La Couronne de Cuivre

Oui, fit le dieu.

Albérich avait envie de savoir si le prince d'Ithilion était impliqué dans l'affaire, mais ce n'était finalement pas fondamental. Ce qui l'était, c'était de savoir le risque qu'ils couraient.
Dispose-t-il déjà du moyen de les exploiter à des fins guerrières ?

Non, lui répondit-on.

C'était déjà ça, mais finalement, Albérich n'était pas sûr que ce soit à cette fin qu'il était présent en leurs murs... Il faillit interroger le dieu plus avant sur le pourquoi, mais ce n'était à nouveau pas critique dans leur situation...
La catastrophe est-elle issue des gemmes en elles-mêmes ?

Non, lui fut-il répondu.

Il lui restait deux questions, et le Luménien avait l'impression d'avoir à peine avancé. Tout ce que lui avait appris Lathandre était une confirmation de ce qu'ils savaient déjà ou presque. Et il n'y avait là aucune piste quant à la possibilité de sauver les prisonniers... Mais la scrutation apporterait des informations là où Albérich aurait gaspillé ses questions sur le savoir du Dieu.
Ignace cherchait-il les gemmes, lui aussi ?

Entre autres.

Tout ça était bien beau, mais il ne voyait pas l'usage pratique qu'il pouvait en faire.
Sommes-nous à l'abri dans notre arche ?
C'était l'ultime question.

Oui.
Et le contact prit fin.

Albérich se sentit brusquement vide, comme si on lui avait arraché une part de lui-même, et il lui fallut quelques minutes pour reprendre pied dans la réalité. Il pria alors un moment, pour remercier Lathandre de sa générosité et de son soutien. Ensuite, il se redressa, croisa le regard d'Hubert et sourit doucement.
" Le sceau n'est pas brisé, pas encore, mais il risque de l'être aujourd'hui. Rejoignons les autres."
Le paladin ne posa pas davantage de questions et ils regagnèrent la salle des cartes où les attendaient leurs collègues conseillers.

Ils rallièrent le premier étage puis les abords de la salle commune. Ils croisèrent quelques colons et entendirent le bruit de maintes conversations : cette fois, la Communauté était bel et bien réveillée. Quant à leurs collègues du Conseil, ils n'avaient pas bougé de place mais étaient lancés dans une discussions qu'ils interrompirent sitôt qu'ils les aperçurent.
-Alors ? s'enquit Marthe.

" Je ne sais pas si nous sommes très avancés, avoua Albérich en s'asseyant. La bonne nouvelle, c'est que le sceau n'est pas rompu. Il se trouve dans les mines. Les Ithiliens l'atteindront aujourd'hui, malheureusement. Le Duc, apparemment, cherche les gemmes, et elles doivent être au-delà de ce sceau... C'est mon interprétation, en tout cas. Lathandre dit que si le sceau est rompu, nous ne pourrons pas prévenir la catastrophe, mais la circonscrire et en limiter l'impact. Evidemment, c'est imprécis. Cet endroit est sûr, cependant, donc notre idée d'y mener un maximum de monde n'est pas ridicule. Pour le reste... Lathandre pense que nous ne parviendrons pas à atteindre le Duc via les passages secrets de la forteresse. Nous allons donc devoir trouver un autre moyen de parvenir jusqu'à lui, si cela reste notre objectif."

-Je ne sais pas... fit Ézéchiel. Si la catastrophe survient immédiatement après que le sceau ait été rompu, il en fera les frais et nous serons débarrassés de lui, non ? En revanche, nos compagnons captifs vont en pâtir, eux aussi... Peut-être devrions-nous tenter le tout pour le tout afin d'en ramener un maximum ici, à l'abri...
-Malheureusement, à moins que le duc n'éloigne les témoins au moment de l'ouverture, nous ne pourrons en libérer qu'une partie, celle qui sera de repos...

