La Couronne de Cuivre

Le paladin termina le second massacre encore plus troublé qu'après le premier. Il demanda un peu d'espace à ses collègues et s'écarta un moment du groupe, quelques minutes seulement, pour aller vomir derrière un affleurement rocheux. Ensuite il pria. Il avait besoin de sentir qu'il avait fait son possible, que le choix posé n'était pas le plus monstrueux, et la reconnaissance de ces fous ne faisait que l'inquiéter davantage. Ils avaient besoin d'aide et il les avait tués. Il peina à retrouver un peu de sérénité.
Il regagna ensuite les abords du massacre. Il fallait brûler tous ces corps à présent, nettoyer le champ de bataille avant qu'il n'attire des charognards, emporter les chariots et ce qu'ils contenaient. En fonction de la fraîcheur des hommes, il en renverrait peut-être certains vers le campement qu'avaient dévasté les engins de siège, mais ce n'était pas le plus urgent. Il faudrait aussi retourner au fort récupérer ce que les colons n'avaient pu emporter, et grâce aux chariots retrouvés, cette opération serait moins difficile.
Il voulait aussi voir le corps des trois hommes tombés la veille et organiser leur transport vers la cité.
Par contre, il laissait les gosses à Albérich. Il avait assez donné pour la journée.

Les choses avaient déjà quelque peu bougé en son absence : Guillermo avait pris sur lui de demander à ses mercenaires de déplacer les corps des cannibales fraichement tombés sur le bord de la route. Il suffit donc au paladin de donner des ordres pour que la chose soit également appliquée aux cadavres plus anciens, datant de la bataille de la veille. Restait le cas de leurs compagnons défunts, qui avaient été installés près de l'entrée du passage secrets et recouverts de couvertures. Quant à l'expédition vers le campement et les forts, il faudrait former un groupe asses conséquent : les Landes demeuraient les Landes, après tout...

***

A quelque distance de là, Albérich se livrait à une tâche qui, pour être moins sanglante, ne s'en avait pas pour autant plus aisée. Des soldats demeuraient aux environs, pour veiller à ce qu'aucun des jeunes barbare ne tente de s'échapper. Parmi ceux-ci, les plus âgés ne manquaient pas de combativité, invectivant et défiant sans réserve leurs geôliers. Mais parmi leurs cadets, c'était la peur qui dominait.

Réflexes d'intendant de fortune en train de s'installer, Albérich commença par les compter, tentant d'évaluer combien il y en avait de chaque tranche d'âge, combien de garçons et de filles, repérant les quelques uns dont l'aura était déjà pervertie. Il recruta aussi Alban et Ruth, qui traînaient sans oser aborder leur maître. Albérich ne voulait pas qu'ils assistent au massacre des cannibales adultes. Même s'ils étaient déjà endurcis par les épreuves de la vie, banaliser la mort, imaginer que le meurtre était une solution, ne pourrait leur faire aucun bien dans leur développement futur. Tuer devait rester une atrocité, le dernier recours de l'impuissant. Même pour de futurs chevaliers. Du moins était-ce son avis et puisque le paladin regardait ailleurs... il n'allait pas se priver.
Il ne leur fit cependant aucun discours : il les changea en porteurs de vie, discrètement, en leur demandant simplement d'aller chercher de quoi nourrir et vêtir toute cette bande dans les chariots des cannibales. La viande était bien sûr proscrite.

Les écuyers, ravis de pouvoir se rendre utiles, acceptèrent immédiatement de l'aider. Avant de s'esquiver, ils lui dirent même que s'il le souhaitait, ils iraient puiser de l'eau au puits qui se trouvait dans la salle souterraine.
On comptait une grosse cinquantaine de captifs : à peu près autant de garçons que de filles, un peu moins de la moitié étant des Écorcheurs. Les plus âgés n'étaient qu'une poignée : constituant sans doute déjà de redoutables adversaires, une bonne partie d'entre eux avaient dû tomber pendant la bataille ; pour le reste, il étaient de tous les âges, les plus jeunes devant avoir cinq ou six ans. Les membres de la tribu asservie étaient les plus mal en point : épuisés, affamés, ne portant plus guère que quelques lambeaux de vêtements... Les rejetons de leurs bourreaux ne valaient guère mieux, cependant : eux aussi avaient faim, eux aussi étaient fatiguées, sans compter que leurs mises avaient souffert des combats et que nombre d'entre eux s'étaient souillés durant la nuit. Ils auraient difficilement pu faire autrement, puisqu'ils étaient toujours ligotés.

Albérich était mortifié à plus d'un titre. Leur nombre conséquent. Leur état. Leur attitude. Mais il allait relever le défi.
Il aurait préféré travailler avec des colons, mais il ferait avec des soldats. Il alla voir Edgar pour recruter trois ou quatre hommes — les plus doux possibles — et les rassembla pour leur expliquer la manière dont les choses allaient se passer. Ruth et Alban allaient rapporter de l'eau, de la nourriture et des vêtements. Il allait falloir libérer les enfants, par petits groupes, pas plus de quatre ou cinq à la fois, les encadrer pendant qu'ils se sustentaient, les emmener à l'écart pour qu'ils puissent se soulager, leur permettre de se changer. Lui-même soignerait ceux qui souffraient encore de blessures. Il essaierait de leur parler, de les rassurer. Il réalisa que, stupidement, il n'avait pas mémorisé de sortilège lui permettant de s'exprimer dans leur langue. Ce serait pour le lendemain. Par contre, il pouvait les comprendre, et il s'écarta un instant pour murmurer l'incantation appropriée.
Une fois chaque personne claire sur son rôle, ils se mirent au travail.

Edgar lui désigna des hommes adéquats et alla même plus loin, puisqu'il en dépêcha d'autres afin qu'ils aident les écuyers dans leur tâche.
Pendant que l'on rapportait vivres, eau et frusques, le Luménien put écouter, à loisir, les rares captifs à ouvrir la bouche. Deux ou trois des Écorcheurs les plus âgés priaient à voix haute, implorant leurs sombres dieux de punir leurs geôliers, d'arracher la peau de ces derniers et de leur ouvrir le ventre pour leur faire un chapelet de leurs propres boyaux... D'autres, commentant ce qui se passait, semblaient penser qu'on voulait les engraisser en vue de quelque grand et sanglant banquet... La majorité, toutefois, demeurait coite, observant les préparatifs avec angoisse.
Quant tout fut prêt, les soldats allèrent chercher les enfants que leur désigna le Luménien. Malgré la délicatesse dont ils firent preuve, les jeunes prisonniers se débattirent, hurlèrent... La suite promettait d'être ardue.
Ruth et Alban se tenaient non loin, prêts à aider à nouveau en cas de besoin.

Albérich essaya de leur parler doucement, de se montrer apaisant. Il décida de commencer par un groupe de petits. Il savait qu'il ne fallait pas se fier à leur taille : ils étaient parfaitement susceptibles de courir vite et de donner des coups. Mais cela leur donnerait une mesure de la situation.
Il jeta un oeil vers Ruth et Alban et leur fit signe d'approcher.
" Seriez-vous d'accord de leur montrer l'exemple ? demanda-t-il. Nos possibilités de communication sont limitées mais si vous faites ce que nous leur demandons, peut-être comprendront-ils mieux... Restez à deux bons mètres, cependant, et sur vos gardes. Mais nous surveillerons attentivement et au pire, nous interviendrons... Je peux toujours soigner vos plaies et vos bosses."
Il grimaça.
" Je sais que c'est beaucoup demander, mais ça pourrait vraiment aider."

Les écuyers dévisagèrent Albérich, lorgnèrent ce qu'ils avaient rapporté, observèrent les petits barbares...
-Un écuyer est là pour servir... souffla Alban.
-Et on a dit qu'on voulait se rendre utiles... enchaîna Ruth.
Ils s'entreregardèrent, grimacèrent puis, subitement, éclatèrent de rire.
-Çà promet d'être du grand n'importe quoi.
-Mais si c'est pour la bonne cause...
-Bon, on commence par quoi ?

" C'est pour la bonne cause, je vous le jure." dit Albérich, embarrassé.
Il désigna un endroit un peu à l'écart.
" Hum. Je crains qu'on ne commence par le pipi. Ensuite, on les ramènera là, pour qu'ils se changent. Les piles de vêtements sont prêtes. Pour terminer, la nourriture et l'eau, ici. On va commencer par quatre petits. On verra ce que ça donne. Ils sont terrorisés. S'ils vous voient agir, peut-être qu'ils comprendront qu'on ne leur veut pas de mal. Ne tapez pas trop fort s'ils vous agressent. Faites le vide. Ces gosses sont bouleversés et ils ont eu des géniteurs horribles. Il leur faudra beaucoup de temps pour dépasser cet héritage."

Ruth et Alban demeurèrent un moment immobiles. Puis ils soupirèrent de concert.
-Bon ben quand faut y aller...
-Faut y aller.
La première étape se passa mieux qu'on n'aurait pu le croire. Les quatre petits barbares comprirent ce qu'on attendait d'eux et s'exécutèrent, sans doute pas mécontents de pouvoir vider leur vessie.
La deuxième étape, en revanche, posa problème : les écuyers se changèrent devant eux, sans que cela produise la moindre réaction.
-Deux étapes d'un coup, c'est peut-être trop ? hasarda Alban.
-Ou alors ils ont l'habitude d'être tout crados, comprennent pas à quoi ça rime et pensent que c'est un piège ?

" Peut-être qu'ils craignent qu'on veuille les déshabiller pour les tuer, dit Albérich. Il est probable qu'on les dénude avant de... Hum."
Il s'approcha d'un des enfants et s'accroupit devant lui, avant de lui tendre une tenue propre. Il essaya, par des gestes, de lui faire comprendre ce qu'il attendait de lui. Un seau d'eau pour se nettoyer aurait été approprié, mais il faisait bien trop froid. Mais peut-être était-ce la raison de leur pudeur...
" Ramenez-moi un seau d'eau... ou deux. On va voir si la perspective de se laver a de l'effet..."

Le gosse auquel s'adressa Albérich ne le quitta pas des yeux, comme hypnotisé. Peut-être percevait-il son aura, sa bienveillance ? Quoi qu'il en soit, il ne bougea pas pour autant.
On apporta les seaux. Les écuyers, avec un nouveau soupir, se dévêtirent et entreprirent de procéder à de rapides ablutions. Cette fois, les sauvages en herbe saisirent et les imitèrent, avant d'endosser promptement leurs nouvelles tenues : le froid était un bon aiguillon...
-On aura droit à une médaille ? s'enquit Ruth.
-Faire une bonne action est une récompense en soi, et il n'en est besoin d'aucunel autre, intervint Alban.
-Mais quand même ! Sur ce coup-là, sans nous, la Communauté s'en sortirait pas ! Ça mérite au moins une place d'honneur sur la fresque de Giovanni !
-Tant qu'on peut choisir comment on est représentés... Parce que si c'est pour nous montrer en train de nous soulager, hum...
-Paraît qu'à Luménis, il y a une célèbre statue qui représente en garçon en train de faire pipi !

" Je ne l'ai jamais trouvée, mais on raconte ça, oui, dit Albérich avec le sourire. Vous avez en tout cas mes mille remerciements. Je ne sais pas si ça compte."
Sans doute auraient-ils été plus flattés d'avoir la reconnaissance d'Hubert, mais le Luménien n'était pas certain qu'il serait ravi de voir à quoi il avait employé ses écuyers. Pourtant, il y avait aussi de l'héroïsme dans les petites choses...
" Dernière étape, la nourriture. Ils doivent crever de faim."
Il suivit donc le petit groupe vers l'endroit où ils avaient entreposé des victuailles : pas toutes en une fois, cependant. Il ne voulait ni que les enfants se bourrent la panse, ni qu'ils craignent qu'on veuille les engraisser. Là encore, il espérait que l'exemple de Ruth et Alban les calmerait.

Ce fut le cas. Même si, à n'en pas douter, la nature joua aussi son rôle : de retentissantes plaintes d'estomacs affamés se firent entendre sitôt que les écuyers avalèrent une bouchée, puis les petits captifs se ruèrent sur la nourriture, l'engloutirent en un rien de temps. Ensuite, ils se tinrent aux aguets, craignant une mauvaise surprise qui ne vint pas. Ce qui les laissa manifestement complètement déboussolés.
-Bon ben, c'est réglé pour le premier groupe, fit Alban, souriant.
-Plus que douze ou treize autres...

" Et c'étaient les plus petits, en plus."
Albérich les observa un moment.
" Bon... On va les laisser libres de leurs mouvements. Un moment, en tout cas."
Grâce à Edgar, il avait assez d'hommes pour les surveiller. Bien sûr, il ne pourrait sans doute pas se permettre de laisser les cinquante mômes se promener en même temps, mais une dizaine à la fois, c'était jouable. Attacher des mômes, il ne pouvait s'empêcher de trouver ça répugnant. Mais pour l'instant, il n'avait pas d'autre solution.
" Prenons un groupe de grands, cette fois. Histoire de ne pas garder le plus difficile pour la fin. Quatre."

On amena donc quatre gamins parmi les plus âgés. Ils observèrent un moment leurs cadets, au loin, surpris de les découvrir relativement propres, mieux vêtus, manifestement moins affamés et libres, surtout. Mais l'un des membres du quatuor se mit bientôt à invectiver Albérich, les soldats, les écuyers, et ses comparses finirent par l'imiter, avec cependant un temps de retard.
-Je crois que je préfère les petits... souffla Alban.
-Allons, monsieur le baron : à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ! Et je suis sûre qu'on va arriver à les débarbariser un peu !

Albérich n'était pas prêt à se laisser impressionner.
Aux grands maux... les doux remèdes, songea-t-il.
Il s'approcha des enfants, sans crainte particulière. Ils étaient dépenaillés mais sûrement costauds, sous leur couche de crasse. Albérich lui-même n'était cependant pas en reste, dans le domaine.

Albérich -> Apaisement des émotions -> enfants barbares

Une fois qu'ils seraient calmés, Alban et Ruth pourraient leur donner l'exemple sans rien risquer... pendant quelques minutes, du moins. Albérich espérait que cela serait suffisant pour que les petits cannibales trouvent leur propre paix.

Des lors, les choses se passèrent mieux. La première étape se déroula sans anicroche et, quand vint la deuxième, deux des gamins s'exécutèrent après une hésitation marquée, tandis que leurs comparses n'esquissaient toujours pas le moindre mouvement...
...jusqu'à ce que l'un deux, poussant une subite vocifération, ne charge Ruth.
Une botte secrète plus tard, le trublion se roulait par terre, gémissant.
-Non mais, commenta la fillette, bras croisés.
Le second réfractaire, qui avait observé la scène, bouche bée, battit des paupières, incrédules. Quelques instants plus tard, il s'était défait de ses loques et procédait à ses ablutions.

Albérich se demanda ce qu'il se serait produit s'il n'avait pas expressément demandé à la petite fille de ne pas taper trop fort. Juste regarder le gamin souffrant lui faisait mal et il finit par l'approcher pour le soigner d'une légère impulsion divine. Il espérait que le gosse comprendrait cette leçon-là aussi, que tout ne devait pas être souffrance, qu'il pouvait aussi trouver du réconfort auprès de ces étrangers qui l'avaient arraché à son monde, pas seulement de la violence. Il était un peu désolé que la peur d'être victime de la fameuse botte secrète ait motivé le dernier à agir. Mais il faudrait du temps, il le savait, et il ne pouvait blâmer Ruth de s'être défendue. Il reprit ensuite une position attentiste. La prochaine étape serait la nourriture. Ils auraient alors géré huit enfants, et il en resterait encore plus de quarante. La matinée serait longue. Il devinait qu'Hubert, lui, devait déjà avoir exécuté tous les adultes.

La matinée fut longue, oui. Très longue, même.
Mais les écuyers facilitèrent grandement les choses. D'emblée dévoués, ils finirent par oublier leur prime embarras et par prendre la situation du bon côté, par s'en amuser, même - y compris Alban qui, une fois n'est pas coutume, se départit de sa solennité, au point d'en oublier, à une ou deux reprises, de lui donner du "Messire". De surcroit, le Luménien nota qu'ils prenaient un ascendant certain sur les captifs, en particulier sur les plus petits : s'ils l'observaient beaucoup, lui, ils ne quittaient plus Ruth et Alban des yeux, même quand on les laissait libres de leurs mouvements. Sans doute avaient-ils le besoin viscéral de se raccrocher à quelque chose. A quelqu'un.
Cela n'alla pas sans incidents, bien sûr. Il y eut d'autres brèves échauffourées, et les plus hostiles ne se plièrent qu'à regrets aux consignes.
Mais ils en vinrent finalement à bout.

" Merci les amis, vous avez été d'une aide formidable, dit le Luménien aux deux enfants, quand le dernier groupe fut passé. A présent, je vais vous demander une dernière chose... Est-ce qu'un des deux pourrait aller jeter un oeil en bas, voir la colonie est déjà loin ? J'aimerais que le second reste ici... Certains de ces enfants ont l'air de vous avoir la bonne, et je ne voudrais pas les déstabiliser. De mon côté, je vais aller voir Hubert... Si nous pouvons récupérer quelques chariots pour les transporter, je pense que ce serait mieux que de les faire marcher des heures..."
En espérant qu'ils trouveraient un endroit pour les installer une fois arrivés à Clairétoile. Mais la forteresse ne manquerait sûrement pas de salles appropriées. Albérich avait l'impression qu'il faudrait les séparer en trois groupes, pour qu'ils restent gérables sans qu'ils se sentent abandonnés. Le problème serait les portes : il n'y en avait eu aucune dans le fort. Mais ce serait pour plus tard. Il devait d'abord organiser leur voyage...

Les écuyers ne furent pas longs à s'entendre : Ruth détala vers le passage secret tandis qu'Alban demeurait non loin des plus jeunes captifs. Quant à Albérich, il lui fallut un petit moment avant de retrouver le paladin, délai qui lui permit de remarquer que, sur la route, les choses avaient avancé : les chariots étaient désormais attelés et des cochers patientaient soit en faisant les cent pas à proximité, soit en sommeillant sur les bancs qui leur étaient dévolu. Mais, enfin, il aperçut son ami, lequel se tenait en retrait de la route.

Albérich le rejoignit et vit à son expression qu'il n'était pas encore remis de ses activités de la matinée. Il était pâle, l'air un peu malade. Bien sûr, les paladins ne pouvaient pas l'être réellement, c'était donc émotionnel. Il décida cependant de ne pas l'entreprendre sur ce qui s'était produit... Ils y viendraient sans doute plus tard, quand la crise serait parfaitement sous contrôle. A Clairétoile. A l'abri.
Ils échangèrent un sourire et le Luménien fut conforté dans son idée de garder les discussions difficiles pour plus tard.
" Est-ce que tu crois que tu aurais deux ou trois chariots pour mes enfants ?
— Misère, lâcha simplement le paladin.
— Mais encore ?
— Oui. On va pouvoir organiser ça."
Il avança vers les chariots, Albérich dans son sillage.
" Vous vous en êtes sortis ?
— Oui. Tes écuyers ont montré l'exemple. Les résultats sont encourageants, je dois dire. Ce sont de braves gosses. Ruth et Alban. Pas les autres, pas encore."
Hubert s'était arrêté et le dévisageait, incertain.
" Je te raconterai en détail. Tu comptais passer par le haut ?
— Non. Je ne connais pas l'état de la route jusqu'au bout. Sans doute vais-je envoyer une dizaine de cavaliers au-dessus, le reste en-dessous."
Ils étaient arrivés à proximité des chariots et Hubert donna des ordres pour qu'on transvase une partie du matériel de certains véhicules dans les autres. Ensuite, la caravane partirait vers la rampe.

Les hommes, pas mécontents de pouvoir s'occuper, se mirent rapidement à l'ouvrage. Vu leur nombre, l'opération serait vite achevée.
-M'sires !
Ruth les rejoignit, au grand galop.
-Y a plus personne dans la salle : la colonne est partie. Je sais pas depuis combien de temps exactement mais à mon avis, ça fait déjà des heures.
Elle les abandonna alors pour rejoindre Alban.
Quelques minutes plus tard, les chariots étaient prêts à se mettre en route.

Une fois les chariots libérés, Hubert donna l'ordre de partir vers les souterrains. Albérich les suivit, à pied, songeur. Vu leur taille, il pourrait sans doute y caser une douzaine d'enfants. Cela ferait un groupe à terre, les autres dans les véhicules. Il faudrait faire un roulement quand les enfants seraient trop fatigués.
" Je vais aller parler avec mes officiers, dit le paladin, qui l'avait attendu. Je compte mettre la colonne sous le commandement de Gaspard. Je passerai par l'extérieur avec une dizaine d'hommes. Si ça te convient...
— C'est très bien pour moi." dit le Luménien, conciliant.
Ils approchaient des enfants.

En les voyant approcher, Ruth mit un doigt sur ses lèvres, pour leur demander d'être silencieux, et leur désigna quelque chose.
Quelqu'un, plutôt.
Alban était assis par terre, l'un des plus jeunes captifs serré contre lui.
Au bout de quelques instants, l'écuyer dut se sentir observer car il releva les yeux... et devint cramoisi.
-Je... Je suis désolé, mais... il pleurait et... Hum...
Il soupira.
-Si j'ai bien compris, lui, c'est Ingmar.

Hubert paraissait éberlué, mais Albérich sourit, absolument ravi.
" C'est très bien, Alban. Tu ne dois surtout pas t'excuser d'avoir fait exactement ce qu'il fallait."
Il s'accroupit près d'eux, sans pour autant s'approcher.
" Demain, je serai en mesure de lancer un sortilège qui nous permettra de parler leur langue. Si vous êtes d'accord..."
Non, il ne pouvait pas faire ça. Alban et Ruth étaient les écuyers d'Hubert. Il ne pouvait pas les détourner de leur apprentissage. Il faudrait qu'il se trouve d'autres enfants pour l'aider. Il se redressa.
" Hum. Non, oubliez ça."
Il sourit à Hubert, revint à Alban.
" Nous allons guider les enfants vers les chariots. Les plus petits d'abord. Douze dans chaque chariot. Vous pouvez peut-être les accompagner pour leur montrer qu'il n'y a rien à craindre. Ensuite, je pense qu'Hubert voudra vous ramener à vos devoirs."

Les deux écuyers acquiescèrent;
Avec beaucoup de douceur, Alban se releva et, tenant le petit barbare par la main, se dirigea lentement vers le chariot qu'on leur avait indiqué, faisant signe à d'autres captifs - les plus jeunes - de les suivre. Ruth, moins à l'aise, ne tarda cependant pas à prêter main forte à son ami.
En observant les visages, les regards, Albérich nota de la peur, voire de l'angoisse. Pourtant, pour ce premier groupe en tout cas, les choses se déroulèrent sans la moindre difficulté.

" S'il décide de changer de voie, je le reprends." annonça le Luménien à son ami, malicieux, avant de l'abandonner pour aller superviser le chargement du second chariot.
Il comptait diviser les plus coriaces des gamins dans les trois derniers groupes, histoire de ne pas avoir pas un chariot ingérable. De toute façon, les plus grands commenceraient par marcher un moment, vu leur manque de place. Cela les fatiguerait certainement, ce qui les amènerait sans doute à se tenir plus tranquilles pendant la suite du voyage.
Dès que tous les enfants seraient installés, et il faudrait sans doute un soldat pour surveiller l'un ou l'autre chariot, ils pourraient se mettre en route.

A nouveau, certains crièrent, insultèrent, se débattirent.
Ils furent un peu moins nombreux qu'auparavant, toutefois.
Bientôt, les chariots, placés sous le commandement de Gaspard et dotés d'une escorte adéquate, étaient parés à remonter le souterrain en direction de Claiétoile, tandis qu'à la surface, Ruth et Alban rejoignaient leur maître pour s'enquérir de ses consignes.
Midi était passé depuis deux bonnes heures. Lorsqu'ils atteindraient la cité, il ferait nuit.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée