La Couronne de Cuivre

Il y eut un long silence.
Aucune idée. Presque plus de prisonniers, là-haut, à...
Et le sortilège prit fin.

Albérich jura à mi-voix.
" Ils sont tous aux mines. A mon avis, à part Etienne, la forteresse doit être dégagée.
— Attaquons-la, dans ce cas, dit Hubert. Envoyons Giovanni libérer Etienne. Notre refuge est un meilleur endroit, mais c'est l'opportunité rêvée de sauver quelques uns d'entre nous.
— Sauf que ça se retournera contre les civils... Cela dit, nous pourrions imaginer de les y attendre... Mais comme il ne s'y trouve personne, nous ne pouvons pas savoir exactement ce qu'il en est...
— Tu dis que ce sortilège prend une heure à être lancé... Envoyons Giovanni à la forteresse. Nous perdons du temps. S'il y a moyen de faire quelque chose, il faut profiter de leur absence. Perdre Etienne serait un coup dur pour le Duc.
— Non. S'il a ce qu'il cherche, ma foi... Perdre Etienne ne lui coûtera rien. Mais c'est vrai que du coup, cela vaut la peine d'aller le chercher. Ecoute, Thibault va faire sa scrutation sur Gus et tu vas veiller sur lui. Je vais aller parler au conseil."
Le paladin acquiesça.

Thibault grimaça : la perspective d'observer les prisonniers en plein asservissement ne le réjouissait guère, cela sautait aux yeux. Mais il ne protesta pas.
-Hubert, si tu veux remonter avec Albérich pour présider aux préparatifs, n'hésite pas. Si quoi que ce soit se produit, s'il y a la moindre alerte, j'interromprai mon incantation et je franchirai les portes par mes propres moyens.

" Non, dit Albérich. Une fois que tu seras en scrutation, il sera nécessaire que quelqu'un veille sur tes arrières, et la concentration requise au lancement du sort te rendra de toute façon moins attentif. C'est plus prudent comme ça. De toute façon, je vais juste relayer mes informations à Marthe et Ezéchiel, et voir si cela suffit à les convaincre d'envoyer Varamyr et Giovanni à la forteresse. Je serai de retour avant que tu en aies terminé."
Il posa la main sur le bras d'Hubert, conscient que la protection de Thibault le canaliserait un moment. Il avait le regard vague, pourtant, et Albérich savait ce que cela voulait dire : qu'il contemplait un échec supplémentaire, celui d'avoir rêvé en vain, d'avoir eu la vision d'un possible qu'il n'était même pas capable d'empêcher. Il ressentait la même frustration, mais avec moins de fougue, plus de résignation. C'était sans doute ce qu'on appelait la sagesse. Ou le poids des ans et des expériences. Mais baisser les bras n'était pas lathandrite, et en cela, le paladin était meilleur que lui.
Il repoussa ces pensées, et retourna vers la porte, qu'Hubert l'aida à franchir sans rien dire. Ensuite, il cavala dans les couloirs pour rejoindre le restant du conseil.

La magistrate et le rôdeur, toujours installés à la table du Conseil, écoutèrent son rapport avec une attention extrême.
-Le côté positif, c'est qu'avec la forteresse en partie désertée, nos espions courront moins de risques d'être surpris, fit la première.
-Ils devront malgré tout demeurer extrêmement prudents car, à mon avis, il restera un certain nombre de soldats sur place, dit le second. -Néanmoins, la situation semblerait presque propice à des manœuvres de plus grande ampleur... Peut-être pourrait-on mettre sur pied une force d'intervention qui se tiendrait à proximité et qui agirait ou non en fonction des observations de Giovanni...

" En glissant un clerc dans l'équipe, il y aura moyen de communiquer directement avec Giovanni, dit Albérich. Pour le reste, sans doute est-ce mieux si tu montes ce groupe, Ezéchiel. Je crois que nous ne devons pas envisager de leur reprendre la forteresse : cet endroit est plus confortable et nous avons la certitude qu'il est protégé. Mais si nous pouvons y rapatrier une partie de nos amis..."
A part Etienne, qui donc pourrait-il s'y trouver ? Barthélémy était mort et les bardes n'étaient pas si dangereux. C'était une intervention purement symbolique, mais leur chef d'expédition valait qu'ils se donnent cette peine.
" Hubert voudra en être. Toi aussi. Thibault peut venir avec vous... La scrutation est soudain moins urgente : nous ne pourrons de toute façon pas attaquer les mines s'ils s'y trouvent tous."

