[Quête] Un vieux temple et beaucoup de sable

[Galathée]

Cette fois, la ruse ne prit pas. Au moment où la jeune fille feignait de baisser sa garde, l'homme se fendit d'un coup violent, droit devant lui, écartant sa lame et la touchant à l'épaule. Claris sentit la pointe de l'épée glisser sur l'os de son bras et une douleur fulgurante lui traversa la poitrine, l'embrasant de la main au cou, tandis qu'un flot écarlate jaillissait sur sa tunique sale et froissée.
" Alors, tu cèdes ? demanda l'homme en baissant un moment sa propre arme. Je n'ai pas spécialement envie de te tuer, mais je le ferai si tu m'y obliges."
Les doigts de la jeune femme lui parurent comme engourdis : c'était un miracle qu'elle parvienne encore à garder sa prise sur le manche de son épée.

[Claris de Corvimande]

Claris hurla.

Le combat était perdu d'avance, malgré ses tentatives de se convaincre du contraire ; la sagesse aurait sans doute été de rendre les armes plus tôt. Encore aurait-il fallu que le qualificatif de « sage » puisse lui correspondre…

L'enfant de Reuel tenta, sans même savoir si son corps lui obéissait encore, de frapper un dernier coup, pour ne pas céder sans avoir causé ne serait-ce qu'une petite éraflure à son adversaire… puis s'effondra, la main crispée sur la poignée de son arme.

Son corps replié sur lui-même, Claris ne bougeait plus ; n'émettait plus un son. Qu'il tue, à présent. Son âme était prête. Jergal…

[Galathée]

Mais l'inconnu ne lui fit pas ce plaisir. Il se pencha derrière elle, plongea la main au creux de son corps replié jusqu'à atteindre ses doigts crispés sur son arme, et les lui desserra, sans brutalité, mais sans réelle douceur. La douleur était telle dans son bras qu'elle ne put rien faire pour l'en empêcher et il la força à lâcher l'épée, qu'il dégagea ensuite de son étreinte.
" C'est déjà une chose, commenta-t-il. Tu mériterais que je te tue sur place, mais je ne sais pas ce qui vient après cette île et si ça se trouve, tu pourras m'être utile."
Il la cala ensuite entre ses jambes, profitant de sa relative inertie pour la maîtriser d'un genou, et lui déplia la main pour s'emparer de l'anneau qui contrôlait Gérold.

[Claris de Corvimande]

Claris se laissa faire. Ne lutta pas. Quel intérêt ? Gérold était mourant. Ils l'étaient tous deux. L'anneau ne permettrait sans doute pas de contrôler son cadavre.
L'homme avait… gagné. Pas même une blessure. Et trop cruel pour l'achever tout de suite.

Quelle folie avait prit l'enfant de Reuel de s'engager ainsi à l'aventure, sans expérience ni préparation ? Faire ses preuves… la seule chose qui était à prouver était son inaptitude ; et la preuve en était faite.
C'était déjà un miracle que la créature de la tour n'ait pas été présente. Un miracle que les chiens n'aient pas dépisté son odeur. Un miracle que les serpents ne les aient pas tués. Un miracle que les trois brigands soient morts – Sissi y était pour beaucoup. Un miracle que les épreuves précédentes aient put être franchies. Un miracle que cinq hommes armés n'aient pas bronché à ses bravades. Les miracles ne pouvaient pas s'enchaîner ainsi indéfiniment.
Qu'avait été Claris, dans tout cela ? Sa force, son adresse n'étaient rien. Tymora avait voulu s'amuser un moment, voilà tout ; jouer à faire s'enchaîner les événements en lui donnant l'illusion de les contrôler. Puis la déesse s'était lassée, et s'était détournée, laissant sa chance insolente se volatiliser.

L'enfant de Reuel ne bougeait plus. Ce n'était même pas la douleur qui l'en empêchait. C'était seulement la perte de toute volonté.

[Galathée]

L'homme s'était désormais éloigné, ses pas crissant sur le sable. Pendant un moment, elle n'entendit plus rien, de toute façon, elle ne prêtait plus la moindre attention à son environnement. Puis, une éternité plus tard, une main froide se posa sur son épaule indemne.
" Retourne-la." dit la voix de l'homme, quelque part sur sa droite.
Le corps inerte de la jeune Mélandienne bascula sur le dos et Gérold s'encadra dans son champ de vision. Il lui décocha un sourire embarrassé.
" Fais-la boire, maintenant. La moitié suffira."
Le nécromancien tenait une petite fiole sombre et il la glissa entre les lèvres de la jeune femme, lui inclinant la nuque pour l'aider à déglutir.

[Claris de Corvimande]

Claris se laissait faire, sans volonté ; son insouciance, son impression que la mort elle-même était son alliée, s'étaient envolées. Plus encore que le fait de ne pas avoir battu l'homme, c'était celui de n'avoir pas reçu le coup de grâce qui lui pesait : comme si Jergal lui-même lui avait refusé ce réconfort ; lui infligeait la punition de devoir vivre avec cet échec.

L'homme était trop puissant ; rien ne pourrait être tenté contre lui. N'avait-il pas, déjà, vaincu la mort elle-même en rejaillissant des flots ? Même en survivant, il n'y avait aucune chance de parvenir à le tuer. Alors à quoi bon ?

Gérold, obéissant comme il ne pouvait que l'être, lui fit boire de ce qui devait être… certainement pas un poison. Sans doute une potion de soin assez forte pour l'avoir, lui, remis sur pied. Cela signifierait que la douleur s'apaiserait, que la blessure physique se refermerait.
Ne resterait alors que la blessure, oh combien plus grave, à sa fierté.

L'enfant de Reuel sentait que les larmes n'allaient pas tarder lui monter aux yeux…

…mais ne commence pas encore à pleurer

[Galathée]

La potion agit comme Claris l'avait deviné, refermant sa blessure sous l'étoffe déchirée de sa tunique. Elle conserva cependant une douleur diffuse sous la clavicule : la mixture n'était pas suffisamment puissante pour en enlever toute trace. C'était même probablement l'intention de l'étranger, qui voulait s'assurer qu'elle resterait tranquille. Elle pourrait sans doute porter quelque chose de léger, mais n'aurait probablement pas la dextérité requise pour manier son arme. Celle-ci avait de toute façon disparu.
Gérold lui adressa une petite grimace inquiète. Son teint avait repris une légère teinte rosée, même si les veines de son visage conservaient une couleur vaguement verdâtre. Ses gestes étaient mal assurés mais il ne semblait plus avoir réellement peur. Sans doute avait-il fini par se résigner.
" Aide-la à se lever."
Le nécromancien glissa un bras sous les épaules de la jeune fille et la redressa.
" Je ne t'attache pas pour l'instant, mais si j'ai l'impression que tu vas me rejouer ton spectacle, je te préviens que je n'hésiterai pas. Je pourrais même décider de te balancer à la flotte. Maintenant, par ici, les enfants..."
Il leur désigna le sommet de la butte, à quelques pas, et la statue mutilée.

[Claris de Corvimande]

Claris ravala ses larmes par réflexe. De façon assez surprenante, sa fierté ne s'était pas entièrement envolée. Perdre le combat était une chose, et il allait lui falloir apprendre à faire face à ses propres faiblesses ; mais il était hors de question de donner à l'homme plus de raisons de l'appeler “fillette”.
Un passage d'un vieux livre⁽¹⁾ lui revint en mémoire, déclarant que si l'on s'empêchait de pleurer, les larmes gelaient à l'intérieur, et c'est ce qui faisait les cœurs de pierre. Pour l'heure, cela lui convenait parfaitement.

« Tu aurais mieux fait de me tuer. »

Pour la première fois depuis sa rencontre avec l'homme désormais sans masque, il n'y avait pas de défi, pas de bravade dans sa voix. Juste un ton résigné, désespéré. Plus d'épée, et la douleur résiduelle l'empêcherait sans doute d'en manier une un certain temps. Le fauve avait perdu ses griffes… du moins, en apparence.
Les deux dagues familières étaient toujours à ses poignets, et une sorte de feu intérieur recommençait à renaître de ses cendres : quelque part, Claris commençait à comprendre que la responsabilité de sa défaite n'était pas due à la force de cet homme, mais à son attitude.
L'enfant de Reuel n'avait pas la puissance magique de son père ; ni la force et la discipline de son oncle, et se comporter comme si cela était le cas avait été une erreur. Et quand la force était insuffisante, il fallait parfois compter sur la ruse.
Faire preuve de patience, comme la mort elle-même était patiente : à la fin, elle obtenait toujours son dû. Même les dieux finissaient par mourir – Manost l'avait apprit à ses dépends.
Claris devait convaincre l'homme qu'il n'avait plus aucune raison de se méfier. Pour frapper au moment où il s'y attendrait le moins.

HRP : (1) Tistou les pouces verts, pour ceux que ça intéresse.

[Galathée]

" Je sens que je vais le regretter, dit-il, avec un léger rire. Mais je peux te bâillonner, aussi, si tu y tiens vraiment. Je m'en voudrais de molester une gamine de ton âge, ce n'est pas très digne. Mais bon, comme tu l'auras sans doute remarqué, ce n'est pas vraiment mon souci principal."
Il haussa les épaules.
" Arrête de la peloter, maintenant, Gérold. Va mettre ta main dans cette foutue empreinte, histoire qu'on bouge. Et si ça ne marche pas, c'est que tu dois t'inciser la paume. Je peux le faire si tu as peur de te faire mal."
Le nécromancien lâcha la jeune fille, manifestement à son corps défendant, et s'agenouilla devant le socle. Il posa la main sur la trace sale, mais rien ne se passa. Avec un soupir, il se servit de l'ongle de sa main gauche pour entailler la droite, une grimace d'épouvante déformant ses traits tandis que ses gestes lui échappaient. La vision fit sourire l'inconnu, puis il se tourna vers Claris.
" Mais ne t'en fais pas, fillette. Avec toutes les infâmes menaces de mort atroce que tu as fait peser sur ma tête, je ne pourrai sûrement pas te laisser sortir d'ici vivante. Je gage que ton père aura plus de mal à me retrouver si tu ne peux pas aller pleurer dans ses jupes et lui donner ma description."

[Claris de Corvimande]

Conserver les prisonniers en vie, au cas où, tant que le temple leur réservait encore ses pièges, puis les mettre à mort en ressortant, s'ils n'avaient pas encore “servi” d'ici-là. Oui, c'est très exactement ce que Claris aurait fait, si les rôles avaient été inversés.

Pour l'heure, sa bouche demeurait close, et sa tête basse. Tout dans son attitude indiquait que sa combativité n'était plus qu'un souvenir. Les actes de Gérold ouvriraient-ils un passage ? Comment l'homme réagirait-il, si ce n'était pas le cas ? Et si ça l'était… qu'y aurait-il plus loin ? Pour l'heure, il n'y avait pas grand chose de plus à faire qu'attendre…

[Galathée]

Au moment où Gérold posa sa main ensanglantée sur l'empreinte, il y eut un grincement, puis le sable commença à trembler autour d'eux et un escalier se creusa à partir de la statue, pénétrant à l'intérieur même de l'îlot, jusqu'à une arche en contrebas. Au delà, un couloir faiblement éclairé se devinait, plongeant vers une destination encore invisible.
" Le sang d'Osiris, ma belle, ne te l'avais-je pas dit ? Tu passes devant."
Il l'attrapa par son bras valide et la poussa, lui effleurant les reins de sa lame.
" Gérold, fais-la avancer si elle rechigne. N'hésite pas à brusquer si nécessaire."

[Claris de Corvimande]

Mais Gérold n'eut pas à se donner cette peine. Tressaillant au contact de la lame, Claris s'avança, comme demandé.
Était-ce en faire trop ? Se montrer docile, obéir… c'était quelque chose de tout à fait nouveau, et l'enfant de Reuel était loin d'avoir la certitude absolue que sa façon de faire était réaliste.

Mais, il fallait bien tenter. Claris s'engagea donc dans cet escalier. Sur ses gardes, car ouvrir la marche sans arme et sans être en état de se battre n'était sans doute pas la position la plus rassurante ; mais, néanmoins, avec un certain enthousiasme. L'on touchait au but. Qu'y avait-il, exactement, en bas ? Sa curiosité grandissait…

[Galathée]

Gérold s'engagea dans l'escalier derrière elle, puis leur geôlier et ils pénétrèrent rapidement dans le couloir au-delà de l'arche. Ses parois semblaient faites de sable et sur le point de s'effriter et une lumière en baignait le fond, de plus en plus forte, tandis que la chaleur augmentait elle aussi. Puis le sable céda le pas devant la roche, l'air était sec, les vêtements mouillés des trois compagnons séchèrent sur leur corps, puis s'humidifièrent à nouveau comme la sueur remplaçait l'eau noire du lac. Il faisait désormais suffoquant et Gérold fut pris d'une quinte de toux que l'étranger réprima d'une violente tape dans le dos. Déséquilibré, le nécromancien heurta la jeune fille dans le dos, l'amenant à poser la main sur la pierre brûlante des parois du couloir. Sous son pied nu, la température demeurait tolérable. Elle avança encore, en dépit de la fournaise qui promettait de l'accueillir tôt ou tard, et finit par discerner le bout du tunnel.
Elle déboucha sur une corniche surplombant un torrent de lave. A première vue, il n'y avait nul passage pour le franchir et le chemin qui semblait continuer, si ce n'était pas un leurre cette fois, se trouvait plusieurs mètres en contrebas, de l'autre côté. De temps en temps, une langue de feu aveuglante s'arrachait à la masse en mouvement et jaillissait dans les airs, avant de retomber en flaques brûlantes et continuer son chemin dans le ventre de la terre.

[Claris de Corvimande]

Si Claris avait eu deux sous de jugeotte, les quelques vêtements demeurés sur les squelettes, à l'étage, auraient rapidement constitué un substitut de botte acceptable ; mais le sable, du moins hors du désert, était trop agréable pour les pieds pour songer que le sol, plus loin, ne le serait pas autant.
Il était désormais trop tard ; et s'arrêter ici n'aurait guère été rassurant. Serrant les dents, et tâchant d'éviter les parois – et, si possible, les pertes d'équilibre de ses compagnon –, l'enfant de Reuel tenta de progresser tant bien que mal, appuyant autant que possible sur son pied chaussé.
Marcher pieds nus sur des charbons ardents était tout à fait faisable, même sans recourir à la magie.

Cela n'empêchait cependant pas le décor d'être devenu assez… particulier. Très intéressant, d'ailleurs. Mais qui ne donnait guère envie de s'attarder pour l'admirer, malgré tout.
Faute d'instructions particulières, Claris continua à marcher. Plus vite ils seraient arrivés au bout de ce chemin, plus vite l'on pourrait savoir ce que renfermait le cœur de ce temple, et sa curiosité commençait à se faire impatiente.
Cependant… une occasion de pousser l'homme dans la lave n'aurait pas été de refus. Ça, au moins, il en réchapperait plus difficilement.

[Galathée]

Mais elle ne put progresser très longtemps car la corniche s'interrompit brutalement et il n'y eut plus trace du moindre passage. Juste la lave en-dessous, des parois escarpées autour d'eux, disparaissant dans la nuit.
" Hum, fit l'homme. Faut-il à nouveau prendre un bain ? Qu'en penses-tu, de Corvimande ?"
Claris sentit Gérold juste derrière elle.
" Comme c'est charmant, le petit nécromancien qui veut protéger la demoiselle en détresse. Je ne suis pas certain qu'elle apprécie, Gérold, mon garçon, je crois que tu n'as pas bien compris à qui tu avais affaire..."
Pour l'heure, il se tenait à bonne distance du bord de la corniche, ce n'était pas le moment opportun pour le pousser.

[Claris de Corvimande]

Gérold était, dans l'immédiat, le cadet de ses soucis ; il était bien plus facile de le chasser, lui, de ses pensées que de cesser de ruminer la défaite.

La bouche de Claris resta close. Sa voix était plus apte aux railleries qu'à quoi que ce soit d'autre, et se taire était encore le meilleur moyen de ne pas commettre d'impair. Cela accentuait, sans doute, l'aspect traumatisé que l'enfant de Reuel affectait de se donner – et qui n'était feint que depuis que la force lui était revenue de ravaler ses larmes.

L'homme, bien sûr, ne s'approchait pas ; il se méfiait encore. Mais ça ne durerait pas. À un moment ou à un autre, il finirait par baisser sa garde. Tout le monde le faisait ; même les dieux pouvaient en mourir. Si puissant qu'il soit, il n'échapperait pas à la règle. Le tout était d'attendre son heure… c'est encore cet espoir qui lui servait de motivation première pour guider ses gestes.

Mais, tout en ne parlant pas, Claris réfléchissait. Aux épreuves prévues et subies jusqu'ici, il en manquait une dernière – la troisième épreuve de la lumière. Sans doute y étaient-ils parvenus. Et l'homme semblait n'avoir strictement aucune idée de ce qu'il fallait faire – le garder en vie, s'il avait perdu le combat, n'aurait donc pas été utile. Mais il ne l'avait pas perdu. Et mieux valait pour l'instant arrêter de penser à cela.

Claris pourrait, sans doute, le laisser se débrouiller ; il voulait diriger, après tout, qu'il assume. Cependant… il y aurait tout de même une sorte de satisfaction personnelle à trouver ce qu'il fallait faire avant lui. À le battre au moins par l'esprit. Mais, pour l'heure, les idées lui manquaient également.
Sa tête demeurait penchée, mais ses yeux fouillaient les alentours, à la recherche d'un indice sur ce qu'il faudrait faire…

[Galathée]

L'homme prit sa décision très rapidement.
" Bon, rien ne sert de tergiverser... dit-il. Gérold, pousse-la dedans.
— Non...
— Ce n'était pas une suggestion, c'était un ordre."
Claris vit clairement l'horreur se peindre sur le visage du nécromancien, et la lutte qu'il engagea contre le collier qui l'asservissait. Le serpent autour de sa gorge se resserra, le faisant suffoquer, et il glissa sur un genou.

[Claris de Corvimande]

Évidemment…

L'avantage, à garder la tête bassé, était que cela permettait de regarder vers le bas. Et donc, en l'occurrence, de remarquer dans la paroi une prise tout à fait acceptable, auquel il lui serait possible de se suspendre. Claris n'avait qu'une seule main valide, mais c'était tout de même une, et il lui semblait que cela suffirait.

L'enfant de Reuel se retourna.

« Ça ne servira à rien, de toute façon. »

Son ton semblait aussi résigné que désespéré. Dans la pénombre des lieux, l'homme n'avait certainement pas pu remarquer son clin d'œil… mais Gérold, sans doute. Cela suffirait-il à ce qu'il cesse de lutter, pour s'éviter des souffrances inutiles, et qu'il obéisse à l'ordre, quoique sans y mettre grande force ?
Le plan de Claris était simple, du moins à court terme : attendre cette poussée, ou tout autre moyen qui contraindrait à reculer ; se rattraper à cette prise, et se dissimuler ensuite contre la paroi, aussi hors de vue que possible.
Ensuite ? Eh bien, l'on aviserait.

[Galathée]

Si Gérold remarqua le clin d'oeil, il ne parut pas en comprendre le sens. Mais il finit par se redresser et s'approcher d'elle et sans qu'il puisse le contrôler, son bras gauche la bouscula, lui offrant le prétexte qu'elle avait attendu pour sauter. Elle l'entendit crier tandis qu'elle se précipitait dans le vide. De sa main valide, elle se raccrocha au piton rocheux providentiel, serra les dents quand son épaule accusa le choc de son poids, puis se tapit contre la paroi, en s'aidant de son bras blessé pour se stabiliser. Il faisait horriblement chaud et il suffirait d'une langue de feu malencontreuse pour qu'elle grille dans l'instant. Si l'homme était trop loin sur la corniche pour avoir remarqué qu'elle n'avait pas touché la lave, Gérold, penché par dessus bord, avait pu s'en rendre compte et il demeurait bouche bée.
" Alors ?
— Rien, répondit-il, en reculant hors de vue.
— Dans ce cas, c'est ton tour."

[Claris de Corvimande]

Était-il donc si stupide ?

Il ne pouvait pas avoir vu que Claris avait pu se raccrocher, vu la distance. Et devant l'inutilité de la première chute, il envisageait de sacrifier ainsi le seul atout qu'il lui restait, celui qu'il voulait précisément conserver pour la salle finale, sans même se demander s'il n'y aurait pas autre chose à faire ? Et ensuite, quoi ? Il sauterait lui-même ?

Claris, dans sa situation, pourrait sans doute tenter de rattraper Gérold, mais les chances d'y parvenir étaient minces. Il fallait espérer que le nécromancien, puisqu'il avait remarqué son geste, se débrouillerait pour faire de même.
Profitant du court répit que la lutte probable de Gérold lui accorderait, Claris s'efforça de grimper quelque peu, à la fois pour mieux anticiper sa remontée, et pour laisser autant de place que possible à son camarade de se rattraper.
Il n'y avait pas grand chose d'autre à tenter dans sa situation, de toute façon.

L'homme approcherait sans doute pour voir le résultat de sa folie… s'il était possible de lui saisir les jambes à ce moment…

[Galathée]

Claris eut à peine le temps de remonter le long de la paroi que Gérold tomba à son tour. Mais le jeune nécromancien manqua le piton rocheux qu'elle avait réussi à saisir et chuta beaucoup plus bas. Il ne toucha cependant pas la lave, se rattrapant à une autre aspérité, nettement plus proche de la surface du torrent brûlant. La température devait être insoutenable, peut-être mortelle, mais le mage semblait tenir bon, Claris le vit s'aider des deux mains pour prendre appui et stabiliser sa position. Une grosse bulle éclata à la surface du magma, l'aspergeant de gouttelettes scintillantes, mais il ne broncha pas. Il fallait cependant se rendre à l'évidence : il ne parviendrait jamais à regrimper jusqu'à la corniche.
Comme Claris l'avait espéré, l'homme s'approcha alors et jeta un oeil vers le bas. Tapie comme l'était, il ne put la voir mais il aperçut par contre le nécromancien.
" Mais qui m'a fourgué ce crétin ! SAUTE DEDANS ! C'est un ordre !"
Gérold ne bougea cependant pas, cramponné à son rocher. L'homme recula alors hors de vue, puis revint, et lâcha une énorme pierre au-dessus du gouffre, qui ricocha contre la paroi mais manqua sa cible. Dans un juron, il repartit en arrière pour recommencer le même manège.

[Claris de Corvimande]

C'était le moment où jamais. Se hisser, saisir l'homme, et l'envoyer goûter à son propre traitement. Pour Gérold… qu'il s'accroche de son mieux en attendant. Redescendre l'aider maintenant reviendrait à les condamner tous les deux.

Claris, aussi proche que possible de la surface, attendit patiemment que l'homme reparaisse. Se hisser avant cela, c'était prendre le risque de se retrouver face à face, et à ce jeu-là, Claris ne gagnerait pas.
En revanche, sitôt qu'il serait visible, lui saisir les jambes et le déséquilibrer, surtout alors qu'il s'apprêtait à lancer une lourde pierre, cela aurait davantage de chances de succès. L'effet de surprise aiderait. Mais le jeu restait néanmoins très risqué…

[Galathée]

L'homme revint avec une nouvelle pierre, se positionnant, jambes légèrement écartées, sur le bord de la corniche. Cette fois, il prit le temps de viser, ce qui permit à Claris de se placer au mieux. Lorsqu'il se déséquilibra en avant pour lâcher sa pierre, elle surgit devant ses bottes, prenant appui sur le rebord de pierre de son bras blessé pour pouvoir utiliser la force de sa main valide et le tirer vers l'avant. Il poussa un cri de surprise et bascula dans le vide. Mais dans sa chute, son pied droit heurta l'épaule de la jeune femme qui glissa à son tour. L'inconnu fila vers la lave, entraîné par son propre rocher que, dans son étonnement, il n'avait pas songé à lâcher. Claris, par un heureux réflexe, parvint à rattraper son piton rocheux, in extremis, mais de sa mauvaise main, ce qui lui arracha un gémissement de douleur. Avec un son mou, l'homme toucha la surface du torrent où il fut instantanément incinéré, dégageant une bouffée de fumée pestilentielle. Gérold était toujours cramponné à son rocher et il jeta un regard ébahi à la jeune femme. De blafard et légèrement verdâtre, il était devenu écarlate.

[Claris de Corvimande]

HRP :

Claris aurait aimé pouvoir se fendre d'un commentaire acerbe au moment de tuer ; mais il aurait fallu pour cela être en mesure de battre l'homme à la loyale, épée contre épée. Sa force et son adresse étaient encore loin d'êtres suffisantes, et il lui faudrait s'en souvenir avant de faire face à un nouvel adversaire.

Au lieu de cela, il n'y avait eu que le temps de porter son attaque, et la frayeur d'en être la seconde victime. Et la douleur en se rattrapant finalement, douleur lui rappelant sa cuisante défaite précédente. Mais l'homme n'était plus. Pour de bon, cette fois.
Finalement, c'était un peu comme s'il n'était ressorti des eaux que pour réparer ses propres actes en soignant Gérold, et enseigner un peu d'humilité à l'enfant de Reuel, lui rappelant quelle était sa réelle puissance. Claris tâcherait de ne pas oublier la leçon de sitôt.

Sa vengeance accomplie, toute envie de rejoindre son dieu s'était envolée. Vivre pour répandre la mort, voilà qui lui semblait une alternative autrement plus intéressante… mais il faudrait encore s'entraîner beaucoup pour cela. La douleur le lui rappelait assez.
Son premier réflexe, tandis que ces pensées traversaient son esprit en un éclair, avait été de changer d'appui, d'utiliser sa main valide pour s'assurer une prise plus stable.

Son souffle retrouvé lui permit ensuite de se pencher sur le cas de son camarade : après avoir récupéré un Gérold à peu près en état – que se passerait-il pour son collier d'esclave, à présent que l'anneau de contrôle avait été détruit ? –, il aurait été dommage de le perdre.
Avec toute la prudence qui lui était possible, Claris tenta de descendre à sa rencontre. Il n'y avait guère d'autre moyen de l'aider…

[Galathée]

La descente s'avéra périlleuse mais à l'image de sa partie supérieure, la paroi rocheuse était truffée de prises, aspérités et autres fissures qui permirent à la jeune fille de s'assurer tout au long de son parcours. La chaleur était insoutenable, Claris avait l'impression de sentir son sang bouillir dans ses veines. Ses lèvres et ses yeux s'asséchaient, sa peau la brûlait, elle finit par s'immobiliser. C'était incroyable que Gérold soit encore vivant, après être resté si longtemps à quelques mètres seulement du torrent de lave.
Il leva les yeux vers elle, alors qu'elle le surplombait encore de quelques mètres C'était une belle action mais elle n'arriverait jamais à le hisser vers le haut. Elle était épuisée et son bras droit était désormais complètement endolori ; il était bien trop lourd.
" Je ne voudrais pas que tu le prennes mal... fit-il d'une voix rauque. Mais je n'ai jamais rencontré une fille aussi fantastique..."
Un sourire tranquille traversa son visage marbré de sueur.
" Je pense que je le dirais un peu autrement si tu étais un garçon, parce que tu pourrais te méprendre."

[Claris de Corvimande]

Dans la situation dans laquelle ils se trouvaient, Claris ignora royalement la remarque. Il faisait trop chaud pour réagir à quoi que ce soit. En fait, s'il n'y avait pas eu sa fierté et sa loyauté, l'enfant de Reuel serait déjà de retour sur le sol, au dessus, et regarderait son camarade disparaître dans la lave sans regrets.

« On verra ça là-haut, d'accord ? Mais je n'ai aucune idée de comment te faire remonter. Je ne sais même pas comment j'arrive à me maintenir moi-même… »

Parler, même, était douloureux, tant la chaleur était intense. Et, comme si cela ne suffisait, la douleur dans son bras était considérablement augmentée par l'effort. Si le jeune magicien avait quoi que ce soit à faire qui soit en mesure de les aider, c'était le moment ; sinon Claris devrait remonter tant que cela lui était encore possible. En espérant que ce soit bien le cas.

[Galathée]

Gérold eut un sourire un peu triste puis secoua la tête.
" Il faut descendre, Claris, pas monter, dit-il. Viens, je te protègerai. Tu dois me faire confiance."
Il lui tendit la main, espérant manifestement qu'elle viendrait jusqu'à lui. Ce qu'il comptait faire ensuite, par contre...

[Claris de Corvimande]

Est-ce qu'il était devenu fou ? La chaleur lui était monté à la tête, sans doute… ce n'était pas parce que les créatures des profondeurs ne les avaient pas attaqués que…

D'un autre côté, rien ne semblait avoir bougé, là haut. Fallait-il lui faire confiance ? Depuis que Claris l'avait libéré, il avait surtout amené des ennuis… mais il fallait reconnaître qu'il avait eu bien plus de jugeotte que l'enfant de Reuel, pour certaines des épreuves précédentes.

L'intense chaleur empêchait Claris de réfléchir posément, autant qu'elle rendait ses gestes peu assurés. Sa prise sur la paroi allait céder, ne lui laissant guère d'autre choix que d'accepter, bon gré, mal gré, la main tendue. En priant pour que ce ne soit pas une terrible, fatale erreur.

[Galathée]

Gérold la rattrapa comme elle atteignait sa hauteur et lui sourit.
" C'est le moment d'avoir foi, murmura-t-il. Accroche-toi à moi."
Il ne lui laissa pas vraiment le temps de réfléchir, d'hésiter, de renoncer, de se défendre. Il lui tenait la main, et d'une poussée de la jambe, il se détacha du rocher et bascula en arrière, déséquilibrant la jeune femme en même temps. Elle ne put rien faire pour se rattraper. Tandis qu'ils tombaient, il replia ses bras derrière le dos de Claris et la serra tout contre lui, l'enveloppant comme s'il avait voulu l'incorporer à l'intérieur de lui-même.
La fournaise embrasa les sens de la Mélandienne, elle dut fermer les yeux, et son être explosa lorsqu'ils heurtèrent la surface du torrent.

Elle perdit connaissance.

Quand elle ouvrit les yeux, il faisait beaucoup moins chaud. Elle était allongée sur un sol de pierre froide, dans l'obscurité la plus totale. Elle avait toujours mal à l'épaule droite et dégageait une étrange odeur de... cheveu brûlé, désagréable. A part ça... Tout semblait en état de fonctionner. Autour d'elle, aucun son, aucun mouvement. Mais il ne faisait pas complètement noir, en réalité. Une lumière blanche rayonnait quelque part sur sa gauche, seul point visible dans les ténèbres.

[Claris de Corvimande]

Claris avait tenté de retenir un cri en tombant dans la lave ; mais ne savait trop si sa tentative avait été, ou non, couronnée de succès.

Puis sa conscience disparut… et lui revint. Est-ce que… est-ce que c'était ça, la mort ? Jergal la présentait comme un grand mystère, et qu'y avait-il de plus mystérieux que de ne rien voir ni ne rien entendre ? Néanmoins, on aurait pu espérer… eh bien, que la douleur s'estompe, par exemple. Avoir mal, c'était le signe que l'on était en vie, non ?
Mais si c'était encore peu ou prou, le monde des vivants… alors une grande crainte survenait : est-ce que ça avait bien été le sang de Gérold, ou quoi que ce soit d'autre que ce foutu nécromancien pouvait avoir en ces lieux, qui lui avait fourni une protection ? Ou bien est-ce que sa tentative de se débarrasser du type n'avait eu pour effet que de le faire passer, lui aussi, de ce côté ? Était-il là, quelque part, encore et toujours en vie ?

Et Gérold lui-même, où était-il passé ? Dans l'obscurité, il pouvait être à côté, comme ne pas être là ; et même s'il y était, dans quel état serait-ce ?
Bon. Inutile de se demander ça dans le vide ; et prendre la parole ne serait guère une bonne idée si le type était à proximité.
D'abord se lever, si ses muscles le lui permettaient, puis inspecter un peu son état, autant que possible. Le plus silencieusement possible. Puis attendre, si possible, que ses yeux s'habituent à l'obscurité – cette faible lueur permettrait peut-être de distinguer quelque chose, au bout d'un certain temps. Faute de quoi… cela donnerait au moins une direction dans laquelle tenter de se diriger…