La Couronne de Cuivre

Mais elle ne vit aucun feu à proximité. L'odeur était portée par le vent, atténuée par la pluie, elle surgissait parfois forte, parfois beaucoup plus discrète, puis disparaissait. Ce n'était pas vraiment un parfum de flammes... c'était de la fumée froide. Un feu ancien, éteint, mais qui avait dû avoir une certaine taille pour persister encore dans l'air. Il faisait trop sombre pour parvenir à distinguer quelque chose dans les alentours, cependant.

Astrée fronça les sourcils. Ce ne pouvait pas être un simple feu de camp. Mais quoi d'autre alors ? Quoiqu'il en soit, il était éteint. Cela signifiait que nul ne campait dans les environs. Mais il faisait vraiment trop sombre pour poursuivre sans risque... Elle revint donc vers Prince, et décida, par prudence, de retourner un peu en arrière, vers le couvert des bois. Le relief était abrupt dans les environs, et elle ne voulait pas prendre le risque de se fouler une cheville bêtement. Bien sûr, Prince y verrait clair, mais elle se souvint qu'elle n'avait pas pu le monter dans la pente trop escarpée. Mieux valait se montrer un tout petit peu plus patiente, et dormir : la bergerie attendrait le lendemain... Elle se mettrait en route dès les premières lueurs du jour.
Elle décida de se chercher un arbre assez feuillu pour l'abriter du crachin : son hamac serait plus discret que sa tente. Mais les arbres étaient clairsemés dans les parages... Si elle n'en trouvait pas, elle serait obligée de compter sur sa tente. Puisqu'elle était loin de la route, et comptait repartir avant le jour, le risque était minime.

Il y avait plusieurs arbres de bonne taille dans les environs, susceptibles de lui offrir un excellent couvert, et elle en trouva un à son goût. Une fois le hamac solidement arrimé dans les hauteurs, la rôdeuse et son écureuil purent s'y installer et chercher le sommeil. Le crachin persistait, froissant les feuilles au-dessus d'eux, et le vent agitait doucement les branches. Il faisait froid et les couvertures qu'avait emportées Astrée ne furent pas de trop pour la préserver du gel de la nuit. Alors qu'elle allait sombrer, elle sentit cependant un picotement à la lisière de son esprit, et la présence familière de Reynald l'envahit. Au début, elle n'entendit rien, mais elle perçut une émotion puissante, tension et soulagement.
Je suis rassuré, dit-il simplement. Je voudrais être avec toi

Elle sentit son coeur bondir dès qu'elle sentit sa présence, et l'émotion l'envahir. Elle se sentait subitement moins seule, moins perdue. Il s'était inquiété, bien sûr. Et il était rassuré... Elle sourit, doucement, dans l'obscurité, heureuse de le sentir là, cherchant à retrouver mentalement la sensation d'être blottie contre lui.
"C'est bon de t'entendre..."
Si seulement il pouvait être réellement auprès d'elle... Lui saurait trouver les mots pour parler aussi bien aux montequins qu'aux centaures, pour les convaincre. Il saurait ce qu'il était possible de faire. Il saurait se faire écouter, certainement. Pourquoi donc fallait-il qu'elle soit seule face à cette mission impossible ?
"Tu me manques... Tu saurais mieux que moi aider les centaures. Difficile d'arrêter une guerre..."
Elle n'avait pas compté les mots, trop prise par l'émotion de l'entendre, de le sentir si proche. Elle réalisa qu'elle en était déjà... à vingt-deux. Et que ce contact serait, à nouveau, beaucoup trop bref...

Reynald demeura silencieux à nouveau, cherchant ses mots, probablement. Astrée avait l'impression de pouvoir sentir son odeur, à défaut d'autre chose. Et une certaine présence, comme s'il l'observait de loin et qu'elle devinait son regard.
Ne les abandonne pas, ils ont besoin d'aide. Je vais leur dire que tu viens.

"Merci, mon amour", murmura-t-elle avec soulagement.
Ainsi, il les connaissait. Et s'il pouvait les contacter, peut-être serait-elle attendue, et mieux accueillie que si elle venait seule, au cas où elle échoue à libérer le gris... Enfin, à condition que le centaure qu'il contacte fasse partie de ceux restés libres. Quelles étaient les chances pour cela ?
Quoiqu'il en soit, se savoir aidée ainsi, même à distance, même de façon incertaine, lui ôtait un grand poids du coeur, un poids qu'elle ignorait être aussi lourd. Elle n'était pas complètement seule finalement.
"Je ferai tout mon possible..."
Elle n'était pas certaine que tout son possible suffise à mener à bien cette mission. Mais elle devait le faire. Reynald comptait sur elle, les centaures aussi lorsqu'il les aurait prévenus. Mielikki avait répondu à sa prière, la dryade allait l'aider... Etait-ce Dymphea ? Elle n'avait pas dit son nom, peut-être n'en avait-elle pas. Mais peu importait. Elle n'avait pas le droit de reculer.

Je t'aime, Astrée. A demain.
Ce furent ses dernières paroles et la pluie reprit ses droits, envahissant à nouveau la nuit de son crépitement régulier. Prince poussa un petit soupir contre son épaule, le vent agita son hamac, faisant grincer les troncs qui le soutenaient. Quelque part, un renard glapit, cri hanté dans les ténèbres. L'odeur de fumée humide parut, se retira.
La jeune femme glissa peu à peu dans le sommeil, bercée par les mouvements de sa couche et par le chant de l'averse. Sa nuit fut paisible, elle s'éveilla une nuit fois car sa couverture avait glissé, se rendormit sans avoir complètement émergé.
Puis ce fut l'aube, le ciel grisa, les oiseaux entonnèrent leurs trilles matinales et la jeune femme s'éveilla, toujours perchée dans les hauteurs. Il ne pleuvait plus mais les gouttes dégoulinaient le long des feuilles et s'écrasaient dans le sous-bois, sonores.

Astrée se sentait bien reposée, l'esprit clair. Elle avait à l'esprit l'importance de la mission qu'elle devait accomplir, une sensation d'urgence aussi. La certitude de ne pas être seule... et un peu le trac. Trop de monde comptait sur elle, alors qu'elle n'avait toujours pas la moindre idée de la façon dont elle allait pouvoir s'y prendre. Elle n'était pas Reynald... Elle ne saurait jamais...
Elle chassa ses doutes, et, décidé à ne pas perdre une minute, elle détacha son hamac et se laissa glisser au sol. Elle ne prit pas le temps de déjeuner, demanda à Prince de se faire étalon et se hissa immédiatement en selle. A cette heure-ci, la route serait déserte et elle pourrait demander à son petit cheval d'aller aussi vite que possible lorsque le relief s'y prêterait, sans trop craindre de mauvaise rencontre même s'il lui faudrait guetter l'horizon. Elle se contenta de mettre dans sa poche quelques fraises des bois et d'une des galettes souples préparées la veille. Elle grignoterait en selle.

Il leur fallut d'abord descendre le long de la pente escarpée qui menait en contrebas, ce qui leur prit un certain temps. Prince ouvrait la voie, bondissant parfois comme un chamois de roc en roc, et manqua perdre l'équilibre une fois ou deux, mais se rattrapa de justesse. Il était fringant et rapide, mais pas complètement taillé pour ce genre de relief. Quand ils parvinrent sur le plat, Astrée put remonter en selle et ils filèrent bon train, jusqu'à ce que l'odeur de brûlé leur revienne, plus forte. Ils distinguèrent alors un fin filet de fumée, encore lointain. Il n'y avait désormais plus aucune cachette le long de la route, à moins de se précipiter rapidement dans un ravin, en espérant ne pas tomber trop bas. La bergerie n'était cependant plus très loin et ils l'aperçurent au détour d'un repli de terrain. Elle paraissait intacte mais la source de la fumée se trouvait juste derrière. Quant à savoir si quelqu'un s'y trouvait, impossible de le dire à pareille distance...

Astrée hésita un instant. Qu'avaient-ils brûlé ? Les corps ? S'agissait-il des personnes qu'elle avait entendues, la veille, sur la route ? Probablement... Mais pas certain. Y avait-il encore quelqu'un ici ?
Le seul moyen de le savoir était de s'y rendre... Et puisqu'il n'y avait aucune cachette, mieux valait faire l'aller-retour aussi vite que possible pour limiter les risques de rencontre. Elle lança donc Prince à vive allure, gardant les yeux grands ouverts. Si elle apercevait qui que ce soit en face, il lui faudrait faire demi-tour. Ils ne pourraient pas la rattraper, n'auraient peut-être pas le temps de tirer... mais sauraient qu'elle était là. Elle ralentirait, bien sûr, lorsqu'elle serait proche, et mettrait pied à terre pour arriver plus discrètement. Mais chaque minute passée sur ce terrain dégagé était de trop...

Ils s'engagèrent au triple galop sur la route, filant vers la bergerie, mais soudain, Prince s'arrêta bloc, et sans qu'Astrée ait pu faire quoi que ce soit, il fit demi-tour et fila dans la direction dont ils venaient. Quelques secondes plus tard, elle entendit un cri derrière elle, mais le petit cheval filait à toute vitesse, soulevant des mottes de boue à chaque foulée, le souffle court. En regardant derrière elle, Astrée put juste voir des silhouettes, déjà minuscules, émerger de la bergerie. Si elle voulait arrêter sa monture, il faudrait qu'elle se montre persuasive...

Elle ne chercha pas à arrêter sa monture, confiante en son instinct. Il était probable qu'ils s'agisse de Montequins, et elle préférait ne pas courir de risque. De loin, l'avaient-il reconnue, avec son cheval, ou avait-ils cru voir un centaure ? Et puis, peut-être se trompait-elle, peut-être s'agissait-il d'étrangers au village ? Elle n'y croyait guère.
Elle attendit d'être hors de vue de la bergerie pour demander à Prince de s'arrêter. Il fallait qu'elle retourne en arrière, discrètement. Qu'elle trouve un endroit à partir duquel observer discrètement la bergerie, et surtout qu'elle sache s'ils se lançaient à sa poursuite ou au contraire l'ignoraient. Qu'elle guette leur départ, dans ce cas... Et qu'elle fuie au plus vite s'ils la poursuivaient.
Elle se souvint que les Montequins avaient dit l'autre jour que les centaures s'étaient réfugiés près de la bergerie... Passaient-ils par la route ou y avait-il un autre accès à ce col ? Elle n'avait guère le temps de le chercher, hélas.

Prince n'était pas d'avis de faire demi-tour et il le lui manifesta en renâclant bruyamment, refusant de s'engager sur la route à nouveau. La bergerie se trouvant sur la crête, il ne serait pas facile de trouver un bon point de vue pour l'observer, à moins de l'approcher par le bas ou de la contourner de loin, en espérant pouvoir atteindre un point de vue plus élevé. L'un dans l'autre, il serait nécessaire d'abandonner la piste et de s'engager dans la rocaille, en comptant sur les bosquets de sapins et les buissons touffus pour la dissimuler.

Astrée n'insista guère. Elle était à découvert et se sentait en danger, autant que Prince sans doute. Elle ralentit, une fois à bonne distance, pour chercher un endroit d'où elle pourrait quitter la route sans laisser de traces visibles. Elle allait essayer de contourner la bergerie à distance, mais à pied pour mieux se dissimuler - et pour laisser moins de traces reconnaissables : Prince-écureuil serait plus discret. Il lui semblait que descendre en contrebas l'exposerait trop aux regards, malgré les quelques bosquets et buissons épars, et qu'il valait mieux tenter de trouver un point de vue plus en hauteur, et plus éloigné, pour guetter ce qui s'y passait. Son sac l'encombrait, cependant, et la gênerait si elle devait fuir rapidement à pied : il lui faudrait trouver une cachette sûre, au sommet d'un arbre touffu à bonne distance de la route par exemple, pour y laisser les plus encombrants de ses bagages, et ne garder sur elle que ses armes et le petit matériel utile. Elle le récupérerait au retour... en espérant qu'ils ne la pisteraient pas jusque-là. Mais elle allait vraiment prendre soin de ne laisser aucune trace....

Astrée trouva rapidement un endroit où entreposer son matériel et l'arrima solidement à l'arbre à l'aide des torsades de vigne qu'elle avait ramassées la veille. Elle redescendit ensuite le long du tronc et put commencer sa tentative de contournement. Il lui apparut cependant rapidement que l'aventure allait lui prendre la journée. Le plateau s'incurvait loin vers la vallée si elle tentait d'approcher la bergerie par l'est, et devenait extrêmement accidenté vers l'ouest. Le petit pic qui surplombait la bergerie de ce côté-là en était séparé par une cuvette très encaissée, et l'atteindre par le haut lui demanderait d'effectuer un parcours qui la ramènerait d'abord vers le nord. C'était cependant la seule manière de garder une vue plus ou moins permanente sur la route rouge et ce qui s'y profilerait.

Astrée commençait presque à regretter de s'être mise en quête de cette corde. Peut-être aurait-elle trouvé tout ce qu'il lui fallait de l'autre côté. Ou peut-être n'en aurait-elle pas eu besoin. Elle était consciente de perdre un temps précieux. Mais d'un autre côté, maintenant qu'elle était là, il aurait été dommage de ne pas aller jusqu'au bout... Et elle était curieuse, également, de comprendre ce qui se passait dans cette bergerie.
Elle choisit finalement, après hésitation, de contourner la bergerie par l'ouest. Il était important qu'elle puisse garder l'oeil sur la route rouge, pour savoir s'ils la suivaient, s'ils s'en retournaient vers Montequine, ou non. Bien sûr, ils pouvaient aussi poursuivre plus loin... Ou rester à la bergerie. Mais dans quel but ?
Elle se glissait de cachette en cachette, observant attentivement les environs, et surtout ce qui se passait en direction de la route, avant d'avancer. Ils allaient forcément, tôt ou tard, passer sur la route...

Elle entreprit donc son périple dans la rocaille, tâchant de demeurer discrète. Comme elle l'avait suspecté, elle fut rapidement entraînée à bonne distance de la route, dans des passages accidentés où les pierres roulaient sous ses semelles. Prince avait pris la forme d'une abeille et se laissait placidement transporter, s'écartant de temps en temps pour aller butiner. Astrée dut faire des détours pour éviter des zones trop escarpées ou trop touffues, où les buissons d'épineux auraient immanquablement déchiré ses vêtements. Il était clair que personne n'avait jamais arpenté ces endroits : il n'y avait nulle piste, juste la roche et la végétation, des animaux surpris de voir quelqu'un au milieu de nulle part. Elle parvint heureusement à retrouver une vue sur la route, et vit que deux personnes la remontaient d'un bon pas. Difficile de savoir s'il restait encore quelqu'un à la bergerie... Il lui faudrait alors revenir sur ses pas et reprendre la voie principale. La fumée était désormais quasiment invisible, mais le ciel promettait d'être bleu.

Deux personnes. Elle avait toujours vu les Montequins se déplacer par groupe de trois. Il était possible que l'un d'eux soit resté en arrière, à la bergerie. Ou n'étaient-ils que deux cette fois-ci ? Ceux-ci la cherchaient, sans doute, ou remontaient donner l'alerte au village peut-être. Elle resta un moment cachée là où elle était, attendant qu'ils s'éloignent, pour être sûre qu'ils ne feraient pas demi-tour, avant de se décider à se rapprocher de la route à nouveau. Elle hésitait à se diriger vers la bergerie. Il y avait sûrement une troisième personne... Mais peut-être que Prince accepterait d'aller le vérifier pour elle, une fois qu'elle se serait suffisamment rapprochée ? En attendant de le savoir, il fallait qu'elle se tienne prête à plonger dans le ravin en contrebas à la moindre alerte. Peut-être devrait-elle tenter de s'en approcher par les ravins, d'ailleurs... mais ce serait moins rapide. Non, pour le moment, elle allait rester sur la route, aux aguets, et se décaler un peu en contrebas, par sécurité, seulement sur les passages les moins abrupts. Et envoyer Prince en éclaireur.

Prince accepta de faire l'écureuil, puis l'abeille, pour rallier la bergerie. Il était cependant beaucoup plus petit et donc beaucoup moins rapide que sous sa forme de cheval pour effectuer ce trajet, aussi Astrée dut-elle s'armer de patience. Elle parvenait à garder un contact étroit avec son petit esprit, mais il n'avait pas grand chose à lui transmettre : il bondissait dans l'herbe qui jouxtait la route, tentant de négliger toutes les choses appétissantes qui passaient à sa portée. Elle le sentit devenir insecte et voleter. Cela faisait plus d'une heure qu'elle était tapie en contrebas de la piste et son estomac commençait à grommeler. L'abeille lui renvoya alors l'image floue de quelqu'un. La bergerie était bel et bien occupée. L'odeur de fumée était forte, Astrée devina, même à distance, qu'on avait brûlé de la charogne, sans doute les cadavres qu'elle avait entraperçus plusieurs jours auparavant. L'abeille, incommodée, fit un détour et se percha sur le toit du bâtiment, en attente d'autres instructions.

Astrée porta à ses lèvres les dernières fraises des bois qu'elle avait emportées, réfléchissant intensément. Si l'homme était resté seul, c'était sans doute que les deux autres comptaient revenir. Ou peut-être qu'il attendait tout simplement que le feu ait fini de brûler pour s'éloigner à son tour ?
Pourquoi avaient-ils brûlé les corps ? Pour éviter qu'ils ne soient dévorés par des charognards, simplement ? Ou bien... pour les dissimuler ? Mais finalement la réponse à cette question n'avait pas d'importance. La seule chose qui comptait était que la bergerie était occupée, et qu'elle ne pourrait aller y chercher cette corde. Et peut-être d'ailleurs que ces hommes l'avaient brûlée, elle aussi. Elle était maculée de sang... Si jamais leur objectif était de dissimuler ce qui s'était passé, c'était fort probable...
A tout hasard, elle tenta d'envoyer à Prince l'image d'une corde enroulée sur elle-même, et de l'emplacement où elle se trouvait dans la bergerie. Peut-être pourrait-il déterminer si elle s'y trouvait encore. S'il parvenait à comprendre sa demande...

L'abeille se glissa dans la bergerie et pendant un moment, Astrée n'eut plus de contact avec la créature. Sans doute devait-elle attendre un moment propice pour tenter de déplacer la pierre qui cachait le renfoncement où elle avait découvert ces objets macabres. Ce silence dura longtemps et Astrée demeura ainsi immobile, aux aguets, entourée d'insectes curieux, parfois voraces, qui semblaient ravis de sa présence. Enfin, Prince l'écureuil reparut dans son univers mental. La corde était toujours là mais il était manifestement tellement dégouté par son odeur qu'il refusait d'y toucher.

Astrée aurait bien voulu savoir pourquoi l'inconnu restait dans la bergerie. Pour attendre le retour des autres ? Ou comptait-il les rejoindre ? Combien de temps devrait-elle attendre que la voie soit libre ? Ils n'allaient tout de même pas rester indéfiniment ici...
Elle commença par demander à Prince de l'avertir ci l'homme quittait la bergerie, et s'éloigna un peu plus de la route, se cherchant une meilleure cachette pour y attendre des nouvelles de l'écureuil. Les autres pouvaient revenir par l'autre côté, elle devait être prudente. Dommage qu'elle n'ait pas un moyen de forcer celui-ci à sortir à son tour. A moins que... S'il voyait un étalon miel sur la route, irait-il à sa poursuite ? Et pouvait-elle faire prendre ce risque à Prince ?
Elle hésita... Puis se décida. Elle allait s'approcher de la bergerie, jusqu'à pouvoir l'apercevoir, et se dissimuler de son mieux. Puis elle demanderai à Prince-abeille de s'éloigner de la bergerie, dans la direction opposée à celle de Montequine. Et, dès qu'il serait suffisamment loin pour ne pas risquer d'être atteint par une flèche, de se faire cheval et de galoper un moment en s'éloignant de la bergerie. Peut-être attirer l'attention de l'homme par un hennissement. Puis redevenir abeille une fois hors de vue, et revenir. De là où elle serait, elle saurait si l'homme le suivait, et pourrait tenter d'en profiter.

Astrée progressa donc à flanc de ravin, se faufilant de buisson en rocher et de rocher en buisson. De temps en temps, le sol se dérobait sous ses pas, projetant une nuée de gravillons en contrebas, dans un bois d'épineux obscur. Mais la jeune femme avait une longue expérience de ce genre de paysage et elle parvint, prudemment, à se rapprocher des lieux. La bergerie apparut dans son champ de vision et elle put donner ses instructions à Prince. Celui-ci obéit et voleta hors de la bergerie puis en direction de la vallée. Il se métamorphosa plusieurs minutes plus tard et demeura un moment immobile avant de donner de la voix. De là où elle était, Astrée l'entendit à peine. Mais elle vit par contre la porte de la bergerie s'ouvrit et une silhouette en sortir. Impossible de l'identifier à pareille distance, mais elle devina par contre le geste d'un arc qu'on bande. La flèche ne fut cependant pas relâchée et l'homme quitta l'ombre de la petite bâtisse pour s'engager sur la route, à la poursuite du petit cheval.

Elle avait peu de temps pour agir. Il renoncerait peut-être vite, comprenant qu'il ne pouvait courir plus vite que le cheval. Ou alors au contraire, il s'obstinerait, en le voyant disparu, pour tenter de comprendre par où il était passé...
Elle resta en contrebas de la route, avançant aussi vite que possible. Dès qu'elle serait certaine que l'homme ne faisait pas demi-tour et poursuivait bien Prince, lorsqu'il serait plus loin elle prendrait le risque de courir sur la route pour arriver plus vite, au moins dans les passages les plus délicats. En se tenant prête à plonger dans le ravin à la moindre alerte... mais s'il la voyait, elle était perdue. Et pourtant, il fallait qu'elle prenne le risque : elle avait besoin de cette corde...

Avancer dans la pente, avec les ronces, les cailloux glissants et la terre meuble, n'avait rien d'aisé, mais Astrée était déterminée et, si elle termina son parcours crottée jusqu'aux épaules, elle parvint à se faufiler relativement rapidement jusqu'à destination. L'homme avait disparu de l'autre côté de la bergerie, il était difficile de savoir s'il avait poursuivi le cheval en restant en contrebas aussi dût-elle prendre le risque de sortir et de courir jusqu'à la bâtisse pour se cacher dans son ombre. En se décalant légèrement et jetant un oeil vers la vallée, Astrée aperçut le dos du Montequin, un homme jeune et basé qu'elle ne connaissait pas. Il avait franchi une dizaine de toises mais restait très proche d'elle. La rôdeuse entendit Prince donner à nouveau de la voix. Peut-être était-ce justement ce qui inquiétait l'étranger : pourquoi diable cet animal s'agitait-il... Il poussa un juron et descendit encore un peu, peut-être pour se mettre à portée de flèche.

Astrée espérait que Prince resterait hors de portée de flèche. Il était suffisamment intelligent et prudent pour cela, et avait parfaitement compris son rôle. Elle lui envoya néanmoins son inquiétude, l'enjoignant à la prudence, lui disant de s'éloigner davantage.
De son côté, elle n'avait qu'une chose à faire : entrer dans la bergerie, sans bruit, prendre la corde et sortir aussitôt pour courir se cacher hors de vue. En espérant qu'il n'ait pas déjà fait demi-tour, et qu'il ne la voie pas avant qu'elle se soit mise à l'abri des regards... et des flèches.

Cessant de tergiverser, elle s'élança donc vers la bergerie. Le sol était encombré par les éléments d'un bivouac encore d'actualité : trois couches étaient déballées, des ustensiles de cuisine entouraient un petit foyer éteint, et Astrée enjamba un sac avant d'arriver à la pierre qu'elle délogea rapidement de son trou. Elle attrapa la corde, la sortit et la découvrit couverte de moisissures. Avec l'humidité, le sang coagulé avait commencé à pourrir. Il serait sans doute possible de la nettoyer, cependant. Elle n'avait en tout cas pas le temps de se poser la question et refila vers l'extérieur. Il n'y avait de signe du Montequin aussi put-elle regagner son talus, glissant dans les graviers. Le silence succéda à son intervention éclair. L'homme n'avait apparemment rien vu. Elle pouvait reprendre son périple en sens inverse.

Astrée fit immédiatement savoir à Prince qu'il pouvait cesser de distraire l'inconnu, et se transformer pour la rejoindre. De son côté, elle ne perdit pas davantage de temps : puisque le campement était intact, cela signifiait que les deux autres hommes allaient revenir. Dès qu'ils auraient donné l'alerte, sans doute. Ou dès qu'ils auraient renoncé à rechercher ses traces.
Par prudence, elle quitta la route pour se cacher en contrebas, du côté où se trouvait son paquetage et la forêt qu'elle devait rejoindre, et s'efforça de progresser le plus efficacement possible, de buisson en bosquet, sans faire de bruit. Il fallait qu'elle s'éloigne le plus possible de la route, tout en restant sur un terrain praticable. Dès qu'elle aurait récupéré le reste de ses bagages et que Prince l'aurait rejointe, elle rejoindrait le plateau pour filer au plus vite à travers bois, en direction du bosquet de la dryade, en restant à bonne distance de la route. Elle ne se soucierait plus des éventuelles traces de sabot : jamais ils ne pourraient prévoir qu'elle passerait de l'autre côté de toute façon. Il fallait juste qu'elle soit attentive à ne pas croiser l'un des Montequins, mais il était probable qu'ils restent proches de la route.

Son plan se déroula comme elle l'avait prévu. Une fois à l'abri de la forêt, perchée dans son arbre, elle put attendre Prince sans plus risquer d'être surprise. A nouveau, il lui fallut s'armer de patience, car la distance à franchir était gigantesque pour un écureuil. Elle perçut d'ailleurs la fatigue de son compagnon, lequel s'arrêta pour faire une pause en chemin, dans un buisson couvert de baies rouges. Elle réalisa alors qu'elle mourrait de faim, elle aussi. La journée était déjà bien avancée et elle ne parviendrait sans doute pas à rallier le bosquet avant la nuit, surtout si Prince était aussi épuisé qu'il le paraissait.

Ayant récupéré son sac et ses provisions, Astrée prit le temps de se sustenter en attendant Prince. Elle devrait peut-être chasser à nouveau ce soir, lorsqu'elle serait à l'abri, loin du village et de la route, et cuisiner pour avoir quelques provisions d'avance. Elle sentait la fatigue de Prince : elle allait devoir marcher à pied une partie de la journée, et le laisser se reposer blotti contre elle pour qu'il reprenne des forces, avant de pouvoir compter à nouveau sur lui comme monture. Ce n'était pas une si mauvaise chose : elle serait plus discrète ainsi.
Elle aurait bien aimé pouvoir dormir à l'abri du bosquet : cette atmosphère de sérénité lui aurait donné confiance face à la mission qui l'attendait. Mais c'était trop loin. Cependant, bien cachée au fin fond de la forêt, dans son hamac, elle ne risquerait pas grand-chose... Et elle franchirait la muraille demain matin, à destination de cette vallée close. En espérant qu'elle ne devienne pas sa prison.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine