La Couronne de Cuivre

-C'est un peu ça, effectivement. Même s'il ne traite pas directement d'astrologie, il utilise certains principes de celle-ci comme des outils, parmi d'autres, pour comprendre quelque chose qui se situe au-delà. Mais pour s'en tenir à l'astrologie... Tu as raison : si chaque culture s'appuie sur la position des astres au moment de la naissance pour bâtir des horoscopes, elles ont des interprétations très différentes... En fouillant, on trouve toutefois des similitudes, des points communs... C'est là que ce situe la part de vérité de la discipline.

" Et ça veut dire que toi, tu connais cette part de vérité ? Que tu peux dire l'avenir des gens ? Ou bien savoir qui ils sont à partir de leur date de naissance ?" dit-il, curieux.
Une jeune femme vint leur déposer deux bols remplis d'un liquide transparent. A vue de nez, cela paraissait identique, mais elle leur conseilla quand même de ne pas échanger. Elle leur donna aussi un bol rempli de petits biscuits oblongs, dorés et croustillants. Baptiste en testa un presque immédiatement.

Il l'imita.
-Oh non, je n'en suis pas là... Je suis loin d'être un expert en astrologie : j'ai juste les bases nécessaires pour espérer pouvoir peut-être, un jour, comprendre cette autre vérité dont il est question dans le livre. Et puis, même si les astres ont une influence sur les êtres... Ils ne déterminent pas tout de leur caractère ou de leur destin. Tout cela est tellement complexe, il y a tellement de paramètres qui entrent en compte... Bref, a mon sens en tout cas, l'astrologie peut juste offrir quelques clefs de compréhension, quelques pistes de prédiction.

" D'accord, dit Baptiste, manifestement incertain. Ça m'a l'air compliqué, en tout cas. Sûrement tout à fait intéressant. Mais compliqué."
Il reprit un de ces petits biscuits croustillants et salés.
" Est-ce que l'endroit où nous allons à un rapport avec l'astrologie ?"

Il haussa les épaules.
-Je n'en ai aucune idée : Tim ne m'a absolument rien dit à leur propos. Ce sera donc une surprise sur tous les plans.
Il sourit.
-Et tu as raison : si on se penche vraiment sur l'astrologie, c'est très compliqué. Pas autant, toutefois, que ce livre... Honnêtement, je crois n'avoir jamais rien lu d'aussi compliqué de toute ma vie.

Taliesin finissait sa phrase que Victor jaillit entre eux, s'installant sur la peau de vache avec un sourire ravi. Il fleurait bon la sueur de cheval et son visage était constellé de poussière.
" Salut les piétons ! s'exclama-t-il avec entrain. Mmm... c'est quoi ça ?"
Il attrapa un des biscuits d'apéritif et l'enfourna sec dans sa bouche, puis en prit un second.
" C'est pas mauvais, c'est quoi ?
— Je crois que ce sont des chenilles grillées." répartit Baptiste avec flegme, tandis que son frère se mettait à cracher en poussant des cris de stupeur.
Tout le monde, évidemment, regarda dans leur direction.

Ce qui, évidemment, l'embarrassa énormément.
-Victor, arrête, souffla-t-il, très sérieux. Je comprends que cet aliment... te surprenne mais en te comportant comme tu le fais, tu es en train d'insulter nos hôtes. Et tu n'as pas envie de les insulter, pas vrai ?
Restait à espérer qu'ils seraient indulgents avec le gamin, qu'ils ne prendraient pas trop mal sa réaction - il ne devait pas être le premier à l'avoir. Quoi qu'il en soit, lui-même se resservit : c'était bon et il avait déjà mangé plus étrange.

Le petit garçon se tut et déglutit, avalant ce qu'il avait dans la bouche, avant de jeter un regard confus sur les environs. Baptiste devait se retenir d'éclater de rire. Les personnes autour d'eux avaient repris leurs conversations.
" J'espère qu'il y a autre chose à manger pour le souper, souffla le petit Desmoulins, encore rougissant.
— Sûrement des sauterelles aux herbes de la plaine, dit son comparse. Tu veux goûter ça ?"
Il lui tendit son bol tandis que Victor le jaugeait, comme pour chercher le vrai derrière ses paroles.
" C'est quoi ? Du jus de limace ?
— Non. Je pense que c'est à la menthe sauvage et aux myrtilles."

Bon, Victor avait réalisé qu'il avait été impoli et modifié son comportement en conséquence : tout était donc pour le mieux. Quant au reste... Il se réjouissait plutôt que Baptiste, gagnant en assurance, n'hésite plus du tout, désormais, à taquiner le jeune Desmoulins : ainsi les choses étaient-elles plus équilibrées. Et tant que cela restait bon enfant, ce n'était pas forcément une mauvaise dynamique. Au contraire : elle était assez courante, entre frères. Il en savait quelque chose.

Victor gouta et approuva. Quelques secondes plus tard, on lui apportait son propre récipient, ainsi qu'un nouveau plat de friandises. Baptiste ne s'était pas trompé, il contenait de magnifiques sauterelles en croûte d'herbes et de sel. Victor en prit une, l'observa, la reposa. Baptiste, de son côté, en savoura une première puis une seconde, avec une mimique de connaisseur.
" Quelle est la chose la plus dégueulasse que tu aies jamais mangée ?" demanda soudain Victor au barde.

-Si tu veux faire référence à l'apparence... Hum, je te dirais bien les escargots mais c'est comme pour les chenilles ou les sauterelles, voire même comme pour les huîtres ou les grenouilles : si on se concentre juste sur le goût, c'est très bon...
Il fronça les sourcils, concentré.
-Un jour, j'ai fait étape dans une auberge qui se faisait fort de servir les plats les plus étranges des quatre coins de Toril. Et j'avais fait le pari de goûter au pire du pire... j'ai ainsi dû tester des tarentules grillées, des larves de divers insectes et même une grosse limace de Maztica... Pour le coup, c'était aussi mauvais que moche et on ne m'y reprendra plus.

" Mais à quoi ça sert de servir un truc répugnant ? demanda Victor.
— Pour le défi... et pouvoir le raconter ensuite, je suppose." dit Baptiste en souriant.
Taliesin le sentait un peu tendu, cependant.
" C'était où ?" demanda-t-il rapidement.

-A Eredhun, et je compte bien faire un crochet sur le chemin du retour pour vous y emmener : je suis convaincu que ça te plaira, que tu pourras y puiser bien des idées, bien des inspirations... répondit-il, très sérieux. Je voulais t'en faire la surprise mais voilà, puisque le sujet est venu sur la table...
Il sourit, s'attendant déjà à un concert de protestations;

" A Eredhun ? Mais c'est plein de clercs, non ?" dit Victor avec une grimace. Pourquoi diable irait-on à Eredhun ?
— Tu es déjà allé à Eredhun, toi ? Je n'imaginais pas, renchérit Baptiste, moins scandalisé que son frère.
— De toute façon, si c'est pour manger des cochonneries, il suffit de me confier les fourneaux une fois que nous camperons. Je ferai aussi bien qu'un grand chef !"

-Crois-tu vraiment que nous allons te laisser une telle opportunité de te débarrasser de nous ? Ah, tu rêves, ma parole ! Mais allez, ne t'en fais pas, tu ne seras pas obligé d'aller à cette fameuse auberge. De toute façon, je doute que tu en aies le temps, vu que j'ai réussi à négocier pour toi un petit séjour au temple d'Eldath, afin que les clercs t'y enseignent le calme, la sérénité, la méditation...
Il devait être fatigué, à moins que le petit alcool qu'on lui avait servi ne soit plus fort qu'il n'y paraissait...

" Eldath ? s'exclama Victor. Je me souviens d'un clerc d'Eldath. Il ne parlait pas beaucoup. Mais il m'a appris un chouette jeu... Je ne sais plus comment ça s'appelle. Avec des cailloux dans le sable... On s'entendait bien."
Son sourire s'élargit.
" Tu sais, en fait... Je crois qu'un bavard comme moi ne s'épanouit qu'auprès de gens silencieux. Comme ça, pas de concurrence ! Alors d'accord. Je veux bien aller chanter chez les Eldathiens."

L'elfe rit.
-Les pauvres, ils seraient traumatisés et me maudiraient... Non, décidément, je ne peux pas être aussi cruel avec eux.
Il retrouva un semblant de sérieux.
-Bon, en réalité, je n'ai jamais mis les pieds à Eredhun et cette auberge se trouve au-delà des mers, en Féérune.

" Mais une malédiction d'Eldath, ça doit pas être très dangereux..." dit Victor, songeur.
Baptiste rit.
" A mon avis, l'eau de ton bain sera gelée à tout jamais.
— Oups, pas génial."
On vint alors leur servir le repas, composé de galettes chauffées sur pierre, de tranches de viande juteuse au parfum de braise, et de légumes sauvages en purée. Baptiste arbora un sourire ravi, Victor parut soulagé. Il s'enquit cependant de l'absence d'insectes auprès de la femme qui les servit. Rassuré, il entama goulument son repas.
Pendant qu'ils mangeaient les musiciens nomades avaient fait leur apparition, mais pour l'heure, ils jouaient des mélodies discrètes sur des instruments à cordes, à vent et percussions qui ressemblaient aux instruments traditionnels tout en ayant un cachet plus rustique : taillés dans la corne ou la peau, ils étaient manifestement du cru.

Tout en mangeant avec appétit - il avait faim et, surtout, trouvait le repas délicieux -, Taliesin écouta ses confrères avec attention. Même si l'envie de jouer à nouveau en public commençait à le titiller, il était heureux de profiter encore quelques temps de sa position de simple spectateur. En tout cas, il était curieux d'entendre les polyphonies et songeait qu'entre leur séjour dans une auberge halfeline et cette soirée au sein d'une tribu de la Trouée, ce voyage à peine débuté était déjà riche en bonnes surprises. Cela promettait pour la suite.

Les polyphonies commencèrent après le repas, alors que le ciel s'assombrissait et que les grands feux lançaient des flammèches oranges vers le firmament. Chacun avait reçu une tasse d'une infusion délicieuse, sucrée, à l'odeur envoûtante. Les chanteurs étaient une dizaine, hommes et femmes, jeunes et vieux. Tous les instruments s'étaient tus et seules les voix s'élevèrent. Les chants avaient des paroles, mais elles étaient déformées par la mélopée hypnotique, à peine compréhensibles, une variante de commun archaïque, mâtinée d'expressions locales, la vieille langue de la Trouée. Les enfants écoutèrent, comme ensorcelés, et Taliesin réalisa que toute l'assemblée était sereine, emportée par l'entrelacs des voix qui se succédaient, puis se mêlaient, avant que l'une d'entre elles se libère pour quelques notes solitaires, pour mieux replonger dans le choeur.
Quand ils se turent, il faisait complètement noir et Baptiste ne s'était pas trompé : le ciel était absolument magnifique. Le silence s'installa autour des feux : il fallait désormais échapper à la torpeur de la soirée pour regagner les tentes...

Il aurait bien applaudit mais... quelque chose lui disait que telle n'était pas la tradition. Il s'abstint donc, tout en se promettant, s'il en avait l'occasion, de féliciter les chanteurs, ne serait-ce que par l'intermédiaire de Naiara.
-On va pouvoir aller regarder les étoiles, souffla-t-il à Baptiste. Victor, tu viens avec nous, si tu veux bien : tu ne sera pas obligé de contempler le firmament mais, sans vouloir te vexer, tu as besoin d'un sérieux décrassage. Du coup, nous irons près de la rivière...

" Pas question, rétorqua Victor. Il fait beaucoup trop froid pour aller se baigner. Et puis je suis fatigué. Ce sont juste mes vêtements qui sont sales, et j'ai fait exprès de mettre les plus miteux. Je peux juste m'asperger le visage avec un peu d'eau, ça suffira. Je prendrai un bain dans l'auberge de demain soir."
Baptiste, lui, nez en l'air, manqua percuter quelqu'un et se confondit en excuse, avant de reprendre sa déambulation contemplative, sans aucune notion de direction. Victor, de son côté, savait parfaitement par où aller pour retrouver son lit...

-Si tu veux te coucher tout de suite... Soit, te débarbouiller le visage devrait suffire.
Il l'observa néanmoins du coin de l’œil, pour s'assurer que son état n'était pas trop lamentable. Il n'avait pas spécialement envie d'en arriver à un conflit, mais s'il le fallait... Tant pis, d'autant qu'il ne faisait pas froid. Il espérait cependant qu'il ne serait nul besoin d'en arriver là et qu'il pourrait se contenter d'aller observer les étoiles avec Baptiste tandis que Victor dormirait.

Il était constellé de boue, mais ses vêtements avaient effectivement pris le plus gros, et un débarbouillage consciencieux devrait suffire. Au moment où ils atteignaient leur tente, Naiara parut.
" Je ne vous dérange pas longtemps. J'espère que le repas et la soirée vous ont plu. Je voulais juste vous dire d'allumer les deux lampes vertes, dans votre tente. Elles diffusent un produit qui repousse les moustiques. Ceux de la Trouée sont particulièrement voraces... donc je vous conseille de ne pas oublier."

Il lui sourit chaleureusement.
-Merci beaucoup pour le conseil, répondit-il tout en songeant que Baptiste et lui devraient penser à s'oindre du baume adéquat avant de partir pour leur céleste observation.[color=#FFFFF66] Le repas était excellent et la soirée fort agréable. Quant aux polyphonies... merveilleuses, tout simplement. Si vous en avez l'occasion, félicitez et remerciez les chanteurs de ma part.[/color]

" Je suis heureuse que cela vous ait plu et je ne manquerai pas d'en avertir nos musiciens, dit la jeune femme. Je vous souhaite une excellente nuit. A demain !"
Victor s'était engouffré dans la tente et alluma les lampes en question, pourvue chacune d'une bougie odorante qui diffusa bientôt son parfum douceâtre. Il alluma aussi deux autres lampes, à huile celles-là, pour qu'ils aient de la lumière. Il s'attribua ensuite un des trois brocs d'eau qu'on avait installés sur un meuble bas et se débarbouilla sommairement, tout en retirant ses bottes en secouant ses jambes comme s'il avait été victime d'un sortilège de danse irrépressible. Baptiste, lui, avait ouvert un de leurs sacs pour y dénicher la pharmacopée rassemblée par Galathée.

Il le laissa faire, s'affairant de son côté à bourrer sa pipe de tabac pour la fumer tranquillement tandis qu'ils gagneraient leur point d'observation. Si les moustiques étaient aussi goulus que l'avait dit Naiara - et il n'avait aucune raison de douter de ses dires - ils ne pourraient certainement pas s'attarder très longtemps, même avec le baume. Mais il tenterait de limiter les dégâts en s'éloignant le plus possible de la rivière : les endroits où s'installer ne devaient pas manquer.

Victor se mit au lit tandis qu'ils se préparaient et éteignit la lampe la plus proche de lui. Il leur souhaita une bonne observation, mais il paraissait clair qu'il tomberait endormi avant qu'ils n'aient quitté la tente. Baptiste se recouvrit consciencieusement de baume, puis le passa à Taliesin et alla l'attendre à l'extérieur. Ils purent ensuite déambuler entre les tentes, à la recherche d'un point d'observation.
Un jeune homme en armure de cuir, un arc sur l'épaule, les aborda.
" Bien le bonsoir, voyageurs. Je vois que vous avez l'intention d'effectuer une promenade nocturne. Je vous conseille de ne pas dépasser les feux de garde. Le campement et ses troupeaux attirent des prédateurs qui guettent les bêtes et les hommes isolés... Tant que vous demeurez dans le périmètre, vous ne risquez rien, mais au-delà... On ne peut rien garantir."

L'elfe acquiesça.
-Merci pour le conseil. Nous veillerons à demeurer dans le périmètre.
L'intervention du garde était on ne peut plus justifiée. Il espérait toutefois que savoir qu'il y avait des prédateurs aux alentours ne mettrait pas Baptiste trop mal à l'aise et ne l'empêcherait pas d'observer tranquillement les étoiles...

Mais les feux de garde étaient relativement distants et il y avait un bel espace pour aller regarder le ciel, aussi Baptiste ne parut-il pas trop inquiet. Il tint la main de Taliesin un moment, puis s'écarta, les yeux vers les étoiles, comme en transe. Il finit par s'asseoir dans l'herbe, puis se coucher, bras repliées derrière la tête. Il ne posa aucune question, ne dit rien, resta simplement en admiration devant la voûte piquetée de mille millions de petites taches scintillantes, plus ou moins grosses. Le trait d'une étoile filante traversa le firmament loin vers la gauche et le petit garçon sourit.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Rohan