" Vous partez du principe que ce sceau va être rompu, dit Hubert. Lathandre n'a rien dit en ce sens. Moi je suis pour une intervention immédiate, avant qu'ils ne l'aient atteint. Rien ne dit que le duc en personne va se déplacer. Rien ne dit aussi qu'ils savent ce qu'ils cherchent... Si ça se trouve, ils verront ce sceau et ne sauront pas ce qu'il représente.
— Et avec un peu de chance, vu son importance, ce sceau ne s'ouvre pas au contact de n'importe qui... Mais c'est aussi une supputation." ajouta Albérich.

Marthe acquiesça. Ézéchiel, lui, paraissait pour le moins mitigé.
-Sur le principe, je suis d'accord avec toi, Hubert : il faudrait éviter que ce sceau soit rompu. Mais je ne vois pas comment nous pourrions réussir cela : il faudrait soit faire effondrer une partie des mines, ce à quoi nous avons très peu de chances de parvenir sans être repérés et aussitôt assaillis, soit éliminer l'ensemble des Ithiliens, ce qui n'est pas à notre portée.

Hubert n'était pas complètement prêt à lâcher le morceau.
" Je ne vois pas en quoi cette intervention serait plus risquée qu'une autre. Ils sont cinquante soldats sur place. Nous les neutralisons. Nous murons le passage. Il y a des sortilèges, pour ça. Vu la largeur des conduits, nous pourrions même défendre la mine contre le reste des Ithiliens.
— Cela ne résout pas le problème des civils, remarqua Albérich.
— Si la rupture du sceau provoque une catastrophe, les civils seront en première ligne, Albérich. Entre ramasser les pots cassés ou empêcher la cruche de tomber, le choix ne devrait même pas se poser."

-Tu oublies juste que les communications magiques sont possibles entre la mine et la forteresse : à moins de réussir à se faufiler dans les galeries, à éliminer tous les gardes, à miner le tunnel menant au sceau puis à rebrousser chemin, le tout sans se faire repérer de personne... Des renforts arriveront et nous bloqueront le passage : nous serons alors faits comme des rats, ainsi probablement que tous les civils qui seront au travail à ce moment là.

" Est-ce que le prix à payer ne vaut pas le risque ? demanda le paladin. Quelles sont nos alternatives ? Voir le groupe de la mine être décimé sans avoir avancé le moins du monde dans la libération de ceux qui sont encore prisonniers dans la forteresse ? Une attitude attentiste est tout simplement indigne. Cette cité a été ravagée autrefois, il n'y vit plus personne depuis des siècles ! Et nous allons prendre le risque de laisser les choses se reproduire, en espérant que nos ennemis en pâtissent davantage que nos alliés ? Je ne peux pas me ranger à ce point de vue."
Albérich soupira. Les réponses de Lathandre n'avaient effectivement rien arrangé. Ils en savaient davantage, mais rien n'était applicable dans l'immédiat, or c'était de cela dont ils avaient besoin.
" Thibault et moi pouvons procéder à une scrutation...
— Ce sera inutile, dit Hubert avec humeur. Un moment vient où il faut se retrousser les manches et affronter la situation, même si elle n'est pas comique."

-Si se retrousser les manches signifie mettre sur pied un commando suicide et sacrifier la moitié des prisonniers, je mets mon veto, fit Ézéchiel. Je respecte l'esprit de sacrifice et s'il le faut, j'en ferai preuve, mais condamner plus de cent personnes, c'est un peu trop pour moi. D'autant que... Une fois notre groupe et la moitié des captifs éliminés, qui empêchera le duc de mettre au travail l'autre moitié pour déblayer la galerie que nous aurons fait effondrer ? Ce qu'il restera de la Communauté ? Certainement pas.
Il crois ales bras.
-La catastrophe s'est produite jadis : que je sache, tous les habitants de la cité ne sont pas morts, la majeure partie a même pu s'enfuir. De surcroit, Lathandre a signalé que nous pourrions en limiter les conséquences. Avec de tels éléments, désolé, mais je refuse de me lancer sans réfléchir plus avant dans une opération qui se soldera presque à coup sur par la mort de dizaines des nôtres. Et qui laissera la Communautée privée de pplusieurs de ses éléments les plus cruciaux.

Albérich posa la main sur le genou d'Hubert in extremis. Il avait perçu le feu qui couvait chez le paladin et était plus ou moins persuadé qu'il était capable de se lever et de sortir pour aller tout seul au devant des Ithiliens. Il sentit la tension dans sa rotule, comme si elle était tout entière concentrée en ce point unique, et eut la satisfaction de la sentir refluer. Il ne bougerait pas, pas encore, mais il allait falloir trouver mieux que l'inertie s'ils voulaient l'empêcher de filer à la première occasion.
" Que proposes-tu, Ezechiel ?"

-De s'en tenir à ce qui a été décidé hier, déjà : scrutation, puis réunion pour voir si les éléments obtenus grâce à ce sortilège changent la donne.
Il se tourna vers Hubert.
-Je n'aime ni les réunions, ni demeurer les bras croisés, et si je m'écoutais, j'irai courir sus à ces salopards en me fichant de ce qui pourrait bien m'arriver. Et peut-être l'aurais-je fait, si vous ne m'aviez pas demandé de venir ici. Mais c'était une bonne décision de votre part. Parce qu'agir juste parce qu'on a besoin d'agir aurait été un acte aussi stupide que lourd de conséquences.

Décidément, ce rôdeur n'était pas fin psychologue. Mais ce n'était pas dans les nécessités de sa profession, bien sûr. Heureusement, Hubert ne l'écoutait pas vraiment, ce qui évita une nouvelle confrontation orageuse.
" Très bien, je vais chercher Thibault et nous allons ressortir." dit le Luménien en se levant.
Laisser le paladin avec l'éclaireur était trop dangereux et ils avaient de toute façon besoin de lui pour ouvrir les portes, aussi fut-il soulagé de pouvoir l'entraîner au dehors. Maintenant, il fallait juste espérer qu'il n'en profiterait pas pour prendre la tangente. Mais comme il ne savait pas où se trouvaient les mines, le risque était probablement limité.

Le clerc était dans la salle à manger où il achevait son petit-déjeuner. Afin de ne pas être en retard, il semblait qu'il se soit attardé aux thermes beaucoup moins longtemps que de coutume. Quoi qu'il en soit, il adressa un sourire aux nouveaux venus, sourire qui se crispa puis s'effaça : sans doute, à leurs mines, avait-il compris que quelque chose n'allait pas. Néanmoins, il ne posa pas de questions.
-Je suis prêt, dit-il simplement. Il faudra juste, Albérich, que tu me désignes une cible.

" Je dois encore la déterminer. Je vais communiquer avec Gus, il me dira où il est, puis qui est parti, et nous verrons qui de nous deux connait une personne de l'autre groupe. Bref. Descendons."
Hubert ne dit rien, se contentant de les accompagner. Dès qu'ils furent dans le couloir, le clerc commença à incanter. Il n'y avait plus de temps à perdre car effectuer une scrutation prendrait plus d'une heure, et le temps leur était compté.

Thibault se tint coi, se contentant de l'observer, d'observer Hubert - à la dérobée.
Le Lathandrite ne tarda pas à parvenir à ses fins.
-M'sire Megrall ? fit, dans sa tête, la voix de Gus.

Albérich n'y alla pas par quatre chemins.
Tu es à la mine ?

Tep. On y est presque tous, Z'ont dû trouver un truc car on doit mettre les bouchées doubles.

Le fichu sceau, sans doute. Le Duc devait disposer de beaucoup plus d'informations qu'eux, sans doute avait-il préparé son coup de longue date. Mais s'il se savait sur le point de provoquer une catastrophe, pourquoi persévérait-il ?
Le Duc est-il présent ? Beaucoup de soldats aussi ?
C'était peut-être le moment de reprendre la forteresse, tout bien considéré...

Oui.
Le cuisinier devait se souvenir que ses mots étaient comptés...

Ils s'attendaient donc à découvrir quelque chose incessamment, s'ils avaient mobilisé leurs forces.
Qui pouvons-nous contacter dans la forteresse ? Colon discret, non surveillé.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue