, que la route est sûre, au moins pour un temps, qu'il est donc envisageable de commencer à réfléchir à nos relations commerciales - nous avons de quoi payer des vivres et du matériel, après tout. Celle de Marthe pourrait quant à elle proposer à la tribu des Dents Grises de nouer des relations diplomatiques, de nous envoyer une ambassade...

[Galathée]

" C'est une bonne idée, intervint Albérich. Barthélémy et moi-même pourrions nous en charger dès que le conseil est terminé.
— La route est sécurisée, vous allez vite en besogne, s'exclama Hubert. La route est praticable. Mais n'importe quelle expédition commerciale ou autre devra avoir une escorte. Nous sommes loin d'avoir éradiqué tout ce que les Landes comptent d'horreurs. Mais je suis d'accord sur l'idée générale. Même si j'ai un peu l'impression que nous dilapidons le trésor du dragon avant de l'avoir occis : nous ne nous sommes pas encore vraiment installés dans la cité. Je sais qu'elle n'est plus très loin et que ce soir, nous pourrions y être, mais...
— Ne sois pas pessimiste. Nous avons triomphé des écueils, et nous sommes aux portes de Clairétoile."
Hubert grimaça mais n'ajouta rien. Albérich sentit qu'il avait dit quelque chose de mal avisé.
" Qu'allons-nous faire des captifs des cannibales ? continua-t-il alors. Ils sont plus nombreux que ceux-ci... et passablement éprouvés."

[Taliesin]

Ézéchiel ne marqua pas la moindre hésitation.
-La même chose que pour les Écorcheurs. D'abord, nous laissons le choix aux adultes : n'oublions pas que ce sont aussi des cannibales, qu'ils ont de nombreux crimes sur la conscience, et que quelques jours de souffrance ont peu de chance de les avoir ramenés à la lumière. Ensuite, nous gardons les enfants, qu'il faudra tenir séparés des autres, évidemment.
Soupir.
-Grands dieux, nous arrivons déjà tout juste à gérer les nôtres... Nous n'aurons peut-être d'autre choix que de les enfermer un certain temps. A moins qu'il y ait des bonnes âmes pour se dévouer auprès d'eux, que Gabriel s'en mêle, que Giovanni... Non, il n'acceptera pas, quoi que nous lui proposions.

[Galathée]

" Nous n'avons pas le choix, trancha Albérich. Nous nous débrouillerons. Je m'en occuperai, moi aussi. Nous trouverons des solutions."
Il les regarda l'un et l'autre.
" Occupez-vous des adultes et je me chargerai des enfants."
Hubert le dévisagea puis opina du chef.
" D'accord. Je vais sonder les captifs comme j'ai sondé les cannibales. Toutes les auras pures seront séparées des malfaisants. Il y a quelques gosses bien atteints, déjà, mais j'imagine que tu voudras tenter de les... guérir."
Albérich sourit.
" Tu imagines bien.
— Mais où traçons-nous la ligne ? Dix ans ? Douze ? Quatorze ?
— Douze. Sauf si l'aura est pure ou que le gamin demande à être sauvé.
— Il va déjà falloir qu'ils acceptent de te dire l'âge qu'ils ont. C'est pas gagné."

[Taliesin]

-Je te souhaite sincèrement bon courage, Albérich : tu vas en avoir besoin. Mais sois vigilant : tu risques de recevoir des coups. Ainsi que des puces, des poux...
Il grimaça.
-Bon, y a-t-il d'autres points à évoquer ou... passons-nous à l'action ? Ne serait-ce qu'en faisant sortir tous les captifs ? Pour la colonne, qui va essentiellement à pied, le trajet jusqu'à la cité prendra plus d'une demi-journée...

[Galathée]

" Faisons déjà sortir les cannibales, en séparant les adultes des enfants. Je vais sonder leurs prisonniers et nous en ferons de même. Ensuite, nous proposerons aux adultes de combattre..."
Il paraissait incertain et il soupira. C'était une solution bancale, bien sûr, ils en étaient tous trois bien conscients.
" Barthélémy peut conserver la tête de la colonne, avec Giovanni en renfort. Et les éclaireurs ? Je répugne à laisser les colons avancer sans défenseurs armés, mais j'ai peur que nous ayons besoin de soldats par ici... et peut-être de mercenaires aguerris. Il faudrait aussi garder certains chevaux pour les atteler aux chariots que nous avions perdus. Ils sont encore plein de matériel. Certains cochers seront peut-être heureux de retrouver leur métier d'origine."

[Taliesin]

-Ne t'en fais pas, nous allons laisser une petite escorte à la colonne, et nous demanderons à des volontaires de s'armer pour la renforcer : le tunnel est sûr, Étienne attend au bout... L'essentiel des troupes restera avec toi, c'est plus prudent. Et pour les cochers, je suis d'accord.
Le travail ne manquant pas, ils furent prompts à s'y atteler.
D'abord, Hubert sonda les captifs des Écorcheurs : tous les adultes et quelques-uns parmi les plus âgés des gamins étaient maléfiques, le reste, non.
Ensuite, ils firent monter la rampe aux captifs, ce qui ne fut pas chose facile, évidemment.
Enfin, une fois à l'extérieur, ils procédèrent à la séparation, tandis que, sous leur pied, la Communauté s'apprêtait au départ.

[Hubert de Maleval]

Une fois les adultes rassemblés, Hubert rassembla son état-major.
" Bien. Ce que nous avons décidé... vous allez peut-être le trouver scandaleux. Je ne sais pas moi-même ce que j'en pense, je dois être franc avec vous..."
Il soupira.
" Tous ces gens ont une aura maléfique. Leur culture les appelle à nous massacrer et nous dévorer. Ils vivent pour tuer. Ils veulent nous tuer. Nous n'avons pas les moyens de les garder, emprisonnés, pleins de haine, pendant des lustres... Nous avons... écarté les enfants, que nous allons essayer de changer... Mais les adultes... Nous allons leur proposer d'accepter de se rendre ou bien de combattre une ultime fois. Il n'y aura pas de mystère : ce seront des combats déséquilibrés, à mort, où ils périront tous. Mais c'est la seule chose que nous pouvons leur offrir."

[Taliesin]

Ses trois compagnons échangèrent un regard puis, d'un même mouvement, opinèrent du chef.
-Ce n'est pas l'idéal mais, compte tenu des circonstance, c'est à mon sens l'attitude la plus honorable, puisque nous leur laissons l'opportunité de vivre ou celle de mourir conformément à leurs traditions.
-C'est sans doute plus qu'ils n'en méritent mais... C'est mieux comme ça, mon capitaine.
-Après cela, la Communauté pourra encore plus affirmer que précédemment qu'elle est différente. Car oui, beaucoup d'autres ne se seraient pas encombrées de pareilles méthodes.

[Hubert de Maleval]

Hubert avait espéré que quelqu'un s'insurgerait mais il devait se rendre à l'évidence. Il était le seul paladin et ces hommes, qu'il estimait tous, qu'il respectait immensément, parlaient avec la voix de la raison.
" Très bien. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'exposer nos soldats à ces duels factices. Je suis personnellement prêt à le faire. Si l'un d'entre vous..."
Il jeta un regard à Guillermo.
" ... se sent de m'aider... Ce sera le bienvenu. Mais je vais d'abord aller leur parler. Et il faudra leur procurer des armes."
Ce qu'il ferait dès que les officiers auraient marqué leur assentiment.

[Taliesin]

-A moins que l'honneur ne vous l'interdise, mes hommes et moi-même pouvons nous occuper des combats, proposa Guillermo.
-Pour ma part, je vais... chercher les armes, fit Edgar.
-Je te file un coup de main, dit Gaspard.
Déjà, ils s'éloignaient.

[Hubert de Maleval]

" Je veux être là, dit Hubert. Et je veux en tuer certains moi-même. Je ne peux pas prendre une décision pareille, et puis me détourner. Ce serait, comme vous le dites, déshonorable."
Il prit une profonde inspiration.
" Nous commencerons par les Ecorcheurs eux-mêmes. Ensuite, nous nous occuperons des captifs. Ils tiennent à peine debout, ce sera de la boucherie. Mais si cela leur permet de partir en paix... J'essaierai d'y voir de la miséricorde."
Un sourire bref se dessina sur ses lèvres.
" Mais merci de votre aide, Guillermo. Je n'ai pas les épaules pour occire autant de gens tout seul. Mais dites à vos hommes de ne pas les faire souffrir inutilement. Quel qu'en soit le vernis, ce sont des exécutions."
Il se dirigea ensuite vers l'endroit où se trouvaient les Paludiers attachés, espérant qu'il parviendrait à leur faire comprendre ce qui les attendait.

[Taliesin]

Ils le comprirent, oui. Certes, tandis que le paladin parlait, la plupart des prisonniers l'abreuvèrent de chapelets d'injures et de menaces. Toutefois, quand il en eut terminé, il se trouva quelques cannibales pour répéter ou traduire aux autres de quoi il avait été question. Un profond silence s'abattit sur le groupe, qui semblait complètement décontenancé. Puis un premier homme cracha "Combat" d'un ton rogue, bientôt imité par un deuxième, puis par un troisième. Tous sans exceptions optèrent pour les duels. Ou, en mots plus clairs, pour la mort.

[Hubert de Maleval]

Hubert acquiesça. Il retourna ensuite vers Guillermo.
" Que vos hommes se positionnent de manière à former un semblant de périmètre. Nous combattrons par deux, contre deux Paludiers à la fois, sinon nous en avons pour toute la journée. Nous ne les laisserons pas assister à la mort de leurs congénères, je ne veux pas que certains se ravisent. Ils veulent mourir, ils vont mourir. Et nous devons veiller à ce que les gosses ne voient rien non plus. Il est probable que certains soient apparentés..."
Qu'Albérich espère récupérer des enfants dont ils allaient assassiner les parents lui paraissait dément, mais il repoussa cette pensée.
" Affronterez-vous les premiers avec moi ? Ensuite, vos hommes pourront.."
Se défouler.
" ...prendre la relève."

[Taliesin]

Le capitaine acquiesça.
Les ordres furent lancés, exécutés.
Les combats débutèrent.
Hubert et Guillermo abattirent chacun deux cannibales. Les mercenaires se chargèrent du reste.
Les combats furent des simulacres, oui. Mais les Écorcheurs mirent toute leur énergie dans la bataille et, grâce à leur adresse, à leur détermination, eurent droit à quelques passes d'armes avant de trépasser.
De trépasser sans plus de souffrance que nécessaire : le paladin comme ses compagnons frappèrent fort, visèrent juste, fauchèrent les vies d'un seul coup.
En une demi-heure, tout était réglé.
Pour ce groupe-là, du moins.

[Hubert de Maleval]

Hubert se sentait profondément sale. Il n'avait jamais imaginé son travail de paladin comme celui d'un bourreau, et pourtant... pourtant certains de ses pairs, il ne l'ignorait pas, passaient leur vie à traquer et abattre d'autres gens. Surtout des Helmites, des Tormites, peu de ceux qui s'étaient voués au Dieu du Renouveau. Et pour cause...
Mais il était conscient de la nécessité de se placer des priorités et, il l'avait vu dans leurs yeux, les cannibales étaient morts comme ils l'avaient espéré, sans déshonneur, sans couardise.
Le paladin avait envie d'aller se laver. De prier. De faire pénitence. De parler à Albérich pour qu'il l'absolve de quelques mots. Mais il ne fit rien de tout ça : il restait un second groupe à gérer, celui des misérables que les Ecorcheurs avaient réduits à l'état de bêtes.

[Taliesin]

Ils étaient trop épuisés, trop choqués pour l'insulter, pour le menacer.
Mais ils écoutèrent. Certains d'entre eux, du moins.
Le silence se prolongea longtemps après qu'il se soit tu.
Puis il y eut des murmures.
Ils comprirent.
D'abord, Hubert perçut de l'incrédulité, plus intense encore que celle des Écorcheurs.
Ensuite, il nota... de l'espoir. Un espoir sans bornes.
Imperceptiblement, les captifs se redressèrent. Plus dignes. Comme si on venait de leur restituer leur humanité.
Tous, sans la moindre hésitation et d'une voix redevenue ferme, se prononcèrent pour le combat.
L'on prit les mêmes mesures que pour leurs geôliers.
Et ce fut encore plus bref que pour ces derniers, ces barbares-là ayant tout juste la force de brandir leurs armes.
Mais quand ils trépassèrent, ce que le paladin lut dans leur regard...
Ce ne fut ni plus ni moins que de la reconnaissance.