La Couronne de Cuivre

Les quatre enfants reprirent bientôt leurs habitudes. Victor se dégota un bâton de marche (et de combat) et prit la tête du groupe, tandis que Marius explorait les fourrés, grimpait aux arbres ou sur les rochers, sans s'éloigner de la route. Baptiste restait près de Taliesin, mais sans plus s'accrocher à lui. Il avait la mine pensive, lui aussi. Titus traînait à l'arrière. Taliesin était cependant trop plongé dans ses propres pensées pour faire très attention à tout cela. Ils débouchèrent hors de la zone cultivée et dans les vastes prairies où trônait la butte et sa petite cité. Là, ils rencontrèrent leurs premiers paysans qui regardaient en direction de Champsdor avec appréhension.
" C'est p't'être pas prudent de vous rendre par là, voyageur, l'interpela d'ailleurs un berger. Ça gronde depuis hier sur la butte. Beaucoup de gens ont évacué...
— Mais là, les lumières sont parties, dit son compagnon. Ça va p't'être se calmer."

[color=#FFF66]-Merci pour le renseignement.[/color]
Lequel confortait l'hypothèse d'une disparition intervenue la veille.
-Sauriez-vous où se sont installés ceux qui ont évacué ? Je dois retrouver maître Amrod...

" Je connais pas de Maître Amrod, mais y'a comme un village de tentes en dehors des murailles... Vous allez pas tarder à le voir si vous continuez vers Champsdor. Je suppose qu'il doit s'trouver là, s'il est pas resté en ville.
— Y va rien rester de c'te ville. Rien du tout." murmura l'autre, d'un ton désolé.
Victor avait poursuivi sur sa lancée, Marius sur ses traces. Baptiste jeta un oeil en arrière, vers Titus. Ce dernier paraissait un peu inquiet de passer à proximité des humains, et il opta finalement pour une trajectoire un peu plus large. Au-delà, Taliesin discerna une forme blanche qui débouchait dans les pâturages et progressait dans la même direction qu'eux.

Taliesin et les enfants discernèrent bientôt les tentes dont avaient parlé les bergers. Il y en avait une bonne centaine, de formes, de tailles et de couleurs différentes, éparpillées sur l'herbe des pâturages. Il n'y en avait cependant pas assez pour héberger toute la population de Champsdor, et l'elfe put constater que les murailles tenaient toujours et que, si le sommet de la butte avait été ravagé, le reste avait la même allure que lorsqu'il avait quitté les lieux. Peut-être était-ce juste par mesure de précaution que les gens étaient sortis... Le sol devait avoir tremblé plus d'une fois.
" Regarde." dit Baptiste.
Tout à gauche du village de toiles, à l'écart, se trouvaient plusieurs tentes plus vastes, plus élégantes, manifestement elfiques, et on devinait la silhouette de sentinelles à son pourtour.

Les deux communautés maintenaient leurs distances.
Mais sans doute étaient-elles malgré tout plus proches qu'elles ne l'avaient jamais été par le passé.
-Pas sûr que Wilmarin soit resté avec les elfes : il est plutôt du genre solitaire. Mais on va poser des questions et on nous mettra sur la bonne voie !

Taliesin et les enfants se dirigèrent donc vers les remparts de Champsdor. Il y restait un semblant de garde mais qui paraissait davantage accueillir et renseigner les gens un peu désoeuvrés que surveiller quoi que ce soit. Au moment où ils allaient franchir la porte, cependant, une forme blanche se détacha des tentes voisines et vint se poster aux côtés de Titus. Celui-ci, tranquille, posa la main sur le dos de la créature. Taliesin, comme les autres, constata qu'il ne s'agissait absolument pas d'un chamois, mais bien d'un bouc ordinaire, d'un blanc immaculé, mais qui n'attirait pas particulièrement le regard. Ils franchirent ainsi la muraille, le barde, les quatre enfants et le bouc. Dès qu'ils furent de l'autre côté, l'animal prit ses distances, mais pas réellement. Il trottait un peu en avant ou un peu en arrière du groupe, circonspect mais sans jamais paraître véritablement effrayé.
" Il va falloir que quelqu'un m'explique, dit alors Victor. Je m'endors sous un arbre, je me réveille ici et maintenant... on a une chèvre ?
— Elle n'est pas à nous, murmura Titus. Elle nous accompagne, c'est tout."

En tout cas, sa capacité à changer de forme pour passer inaperçue était fort utile.
-Bien sûr, répondit-il doucement à Titus. Ce n'est pas un simple animal... Et il est évident que personne n'a le droit de s'en proclamer le maître.
Puis, à Victor :
-Nous avons rempli notre mission et, comme promis, le prince nous a ramenés chez nous.

" Et j'ai toujours mon super costume et ma flèche, donc ça va, dit le gosse en brandissant l'objet qu'il avait gardé, serré dans son poing. Faudrait quand même que je trouve quelque chose où la ranger, parce que c'est pas pratique."
Le bouc continuait à progresser dans la rue, escaladant parfois des décombres, mais dans l'ensemble, la ville n'avait pas changé depuis la veille. Taliesin nota qu'à l'endroit où l'animal posait le sabot, le sol blanchissait un instant, comme couvert de givre, avant de retrouver sa couleur naturelle.
" Il veut voir s'il peut nous faire confiance. Après, je suis sûr qu'il te parlera." souffla Titus au barde, en aparté.

-D'accord.
Il lui ébouriffa les cheveux.
-Je te nomme chef de la mission Apprivoisement.
Sans Titus, semblable chose n'aurait sans doute pas été vraiment possible.

Titus le regarda sévèrement, puis se fendit d'un sourire.
" Il ne faut pas parler d'apprivoisement. Ce n'est pas un animal. Il pourrait mal le prendre. Je crois qu'il considère... qu'il nous évalue. Nous passons une sorte d'examen. Mais il ne pourra pas rentrer chez Messire Amrod. Il y a trop de magie. Ce n'est pas grave, cependant. Nous ne devons pas nous occuper de lui. Il vient s'il veut."
Il haussa les épaules.
" Enfin je crois."

-Tu pourras faire des tours dehors pour t'assurer qu'il est dans les parages, si tu veux. Personne ne te cherchera de noises : les gens savent que tu es avec moi et donc que tu es gentil.
Il lui rendit son sourire.
-Et apprivoiser, ça s'emploie aussi parfois pour les gens... C'est dans ce sens là que je l'utilisais. Mais dans le doute, j'éviterai de recommencer.

" Je ne veux pas m'en assurer, dit Titus. Ce n'est pas nécessaire. Il saura se défendre et il décide de ce qu'il veut faire. Moi je n'ai rien à voir là-dedans."
Ils avaient atteint la villa d'Amrod, toujours protégée par son dôme miroitant, toujours bordée de son gravier multicolore. Victor, Baptiste et Marius se mirent à courir vers l'entrée et firent bientôt la course. Marius battit aisément les deux garçons qui parurent suprêmement vexés tandis que le plus jeune paradait sous le porche du marchand. Le majordome ouvrit la porte dans son dos et, à son expression, pourtant rapidement maîtrisée, Taliesin devina que son pire cauchemar venait de se réaliser.
Titus suivit plus lentement et, comme il l'avait prédit, le bouc blanc ne pénétra pas dans le domaine, les observant une seconde avant de bondir et de disparaître entre deux maisons voisines.

Le majordome se montra courtois, en bon professionnel. Il conduisit Taliesin et ses protégés jusqu'au bureau d'Amrod. C'était une vaste pièce très encombrée, d'objets d'art, de registres, de mille parchemins, le tout dans un désordre consommé. Amrod était assis à un table, non loin du bureau principal, et examinait une carte en compagnie de Cordélia. Lorsque le majordome introduisit la petite compagnie, un sourire se dessina sur leurs deux visages, et Cordélia se leva pour venir les étreindre tour à tour.
" Ah ! Vous voilà enfin ! Wilmarin avait beau dire que vous étiez en sécurité, c'était difficile à croire, avec tous ces tremblements de terre et ces effondrements !"
Amrod resta en retrait, silencieux, mais Taliesin vit tout de suite que son regard d'expert avait repéré l'étrangeté de leurs vêtements et s'attardait sur chaque détail de leur confection avec curiosité.

En sécurité, vraiment ?
Bigre...
-Nous n'étions pas à proximité et nous n'avons donc courru aucun risque de ce côté-là, l'assura-t-il. En tout cas, content de vous revoir tous deux sains et saufs.
Il allait, évidemment, serrer la main d'Amrod.

Le demi-elfe lui serra amicalement la main.
" Vous avez changé de Plan, à nouveau, n'est-ce pas ? Des créatures étranges ont circulé dans les rues, ces dernières heures. Wilmarin n'a pas voulu nous en dire grand chose... mais il n'a pas nié, non plus. Vous avez fière allure, en tout cas."
Cordélia secoua la tête.
" Changé de Plan... Si je ne vous avais pas rencontrés au milieu d'une attaque de gobelins, je n'y croirais même pas ! Mais soudain, comme ça... Ça a l'air très possible !
— Et c'était TROP cool ! s'enthousiasma Victor. J'ai ramené une super flèche de glace, regarde ! Elle gèle ce qu'elle touche. Et y'avait une fille chauve-souris, et aussi une fée orange, et puis un bassin chaud et des wyvernes qui se battent, et une sorte de Prince, et un festival avec des trucs trop bons à manger, et puis aussi des licornes, et des chevaliers avec des noms d'épices de cuisine.
— Je crois qu'il va falloir que je m'asseye."

-Tu devrais, car tout ce qu'il a dit est la pure vérité. Et il a encore à en dire beaucoup, beaucoup plus...
Il lui sourit... et ne dissuada nullement Victor de poursuivre.
-Comment ça s'est passé, ici ? demanda-t-il au maître des lieux. J'espère que l'explosion et ses suites n'ont causé aucune victime...

" Non, nous avons évacué la butte à temps. Il y a eu quelques blessés dans la descente, des chutes pour la plupart, mais rien de sérieux. Pour le reste... Tout s'est effondré sur place. Il y a quelques blocs qui sont tombés dans les bois, mais rien vers Champsdor. Je pense que Wilmarin y a veillé, mais il n'en a rien dit. Beaucoup de lumière, de bruits bizarres, et des créatures, mais aucune n'était hostile et elles ont eu tendance à s'évaporer, tout simplement. On a parlé d'une espèce de vague de magie... Peut-être due à l'effondrement du culte, mais... Wilmarin semblait penser que le phénomène était plus vaste. Nous n'en saurons rien avant l'arrivée de gens de l'extérieur."
Cordélia, assise, laissait Victor l'abreuver d'un flot décousu mais continu d'informations. Baptiste était resté près de Taliesin, Titus lorgnait déjà sur le jardin. Amrod, tout en parlant avec Taliesin, gardait un oeil concentré sur les déplacements de Marius.

" Oui. Je pense que Champsdor a besoin d'une pause, maintenant." dit Amrod.
Il se déplaça de quelques pas pour ouvrir la porte-fenêtre et laisser sortir Titus, qui le remercia d'un regard, et fila dans le jardin intérieur.
" Vous allez garder ce pourpoint, n'est-ce pas ? Je n'ai aucune chance de vous convaincre de me le céder ? Il est magnifique."

Le barde baissa les yeux sur le vêtement. C'était vrai qu'il était splendide, sans compter... qu'il venait de Féérie. Un souvenir de leur expédition, donc, ce qui n'était pas sans importance. Bref, s'en séparer ne serait pas évident.
Néanmoins...
-Vous n'avez pas à me convaincre : je vous l'offre. C'est le moins que je puisse faire après toute l'aide que vous nous avez apportée et toute la bienveillance dont vous avez fait preuve à notre égard.

Amrod parut surpris, puis secoua la tête.
" Non. Ce serait indigne. Il est magnifique mais il est à vous et... je n'ai pas besoin de remerciements. Vous avez rendu un fier service à ma communauté. Mes communautés, devrais-je dire. Pour moi, c'est récompense bien suffisante."
Il sourit.
" Laissez-moi juste en faire un croquis, peut-être ? Pour mes archives. Je n'en produirai pas des centaines pour me faire de l'argent, je vous le promets."

-Réfléchissez-y, Amrod : ce serait de bon cœur. Et quoi qu'il en soit, je peux vous le prêter pour vos archives, cela ne me pose aucun problème.
Il jeta un regard aux enfants, revint au demi-elfe.
-Penseriez-vous possible de demander à ce qu'on nous prépare un petit-déjeuner ? Marius a faim et... J'ai dans l'idée que ce n'est pas le seul.