La Couronne de Cuivre

La femme parut étonnée et le toucha d'un doigt, avant de grimacer en réalisant qu'il était désormais couvert de poussière.
" Je vous propose qu'on le mette dehors, d'accord ? Il fait bon, il ne va pas pleuvoir..."
Elle leur fit signe de la suivre, en direction de la sortie.
" Je suis..."
Suivit un mot incompréhensible à rallonge, imprononçable par une bouche humaine, et impossible à mémoriser.
" ... mais vous pouvez m'appeler Viv."
Elle remonta le couloir de toile verte d'un pas alerte, puis s'immobilisa pour les laisser la rattraper.
" Quel est votre art ? La cuisine ? La couture ? La ferronnerie ? "

Astrée était un peu désolée d'abandonner Kalju dehors. Mais il y serait probablement en sécurité, et il n'était pas certain qu'il s'aperçoive de grand-chose. Elle suivit donc la femme sans rechigner.

La question posée, bien que prévisible, la déstabilisa légèrement.
" Oh... je..."
Elle soupira.
"Dans mon monde, je suis druidesse. Mais ici, mes sortilèges ne fonctionnent pas normalement. Je suis aussi rôdeuse, donc je sais pister et chasser du gibier... mais je ne connais pas celui d'ici. Je sais aussi soigner de petites blessures simples, sans magie. Bien sûr, je sais aussi faire la cuisine, mais je ne connais pas les recettes que vous aimeriez, il faudra m'expliquer. Je peux coudre des choses très simples si nécessaire... Mais donc, mettez-moi où ça vous arrange," conclut-elle avec un haussement d'épaules.

" Je vais vous mettre aux soins, alors, dit la dénommée Viv. On n'utilise sûrement pas les mêmes techniques que dans votre Plan, mais vous avez l'habitude, vous vous y ferez."
Elle l'observa en coin.
" A part le commun, vous parlez une autre langue ? Parce qu'ici... Tout le monde ne le pratique pas."

Astrée eut une légère grimace.
" Et bien... J'apprends le sylvestre. Mais je le connais très mal, pour le moment, ça n'est pas une langue facile. Enfin...puisque je suis ici, ça me fera peut-être l'occasion de progresser ! Et puis, on parvient toujours à se comprendre par gestes..."
Elle haussa les épaules avec un sourire. Elle se demandait ce qu'ils feraient de Mathieu en revanche. Elle réalisa qu'ils risquaient d'être séparés, et qu'elle ne pourrait pas avoir un œil sur lui. Mais il n'était tout de même pas si incontrôlable... Elle était certaine qu'il était capable de se montrer sage et prudent, si les circonstances l'exigeaient. Et, en l'occurrence, elles l'exigeaient.

" C'est vrai." dit Viv avec un sourire.
Ils avaient regagné l'extérieur et son animation fantastique.
" Et vous ? Qu'est-ce que vous savez faire ?"
Mathieu écarta des mains penaudes.
" Absolument rien.
— Absolument rien ?
— A part parler le commun. Beaucoup. A tort et à travers."
Viv arqua un sourcil parfait.
" Mais à quoi ça sert ? demanda-t-elle très sérieusement.
— Dans un campement en guerre, à pas grand chose, je suppose.
— Mais vous savez faire la vaisselle, oui ?
— La vaiss... Ah misère, oui, je sais faire la vaisselle.
— Alors parfait !"

Astrée pouffa de rire.
" S'ils me trouvent trop malhabile aux soins, je finirai peut-être par te rejoindre, si ça peut te rassurer ! Enfin... pas sûr que ça te rassure..."
Mathieu trouverait sans doute le moyen de charmer et de faire sourire un petit auditoire, même composé d'être féériques étranges et parlant à peine sa langue. L'essentiel était que son occupation ne devrait pas le conduire à faire quoi que ce soit de répréhensible. Enfin, elle l'espérait. Mais elle ne pouvait tout de même pas le surveiller constamment... Il détesterait ça.
Elle se tourna vers leur guide.
" Et pour notre ami Calaan... Vous comptez l'installer dans un endroit précis ? Si c'était possible, j'aimerais pouvoir garder un oeil sur lui, même de loin..."

" Je peux le mettre dans un coin près du dispensaire. Mais ce ne serait pas très hygiénique qu'il soit à l'intérieur. Sans vouloir vous vexer, il est vraiment très crasseux."
Elle siffla entre ses doigts, un air très mélodieux, relativement long, qui s'amplifia en grimpant vers les hautes branches des arbres. Quelque seconde plus tard, un gnome ventru survint, se dandinant sur des jambes beaucoup trop courte pour son gros bedon. Sa tunique était trempée sur le devant.
" Ça sent l'équipe vaisselle, remarqua Mathieu.
— Vous avez bien deviné. Je vous présente Frigdur. Il va vous montrer."
Le jeune homme poussa un profond soupir, assorti de son éternel sourire, puis adressa un clin d'oeil à Astrée.
" Ne tue pas par mégarde quelqu'un de très important, veux-tu ?"
Il emboîta ensuite le pas de Frigdur et disparut bientôt entre les tentes. Viv le regarda s'éloigner, le sourcil toujours arqué.
" Je ne me représentais pas comme ça les mâles de votre espèce, dit-elle. On les dit plus... enfin... Bref. Venez donc."
Elle entraîna Astrée vers une tente qui se trouvait beaucoup plus loin dans le campement. La druidesse découvrit ainsi qu'il était composé d'une trentaine de chapiteaux assez vastes, bien qu'aucun n'ait la taille de celui du Seigneur Chêne. Un certain nombre n'avaient pas de parois, de manière à ce qu'on puisse entrer et sortir de leur couvert sans s'empêtrer dans des voiles superflus. Il y avait manifestement un départ prochain de troupes, car les centaures se rassemblaient, entourés par une multitude de créatures qui leur servaient manifestement d'écuyers.
Viv s'arrêta devant une tente située en périphérie, derrière un bosquet de ce qui ressemblait à des bouleaux aux feuilles rouges. L'avant était ouvert mais les côtés fermés, et un satyre d'un certain âge fumait la pipe à côté de l'entrée.
" Ah, voilà justement Maître Catus. Je vais vous présenter." dit Viv.

" Oups, je ne vous ai pas dit mon nom... Je m'appelle Séléna," expliqua rapidement Astrée.
Elle n'était pas parfaitement à son aise à l'idée de donner un faux nom. Mais Raevan les avait présentés ainsi, et elle savait qu'il avait raison. Même si les fées d'ici semblaient toutes être du côté de la lumière et animée de bonnes intentions, elles pouvaient dévoiler leur nom à d'autres, qui seraient moins bienveillantes. Mieux valait que Minzeiros n'apprenne jamais leur vrai nom, par exemple... Et puis, il fallait bien un peu de cohérence dans leur présentation, ils ne pouvaient pas changer de nom constamment.
Elle adressa un sourire timide au satyre -elle n'en avait jamais rencontré.

C'était une créature un peu plus petite qu'elle, aux pattes arrières velues et aux sabots fourchus, au torse humain — vêtu d'un sablier — et au visage presqu'humain, ou plutôt presqu'elfique, car les oreilles étaient plus longues et le satyre était pourvu de deux cornes recourbées en spirale, à la manière d'un antique bélier. Celui-ci avait le poil gris, pattes, barbe et chevelure, et quand les deux femmes s'approchèrent, il se redressa.
Il s'adressa en sylvestre à Viv, qui lui répondit dans la même langue. Astrée comprit qu'ils se saluaient.
" Et voici Séléna, qui vient vous aider. Elle est humaine, mais dans son monde, elle suit la voie du druide."
Le satyre observa Astrée avec une petite moue appréciative.
" Bon choix, dit-il. Bon choix."

" Oh... C'est gentil à vous", répondit Astrée en rougissant.
Le compliment, inattendu, la touchait au point de la mettre mettait un peu mal à l'aise. Elle devait reconnaître qu'elle appréciait d'être aussi bien reçue.
D'un autre côté, il lui paraissait naturel que les druides soient bien considérés par les êtres féériques. Mais après tout, ce n'était peut-être pas le cas de tous. Elle se souvenait que Dimitri avait décrété qu'il s'agissait de croyances et de concepts primitifs... ou quelque chose de ce goût-là.
Je ne suis qu'au début de cette voie... Et ici, je ne peux pas utiliser de sortilèges, ils fonctionnent mal, mais je ferai ce que je peux pour vous aider."

Le satyre lui fit signe de le suivre à l'intérieur de la tente, tandis que Viv s'éclipsait sur un sourire ravi, manifestement satisfaite de leur prise de contact. A l'intérieur, il faisait frais et tranquille. Des couches étaient disposées un peu partout, certaines en hauteur, d'autres au sol, généralement séparées les unes des autres par des voiles ou des rideaux de plantes. Astrée remarqua quelques personnes alitées, mais peu nombreuses. Deux silhouettes à forme elfique, une grande, une plus petite, un centaure sur le flanc, un trio d'oiseaux endormis, un oeuf balafré d'une longue fissure.
" La magie naturelle est amplifiée en Féérie. Cela signifie qu'avec vos sortilèges ordinaires, vous obtenez des résultats excessifs. Apprendre à doser votre pouvoir pour qu'il reflète vos besoins est complexe. Mais cela ne signifie pas que vous êtes sans ressources, bien au contraire, et le danger est modéré si vous en comprenez la logique. La magie nécromantique ne fonctionnerait pas du tout, et la magie entropique aurait des effets spectaculairement imprévisibles. Vous êtes plutôt mieux lotie que d'autres."

" Oui, certainement. Je ne me plains pas..."
Elle sourit.
"Si ça se trouve, mes pouvoirs de soins sont tellement amplifiés que je peux soigner un mourant ! Ça peut être utile, finalement ! Mais évidemment, sur de petites blessures, je ne sais pas ce que ça donnerait... Donc je vais éviter de tenter l'expérience sans nécessité, puisque je ne sais pas du tout doser cette magie... Mais je peux sûrement jouer les infirmières, à défaut de magie. Dites-moi juste ce qu'il faut faire..."
Elle avait bien repéré l'endroit où sa guide avait laissé Kalju, au-dehors, et comptait retourner le voir de temps à autre si son service s'éternisait. Mais il ne risquait certainement rien là où il se trouvait.

" Il n'y a pas de règle." dit Catus en l'entraînant vers une alcôve qui servait de salle à matériel.
Elle y découvrit des poudres et des fioles, des bouteilles et des bandages, des instruments divers, pinces, aiguilles, petits couteaux, des petits bassins et des bols, des coupes et diverses couvertures.
" Tout parait peut-être ordinaire, mais chaque objet est imbu de magie, expliqua-t-il. Je vous guiderai au besoin."
Il se tourna vers elle.
" Mais d'abord... Avez-vous de bons yeux ?"

" Heu... Oui. Enfin... j'ai de bons yeux d'humaine. Par rapport à ceux des elfes, ça ne vaut pas grand-chose. Tout est relatif...," conclut-elle avec un hausssement d'épaules
Elle observait le matériel ordinaire en se demandant comment diable il pouvait être imbu de magie et ce que cette magie apportait de plus. Elle avait hâte de le découvrir. Le "service" qu'on lui demandait ne lui pesait pas du toit, bien au contraire. Elle craignait qu'il n'en soit pas de même pour ses compagnons, malheureusement, et savourait sa chance.

" Meilleure que celle d'un vieux satyre, ce sera déjà très bien." dit-il en se penchant.
Il choisit, parmi les instruments, une pince minuscule, qu'il lui tendit. En la prenant entre ses doigts, Astrée en sentit la vibration magique, comme un petit rythme musical qui se transmettait à ses doigts. C'était curieux mais pas désagréable. Le satyre la précéda ensuite jusqu'à une alcôve voisine, dans laquelle était suspendue une sorte de civière. A l'aide d'une manivelle, Maître Catus la fit monter jusqu'à ce qu'elle soit à bonne hauteur pour Astrée. Dessus se trouvait un petit être fée, un elfe ailé miniature, pas plus grand que la paume d'une main. Il observa Astrée avec méfiance, de ses grands yeux uniformément jaunes. Ses pupilles étaient réduites à l'état de fente et il était en sueur.
" Vous voyez sur son flanc droit ? Il y a une petite tache noire... C'est un dard de mantride. Il a résisté au charme qui s'y trouve, mais pas à sa blessure. Il suffit de l'enlever... Soyez prudente, cependant, il ne faut pas vous blesser, sans quoi vous pourriez être charmée, vous aussi... Une fois que vous l'avez enlevé, déposez-le dans la coupelle, ici. Il faudra ensuite mettre un grain de raisin de cet onguent. Une tête d'épingle, peut-être, en termes humains. Trois fois rien."

Astrée acquiesça.
" D'accord... "
Elle se demandait ce qu'était un mantride et quel effet avait son charme. Mais elle poserait ses multiples questions plus tard. Les soins étaient prioritaires. Le dard était clairement apparent, et l'enlever ne lui poserait certainement aucun problème.
Elle sourit avec douceur au blessé, et commença par le saluer en sylvestre, s'appliquant à bien prononcer les consonnes.
" Hum... Comment est-ce qu'on dit "je vais te soigner", en sylvestre?", demanda-t-elle, un peu embarrassée, au vieux satyre.
Autant profiter de l'occasion pour améliorer un peu sa pratique de la langue, après tout.

" Les pixies parlent le commun, dit le vieux satyre. Mais on dit..."
S'ensuivit une suite de voyelles et de consonnes sifflantes, typiques du sylvestre, qu'Astrée put se répéter.
" Mais à votre place, je ne tarderais pas, parce qu'ils sont aussi très impatients."
Astrée mena sa tâche à bien, sans rencontrer de difficultés majeures. Le dard était apparent mais minuscule, et elle ne l'attrapa du premier coup. Au second, elle trouva une prise et l'extirpa précautionneusement. C'était une chose impressionnante à côté d'une aussi petite créature, et elle comprit que c'était l'équivalent d'une dague ou d'un carreau d'arbalète. Heureusement, elle ne perdit pas son sang froid et appliqua l'infime quantité d'onguent à l'endroit de la blessure. Une lueur verte se répandit en scintillant dans le corps du pixie et il poussa un soupir d'aise avant de fermer les yeux.
" Parfait, dit Maître Catus. Vous avez réussi l'examen."
Il se saisit de la coupelle.
" Débarrassons-nous de ça, maintenant... et ramenez la pince, il faut la nettoyer."

Astrée acquiesça. Bien sûr, il fallait toujours nettoyer les ustensiles dont on se servait pour soigner. Même s'ils étaient magiques, apparemment.
Elle le suivit vers l'alcove à matériel, et en profita pour le questionner.
" C'est quoi, une mantride ? Ou... un mantride, peut-être ? Une sorte de guêpe géante ?"
Elle était enthousiaste à l'idée d'en apprendre davantage sur les créatures peuplant Féérie, d'autant qu'on pouvait parfois les rencontrer dans son monde également. Le simple fait d'avoir aperçu de ses yeux un pixie était une expérience formidable.

" Non, ce n'est pas une guêpe, et elle n'est pas non plus géante."
Il désigna un bassin rempli de liquide argenté.
" Vous pouvez mettre la pince là-dedans."
Il ouvrit ensuite un petit fourneau dans lequel brûlait un feu de couleur bleue et y jeta le dard. Astrée eut l'impression que le feu s'en saisissait, avec des doigts de flamme. Le satyre en referma le portillon.
" Une mantride a plus ou moins la même taille d'un pixie, ce qui en fait un monstre, à son échelle. Elles ressemblent à vos mantes religieuses. En beaucoup plus dangereux, bien évidemment. Elles sont carnivores, et un pixie constitue a priori un plat de choix. Bien que dans ce cas précis, il s'agisse davantage d'un acte de guerre. Les pixies sont de bons éclaireurs et les selangs ont manifestement recruté quelques mantrides. A moins qu'ils ne se soient installés par hasard ou volonté dans un coin infesté."

La seconde hypothèse semblait suffisante à Astrée pour expliquer la mésaventure du pixie, mais elle n'en dit rien : elle ignorait tout des us et coutumes de ce monde, et pouvait donc se tromper totalement d'interprétation.
Mais, curieuse, elle poursuivit son questionnement.
" Et si on est charmé par leur dard, il se passe quoi ? Puisque vous disiez de ne surtout pas me piquer..."
Elle savait qu'ils avaient des blessés à soigner et probablement peu de temps à perdre en bavardages, et se promit de s'en tenir à cette dernière question.
Heureusement pour elle que les humains avaient la réputation d'être curieux : Maître Catus ne serait pas trop surpris par son attitude,

" La mantride responsable est loin, et donc vous ne risqueriez sans doute pas grand chose, si ce n'est une petite déconnexion de la réalité pendant quelques heures. Si elle était proche, cependant, vous vous offririez pour lui servir de festin. Un destin peu agréable, vous en conviendrez."
Il s'approcha d'elle et lui tâta le bras droit, à hauteur du biceps.
" Mouais. Adroite mais pas bien costaude, je me trompe ?"

La description du sort que la mantride réservait à ses proies n'avait rien d'enviable, et Astrée espéra ardemment ne jamais en trouver sur son chemin.
" Je suis... hum... moyennement costaude, répondit-elle à sa question. Pas assez pour soulever un centaure, si c'est le genre de choses auxquelles vous pensez... La force n'est pas mon point fort, c'est vrai."

" Ce n'est pas grave, nous nous débrouillerons. J'ai d'autres assistants... qui j'espère vont revenir pointer le bout de leur nez, tôt ou tard."
Il lui fit signe de le suivre vers le coeur du dispensaire.
" Pour l'instant, il fait calme, mais l'offensive va bientôt avoir lieu, et à ce moment-là, les blessés vont affluer. Normalement, mon assistant, Gorzak, sera de retour... Il sera dans la salle de matériel et pourra vous fournir en onguents et potions en fonction des êtres à soigner... mais je doute que vous soyez une experte en créatures féériques... Peut-être est-il préférable que, par défaut, vous ne vous occupiez que de celles que vous savez identifier sans vous tromper."

Astrée grimaça.
" Cela risque de ne pas faire grand-monde."
Elle devait bien reconnaître son ignorance totale au sujet de la plupart des créatures féériques. Certes, elle avait déjà rencontré et soigné des centaures, et elle reconnaissait un satyre ou un faune... et un brownie, désormais. Mais c'était à peu près tout.
"Et même en les reconnaissant, je ne saurai pas forcément quoi utiliser pour les soigner, je ne connais pas votre matériel... mais votre assistant saura peut-être me guider. Et puis, tant qu'il s'agit de panser une plaie, cela ne varie sans doute pas trop selon les races."
Elle haussa les épaules.
" Mais donc, tant qu'on est calme, j'ai intérêt à apprendre le maximum de choses sur les créatures et les soins qu'on peut prodiguer."

" Mon assistant pourra vous aider si vous lui dites de quelle créature vous vous occupez. Pas si vous arrivez sans cette information. Or ce qui sauve un centaure peut tuer un aalear ou une dryade... C'est sans doute mieux si nous nous en tenons aux centaures et aux feys. Même si ces derniers n'ont pas toujours la même apparence et que les premiers parlent rarement le commun. Ils seront nos blessés les plus nombreux."
Il l'entraîna vers une alcôve plus large, où reposait le centaure. A leur entrée, il se tourna vers eux. C'était un jeune homme à la mine sérieuse, à la robe aubère, vêtu d'une armure de cuir. Sa jambe arrière droite était plâtrée. Quand il vit le satyre, il l'interpela en sylvestre, un déferlement qu'Astrée devina coléreux, mais son débit était trop rapide et son accent trop marqué, pour qu'elle puisse en tirer autre chose qu'un sentiment de profond mécontentement.
" Malheureusement, ils sont aussi très souvent de mauvais poil. Surtout quand ils sont blessés, chose qu'ils exècrent."
Maître Catus le contourna et vint se placer devant lui, puis lui parla en sylvestre à nouveau, plus apaisant.
" Pouvez-vous mettre vos mains sur sa cuisse blessée, chercher le chemin du sang, et battre la mesure de son rythme ? N'ayez pas peur. Il ne vous fera rien."

Astrée obtempéra, sans ressentir d'appréhension particulière. Bien sûr, elle savait que les centaures pouvaient être colériques et, vu leur gabarit, extrêmement dangereux. Mais elle avait toute confiance en Maître Catus pour intervenir et apaiser la créature.
Elle posa une main douce, mais ferme, sur l'intérieur de la cuisse droite, se remémorant où se trouvaient les artères d'un cheval, et estimant que la morphologie du centaure devait être similaire. Elle tâtonna un peu pour trouver le pouls, puis resta silencieuse, écoutant les battements du coeur, cherchant à estimer leur rythme. Elle avait une estimation à peu près fiable du passage du temps, et donna ses conclusions, tout en précisant :
" Si vous aviez un sablier ou un autre instrument pour mesurer le temps, je serais plus précise... mais ce n'est peut-être pas indispensable."

Le centaure s'était figé, le visage tendu, peut-être parce que la paume de la jeune femme s'était approchée un peu trop près d'une zone particulièrement sensible de son anatomie. Il parut en tout cas soulagé lorsqu'elle retira sa main.
" Non, c'est bien, dit Catus. C'est ce que je pensais... Il faut qu'il attende encore un peu. Ces jeunes... Ils croient qu'il suffit d'un onguent et qu'on peut repartir comme si de rien n'était."
Il secoua sa tête cornue puis se lança dans une longue explication en sylvestre, qui ne plut pas au jeune centaure. Mais le ton du satyre se fit plus dur et son patient capitula, tête basse et bras croisés. Catus entraîna Astrée vers la sortie.
" Etre blessé avant même le début des hostilités est un grand déshonneur. Au moins aura-t-il la vie sauve, ce qui ne sera pas le cas de tous."

Astrée hocha la tête.
" S'il est comme les centaures que j'ai pu côtoyer dans mon monde, je présume qu'il place son honneur et sa harde avant sa vie. Et donc, et qu'il se moque presque d'avoir la vie sauve, même en sachant qu'ainsi il sera prêt pour d'autres batailles."
Les centaures d'ici ne lui semblaient guère différents des congénères de Byron.
" C'est une bonne chose qu'il vous obéisse, dans ces circonstances.... mais je me souviens qu'ils avaient un certain respect de l'autorité, effectivement."
Elle soupira, ses pensées revenant au conflit en cours.
" Et donc... Vous pensez qu'il y aura beaucoup de blessés... et de pertes ?"

" Il y en aura fatalement. Les selangs ne sont pas des anges, et nous ne savons pas qui, exactement, s'est rangé de leur côté. Mais nous n'avons pas le choix, de toute façon. Et les forces féériques qui sont présentes ici suffiront pour en écraser le nid."
Il eut un petit haussement d'épaules et la ramena dans la réserve. Deux lutins s'y trouvaient désormais, affalés sur les bancs, l'un ronflant, l'autre cherchant avec attention dans le fond de son nez, s'il y avait quelque chose à récupérer.
" Ah... Voici Nip et Tip. Ce sont mes petites mains... quand ils sont moins ivres. C'est le souci des êtres féériques... la grande majorité manque de sérieux, et l'autre moitié en a tellement que la moindre patte de travers vous attire des ennuis."
Nip tomba à la renverse sans un bruit tandis que Tip leur adressait un sourire vaseux.
" Ce sont des korrigans. S'ils vous proposent de danser, refusez."

Astrée songea que Dimitri se trouvait indubitablement du côté de ceux qui avaient trop de sérieux, même s'il s'était sûrement un peu humanisé à force de vivre loin de son monde. Avec lui, elle avait toujours la crainte de n'être pas à la hauteur ou de faire quelque chose de travers.
Elle contempla les deux korrigans avec un certain amusement, mais questionna aussitôt.
" Je ne suis pas très portée sur la danse... Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe si on danse avec un korrigan ?"
Ils n'avaient pas l'air très dangereux...

La Couronne de Cuivre

[Féérie] Sur la piste de Kaljivahu...