La Couronne de Cuivre

Nerveux, conscient d'être responsable de leurs malheurs récents, Christophe prit les devants pour se rendre à la porte de la chambre de Bellatrix. Celle avec la sorcière... il tenait toujours sa boîte à outils en main, et de l'autre, Tony, qu'il n'osait délaisser que le temps de bidouiller les serrures, tout en le gardant en vision périphérique pour être certain qu'il ne se fasse pas dérober.

Une dernière fois, il commença à travailler sur la serrure pour l'ouvrir frauduleusement. Il espérait ne pas trouver Bellatrix dans un état encore pire que le leur...

L'état de Piotr inquiétait Benoît depuis qu'ils l'avaient retrouvé aussi profita-t-il du temps que mettait Christophe à ouvrir la porte de Bellatrix pour lui chuchoter à l'oreille :

- Est-ce que ça va ? Tu as l'air d'avoir encore plus souffert que moi dans ton cauchemar...

La main sur la garde de son épée, le gamin jetait des regards anxieux autour de lui, redoutant qu'on ne cherche à les attaquer avant qu'ils ne soient réunis. Lorsque Benoit lui adressa la parole, il toucha à nouveau, machinalement, les traces de griffures sur son visage.
-A la fin, j'ai été attaqué par tout un tas de chats... souffla-t-il. Heureusement, vous m'avez réveillé pile au moment où ils allaient me faire encore plus mal... En fait, je crois que j'ai juste des griffures un peu partout... J'regarderai tout à l'heure, mais on dirait qu'elles sont moins pires que dans le cauchemar. En tout cas, j'ai plus de sang sur la figure... Et toi ? J'étais content parce que t'as pas l'air d'avoir de bobos, alors que j'avais peur que tu sois picoré par tout plein de corbeaux... Mais vu ce que tu dis, ça a quand même dû être affreux...

Le regard de l'enfant se perdit dans le vague et il se mordit la lèvre en se remémorant le souvenir de son cauchemar récent. Il répondit d'une pauvre voix :

- Je suis parvenu à échapper la nuée des copains de Grincevoix mais il m'a coincé dans la bibliothèque. Je ne pouvais pas fuir sous peine de finir comme tu l'as dit mais le chef des corbeaux a fait pire : il a allumé un incendie au milieu des livres et j'aurais fini brûlé avec eux si je ne m'étais pas réveillé juste à ce moment-là. Je ne suis pas blessé cela dit. Enfin je crois. Tu veux que je regarde tes griffures : les chats ça plaisante pas. Et même quand ça fait que jouer ça peut faire très mal !

-On verra ça tout à l'heure, murmura-t-il en recommençant à scruter le couloir d'un œil inquiet. Quand on sera dans un coin tranquille. Comme la chambre de l'angelot, par exemple. Là, vaut mieux qu'on soit super prudents. Et qu'on dise pas trop de trucs. Parce qu'on est peut-être surveillés...
De fait, il se sentirait un peu plus tranquille lorsque ses copains et lui se seraient réfugiés dans une pièce surveillée par une statue bienfaisante. Il espérait donc que Christophe parviendrait sans mal à triompher de la serrure... Mais il n'y avait aucune raison que l'attente se prolonge, puisque le garçon était déjà venu à bout d'au moins trois autres portes...

HRP : pour Bellatrix, depuis ici.

Effectivement, Christophe ne tarda pas à avoir raison de la 4ème porte. Peu après, Bellatrix était réveillée. Elle mit un instant à réaliser qu’elle était de retour dans la chambre de la sorcière, entourée de Cricri, Piotr et Benny. Elle ne portait aucun signe visible de son rêve et, assurément, elle n’avait pas été très éprouvée. Elle faisait donc office d’exception. Voilà le quatuor reconstitué.

D’après ce qu’ils pouvaient en juger, leur "évasion" n’avait pour l’instant pas été remarquée. Le couloir-galerie était vide. M. Larouge devait se trouver en bas, dans la salle à manger puisque la musique classique se faisait entendre. S’ils voulaient gagner une autre chambre, comme celle de l’Angelot, ils le pouvaient sans problème. Aucune autre porte n’était verrouillée.

"Je sais pas ce que vous avez vu pendant vos rêves, mais j'ai appris des trucs importants", chuchota-t-il à l'assemblée tout en brandissant Tony l'ours en peluche. "Piotr a raison, on va aller dans la chambre de l'angelot pour en parler. Chuis sûr que vous avez plein de trucs à raconter vous aussi !"

Ce disant, il remballait son matériel, s'assurant de n'avoir oublié aucun outil. La situation venait de le démontrer, il aurait sans doute besoin d'eux à l'avenir... et peut-être plus souvent qu'il ne l'imaginait maintenant.

Ouais, tout un tas de trucs à raconter, songea-t-il par devers lui.] Tu vas adorer toutes les sales blagues qu'a pu me faire le diablotin par ta faute, surtout le coup des chats... Pis l'incendie qui a failli brûler Benny, aussi...
Christophe avait beau leur avoir rendu de grands services en déverrouillant les portes, Pierre était encore trop éprouvé par les épreuves qu'il venait de subir pour ne pas éprouver, à son regard, une virulente rancœur. Toutefois, trop conscient de leur situation précaire, il parvint à ne pas l'extérioriser. Il adressa un sourire à Bellatrix, sincèrement heureux qu'elle ne soit pas blessée - ce qui ne voulait pas dire que son cauchemar ait été une partie de plaisir, évidemment - puis s'apprêta à rejoindre la chambre de l'angelot. Avec un peu de chances, il pourraient à discuter à loisir, loin des oreilles indiscrètes...

Benoît avait lui aussi été soulagé de voir Bellatrix apparemment saine et sauve mais maintenant que la prime urgence de reformer leur groupe avait été réalisée, le gamin n’avait plus envie que de se mettre à l’abri. Il craignait trop d’être à nouveau séparé de ses amis et alliés pour être renvoyé dans la chambre au corbeau y affronter son horrible cauchemar. Il suivit Piotr avec plaisir vers la chambre familière de l’angelot et son paradis qui permettrait de parler à l’abri de l’atroce mégère qui les avaient séparés et punis pour la bévue commise par Christophe. Lui aussi avait des choses qu’il souhaitait partager avec ses camarades pour s’en libérer comme pour en tirer le meilleur parti.

Bellatrix avait ouvert les yeux en entendant les garçons parler. Elle était plutôt calme. Et un peu embêtée. Elle avait laissé le rouquin à la porte de chez la sorcière. Elle espéra qu'il avait eu la présence de s'enfuir. Dans tous les cas, elle l'espérait, elle ne reviendrait pas chez la vielle. Elle devait sûrement ne pas être contente et devrait se contenter de légumes. Elle regarda ses compagnons tour à tour. Piotr avait des marques de griffures, les deux autres avaient l'air effrayé.

Elle voulut détendre l’atmosphère. Se relevant tout d'un coup sur les coudes, elle cria.

"Bouh."

Prêt à rejoindre leur refuge, observant les environs avec anxiété, Pierre ne vit pas venir le coup : après avoir violemment sursauté, il pivota vivement, son épée déjà à demi tirée... Lorsqu'il comprit ce qui s'était passé, il faillit protester, s'indigner. Il parvint cependant à s'en abstenir : la petite fille n'était pour rien dans ce qui leur était arrivé, elle n'avait donc ni à endurer sa colère, ni à payer les pots cassés.

-C'est chouette, ton cauchemar t'a pas enlevé l'envie de faire des blagues, fit-il d'une voix qui manquait un peu d'intonation.

Pourtant, le gamin s'était montré sincère : il était heureux que Bellatrix ne soit pas aussi éprouvée que lui. Malheureusement, l'heure était grave et ils ne pouvaient se permettre de perdre du temps.

-Par contre, faut vraiment qu'on aille dans la chambre de l'angelot et qu'on s'y enferme pour discuter, ajouta-t-il.

Puis, pour lancer le mouvement, il prit les devants.

Benny ne goutait pas l’humour qu’il jugeait plutôt déplacé en cet instant même si Bellatrix n’avait probablement cherché qu’à détendre l’atmosphère à sa manière. Plutôt que de reprocher à la petite fille d’avoir sursauté, il préféra suivre Piotr et son idée de gagner un abri au plus vite. Chaque seconde qu’ils passaient dans le couloir était un instant à risquer que Morticia se rende compte de leur évasion.

- Allons-y ! Il faut qu’on partage ce que l’on a appris pour s’enfuir de cet endroit affreux.

Il suivit le mouvement et s'engouffra dans la chambre de l'angelot pour y poser sa boîte à outils et Tony sur un des deux lits avant de s'asseoir à côté. Puis il se releva et entreprit de réaménager un piège comme il l'avait fait auparavant, avec un tiroir et des livres : Morticia avait tout rangé... heureusement, il avait encore assez de ficelle pour s'organiser comme il le fallait.

"Qui commence ?" Pas besoin de préciser quoi.

Bellatrix n'était pas vraiment éprouvée par son souvenir. Elle pensait seulement un peu au rouquin et au village de Nulpart. Aussi, prit-elle la parole sans grande difficulté.

"En fait, j'ai pas appris grand chose. C'est juste que la sorcière m'a donné un pouvoir : celui de transformer quelqu'un. Par contre, je sais pas s'il marche, et puis comment il marche ... ça commence à faire beaucoup, je sais."

Elle rougit jusqu'aux oreilles.

La révélation de Bellatrix fit frissonner Pierre, qui se tenait debout, tout près des autres. Ainsi pouvaient-ils parler à voix basse, si bien que personne ne parviendrait à les entendre, même en collant une oreille contre la porte.

-Est-ce... Est-ce qu'elle t'a demandé quelque chose ? En échange du pouvoir, je veux dire ? s'enquit-il sans tenter de dissimuler son inquiétude.

La sorcière avait-elle proposé à Bellatrix un pacte semblable à celui qu'avait tenté de lui imposer le diablotin ? Un pacte que la petite fille aurait accepté ? Il avait bien du mal à le croire, mais...

Bellatrix hésita un petit peu puis se lança.

"Elle voulait que je lui ramène un autre enfant. Moi, je voulais utiliser le pouvoir contre elle alors, je lui ai dit oui. Parce que sinon, elle voulait me manger. Je pensais qu'à deux, on serait plus fort. Mais le rouquin s'est moqué de moi. La sorcière est restée cachée. Et je me suis réveillée. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé."

Elle s'en voulait, à présent. Il était peut-être bête mais ne méritait pas de se faire manger.

Benoît était horrifié par ce qu’il avait cru comprendre mais il voulait laisser le bénéfice du doute à la petite fille. Toutefois, il intervint un peu plus brusquement qu’il ne l’aurait voulu :

- Mais tu n’as tout de même pas aidé la sorcière ? Moi j’ai résisté à Grincevoix, le maître des corbeaux et il a voulu me faire déchiqueter par sa nuée d’amis. Puis il a tout brûlé dans la bibliothèque quand j’ai fait semblant de sceller un pacte avec lui en dessinant son symbole et que je l’ai blessé avec un signe magique. Il me menaçait d’appeler le Voleur d’âme ou le Maître des limbes ou un truc du genre alors je suis allé chercher le livre. Et tiens, je l’ai ici.

Le discours était parfaitement décousu et le gamin en avait conscience mais il exhiba le livre à la couverture brûlée comme si cela pouvait éclaircir tous ses propos.

Il ne comprenait rien du tout. Il ne savait pas ce qu'était qu'une limbe, et n'avait qu'une très vague idée du concept d'âme... et comme il n'avait pas vécu les rêves de ses camarades, il estima normal de ne pas pouvoir comprendre pleinement ce qu'ils avaient vécu. Il résuma son rêve assez succinctement.

"Moi, j'étais poursuivi par des fantômes méchants. Et la Mort. Y a deux fantômes gentils qui m'ont aidé : une petite fille qui m'a donné son ours pour me guider. Elle m'a dit qu'elle connaissait la dame blanche, et qu'elle était gentille. Et elle, en voulant partir du domaine des divorcés" il frissonna "elle s'est faite tuer. Sa tombe est quelque part dehors et je dois déposer son ours dessus. Il y a des fleurs blanches sur la tombe..." il eut le cœur serré en évoquant Sophie, qui lui avait probablement sauvé la vie. "Et j'ai vu le monsieur de la voiture, qui était rentrée dans le car. Il est mort, lui aussi. En venant ici."

Ses paroles avaient une consonance morbide tandis qu'il les prononçait. Plaisantait-il ?

Le petit garçon était demeuré quelques instants à fixer Bellatrix, les yeux ronds. Il comprenait son attitude : n'avait-il pas, lui aussi, essayé de jouer au plus mâlin avec le diablotin ? Il espérait seulement que dire "oui" à une sorcière, même en pensant la tromper, n'avait pas les mêmes conséquences que le faire face à un démon...

Lorsque Benny intervint, il se reprit et l'écouta avec soin. Son récit devait contenir des informations importantes, mais il ne parvenait pas encore à mettre le doigt dessus. Seuls les noms le faisaient réfléchir : celui du Seigneur des Limbes rappelait le livre que son copain avait voulu récupérer dans la bibliothèque et qu'il avait probablement ramené de son rêve ; quant à celui du voleur d'âme, il expliquait sans nul doute ce qu'on voulait leur prendre... Il prêta également une oreille attentive à l'histoire de Christophe, laquelle montrait assez le sinistre sort qui les attendait, qu'ils demeurent dans le château ou qu'ils tentent de fuir... Il avait la vague impression que les pièces du puzzle commençaient à s'assembler. Peut-être le volume à la couverture partiellement calcinée leur en apprendrait davantage ?

Toutefois, le moment était venu de parler de son propre cauchemar. Il choisit de le faire en éludant les épreuves qu'il avait subies, préférant mettre l'accent sur les révélations dont s'était fendu son tourmenteur :

-Le diablotin, il voulait deux trucs. S'amuser avec moi, comme si j'étais son jouet, et m'obliger à faire une promesse. Et quand il a compris que j'obéirai pas et que je promettrai rien, ben... Il a inventé un nouveau jeu. Moi j'étais la souris et lui le chat. Enfin les chats... Mais avant ça, j'avais fait semblant que je l'aimais bien et tout, pour gagner du temps, pour le faire parler... Ça a un peu marché et il m'a dit des trucs intéressants... Déjà, c'était un enfant, avant. Et il a dit qu'il en avait sauvé d'autres. J'pense qu'il parlait de ceux qu'ont accepté son marché. Peut-être qu'ils sont devenu les autres monstres qu'on voit en statue ? Oh, d'ailleurs, les statues... Quand on est dans un rêve, on peut aller dans un autre en les utilisant. Enfin, sauf si elles sont cassées, parce que là il faut d'abord les recoller... Et ici, les statues, elles peuvent devenir vraies et aller où elles veulent quand elles veulent. Juste les méchantes, malheureusement... Pour pas qu'on voit qu'elles sont parties, elles mettent à leur place d'autres statues, toutes légères, qui sont cachées dans la salle des déguisements... En fait, ce sont tous les monstres qui s'occupent du château : du ménage, des repas... Bref, faut qu'on fasse très très attention, parce qu'on peut être attaqués ici aussi. J'crois que le diablotin, il m'en veut à mort, par exemple... Ah, et... Si je faisais la promesse qu'il voulait, il m'aurait dit des choses sur la salle toute blanche que j'ai vue dans mes visions... Avec nous dedans. Peut-être qu'en fait, ce qu'il y a dedans, c'est nos âmes ? Et peut-être qu'il faut qu'on aille les libérer ?

Il s'interrompit pour reprendre son souffle. Il pensait avoir tout dit, sans en être vraiment certain...

Tout ça, c'était assez bizarre. Franchement bizarre. Elle comprenait par bribes. Les statues, leurs âmes ... Mais elle pensait surtout au rouquin. Avait-elle passé un pacte ? Elle ne s'en souvenait plus. Mais elle se sentait méchante, très méchante. Une véritable petite sorcière. La vieille devait en rire. Parce que, quelque part, elle avait fait ce qu'elle voulait.

"J'ai pas vraiment passé de pacte. Je sais pas, en fait. Mais l'imbécile de roux est toujours là bas. C'est un autre enfant. Il dit qu'il vient d'un village. Et ça, je comprends pas. Mais il peut se faire manger si on ne l'aide pas."

Elle avait tout d'un coup envie de pleurer.

Benoît était plus doué pour écouter que pour raconter les histoires aussi s’efforça-t-il de se montrer attentif aux récits de ses camarades. L’histoire de Cricri était triste et effrayante et rendait patente la menace funeste qui les attendait en cas d’imprudence. Ainsi donc ils avaient fui le seul homme qui avait cherché à les aider jusque-là et cela ? Et la mort de la petite fille ne venait que confirmer leurs soupçons sur ce qui était arrivé des autres petites victimes. Benoît n’osait même pas s’imaginer prendre la place d’un petit fantôme, condamné pour l’éternité et privé de sa maman et de son papa. Le récit de Piotr contenait quelques informations qu’ils pouvaient peut être mettre à profit et celui de Bellatrix l’émut aux larmes tant l’angoisse d’avoir peut être mal agi était patente chez la fillette. Benny reprit donc la parole :

- Maintenant qu’on sait qu’on peut voyager grâce aux statues et que les méchants en tirent de la force, on pourrait je sais pas, briser les plus méchantes ou alors aller tous ensemble dans un cauchemar en se préparant comme il faut pour affronter les monstres et les forcer à révéler la vérité. Ils ont forcément un point faible et tous ensemble on est bien plus fort, non ?

Ce ne fut qu’après coup que Benoît réalisa qu’il avait ouvert Les Limbes. L’ouvrage était gros, au moins trois-cents pages. Il s’était rendu, par hasard, vers le milieu, 158, 159.

Pour Benoît :

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Benoît avait à peine fini de parler qu’il se rendit compte qu’il avait ouvert son ouvrage machinalement comme pour se réfugier inconsciemment dans son monde. Il s’était ensuite mis à le lire comme par réflexe, à l’instar d’un boulimique placé devant une part de gâteau au chocolat et qui se met à le dévorer avant même de se rendre compte d’avoir ouvert la bouche. Le gamin n’avait pas non plus commencé par le début comme à son habitude et le hasard l’avait mené à peu près au milieu du livre. Pourtant, la signification du texte ne lui échappa pas et s’inscrit immédiatement dans sa mémoire. Après avoir relu une fois le paragraphe pour vérifier qu’il ne rêvait pas, il se mit à faire des bons de joie et s’expliqua aussitôt auprès de ses camarades :

- Je le savais ! Regardez ! C’est expliqué ici comment on peut sortir de cet endroit. Mais il y a aussi un avertissement : il faut d’abord qu’on aille chercher nos âmes comme l’a suggéré Piotr !

Surexcité, le gamin montra le passage à ce dernier dont il connaissait sa propension partagée à la lecture.
Pour Pierre :

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Les sourcils froncés sous le coup de la concentration, Pierre relut deux fois le texte pour tenter de le comprendre : pour lui qui était habitué aux histoires et non aux rituels magiques, contrairement à son copain, la chose était rien moins qu'évidente. Toutefois, lorsqu'il finit par rendre l'ouvrage à Benoit, il lui semblait avoir retenu quelques éléments utiles.

-T'as raison, on doit d'abord aller dans la salle toute blanche pour récupérer nos âmes. A mon avis, elle est à la cave... Après, j'crois qu'il faudra qu'on retourne dans le car, parce que c'est avec lui qu'on est venus dans, heu... dans les Limbes. Par contre, je vois pas comment on peut... heu... "modifier symboliquement la cause de l'arrivée", je crois que c'est écrit. Ou un truc comme ça. C'est à cause de l'accident qu'on est là. Mais comment on fait pour changer ça ? Faut déplacer la voiture du monsieur ? Ou retrouver son fantôme ? Parce que... Y a pas de papier où on peut écrire autre ch...

Il s'interrompit brutalement puis claqua des doigts avec enthousiasme : une idée venait de lui traverser l'esprit.

-Si, en fait, il y en a, des papiers ! Vous savez, les autorisations que madame Pougon elle a ramassées avant qu'on parte... On pourrait écrire dessus qu'on allait pas en classe de neige mais... Je sais pas, à la plage, par exemple ! Comme ça, ça voudrait dire qu'on a pris une autre route et que l'accident il a pas eu lieu. Ou alors on met qu'on avait pas le droit de venir, donc qu'on pouvait pas monter dans le car ! Bref, faut juste qu'on trouve ces papiers ! Enfin, si on peut...

Le sourire qui avait un instant illuminé son visage se volatilisa aussitôt. Où ces documents pouvaient-ils bien être ? Dans le sac de la maîtresse, sans doute, mais celui-ci n'était-il pas demeuré dans la réalité ? Il n'en avait aperçu aucune trace dans le car, en tout cas... Commençant à craindre que ce qu'il avait considéré comme la solution à tous leurs problèmes ne se révèle en fin de compte qu'une vaine illusion, le gamin se sentit gagné par le découragement. Et à cela vint s'ajouter un autre élément déprimant auquel il repensa tout à coup :

-Mais avant tout ça... Est-ce qu'on doit pas aller dans le cauchemar de la sorcière pour empêcher l'autre enfant d'être mangé ? Parce que si ça arrive...

Il n'acheva pas sa phrase. La seule idée que Bellatrix soit condamnée pour avoir passé un pacte avec le monstre l'horrifiait. Il souhaitait à toute force empêcher cela, si tant est qu'il en ait les moyens. Il voulait aussi épargner au garçon un destin si terrible : comment réfléchir posément ou rester les bras croisés tandis qu'un innocent était peut-être sur le point de finir dans une marmite ?

"Euh. Ouais. Faut qu'on l'aide, tu as raison. Et ensuite, on verra pour ce truc. J'ai pas tout compris à ce que vous disiez... mais je veux bien essayer. Mais... si on doit retourner au car, je sais pas si on pourra, avec le froid et les corbeaux et la nuit..."

Tout compte fait, ça faisait beaucoup d'obstacles pour un résultat improbable. Mais ils n'avaient pas vraiment le choix. Si ?

Bellatrix hocha la tête et remercia Piotr avec un sourire.

"Oui, je crois qu'il faut sauver le garçon de la sorcière. Parce que je crois que ce que j'ai fait est pas bien. Même si je ne savais pas vraiment ce que je faisais. Elle voulait me mettre dans la marmite avec les patates que je l'avais aidée à découper. ça lui fera une surprise si on revient. Parce qu'ensemble, on est plus forts."

Elle espéra seulement qu'il n'était pas trop tard.

Benoît était enthousiaste à l’idée de rendre la monnaie de leur pièce aux méchants même si se rendre chez la sorcière lui faisait peur. Il n’y avait pourtant que très peu de temps à perdre aussi fallait-il se préparer au plus vite. Il emporterait son grimoire et ses craies pour dessiner les symboles bien entendu mais savoir ce qui les attendait là-bas ne serait pas superflu :

- Il nous faudrait peut être un plan. A quoi on doit s’attendre chez la sorcère, Bellatrix ? Ça ressemble à quoi son rêve ?

"Ben, y a d'abord un chemin tout moche et plein de gadoue qui arrive là-bas. La sorcière est venue me chercher en charrette mais c'est parce qu'elle est vieille. C'est presque tout droit, ça, je me connais. Y a qu'un seul chemin. Bon, ça fait un peu peur mais ça sera mieux si on est tous ensemble. Et la sorcière, elle a une vielle maison toute moche. Par contre, il faut faire attention parce qu'elle a des grands couteaux. Et puis qu'elle a faim."

Elle marqua une pause.

"Quand je suis revenue, elle avait fermé sa porte."

Maintenant, elle semblait contente. La vielle n'avait qu'à bien se tenir.

Pierre n'avait guère envie de plonger dans un nouveau cauchemar, d'autant qu'il n'était pas encore remis du précédent et que, s'ils voulaient pouvoir quitter ce lieu affreux, ils devaient se hâter. Toutefois, il n'imaginait pas agir autrement. Courir le risque que Bellatrix perde son âme et laisser un gamin se faire dévorer ? Hors de question !

-Bon, faudra qu'on protège la chambre comme on a fait cette nuit, dit-il. Pis une fois là-bas, ben... Pourquoi on imaginerait pas un plan pour tromper la sorcière ? Par exemple, Bellatrix, tu pourrais lui dire que tu lui as amené tout plein d'enfants pour son repas... Si ça marche, elle se méfiera pas, et on pourra l'attaquer par surprise. Ou plutôt aider le garçon à s'échapper. Enfin, s'il est entré dans la maison. J'espère qu'il l'a pas fait...

Il vérifia qu'il portait toujours son épée et qu'Archimède se trouvait bien dans la poche intérieure de son manteau. Puis il reprit :

-Faut qu'on se dépêche, par contre. Parce qu'ils vont bientôt remarqué qu'on est plus dans les chambres où on devrait...

Une fois qu'il se furent réfugié dans la chambre à l'effigie de la sorcière, Benny s'empressa d'appliquer les recommandations sensées de Piotr. Il commença par dessiner soigneusement le symbole qui l’avait tant aidé dans son propre cauchemar sur la porte et sur les volets. Il glissa une craie dans sa poche et en garderait une autre en main. Tout comme son grimoire pour être bien certain de l’emporter avec lui cette fois. Le livre dont il s’était emparé dans la bibliothèque, il le glissa dans sa ceinture en espérant aussi le conserver car il n’avait pas encore eu le temps de recopier le sortilège et espérait encore en trouver d’autres utiles. Si tous ces objets passaient dans le rêve, il serait toujours temps de mieux les dissimuler pour tromper la sorcière.

La Couronne de Cuivre

[SCSA] Sans Chaleur, Sans Avenir