La Couronne de Cuivre

-Si si.
Il s'immobilisa, incanta et, en quelques instants, le couloir derrière eux fut barré par une épaisse paroi de pierre.
-Cela ne va pas les retenir longtemps : même s'ils n'ont pas de quoi franchir l'obstacle sous la main, ils trouveront une autre voie... J'ai un peu peur, aussi, que les environs soient truffés de sortilèges de protection ou d'alarme : il devait y en avoir un, au croisement, ce qui explique les paroles de notre prisonnier et... la prompte arrivée de renforts. Bref, on a sacrément intérêt à se grouiller.

" Je ne connais pas ces sortilèges, dit le paladin. Je pensais qu'on percevait toujours le déclenchement d'un glyphe..."
Il haussa les épaules et jeta le prisonnier par terre. Continuer à le balader ne servait à rien. Il entraîna Thibault plus loin.
" Trouvons un passage vers la surface. Même s'ils ont cinquante mages avec eux, ils n'ont pas pu piéger tous les conduits, il y en a des milliers. Une fois dehors, nous serons plus à même de nous débrouiller."

Ils repartirent donc, Thibault ayant ressorti sa pierre enchantée pour se guider dans les ténèbres.
Le clerc ne s'était pas trompé : les Ithiliens les serraient de près, soit qu'ils aient déjà trouvé une voie pour contourner le mur de pierre, soit qu'ils aient d'emblée été divisés en plusieurs escouades.
Et plus d'une fois, il fallut aux fuyards changer de direction pour éviter de tomber nez-à-nez avec l'ennemi.
Ils enfilèrent couloir sur couloir, sans trop savoir où ils allaient, cherchant juste une issue vers la surface qui ne se présenta pas.
Puis, tout à coup, Hubert reconnut les lieux. Car ils lui étaient familiers.
Ils avaient abouti juste sous la forteresse...

Le paladin jura à mi-voix. Ce n'était assurément pas là qu'il avait espéré se trouver. S'ils montaient par cette issue, ils seraient doublement piégés : il fallait en trouver une autre. En même temps, c'était un coin qu'il connaissait mieux : il devait pouvoir identifier rapidement un escalier menant dans une maison au hasard, n'importe laquelle. Une fois qu'ils seraient dans la rue, il y aurait un nombre incalculable de cachettes et la possibilité d'invoquer Grand Vent pour prendre la poudre d'escampette en deux temps trois mouvements.

Mais l'ennemi les talonnait toujours de près. Lui aussi avait une bonne connaissance du terrain et il semblait qu'un groupe assez nombreux se soit tenu prêt à intervenir en cas d'alarme : le risque d'être pris dans la nasse était grand, très grand...
Au hasard d'un nouveau tournant, ils se retrouvèrent exactement à l'endroit où, plus tôt, ils avaient quitté leurs compagnons.
-Le passage secret n'est pas loin... souffla Thibault.

" Nous allons être faits comme des rats, si nous nous retrouvons coincés dans la forteresse..." souffla le paladin, sans pour autant empêcher le Sunite de mettre son plan à exécution.
Il fallait espérer que les Ithiliens ne remarqueraient pas leurs traces sur la pierre et qu'ils n'en profiteraient pas pour découvrir ces couloirs dissimulés. Avec l'aide de Tymora, il y aurait moyen d'en ressortir quand ils auraient abandonné la poursuite... Cela paraissait hasardeux, mais ils n'avaient pas le choix.

Thibault se mit à tâtonner contre un mur.
Derrière eux, les pas pressés d'une escouade se rapprochaient.
Mais Tymora choisit d'aider le maître de son élue... et le passage secret s'ouvrit.
Et se referma presque silencieusement sitôt qu'ils s'y furent engouffrés, atteignant les premiers degrés d'un escalier en colimaçon.
Moins d'une minute plus tard, ils percevaient, à peine audible, le son des Ithiliens qui passaient sans la voir devant l'issue closes.

Hubert s'assit sur les premières marches pour reprendre son souffle. Ils avaient couru, aux abois, pendant de longues minutes et malgré sa constitution, il s'en ressentait. C'était le fruit de sa tension et de la mauvaise nuit. Il resta silencieux et immobile pendant un certain temps, songeant à l'inanité de toute l'aventure. Il avait abandonné Ezéchiel et Edgar pour courir vers les mines, en vain. La colère monta en lui, à nouveau, souveraine, et il la réprima. A quoi servait d'être un paladin, un demi-céleste, même, si ça n'aidait à rien ?
Il avait honte et il était dépité. Une partie de lui était soulagée d'avoir Thibault auprès de lui, la seconde furieuse que son rival le voit dans un état pareil. Il fallait qu'il se reprenne, pourtant. Ils n'étaient pas tirés d'affaire.

Mais le Sunite, peut-être pour ne pas l'embarrasser, peut-être parce qu'il avait autre chose en tête, ne resta pas à l'observer.
-Je vais vérifier où ça mène. Mais promis, je n'ouvrirai pas la moindre porte dérobée et je ne quitterai pas le passage secret.
Il était de retour cinq bonnes minutes plus tard, ce qui avait permis au paladin de se ressaisir, au moins en partie.
-Bon, comme indiqué par Giovanni, l'escalier permet d'ateindre le rez-de-chaussée et le premier étage de la forteresse. Toujours bon à savoir.

Hubert acquiesça et se releva.
" Tendons l'oreille... Si les Ithiliens avaient piégé le carrefour, ils ont sûrement piégé la forteresse... Il serait peut-être bon de nous assurer que le groupe d'Ezéchiel a réussi à repartir sans encombres... et s'ils ont encore là, ils ont peut-être besoin d'un coup de pouce... Ce qui est certain, c'est qu'il est trop tôt pour tenter une sortie."

Il acquiesça.
-Montons, alors. Effectivement, tant qu'à être là... Autant en profiter !
Aucun son ne provenait de derrière la porte dérobée menant au rez-de-chaussée. Du moins, aucun assez fort pour être perçu.
En revanche, de derrière celle ouvrant sur le premier étage, ils entendirent nettement les échos d'ordres beuglés par quelque officier.

L'enthousiasme de Thibault avait quelque chose d'étrangement euphorisant. Il semblait s'être joint à lui sans arrière-pensée, pour le plaisir de l'aventure, ne posait même pas de regard accusateur sur son compagnon. Pourtant il savait que ça avait été une initiative stupide, inspirée par la tension qui régnait dans leur palais protégé. Alors pourquoi était-il là ? Etait-ce juste parce qu'il avait craint de rentrer sans le paladin ? Pourtant il devait savoir qu'Albérich ne lui aurait pas reproché d'avoir choisi la raison face à la folie...
Hubert s'arracha à son songe, sans avoir trouvé de réponses à ses interrogations.
Il s'immobilisa derrière la porte, à son tour, et tâcha d'en percevoir davantage...

Comprendre ce qui se passait n'avait rien d'évident : la paroi de pierre était épaisse et étouffait grandement les sons. Pourtant, après quelques minutes à tendre l'oreille, Hubert eu la nette impression que l'alarme avait également été donnée ici. Et qu'elle n'avait pas de rapport avec leur excursion dans les tunnels : non, des Ithiliens passèrent à deux reprises, et en nombre, devant leur cachette, comme s'ils cherchaient quelqu'un.
-Merde, j'ai l'impression que tout ne s'est pas passé comme prévu, ici... murmura le Sunite.

" Mais comment les trouver ? souffla Hubert. Nous pourrions sortir, mais ce serait nous exposer d'emblée... Je n'ai aucune idée du parcours de ces passages secrets... Ils doivent être très étendus..."
Il grimaça.
" Ils cherchent peut-être Etienne. Les autres ont peut-être filé, déjà, avec lui. Ce serait formidable."
Il s'en voulut brusquement d'avoir abandonné le jeune Fontbrune pour poursuivre des chimères. Mais il ne devait pas se laisser aller... Ils n'étaient sûrs de rien.

-Raison de plus pour sortir et aller semer le bazar.
Le Sunite avait déjà tiré son épée.
-S'ils ont réussi à libérer Étienne mais ont été repérés, ils sont peut-être cachés dans un autre passage secret, attendant une opportunité de gagner les souterrains. Une opportunité que nous avons les moyens de leur offrir : vu comme nous avons éliminé les guetteurs au croisement, nous pouvons faire aussi bien ici. Sinon mieux.

Pour le coup, ce fut l'initiative de Thibault qui parut complètement suicidaire au paladin.
" Mais ils ne sont pas douze, ici, Thibault." dit-il, sceptique.
Il prit une profonde inspiration. C'était l'occasion de se rattraper, peut-être. Un baroud d'honneur pour la bonne cause. Il n'imaginait de toute façon pas retourner au palais comme si de rien n'était. Ce n'était pas possible.
Dans le même temps, Thibault ne savait pas ce qui se passait. Il faisait une supposition basée sur peu de choses, pour ne pas dire rien, et il se trompait peut-être.
" Que dirais-tu de rentrer, toi, pendant que je fais diversion ?"

L'intéressé fronça les sourcils.
-Rentrer où ? A la forteresse ? Si c'est ça, n'y compte pas : je ne repartirai pas avant d'avoir fait quelque chose d'utile. Quant aux diversions...
Il sourit.
-Les Sunites sont des gens de spectacle, Hubert : c'est donc notre rayon.

Cet homme était fou.
" Thibault. L'idée n'est pas de nous sacrifier pour quelque chose dont nous ne sommes même pas sûrs..." murmura le paladin.
Mais il fit quand même glisser son épée hors de son fourreau, interdit. C'était l'idée la plus stupide de l'année.
" On se replie si on ne sert à rien."
Mais se replier où ?

Il acquiesça.
-Très bien. S'ils ne nous pressent pas de trop près, nous n'aurons qu'à revenir ici : à ma connaissance, c'est le seul passage secret menant aux souterrains.
Comme aucun ennemi ne semblait se trouver à proximité, il ouvrit le passage secret.
Ils se retrouvèrent dans un couloir du premier étage qu'ils avaient tous deux longé à maintes reprises.
A quelque distance, des pas.
Plus loin, un officier criant qu'il fallait retrouver les intrus et les évadés.

" Apparemment, ils ne les ont pas retrouvés..." murmura le paladin.
Il était de moins en moins sûr que cette intervention était une bonne idée. Avec un peu de malchance, ils allaient être pris, tandis que les autres étaient en fait déjà bien tranquilles dans les souterrains. Qu'est-ce qui lui avait pris de suivre le clerc ?
" Allons voir..."

Peut-être les autres étaient-ils déjà loin : aucun moyen de le savoir.
Ce qu'ils ne tardèrent pas à comprendre, en revanche, c'est que tous n'en avaient pas réchappé.
Évitant les groupes ennemis, ils progressèrent à l'intérieur de la forteresse, en des lieux qui, encore peu de temps auparavant, avaient été leurs. Bientôt, ils débouchèrent dans un couloir qui, pour être vide de vivants, n'en était pas pour autant complètement désert.
Il y avait des corps sur le dallage, baignant dans des mares de sang commençant tout juste à coaguler.
Devant une porte béante, laquelle, ils le savaient, donnait sur une très vaste salle, gisaient sept Ithiliens... et trois de leurs compagnons, dont Ézéchiel, le crâne littéralement fendu en deux.

Le choc et la culpabilité embrasèrent le paladin de concert. S'il avait été là, si Thibault ne l'avait pas suivi, ils auraient été plus nombreux, ce drame aurait pu être évité, Ezéchiel ne serait pas mort sur les dalles sordides de la forteresse. Même si ça ne servait à rien — l'état du cadavre était éloquent — Hubert s'agenouilla devant lui pour poser deux doigts sur sa gorge, une manière de détourner un instant ses pensées assassines.
La seconde suivante, il se servit de son épée pour lui couper une mèche de cheveux. C'était sans doute illusoire, mais on pouvait ramener un homme avec la plus infime partie de lui-même, quand on en avait le pouvoir. Il savait que Lathandre réprouvait la résurrection, mais le paladin était responsable de ce massacre, et il ne pouvait pas ne rien faire.
Il se redressa rapidement, cependant, et jeta un oeil dans la salle qui se trouvait au-delà des portes et que leurs alliés avaient manifestement essayé de défendre...

A l'intérieur, il aperçut, en grand nombre, des paillasses de fortune, de vieilles couvertures... Aucun doute n'était possible : l'endroit avait servi de dortoir jusqu'à très, très récemment. Mais à présent, plus personne ne s'y trouvait.
-Ils ont dû vouloir libérer les prisonniers qui étaient demeurés ici, sans doute trop faibles pour faire quoi que ce soit aux mines... murmura un Thibault que leur macabre découverte avait rendu livide. Ce que je en comprends pas, c'est ce qui a pu les pousser à changer le plan initialement prévu...

" Etienne a pu les convaincre qu'il ne partirait pas s'ils ne libéraient pas les autres, murmura Hubert en observant les lieux. Ou Giovanni a craqué... Je n'en sais rien."
S'ils transportaient des enfants et des vieillards, leur marge de manoeuvre devait être extrêmement réduite. Et vu le carnage qu'ils avaient trouvé à la porte, ils devaient sans doute agir vite s'ils voulaient éviter un massacre... Il n'était pas sûr que les Ithiliens épargneraient les invalides après leur rébellion.
" Tâchons de déterminer par où ils sont partis..."

-Hum, d'accord, mais j'espère que tu es plus doué que moi en pistage. Parce que si j'ai bien aperçu des empreintes ensanglantées, elles m'ont paru très nombreuses et... très embrouillées. En plus, il y a des chances qu'elles appartiennent aux Ithiliens...
Il pinça les lèvres.
-Sinon, on se trouve un coin tranquille et j'essaie de contacter Giovanni.

" Faisons ça, tu as raison, dit le paladin. Si je me souviens bien, il y a une petite pièce de ce côté-là... Je monterai la garde pendant que tu incantes."
Il entraîna le Sunite dans la direction dite, toujours aux aguets. Ils durent repasser près des corps et le paladin en profita pour prélever rapidement des cheveux sur les deux autres cadavres. Il était autant coupable de leur trépas que de celui de l'éclaireur, il n'y avait pas de raison de faire une différence.
Le coeur lourd et l'esprit vide, il tenta de revenir dans l'instant. Ils pouvaient peut-être encore sauver quelqu'un...

Ils rallièrent la petite salle qui, outre sa proximité, avait l'immense avantage de disposer d'une porte. Sitôt à l'intérieur, Thibault commença son incantation, le plus silencieusement possible.
Il n'en avait pas encore terminé lorsqu'une patrouille ithilienne passa sans s'arrêter dans le couloir. Si Hubert ne put comprendre l'intégralité des paroles qu'ils échangeaient, il en saisit assez pour en comprendre que le moral de l'ennemi n'était guère affecté et ne le serait guère davantage s'il s'avérait impossible de mettre la main sur les intrus et ceux qu'ils avaient libéré. Après tout, comme le souligna l'un des doldats...
-Ils n'ont pas pu atteindre les otages importants !

Cette information surprit grandement le paladin. Que diable s'était-il passé pour qu'Ezéchiel risque la vie de ses hommes dans une mission tout à fait différente de celle qu'ils s'étaient fixée ? Mais en fait, en y réfléchissant bien, ils avaient parlé de libérer les prisonniers de la forteresse, pas spécifiquement d'Etienne... Simplement, ils avaient mal évalué cette fameuse garnison, imaginant qu'ils avaient les moyens de la vaincre, là où en réalité, les forces étaient plus importantes que supposé. Une fois encore, il mesura sa responsabilité dans ce fiasco. Bien sûr, ils n'étaient que deux, mais ils n'étaient pas les premiers combattants venus et leur présence aurait, fatalement, fait une différence.
Etienne était toujours prisonnier, ainsi que ces autres otages importants. Qui étaient-ils, au juste ?
Et le reste du groupe était en déroute. Qui en avait pris la tête ? Edgar, peut-être. Ou Varamyr s'ils avaient réussi à faire jonction avec les infiltrés.
Ils étaient quinze, moins trois morts, plus que douze. La meilleure chose à faire était sans doute de s'assurer que tout le monde parvenait à fuir, désormais, et tant pis pour les prisonniers...
Tout dépendrait de ce que Thibault ramènerait, au final...

Le Sunite finit par se tourner vers lui.
-Bon bon bon, si j'ai bien compris, ils sont tous dans une salle secrète mais comme certains prisonniers sont très faibles, ils n'ont aucune chance de rejoindre l'escalier dérobé menant au souterrains sans être repérés. Ils étaient donc en train de constituer un groupe qui... essayerait de faire diversion assez longtemps pour que les autres puissent s'échapper.

" Est-ce que tu peux nous guider jusque là ? Je pourrais faire diversion pendant que tu les rejoins. Avec tes pouvoirs curatifs, tu pourras donner un peu d'aplomb aux plus faibles, le temps qu'ils regagnent le palais."
Une partie de lui-même avait envie d'atteindre ces otages "importants" pour leur venir en aide, mais il avait causé assez de désastres pour la journée. Il fallait sauver ce qui pouvait l'être, désormais, et ce groupe acculé avait encore toutes ses chances de s'en sortir, s'ils agissaient promptement. Evidemment, c'était sans compter sur les Ithiliens qui couraient dans les souterrains... mais ils aviseraient en temps utiles. Sans Ezéchiel pour couvrir leurs traces, cependant, il fallait espérer qu'il restait des éclaireurs expérimentés parmi les survivants.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue