[Lieu] La Vallée Fertile

[Galathée]

Le signal du départ fut donné dès le lever du soleil, c'est à dire bien trop de l'avis de la plupart des enfants, et probablement du barde. Il risquait de faire chaud, cependant, et il était utile de commencer à avancer avant que ça ne tape trop fort. Amrod laissa à Cordélia le soin d'installer les enfants, encore à moitié endormis, dans le chariot qui leur était dévolu, et prit Taliesin à l'écart.
" Je m'en veux de faire ce que je vais faire, mais en même temps... c'est sans doute nécessaire... même si je trahis une parole donnée... mais bref. Venez avec moi."
Il entraîna le barde jusqu'à son bureau.
" Cette nuit, très tard... J'ai reçu la visite du petit Marius. Il voulait me vendre de la marchandise, et je reprends ses mots exacts."
Amrod écarta les pans d'un carré de toile et révéla au barde un bijou mordoré serti d'une pierre en forme d'étoile, une petite bourse en cuir multicolore, une sphère translucide où semblait danser une sorte de libellule, une plume à deux pointes complètement noire et une série de crânes minuscules, reliés par un cordon de gouttes transparentes. Tout, sans exception, venait manifestement de Féérie.
" Je suis évidemment très intéressé d'acquérir tout cela, vous l'imaginez bien, mais je dois avouer que je me pose des questions sur la manière dont... Marius a obtenu tous ces trésors..."

[Taliesin]

Le barde grimaça.
-Moi aussi. Même s'il ne faut peut-être pas faire de conclusions trop hâtives : il avait quelques objets glanés à l'abbaye, dans son sac, et quand on voit ce que lui ont permis d'obtenir ses cartes, il a très bien pu acquérir cela grâce à du troc...
Il n'y croyait guère, cependant. Quoi qu'il ait aussi eu de l'argent, à bien y réfléchir...
-Sinon... Il ne faut pas le juger trop durement : il a sans doute pris cette mauvaise habitude... par nécessité. C'est une explication, non une excuse, et il va falloir lui faire perdre rapidement ladite habitude.
Soupir.
-Si d'aventure je remarque qu'il vous a... emprunté certaines choses, je ferai en sorte qu'il vous les renvoie avec une lettre de remerciement pour le... pret. Mais concernant ces objets précis... Lui avez-vous déjà donné quelque chose ?

[Galathée]

" Je ne le juge pas, Taliesin, je ne me le permettrais jamais. Et je suis plus ou moins certain qu'il doit m'avoir subtilisé l'une ou l'autre chose, même si j'ai essayé de le garder à l'oeil. Ce n'est pas très grave."
Il pinça les lèvres.
" Je lui ai, oui, payé ces trésors. Ne pas le faire m'aurait semblé indigne et... il ne me les aurait pas laissés en échange d'une promesse. Me voilà receleur, je suppose."
Son sourire s'élargit.
" Mais c'est loin d'être la première fois, vous vous en doutez. Cependant, dans ce cas précis, vu que vous êtes... son tuteur, même accidentel... Je suis désolé si j'ai mal agi."

[Taliesin]

-Non, vous avez bien fait. Comme je le disais, il se peut très bien qu'il ait acheté ou troqué ces objets. Et dans le cas où il les aurait empruntés... Bah, il a laissé en Féérie des choses ayant un certain prix : on va dire que cela équilibre. Pour le reste, merci de m'avoir prévenu : j'en discuterai posément avec lui et je m'efforcerai de lui faire changer ses habitudes, au moins le temps qu'il demeurera sous ma responsabilité.

[Galathée]

" Sans doute en verra-t-il moins la nécessité, tant qu'il est nourri et blanchi... mais l'apprentissage de la frustration, ma foi... Enfin. Ce sont des talents qui ont parfois leur utilité, il faut juste leur trouver un cadre acceptable."
Il sourit.
" Je vous ai trop retenu. Les enfants doivent déjà s'être rendormis. Je vous souhaite bon voyage. N'oubliez pas de prévenir le second de la caravane, si vous voulez éviter les bivouacs inconfortables. Certains caravaniers ronflent comme des sangliers, croyez-moi, ce n'est pas toujours idéal."
Il l'accompagna à l'extérieur. Les chariots étaient au nombre de huit, alignés quatre par quatre dans une large cour qui jouxtait le bâtiment principal, à l'opposé de l'entrée habituelle. En face, manifestement, se trouvaient les entrepôts. Avant que Taliesin ne puisse embarquer, Cordélia l'étreignit une dernière fois, un peu émue. Ensuite, Amrod lui désigna l'homme dont il lui avait parlé la veille, le dénommé Kelvim, qui vint lui serrer la main. C'était un humain d'une quarantaine d'années, sec comme un morceau de bois, au sourire furtif. Leur chariot, en revanche, tiré par deux boeufs, était guidé par une femme impressionnante, très certainement demi-orque. Quelques minutes plus tard, le convoi s'ébranlait. Comme l'avait prévu Amrod, les quatre enfants, pelotonnés dans leurs couvertures, s'étaient rendormis.

[Taliesin]

Ainsi débutait un périple qui promettait d'être long et quelque peu ennuyeux.
Mais ils avanceraient plus vite qu'à pied, pourraient admirer le paysage et auraient l'opportunité de s'attarder s'ils croisaient un endroit intéressant en fin de journée - ce qui leur laisserait le temps de rejoindre le bivouac.
Lui-même, de toute façon, aurait de quoi s'occuper avec ses pensées : les gens et les lieux qu'ils quittaient, leur séjour en Férie, l'épée, la manière dont réagirait Galathée... Mais les gosses allaient trépigner ferme, eux.
Et il faudrait bien faire avec.

[Galathée]

Les gosses en question dormirent tranquillement dans les couvertures et les coussins qu'Amrod leur avait fournis pour le voyage tandis que le chariot traversait Champsdor encore endormie. Le pas de boeufs claquait sur le pavé mais sans réveiller la petite compagnie qui, au pire, maugréait un rien avant de se retourner. De Champsdor, le convoi se glissa dans la campagne, quittant la cité par la porte ouest et la route qui menait au plus vite hors de la Vallée. C'était une route que Taliesin avait déjà empruntée, quand il pistait Cordélia avec le dénommé Phelan, un jeune homme qui l'avait aidé un temps mais dont il n'avait eu ensuite aucune nouvelle et dont le destin dans cette histoire resterait sans doute un mystère à jamais.
Leur chariot occupait la quatrième position dans la colonne, les boeufs avançaient d'un bon pas, et, hormis les meneurs d'attelage eux-mêmes, la caravane semblait accompagnée d'une douzaine de cavaliers supplémentaires, sans doute pour la protéger, car ils semblaient armés. Pour l'heure, à l'intérieur des limites de la Vallée, tout le monde paraissait parfaitement détendu cependant, quelques hommes bavardaient, d'autres paraissaient somnoler en selle. Il leur faudrait sans doute deux bonnes heures pour atteindre le rideau de forêt qui séparait la Vallée de l'extérieur, et ensuite, ils seraient partis pour une courte aventure avant d'atteindre Togoria.

[Taliesin]

Il songea à ce qui l'avait originellement amené dans la vallée, à ces ruines qu'au final, il n'aurait guère pu étudier.
Qu'allait-il donc raconter à Tim ?
Eh bien, la vérité : que des incidents l'avaient empêché de pousser plus avant ses investigations. Mais il aurait tout de même des notes et des relevés à lui envoyer, ce qui n'était pas tout à fait rien.

[Galathée]

Les enfants gigotèrent avant qu'ils n'aient atteint la frontière des lieux. Baptiste s'éveilla le premier, dispos, un peu surpris de l'endroit où il se trouvait, mais reprenant rapidement pied. Suivit Marius qui avait grand faim, un problème rapidement résolu par la prévoyance d'Amrod et de Braen, qui leur avaient préparé de quoi tenir plusieurs jours (pour autant qu'ils soient capables de se réfréner un rien et qu'ils n'engloutissent pas tout le premier matin). TItus s'éveilla sans un bruit et vint s'asseoir en bout de chariot, là où la bâche ouverte permettait d'observer la campagne et surtout le mufle des boeufs qui tiraient le chariot suivant. Seul Victor n'émergea bien sûr pas.

[Taliesin]

Et Taliesin s'abstint consciencieusement de le réveiller.
Car se lever tard, c'était bien. C'était même très bien. Peut-être fallait-il y voir une prédisposition au métier de barde ou à la foi sunite ? EN tout cas, cela leur faisait un point commun.
Sans compter que cela préservait le calme dans le chariot... Calme qui ne durerait pas, alors autant en profiter.

[Galathée]

Tandis que Victor paressait tranquillement, Baptiste ouvrit un de ses fameux carnets et entreprit de compléter quelque note qu'il avait prise précédemment. Titus semblait parfaitement se satisfaire de contempler le paysage. Marius, lui, se mit à s'agiter, d'abord discrètement, puis de manière plus franche, et finit par escalader Victor pour se faufiler tout au fond du chariot, encombré de divers sacs de matériel et victuailles, et y disparaître. La bâche du chariot s'assombrit, signe qu'ils arrivaient sous les arbres. Le convoi ralentit légèrement, Taliesin entendit des salutations, quelques échanges anodins, puis ils poursuivirent à nouveau à une allure convenable.
Une silhouette se dessina à l'arrière du chariot, penchée depuis sa selle. C'était le second du chef caravanier.
" Tout va bien à l'intérieur ? Pas de pause pipi ?"

[Taliesin]

Il lui sourit, amical.
-Tout va bien, merci. Quant à une éventuelle pause...
Et de consulter les enfants.
Il était certain qu'à un moment ou à un autre, ils auraient besoin d'une vraie pause pour se défouler un peu. Mais sans doute cela pourrait-il attendre l'heure du repas... Peut-être que la caravane, d'ailleurs, s'immobiliserait à ce moment-là.

[Galathée]

Les enfants ne demandèrent pas de pause et Kelvim s'éloigna au petit trot. Les chariots poursuivirent encore un moment dans les bois, cahincaha, accompagnés par le bruissement des feuilles et le chant des oiseaux, avant de déboucher en pleine campagne et d'obliquer à angle droit vers le nord. Titus, en bonne sentinelle, relâcha sa respiration.
" On est partis." murmura-t-il.
Et c'était vrai : la Vallée, désormais moins Fertile, avait disparu derrière son rideau d'arbres et ils étaient à nouveau dans le paysage plus sauvage de la Vallée du Nirvana...