La Couronne de Cuivre

" Je peux demander les clés à Cormack... et il me semble qu'il y a un double dans les cuisines. Mais les portes internes ne ferment pas, pour la plupart... et les fenêtres, comme dans le bureau de Maître Maurin, sont bloquées par des verrous intérieurs, pas des clés... Si j'ai bien compris ce à quoi vous faites référence."
Elle eut un maigre sourire.
" J'ai seulement les clés du cottage, en fait."

Bigre, ce projet de se ménager une zone sûre où évoluer semblait de plus en plus précaire à chaque instant.
-Nous aurions presque intérêt à nous rendre tous au cottage : il n'est pas exactement difficile à sécuriser. Sauf que cela ne réglerait en rien le problème de la promiscuité... Bref, ce n'est guère faisable. Et pour en revenir à nos moutons, s'il n'est pas possible de verrouiller les portes intérieures, il doit y avoir moyen de bloquer certaines d'entre elles, avec des meubles par exemple. Reste à identifier les points où ça aurait de l'intérêt.

" Peut-être que le plus simple, c'est de sécuriser le sous-sol, dit Ginevra.
— Espérons qu'il n'y a pas de claustrophobes dans le groupe, murmura Miranda.
— Le souci du rez de chaussée, c'est qu'il y a le grand escalier qui descend de l'étage, et on ne peut pas le sécuriser... On peut bloquer chacune des portes, mais les différentes pièces ne communiquent pas entre elles, à quelques exceptions près, et donc il faudra chaque fois repasser par le hall si on veut passer de l'une à l'autre.
— On a besoin de la cuisine, de toute façon."

Le barde soupira.
-Il faut bien commencer quelque part, alors va pour les sous-sols, fit-il, peu convaincu.
S'y réfugier aurait des conséquences sur leur moral chancelant, sans compter les problèmes que poseraient les souterrains. Il deviendrait plus difficile, aussi, de gagner l'extérieur ou, simplement, d'entendre si quelqu'un toquait à la porte. Non, aucun doute à avoir : mieux vaudrait, et de loin, s'installer au rez-de-chaussée. Mais faute de pouvoir bloquer l'escalier, il serait nécessaire de le surveiller : peut-être cela deviendrait-il envisageable quand Kathleen et Silence les auraient rejoints ?

Ils se dirigèrent donc vers la porte des sous-sols, qui donnait sur son large escalier.
" Est-ce qu'on la barricade, le temps d'avoir visité tout le bas ?" demanda Ginevra.
Miranda paraissait incertaine.
" Ça veut dire que s'il se passe quelque chose en haut, ils ne pourront pas venir nous chercher.
— Mais si on la laisse ouverte, ça ne sert à rien, remarqua Victor.
— Sauf si quelqu'un la garde..."

-Je crois vraiment qu'il vaut mieux que personne ne s'isole, fit-il.
Puis, après un isntant de réflexion :
-L'idéal serait de laisser la porte ouverte mais de commencer par la partie la plus éloignée des sous-sol puis de revenir progressivement sur nos pas : ainsi, nous serions assurés qu'il n'y a pas âme qui vive dans les zone vérifiées tandis que personne ne pourrait s'y faufiler à notre insu. Mais je ne sais si la configuration des lieux le permet.

" Les sous-sols sont en carré, un peu comme le manoir..." dit Ginevra lorsqu'ils furent en bas des marches.
Elle désigna deux portes.
" On peut faire le tour par là, ou par ici... Je suppose qu'on peut barricader une des deux portes pour qu'elle soit impossible à emprunter..."
Elle regarda autour d'elle. Il y avait quelques tonneaux, un porte-manteau chargé de vêtements, et un vaisselier qui paraissait impossible à déplacer.

-Faisons ainsi : c'est une bonne solution.
Quelqu'un de décidé pourrait toujours déplacer les tonneaux mais... ils l'entendraient faire et pourraient intervenir.
Restait juste à ne pas se laisser surprendre pendant eux-même procéderaient audit déplacement : il faudrait rester groupés et demander à certains d'entre eux de monter la garde.

Haran, Ginevra et Taliesin procédèrent au placement des tonneaux (ils étaient malheureusement tous vides) tandis que Victor et Miranda surveillaient l'autre porte et l'escalier vers les étages. Il ne se passa rien de spécial : nul bruit, nul mouvement.
" Je ne crois pas aux histoires de monstres de Meg, mais je me demande si elle n'a pas raison, si le meurtrier n'est pas parti, dit Ginevra, quand ils en eurent terminé.
— Ça l'arrangerait sûrement qu'on le pense, répondit Miranda.
— Franchement, s'il avait voulu filer, il aurait mieux fait de déguiser ça en accident ou en suicide, intervint Haran. Je ne veux pas être pessimiste, mais vu ce que vous m'avez raconté... C'est sûrement un assassin qui a un message à faire passer."

-C'est l'impression que m'a donné la scène macabre du bureau. Quant à la signification de ce fameux message... Je suis malheureusement fort mal armé pour la découvrir.
Surtout si ses compagnons d'infortune n'y parvenaient pas, eux non plus. Quoique l'une des diverses théories avancées par les uns et les autres soit peut-être fondée. Mais laquelle ? Mystère et boule de gomme...

Ils avaient quitté le petit sas d'entrée pour gagner les cuisines. Vastes, désertes, il y flottait toujours une bonne odeur de pain chaud et, au bruit que firent certains estomacs, il était clair qu'une partie de leur équipe avait déjà faim.
" Moi je pense que le message est pour vous, Messire Haran, dit Miranda, l'air de rien, tout en ouvrant une armoire.
— Pour moi ? Pourquoi pour moi ? s'exclama-t-il, stupéfait.
— Parce que la scène de crime ressemblait étrangement à celle de "Ronde funeste". "
L'écrivain parut interdit.
" C'est sans doute un pur hasard." dit-il au bout d'un moment.
La cuisine était pleine de nourriture, de couteaux affutés et de dangereuses casseroles, mais il n'y avait nulle trace d'un intrus (hormis des crottes de rat).

Si Taliesin écouta, il ne pipa mot. Il était trop occupé à observer la pièce, à guetter le moindre indice d'une présence hostile, à se tenir prêt à tirer l'épée ou à incanter si cela était nécessaire. Il se sentait responsable des gens qui l'accompagnaient et ferait tout son possible pour que rien de mal ne leur arrive, ce qui passait par ne pas être surpris si d'aventure l'assassin décidait de s'en prendre à eux. Les théories attendraient qu'ils soient moins exposés même si, en attendant, les mots qu'on prononçait près de lui ne tombaient pas dans l'oreil d'un sourd.

La cuisine était déserte. Taliesin localisa cependant une trappe qui menait au dehors et servait manifestement à descendre le bois (il fut aisé de la verrouiller) et un monte-plats qui, par contre, ne pouvait pas être fermé de manière sûre. C'était un petit espace qui communiquait avec les deux étages supérieurs et qui, même étroit, aurait pu permettre à quelqu'un de mince, agile et de petite taille, de circuler sans grandes difficultés. Ginevra lui expliqua qu'il se trouvait dans deux pièces de service superposées, occupées uniquement par les membres du personnel.

Après avoir songé pour la énième fois qu'espérer sécuriser ce manoir était une chimère, Taliesin s'efforça malgré tout de trouver une solution.
-Nous devons impérativement bloquer ce monte-plats sans quoi tous nos efforts ne serviront absolument à rien. Dans l'idéal, il faudrait déplacer un meuble devant, un meuble assez lourd pour que quelqu'un, depuis l'intérieur, ne soit pas en mesure de le pousser ou de le renverser. Et si ça n'est pas possible, reste l'option de le bourrer d'objets suffisamment pesants et massifs pour que quelqu'un venant d'en-haut ne puisse pas les retirer.

" Je pense que la seconde option est la plus réaliste, dit Miranda. Vu sa position, on n'arrivera jamais à faire un empilement qui résiste à une bonne poussée... Vu ce qui est arrivé... L'assassin doit être drôlement costaud.
— On pourrait clouer des planches en travers, non ? Ce serait plus difficile à pousser qu'une pile de trucs." proposa Victor.

Le barde acquiesça.
-C'est effectivement une bonne idée. Reste à savoir si le matériel nécessaire se trouve dans le manoir : malheureusement, nous ne pouvons pas nous permettre de nouvelle sortie à l'extérieur...
Surtout alors qu'ils n'avaient toujours aucune nouvelle de ceux qui s'y étaient aventurés.

" Des planches, on peut sans doute démanteler une étagère..." dit Haran en désignant plusieurs installations adéquates autour d'eux.
Ginevra acquiesça.
" Il doit y avoir tout le nécessaire dans la réserve... C'est juste à côté. On a toujours de quoi faire les réparations mineures sur place."

-Très bien, faisons comme cela.
Il faudrait évidemment passer la salle voisine au peigne fin. Et réitérer l'opération avec les cuisines, puisqu'il n'était pas impossible que quelqu'un s'y faufile sitôt qu'ils auraient le dos tourné. Mais bloquer le monte-plats était une priorité et, de toute façon, ils n'étaient plus à ça prêt. Alors autant faire les choses bien jusqu'au bout, quitte à ce que cela prenne une éternité...

Cela ne prit pas autant de temps que l'avait craint Taliesin. Il se chargea de la surveillance. Miranda et Victor débarrassèrent les étagères pour en récupérer les planches tandis qu'Haran et Ginevra allaient chercher le marteau et les clous. Ce fut ensuite l'écrivain qui se chargea de clouer les planches en place, étant le plus costaud de leur groupe, et ce malgré les protestations véhémentes de Victor. Ils purent ensuite quitter la cuisine et faire un dernier tour dans la réserve avant de passer à la pièce suivante. C'était la chambre de Meg où demeurait toujours le cadavre de Maurin...

Ce serait, sans doute, l'étape la plus pénible de leur programme...
-J'imagine que Meg aura installé messire Maurin le plus dignement possible mais peut-être est-il préférable que les plus sensibles montent la garde à l'extérieur pendant que les autres fouillent les lieux. Victor, je sais que tu en as vu d'autres mais je préférerais que tu fasses partie des guetteurs.
Avec un peu de chance, le gosse ne protesterait pas...

" Je vais rester dehors aussi, proposa Haran. Histoire que le gosse ne soit pas tout seul.
— Je ne suis pas un gosse !
— Maître Victor, je veux dire.
— Pas question ! s'exclama Miranda. Je veux que vous regardiez ce cadavre !
— Ce n'est vraiment pas...
— Je vais rester, proposa Ginevra.
— Vraiment... Je suis le seul à pouvoir manier une épée et... je peux sûrement regarder ce cadavre plus tard."

Il se tourna vers Miranda.
-Si vous pensez vraiment que messire Haran pourra, en observant ce cadavre, noter des similitudes avec ce qu'il a décrit dans ses œuvres, cela peut toujours se faire dans un second temps, après que nous ayons vérifié que personne ne se cachait dans la chambre. Mais souvenez-vous qu'entre le fait de l'avoir déplacé et la manière dont Meg l'aura installé... il ne pourrait plus subsister grand chose du message originel.

" Le message n'est pas seulement dans la position, dit Miranda.
— Mais je ne verrai plus tard !" ajouta Haran.
La jeune fille soupira. Victor soupira aussi. Ginevra entra dans la pièce, Taliesin et Miranda sur les talons. Maurin d'Averlande reposait sur le sol, un drap déplié au dessus de son corps. On voyait clairement qu'il n'avait pas de tête et le sang avait déjà marqué l'étoffe écrue. Le reste de la petite chambre était parfaitement ordonné et tout à fait désert, de la penderie au soupirail, du dessous de lit (sans le moindre mouton) aux latrines (immaculées).

Une fois assuré que la pièce était déserte, Taliesin s'intéressa au soupirail : si quelqu'un pouvait s'y faufiler depuis l'extérieur, il faudrait le bloquer d'une façon ou d'une autre. Sinon, ils pourraient passer à la suite, à moins bien sûr que Miranda n'insiste à nouveau pour que Haran observe le corps et que celui-ci accepte. En ce qui le concernait, il avait évité de trop le regarder : il était toujours furieux, révolté vis-à-vis de ce qui s'était passé ; or, il valait mieux qu'il demeure calme, au vu des circonstances...

Le soupirail était sans danger, trop étroit et barré. Mais bien sûr, le familier d'un rôdeur aurait pu s'y faufiler, ou un spectre, ou... Il y avait mille possibilités, mais Taliesin ne pouvait pas empêcher toute intrusion. Une fois qu'ils eurent visité les lieux et regagné le couloir, Miranda essaya à nouveau de convaincre Haran d'aller voir le cadavre, mais il argua qu'ils avaient plus urgent à faire jusqu'à ce qu'elle renonce, plus suspicieuse que jamais. Il était clair que, tôt ou tard, elle le tirerait par la peau du cou jusque là. Les pièces suivantes étaient un atelier, le garde-manger, la blanchisserie et la salle à manger du personnel. Il s'y trouvait mille cachettes et il leur fallut un certain temps pour les visiter de fond en comble. Ils dénichèrent beaucoup d'araignées et quelques chats aussi, qui les accueillirent en crachant de dépit, mais ni rats, ni souris, ni intrus. Ginevra leur indiqua deux portes de souterrains qu'ils condamnèrent, et finalement, ils se retrouvèrent à la case départ, sans avoir débusqué personne.

-Eh bien, voilà une bonne chose de faite ! lança-t-il. Mais nous devons encore faire en sorte que personne ne puisse se faufiler dans les sous-sols quand nous aurons le dos tourné... Que diriez-vous de plaquer un meuble particulièrement lourd contre la porte ?
Ce n'était pas l'idéal mais, au moins, un individu seul n'aurait guère de chances de réussir à le déplacer et encore moins d'y parvenir sans qu'ils ne le remarquent. Ce qui leur laisserait le temps de souffler, d'aller voir comment cela se passait au salon et... de passer à la suite.

" Je pense qu'il vaut mieux demander à Meg si elle a la clé des sous-sols, dit Ginevra. Sinon, on devra déplacer le meuble pour aller chercher à manger et à boire...
— Ce qui vu l'heure, ne va pas tarder, ajouta Haran.
— Et puis je tiens toujours à ce que vous alliez voir le cadavre ! s'exclama Miranda.
— Nom d'un chien ! répondit l'écrivain. Je ne suis pas détective !
— Personne ne l'est, apparemment." grommela l'adolescente avant de s'éloigner vers le bureau.
La femme de chambre s'était esquivée vers le salon pour aller chercher la cuisinière.

-S'il vous plait, on ne se disperse pas ! lança-t-il. On se déplace toujours par paire, au minimum.
Certes, depuis le hall, peut-être pouvait-il garder un œil sur tout le monde. Mais il n'empêche : mieux valait demeurer sur le qui-vive en permanence, mieux valait ne jamais relâcher sa vigilance. Parce que si l'assassin était toujours ici, parce que si messire Maurin n'était pas son unique cible, c'était justement ce genre de relâchement qu'il attendait pour frapper à nouveau.
Pour le reste, et s'il en avait bien sûr la possibilité sans laisser les autres trop s'exposer, il entendait demeurer près de la porte des sous-sols pour y monter la garde jusqu'à ce qu'on l'ait verrouillée... ou bloquée.

Haran rejoignit Ginevra et Victor rejoignit Miranda, ce qui n'était peut-être pas la manière dont Taliesin avait imaginé former ses paires, mais c'est ce qui s'organisa spontanément. L'écrivain et la femme de chambre disparurent dans le salon (après avoir dû parlementer avec les gens à l'intérieur), tandis que les deux plus jeunes hésitaient sur le pas de la porte du bureau, manifestement désireux d'y entrer, mais respectueux des ordres de l'elfe.
Ginevra reparut quelques secondes plus tard, avec la clé.
" Meg nous la prête juste le temps de fermer, dit-elle. Puis je dois la lui rendre."

-Parfait ! fit-il, souriant.
Voilà qui réglait le problème. Quoique...
-Mais rassurez-moi : il n'y a bien qu'un seul exemplaire de cette clef, n'est-ce pas ? Dans le cas contraire, il faudrait récupérer les autres au plus vite, quitte à les confier également à Meg...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Le Domaine d'Averlande