-Très bien, je vais rassembler les troupes.
Déjà, le rôdeur se levait et quittait la pièce. Marthe, elle, demeura assise, manifestement embarrassée.
-Albérich, je suis désolée si je me méprends mais... Est-ce que tu ne crains pas que... le dévouement d'Hubert le pousse à... faire davantage que la mission normalement impartie au groupe d'intervention ?

" C'est moins risqué que de le garder coincé ici, dit le clerc avec sincérité. S'il peut sauver Etienne, ou même n'importe qui d'autre, cela... lui fera du bien. Je ne peux pas promettre qu'il ne va pas faire n'importe quoi, mais... c'est ce qu'il est, Marthe. Vouloir le transformer en un chien bien dressé, ça ne marchera jamais. Au moins il aura un parcours tracé pour la journée. Je ne crois pas qu'on puisse en espérer davantage."

Elle soupira.
-Sauf que s'il se met à faire n'importe quoi, comme tu dis, nous en pâtirons tous. C'est notre chef militaire, notre unique paladin... et le seul d'entre nous a avoir du sang céleste dans les veines, ce qui semble susceptible de jouer un rôle crucial, vu tout ce que nous commençons à apprendre sur le passé de cette cité... Par conséquent, je me demande s'il ne vaudrait pas mieux que tu l'accompagnes pour, le cas échéant, tempérer ses élans... héroïques. Je crains en effet que tu ne sois le seul à pouvoir le raisonner.

Albérich haussa les sourcils. Il n'était pas certain qu'il pourrait être beaucoup plus raisonnable que le paladin, après que Lathandre l'ait tancé pour son manque d'idéalisme et de courage.
" Tu m'accordes beaucoup de pouvoir." dit le clerc.
Sauver Hubert contre son gré. Il en avait fait une habitude, et il savait que chaque fois que cela se produisait, l'estime de soi du paladin en prenait un coup violent. Ce n'était pas souhaitable. En même temps, il ne supporterait pas davantage qu'Ezéchiel ou Thibault s'oppose à lui.
" La meilleure solution est de le droguer et de le garder ici, si nous devons en venir à ça. Mais il ne sera le chef militaire de personne, si son humeur ne s'améliore pas."

Elle soupira à nouveau.
-Soit, oublie ce que j'ai dit : tu es meilleur juge que moi.
Elle se leva, hésita, secoua la tête.
-Bon et bien, j'imagine que pour ma part, il ne me reste plus qu'à aller retourner plonger dans mes livres... Même si j'ai l'impression que ça n'a plus guère de sens, il faut bien s'occuper. A plus tard, Albérich. En cas de besoin, tu sais où me trouver.

" Je crois que je vais passer ma journée à ça, moi aussi... Mais je vais d'abord aller prévenir Giovanni et Varamyr qu'ils peuvent se mettre en route. Ensuite... J'imagine qu'il est un peu tard pour interrompre Thibault... Leur groupe pourra partir dès que la scrutation est terminée. J'imagine que le temps qu'ils se préparent, de toute façon, nous en serons là."
Il haussa les épaules. La journée promettait d'être longue et désagréable, mais il ne fallait plus trop y penser. Il avait l'impression d'errer dans un brouillard, un cauchemar dont il finirait bien par se réveiller, d'une manière ou d'une autre.

Varamyr et Giovanni n'étaient pas ensemble, loin s'en fallait : le premier se trouvait dans les jardins, le second dans la salle du trésor. Tous deux, cependant, étaient parés, et tous deux se contentèrent d'écouter et d'acquiescer - ce qui était relativement surprenant pour le barde, d'ordinaire bien plus dissert. Quoi qu'il en soit, il ne fallut que quelques minutes avant qu'ils ne descendent - côte à côte, cette fois - dans les caves, puis qu'ils ne s'éloignent dans les souterrains en direction de la forteresse.

Puisqu'il était redescendu jusque là, Albérich y demeura, auprès d'Hubert et Thibault. La scrutation en elle-même ne durerait qu'une dizaine de minutes, pas assez pour apprendre grand chose; sinon la situation immédiate. Si Gus était en train de creuser dans une galerie, Thibault n'en verrait pas davantage. Il demeura silencieux, debout près du paladin, pendant de longues minutes.
" Vous allez partir vers la forteresse. Thibault communiquera avec Giovanni pour savoir quelle est la situation à l'intérieur. S'il y a vraiment peu de soldats, vous interviendrez pour libérer Etienne."
Hubert se contenta d'acquiescer, l'expression fermée. Albérich soupira.
" Donc, pendant qu'une catastrophe se déroule à l'autre bout de la ville, nous allons mobiliser nos forces pour libérer une unique personne, dont la disparition provoquera des représailles sur les autres prisonniers. Je vois. Formidable." lâcha finalement froidement Hubert.
Albérich ferma les yeux.
" Je vais remonter." lâcha-t-il.
Ce qu'il fit.
Il n'avait plus rien envie de lire, mais il le fallait, l'oisiveté était mauvaise pour tout le monde. Mais ça faisait des jours entiers qu'ils étaient plusieurs à s'enfiler volume sur volume, sans rien trouver d'intéressant ou, surtout, d'applicable. Il ne voyait pas en quoi cela changerait quoi que ce soit, Marthe avait raison. Il finit par renoncer : il relirait cinquante fois la même page sans rien en tirer. Mais il pouvait organiser l'arrivée des trois cent colons de Frida, peut-être, s'ils survivaient seulement à ce qui allait se déverser dans les couloirs... Tout semblait vain, et inutile, mais il fallait faire illusion jusqu'au bout.

Un profond soupir annonça à Hubert que la scrutation était terminée.
Thibault demeura silencieux un moment, plus pâle qu'à l'accoutumée, les traits marqués.
Puis il se reprit.
-Rien de bien particulier dans les mines, si ce n'est qu'ils font travailler tout le monde comme des mules. Et les soldats qui ne sont pas occupés à jouer du fouet filent un coup de main, c'est te dire : honnêtement, on dirait que tous ces foutus Ithiliens sont saisis d'une sorte de frénésie....
Il secoua la tête.
-Tu veux que j'aille chercher les autres ?

Hubert perçut à peine le trouble de Thibault : il n'avait aucune énergie mentale pour ce genre de choses, et le clerc n'était pas son ami.
" Je dois remonter m'équiper, de toute façon. Toi aussi."
Il s'était rapproché de la porte et l'ouvrit du plat de la main avant de s'effacer pour laisser passer le Sunite et de lui emboîter le pas. Il n'essaya pas de faire sens de la tempête qui lui bruissait dans le crâne. Il irait chercher sa cotte de mailles, son épée, et ensuite Ezéchiel prendrait la tête des opérations. A lui, il ne fallait rien demander.

Ézéchiel avait rassemblé un groupe en essayant de concilier deux objectifs : d'abord l'efficacité, ensuite la nécessité de ne pas laisser la Communauté sans ressources. Étaient ainsi réunis un quatuor d'éclaireurs, une demi-douzaine de soldats commandés par Edgar ainsi qu'Ambrosius l'ensorceleur. Quinze hommes en tout, avec Hubert et Thibault. Quand tout le monde fut équipé, ce qui ne prit guère de temps, l'on se mit en route dans les tunnels, lesquels étaient toujours aussi déserts et silencieux qu'à l'accoutumée.

Hubert prit la queue du groupe et suivit sans rien dire. De toute façon, s'il y avait une goule, ce serait pour les éclaireurs, et s'il y avait un message, ce serait pour Thibault, aussi n'avait-il aucune raison de se sentir particulièrement concerné par le trajet. Les Ithiliens étaient à la mine — là où ils auraient dû se trouver, eux aussi, si quelqu'un avait eu une once de bon sens, il n'y avait donc pas lieu de s'inquiéter. Giovanni et Varamyr avaient une saine avance, sans doute ne serait-il pas nécessaire de poireauter trop longtemps dans les couloirs.
Tout en cheminant, il se demanda s'ils percevraient quelque chose au moment de la rupture du sceau, comme un courant, ou un mouvement, un cri, de la chaleur. Peut-être seraient-ils tués sur le champ, et à la seconde présente, cela paraissait presque un destin plus enviable que celui de vivre éternellement avec leur lâcheté en mémoire. Tout ça pour ça.
Il repoussa ces pensées. Quitte à exposer quinze personnes au danger pour le salut d'une seule, autant la ramener.

Après un trajet assez long, ils finirent par s'immobiliser.
-Nous nous arrêtons là pour l'instant. En continuant, nous ne tarderions pas à atteindre le croisement duquel on peut rallier soit les mines, soit la forteresse. Nous devons savoir si les Ithiliens y ont laissé des sentinelles.
-Je vais contacter Giovanni.
Ce que le Sunite fit.
-Bon, il y a une poignée de sentinelles au croisement. Une garnison demeure également à la forteresse mais bien moins fournie qu'à l'accoutumée.

Hubert ne dit rien. Intervenir dans des couloirs étroits, par surprise, ce n'était pas de son registre. Il n'était pas certain que quoi que ce soit dans cette intervention le soit, mais cela lui changerait assurément les idées et personne ne semblait s'être opposé à sa présence. Une garnison, cela ne voulait pas dire grand chose, mais nul doute que Giovanni, ou Thibault, préciseraient ce qu'ils entendaient par là. La première chose était de se glisser jusque là... Il y avait sûrement un chemin de traverse, mais si personne ne le mentionnait, c'était qu'il y avait un détour trop important à faire.

Varamyr demeura pensif et silencieux quelques secondes durant. Puis il se tourna vers Hubert.
-Qu'en penses-tu ? Privilégions-nous la vitesse en empruntant le chemin le plus court et en éliminant les Ithiliens qui nous barrent la route ou bien optons-nous pour la prudence en faisant un détour, ?
Manifestement, le rôdeur n'entendait pas trancher à lui seul.

Hubert ne chercha pas à dissimuler son soupir.
" Je serais a priori pour le détour. Si nous attaquons les sentinelles de front, nous ne pouvons pas être sûrs qu'elles ne sonneront pas l'alarme d'une manière ou d'une autre. Sauf si nous pouvons les neutraliser toutes en une fois, mais ce n'est pas moi qui pourrais répondre à cette question."

-On ne peut jamais être totalement sûr de ce genre de choses. Mais optons donc pour la prudence : nous ne sommes pas à quelques minutes près et qui sait, nous retrouverons peut-être Varamyr s'il est demeuré à l'extérieur de la forteresse.
Ce n'était pas le cas : lorsqu'ils eurent fait leur détour, c'est un passage désert qu'ils découvrirent.
-Giovanni m'a dit où se trouvait l'entrée du passage secret. Mais nous pouvons aussi attendre un peu et le recontacter une fois qu'il aura terminé ses observations...

A nouveau, puisqu'on ne lui demandait pas expressément son avis, Hubert ne le donna pas. Il continuait à trouver l'expédition ridicule, un pis-aller pour leur donner la sensation qu'ils faisaient quelque chose d'utile. Ce n'était pas le cas. Oui, ils libéreraient probablement Etienne et ce serait merveilleux pour le jeune Fontbrune, mais cela ne les avancerait à rien par rapport à leur vrai problème. A moins que le chevalier en sache davantage et puisse les aiguiller pour la suite.
Il ravala sa bile. Ce n'était pas la faute d'Etienne s'ils n'étaient pas foutus de faire le nécessaire.

Ézéchiel lui jeta un regard prolongé, parut hésiter puis haussa les épaules.
-Laissons-le finir ses observations. Avec un peu de chance, il nous rejoindra avant longtemps et nous pourrons mettre sur pied notre opération sur la base d'éléments très concrets, ce qui augmentera ses chances de réussite. Ce qui t'évitera, de surcroit, d'avoir à utiliser un autre sortilège dont nous pourrions avoir besoin à un autre moment...
Sur ce, il disposa ses éclaireurs afin qu'ils puissent les prévenir de tout mouvement suspect aux alentours.
Et l'attente débuta.

Hubert réfléchit à ce qu'il pourrait faire une fois cette intervention terminée. Il serait trop tard pour empêcher le sceau d'être rompu, il en était bien conscient. Même s'il était parti en courant dans l'instant, il ne serait probablement pas arrivé à temps. Mais Albérich avait peut-être raison. Il n'était pas impossible que comme les portes du palais ou de l'université de la magie, le sceau soit infranchissable sans une bonne dose de sang céleste. C'était même probable : après tout, c'était la manière dont usaient les Anciens pour protéger leurs sites les plus importants. Or, s'il y avait un endroit qu'ils avaient dû vouloir protéger, c'était celui-là. Ce que le paladin ne s'expliquait pas, c'était pourquoi ils étaient ensuite partis, s'ils avaient réussi à contenir le danger derrière une porte. Ils auraient pu se contenter de faire écrouler une galerie ou deux, d'en condamner l'accès, et de continuer à profiter de leur magnifique cité. Après tout, il y avait des gemmes encore un peu partout, et qui fonctionnaient toujours. Et même sans gemmes, la vie n'était pas si compliquée : ils avaient vécu ainsi depuis toujours.
Il étouffa un soupir. Il était responsable de cet échec, tout bien considéré. Il aurait dû aller aux mines dès que la vision s'était produite, pas attendre l'aube pour la raconter. Sa couardise, sa tiédeur, étaient la cause de leur impuissance. S'il avait agi à la nuit, quand les Ithiliens s'étaient repliés, ils auraient pu protéger le site, les empêcher de l'atteindre, éviter la catastrophe.
Mais c'était trop tard, il avait failli, une fois encore, et le dégoût qu'il avait pour lui-même le faisait vibrer de colère.
Il espéra que Louis serait présent dans la forteresse. Il avait grand besoin de se défouler, à la seconde présente...

Le temps passa, interminable.
Les pensées d'Hubert suivirent leur cours, toujours aussi noires.
Mais, subitement, elles furent interrompues.
Sa vue s'obscurcit.
Ses oreilles bourdonnèrent.
Une vive douleur lui traversa le crâne.
Un instant s'imposa à lui l'image du sceau volant en éclats.
Puis il sentit, dans son dos, le mur contre lequel il venait de s'affaler.
-Hubert, ça va ?
Thibault était penché sur lui, la mine inquiète.
Autour d'eux, le reste du groupe l'observait avec la même expression.
Personne ne semblait avoir éprouvé un malaise simiaire au sien.

" Le sceau est rompu, souffla-t-il simplement. La catastrophe s'est produite et nous n'avons rien fait pour l'empêcher."
L'affliction le frappa avec violence, presque autant que l'onde de choc une seconde plus tôt. Que faisait-il ici, si loin de la source qu'il devait combattre ? Pourquoi perdait-il son temps à des interventions vaines ?
C'était trop tard. Il avait eu la possibilité d'agir et il s'était laissé contenir par d'autres. C'était indigne d'un paladin. La seule chose qui devait guider sa main, ses pas, était sa mission, sa foi, son dieu. Il se fourvoyait ici comme il s'était fourvoyé à Solarcis.
Mais c'était trop tard.
Il n'était pas certain qu'il pourrait jamais se rattraper et cela sapa ses dernières gouttes d'énergie.
" Laissez-moi tranquille." dit-il.

-Mais, Hubert...
-Laisse.
Le ton d’Ézéchiel débordait de mépris.
-Môssieur fait la gueule depuis ce matin parce que l'idée de môssieur, suicidaire, n'a pas été retenue par le conseil. Or, tout ce que veut môssieur, le grand chevalier blanc, c'est aller crever aussi héroïquement qu'inutilement, il l'a déjà prouvé à maintes reprises. Et à présent que le sceau s'est rompu, ce qui va entraîner une catastrophe dont nous ne savons ni quand elle se produira, ni quelle forme elle prendra, môssieur préfère rester assis sur son cul à se lamenter sur son sort plutôt que de penser aux autres. Indigne d'un paladin, indigne de la Communauté. Laissons-le donc se morfondre sur son petit orgueil blessé et nous, allons aider nos compagnons.
S'ensuivit un silence stupéfait, horrifié.
-C'est un ordre, lâcha le rôdeur, impérieux.

Curieusement, la virulence du rôdeur ne l'atteignit pas le moindre instant. Ezéchiel pouvait penser ce qu'il voulait : c'était un rôdeur. La survie avant les idéaux. Ils n'étaient pas du même monde. Il se redressa et, contournant quelques uns des hommes qui s'étaient attroupés autour de lui au moment de son malaise, il s'éloigna dans les couloirs. Ezéchiel avait raison : ils n'avaient pas besoin de lui pour sauver Etienne, ils disposaient des forces suffisantes et ce n'était pas lui qui ferait la différence.
Non, il était attendu ailleurs, à un endroit où les vraies ténèbres s'amassaient. Il le savait intimement, sans quoi il n'en aurait pas rêvé la nuit, ni n'aurait été frappé aussi durement par la rupture du sceau.
Mais personne ne pouvait comprendre car personne n'avait fait ce rêve, personne n'avait entendu les cris, et la bouche ouverte vomir des entrailles de feu.
Contrairement à ce que pensait le demi-elfe, Hubert n'avait nulle intention de courir sus à l'ennemi, sans réfléchir, la lame brandie. Mais il devait se rapprocher de la source, prudemment, et aviser en fonction de ce qu'il découvrirait.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue