La Couronne de Cuivre

Titus, très embarrassé, alla aider Baptiste. En réalité, ce dernier lui trouva rapidement un usage très précis : trouver ce qu'il ne dénichait pas dans cette cuisine inconnue. Ils communiquaient par gestes, parfois d'un mot ou deux, rapidement échangés. Le renard du faune était venu s'installer près du feu, en travers d'un Victor parfaitement serein et endormi, qui avait posé la main sur son dos, sans même le réaliser.
Cordélia émergea à son tour et vint s'assoir près du barde.
" Bon, il s'est passé quoi pendant que je dormais ? Où elle est, la femme pleine de poils ?"

Il lui sourit, désinvolte.
-Oh, rien de bien particulier : nous avons retrouvé Minuit, Ainhoa., qui est une alaghi, est partie en forêt accomplir une tâche importante suite à laquelle elle dormira un long moment, elle nous laisse sa demeure à disposition tant que nous souhaitons y demeurer et... Titus partira avec nous. Elle m'a demandé de le conduire auprès des faunes de la Lorien. Voilà, tu sais tout !

Cordélia se donna des petites tapes sur les joues, la moue incrédule.
" Il va falloir que tu répètes ça plus lentement."
Baptiste leur glissa deux tasses de thé sur la table voisine.
" Tu as récupéré Minuit... Comment ça, tu as récupéré Minuit ? Tu es sorti dans le noir, dans la brume, avec ce... bazar en chasse ? Tu plaisantes !"

Il haussa les épaules.
-Pas du tout. Mais j'étais avec Ainhoa, qui connaît son affaire : à mon avis, c'est une druidesse. Bref, nous avons trouvé Minuit sans souci et il est actuellement dans le couloir. J'irai le décharger et le bouchonner tout à l'heure. Parce qu'à moins que tu n'y voies un inconvénient, j'aimerais... souffler un peu.

" Moi ? Un inconvénient... mais... c'est toi qui es pressé, depuis le début. Moi je suis relax. Bon, j'aurai besoin de sortir... parce que les cavernes, tout ça, je trouve ça confiné..."
Elle le regarda avec un léger sourire.
" Pourquoi tu ne vas pas dormir, si tu es claqué ? Je peux m'occuper du cheval."

Il hésita.
-Je voulais rester sur le pont un moment, pour voir comment ça se passe entre... les enfants. Mais tu as raison : je vais m'installer dans un coin, plonger en rêverie et je serai en forme pour les moments plus animés. Sans compter qu'en cas de grabuge, je reviendrai instantanément à la réalité.
Il la remercia puis s'en fut exécuter son plan.

Il fut réveillé par une main sur son épaule, qui le secouait doucement. Il ouvrit les yeux sur le visage souriant de Victor. Il s'était, bien sûr, endormi.
" On aimerait savoir si tu comptais qu'on parte aujourd'hui, ou si tu avais imaginé qu'on restait une nuit de plus ? Cordélia dit qu'elle n'est pas sûre d'avoir compris ce que tu voulais dire. Titus, on comprend absolument rien de ce qu'il baragouine. Et Baptiste dit que si tu as dit quelque chose, il a oublié. Donc je te réveille."

Il lui sourit largement.
-Tu as bien fait. Et je suis flatté de constater à quel point je suis indispensable !
Il se redressa.
-En fait, je n'ai rien dit, pour le départ. Cela va dépendre de l'heure qu'il est et... de l'avis qu'exprimera la majorité.

" Comme il fait complètement noir, dans ce trou, je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est." dit Victor avec un large sourire.
Baptiste, assis sur le banc, haussa les épaules.
" Il doit bien être midi, je dirais.
— Est-ce qu'on peut sortir, au moins, si on reste ? Titus et moi, on voudrait sortir !"
Le faune ne comprenait manifestement rien.

-Et bien sortons, oui : ainsi saurons-nous quelle heure il est.
Et de résumer la situation à Titus, tout en lui laissant la possibilité, bien sûr, de donner son avis.
Mais s'il était déjà midi... Autant rester : en une demi-journée, ils ne pourraient pas parcourir beaucoup de chemin.

Titus les accompagna dehors, mais il semblait trop déstabilisé par la situation pour oser formuler le moindre avis. Il surveillait Cordélia avec crainte, sursautant quand elle prenait la parole. Mais une fois à l'extérieur, le soleil, l'herbe rase et le sous-bois détendirent rapidement le faune et les deux enfants. Il faisait beau, la brise portait des effluves estivales, et ils se mirent à courir en tous sens entre les arbres. Titus était le plus rapide, ce qui frustra beaucoup Victor, mais à la lutte, le blondinet l'emportait haut la main. Baptiste se désintéressa des jeux les plus brutaux et revint vers les adultes.
" Si on part maintenant, on arrive dans la nuit, remarqua-t-il. Si j'ai bien lu la carte."

Il jeta un regard à Victor et à Titus, revint à ses plus proches compagnons.
-Qu'est-ce que vous en pensez ? Je serai presque d'avis que nous passions l'après-midi ici, pour que Titus se sente plus à l'aise avec nous. Sans compter qu'en pleine nuit, nous aurons du mal à nous loger... De surcroit, en partant demain, nous pourrions rallier directement Vauxgrisants, en ne nous approchant pas trop de Champsdor : il y aurait donc moins... de rencontre susceptibles de causer, disons, de l'embarras à notre nouveaux compagnons.
Mais à moins que Cordélia ne les accompagne jusqu'au bout, ce qui ne le dérangerait en rien, il faudrait se séparer en cours de journée.

" Je suis d'accord, dit Cordélia. J'aimerais prendre le temps de me promener un peu dans cette forêt... de jour... et la caverne est incroyablement confortable, il faut bien l'avouer..."
Elle s'étira.
" Mais pour le faune... A mon avis, l'idéal, ce serait de l'habiller. Il fait la taille de Victor. Victor a d'ailleurs un magnifique chapeau. Je sais que ses pattes plient dans le mauvais sens, mais si on le met à cheval sur Minuit, ça ne se verra pas. Ça nous permettrait de minimiser les questions...
— Pourquoi est-ce que les gens poseraient des questions ? Est-ce que... ce n'est pas comme s'il était juste... un elfe ou un gnome ?"

-Dans l'absolu, si. Mais... Autant il n'est pas rare de croiser des elfes ou des gnomes, autant croiser des faunes hors des forêts sauvages est... J'aurais tendance à dire que ça n'arrive jamais. Hormis... Si on tombe sur une troupe exploitant ce genre d'êtres. Du coup, le voir attirera l'attention d'absolument tout le monde.
Il réfléchit.
-L'habiller serait une bonne idée. Mais il faudra lui en parler avec douceur et accepter un éventuel refus : peut-être que les hommes qui l'ont capturé l'ont forcé à s'affubler en humain, ce qu'il a pu très mal vivre. Par ailleurs, les êtres sylvestres ne sont que très rarement vêtus.

" C'est quand même compliqué de ne pas parler la même langue... et le sylvestre a l'air drôlement plus compliqué que l'elfique. Au moins, en elfique, on comprend qu'il y a des mots. En sylvestre, tout s'enchâsse. C'est pas évident."
Il sourit.
" Bon mais si on reste... je vais sortir le livre d'herboristerie que j'ai pris dans la Tour... et me mettre au travail !"
Et il quitta leur compagnie pour retourner vers la caverne.
" Il est bizarre, ce gosse." dit Cordélia, interdite.

-Bizarre ?
Il sourit.
-Je ne trouve pas : il aime simplement les activités calmes et a juste des passions peu communes pour son âge. Bon, j'aimerais parfois qu'il soit un peu moins sérieux et qu'il se lâche un peu plus mais... Je pense qu'il est loin d'être le seul gosse à avoir ce type de caractère.

" Quand même, aller chercher un bouquin alors qu'il pourrait faire la bagarre avec ces deux-là..."
Victor et Titus avaient repris leur course-poursuite dans le sous-bois.
" Enfin, pour la lessive, c'est mieux d'avoir un modèle Baptiste, c'est sûr. Mais je pense que je vais me charger du repas, ce midi. Ça le changera, pour une fois. Et il a des plantes à observer."

-C'est très gentil à toi, merci.
Il sourit.
-Et pour la lessive... Je profite. parce que quand il se sera mis à mener des expériences alchimiques plus complètes... Cela va changer.
Mais dans l'immédiat, il s'apprêta à s'installer confortablement pour surveiller les deux gamins.

Titus et Victor jouèrent un bon moment sans heurts, à se poursuivre et se combattre, mimant des combats de chevaliers ou de monstres, sans doute, jusqu'à ce que le faune, par inadvertance, flanque un coup de sabot dans la cuisse du gamin, ce qui arracha un hurlement de rage et de douleur à celui-ci. Taliesin fut alors contraint d'intervenir : Victor semblait furieux, Titus effrayé, et ils étaient incapables de communiquer.
" Il l'a fait exprès ! Sale bique !" hurlait le blondinet en boitillant à la suite de son camarade paniqué.

Il rattrapa le gamin, posa une main sur son épaule avec la ferme intention de le retenir.
-Tous doux, bonhomme, dit-il, du ton le plus apaisant qu'il put trouver. J'ai vu ce qui s'est passé et je peux t'assurer qu'il n'a vraiment pas fait exprès. Ça arrive aussi parfois quand vous jouez à vous bagarrer, avec les Merlus... Mais je comprends que ça fasse mal, ceci dit : essaie de frotter, ça va passer.
Puis, à Titus et en sylvestre :
-Tout va bien, Titus. Victor a juste mal mais ça ira bientôt mieux.

Le faune demeura à distance, les yeux agrandis de frayeur, lorgnant tantôt Victor qui se frottait la cuisse en maugréant, tantôt le barde. Le petit garçon retourna vers l'endroit d'où Taliesin les avait observés, au soleil, et y baissa son pantalon, révélant un bleu de belle taille, d'une forme tout à fait reconnaissable.
" Regarde ce que ce crétin m'a fait !"

-Ça doit faire mal, effectivement... reprit-il du même ton. Si la douleur ne passe pas, j'y remédierai ou nous regarderons s'il n'y a pas un onguent adéquat dans notre pharmacie. Mais je te jure que Titus n'a pas fait exprès. Et, tu sais, les rôles auraient pu être inversés : tu aurais pu, toi aussi, involontairement, lui donner un coup de poing ou de genou à un endroit douloureux..
Il décocha un sourire rassurant au faune. Il irait lui parler, bien sûr, mais dans l'immédiat, il fallait déjà apaiser la cause de sa peur, c'est à dire... apaiser le volcanique Victor.

" Un poing ou un genou, ça fait moins mal qu'un fichu sabot !"
Il jeta un regard venimeux en direction du faune, qui était resté sous le couvert des arbres.
" Quand on est armé, comme ça, on fait gaffe ! La prochaine fois, il va m'embrocher avec ses stupides cornes ! Et tu diras quoi, quand j'aurai les triples à l'air ?"

-Allons, tu sais bien que ça n'arrivera pas.
Il soupira.
-Tu sais bien aussi que parfois, quand on joue... On est tellement emballé qu'on oublie de faire attention. Combien de fois est-ce que ce genre de choses est arrivé, chez nous ? Pourtant, ni toi ni les Merlus n'avez de sabots : juste des poings, des pieds et des genoux. Lesquels peuvent aussi faire très mal.
Il sourit.
-Allez, bonhomme... Je sais que ça n'est pas agréable, et je suis vraiment désolé pour toi. Mais... Essaie de te calmer, s'il te plait. Titus te dira lui-même à quel point il est désolé, j'en suis sûr. Pour l'instant, cependant... Il est terrifié. Il doit craindre que toi ou moi lui fassions mal pour nous venger.

" Il mériterait que je lui botte ses fesses de bouc, oui !" grommela Victor.
Il soupira, dessinant la marque du bleu du bout des doigts.
" Tu prends sa défense juste parce que c'est un petit être des bois. Fatalement, tu as un faible pour ce genre de choses, vu que c'est là dont tu viens, toi aussi."

Ce gosse, quand même...
-Victor, si les choses étaient telles que tu le dis, serais-je là à m'occuper de toi ? Non, je t'aurais dit d'arrêter de te plaindre puis je serai allé réconforter Titus.
Soupir.
-Est-ce que la douleur passe un peu ?

" Ça va, dit-il d'un ton bougon. Mais je joue plus jamais avec lui !"
Et il s'en fut, boitillant théâtralement, fouiner dans le lit du ruisseau voisin. Titus, sous les arbres, avait désormais une expression butée, lui aussi.

Formidable... songea-t-il.
Il ne s'en approcha pas moins du jeune faune.
-Tu ne dois pas t'inquiéter. Victor a un tempérament tempétueux mais il finira par s'apaiser, d'autant que dans le fond, il sait très bien que tu n'as pas fait exprès. Et je le sais très bien aussi. Bref, d'ici peu, tout ça sera de l'histoire ancienne.

" Il ne m'aime pas, dit Titus, bras croisés. Et moi je ne l'aime pas non plus. C'est rien qu'un... qu'un... qu'un humain, d'abord ! "
Baptiste venait d'émerger de la grotte, avec son livre et ce qui ressemblait à une grosse loupe, qu'il avait dû dénicher dans les affaires d'Ainhoa. Il lança un sourire radieux à la cantonade et baissa aussitôt les yeux sur la première plante à proximité.
" Et lui non plus, il ne m'aime pas. Il veut prendre mes poils pour faire des choses avec."

Et lui-même allait finir par détester les enfants au point de payer grassement un mage pour qu'il l'envoie dans un univers où ils n'existaient pas. D'ailleurs, il lui semblait avoir entendu une légende à propos d'un tel univers. Il lui semblait même se souvenir d'un nom.
Thedas.
-Baptiste était le premier, hier, à craindre que tu sois puni. Victor, pour sa part, vient de passer un bon moment à jouer avec toi sans la moindre arrière-pensée. Et tous les deux m'aiment alors que je ne suis pas de leur espèce. Non, franchement, Titus, tu te trompes. Il faut simplement que vous appreniez à vous connaître. Et que tu ne te formalises pas de ces petits éclats : c'est très courant, parmi les enfants, crois-en mon expérience. Mais ça passe aussi très vite.

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...