La Couronne de Cuivre

Même si les goules étaient nombreuses, le destrier put l'en protéger - et même faire mieux que cela - assez longtemps pour qu'il puisse achever de se vêtir tranquillement. Il lui fallut ensuite le rappeler à lui pour jeter le cadavre en travers de son dos et se hisser en selle. Dès lors, s'éloigner des goules qui s'étaient ruées en avant ne fut l'affaire que d'un instant.
Il s'était mis au grand galop et avait atteint la rue longeant le parc lorsque, du coin de l’œil, il aperçut des silhouettes à quelque distance sur sa droite. Il crut d'abord qu'il s'agissait de morts-vivants mais, aux armes qu'elles brandissaient, il comprit vite que ce n'était pas le cas. De surcroit, la mise de la plus grande d'entre elles, élégante quoi qu'en piteux état, lui dit d'emblée quelque chose.
Il ne put discerner les visages, toutefois : déjà, les quatre visiteurs tournaient les talons.

Dans un sursaut, il fit volter son cheval pour rattraper les silhouettes qui s'éloignaient.
" Guillermo ! Guillermo, je t'en prie ! Attends !" cria-t-il, hors d'haleine.
Il n'espérait pas ramener le mercenaire dans leurs rangs, mais celui-ci avait le droit de savoir qu'ils étaient désormais tous en danger.

La silhouette hésita puis fit volte face et s'avança de quelques pas dans sa direction, tandis que ses compagnons demeuraient où ils se trouvaient.
-Heureux de vous revoir, Hubert, même si j'aurais préféré que les circonstances soient plus fastes.
L'ancien capitaine mercenaire, qui paraissait plutôt en bonne forme, jeta un regard au corps.
-Mes condoléances pour le sieur des Rosières. J'espère que vous parviendrez à convaincre messire Megrall que sa mission en ce bas monde n'était pas terminée et qu'il est donc envisageable de le ramener parmi les vivants.

Le langage fleuri, presque désinvolte, du mercenaire laissa Hubert complètement désemparé.
« Je… Heu… »
Il baissa les yeux sur Thibault et acquiesça.
« Je l’espère moi aussi. » souffla-t-il, et pendant une seconde, une affliction qu’il s’était refusée à ressentir jusque là l’empêcha de parler.
Il esquissa un faux sourire, pour reprendre contenance. Il avait espéré d’autres circonstances, lui aussi, et davantage de… chaleur. Mais il devait arrêter de voir dans le mercenaire autre chose que ce qu’il était. Ils n’étaient pas amis, ne le seraient jamais.
« Guillermo… Les Ithiliens… Ils ont libéré quelque chose dans les entrailles de la ville… Brisé un sceau… Vous n’êtes plus en sécurité dans les rues. Je ne connais pas la nature de cette… chose… mais elle est terrible. Si vous le désirez… notre refuge est sûr. »

Guillermo fronça les sourcils.
-Ils ont brisé un sceau et libéré quelque chose, tu dis ? Voilà qui explique que des cloches se soient brusquement mises à sonner, en ville...
Il jeta un regard par-dessus son épaule avant de revenir au paladin.
-Nous nous sommes établis dans un temple, lequel n'avait pas été envahi par les monstres et me semblait donc relativement sûr. Penses-tu que même un tel lieu ne soit d'aucune protection face à cette nouvelle menace ?

" Je n'en sais rien, dit le paladin. Notre refuge est protégé par des portes infranchissables... par le commun des mortels. Mais nous ignorons la nature de ce danger. Il pourrait être lié... à quelque chose d'infernal, je suppose... et à la catastrophe qui s'est produite autrefois... Mais je n'en sais rien. Nous n'avons pas réellement... eu le temps de creuser la question. Nous n'avons appris l'existence de ce sceau que cette nuit..."
Il pinça les lèvres.
" Je ne sais pas quels endroits sont protégés. Votre temple peut l'être, mais s'il est ouvert aux quatre vents... Je ne sais pas."
Il faillit ajouter que vu la noirceur qui existait dans le coeur de ses comparses, tout pouvoir protecteur devait avoir déserté le temple depuis longtemps, s'il les avait laissés s'y établir.
" Si vous ne pouvez pas... vous mêler à nous... Quitter la ville est peut-être le plus prudent. Mais j'ignore quelles sont vos intentions. La mort ne vous fait probablement pas peur."

-C'est certain, mais j'aimerais autant qu'elle ne croise pas trop tôt la route de ces trois-là : ils sont moins irrécupérables qu'on ne pourrait le croire et... Bah, disons que j'ai un peu d'expérience pour ce qui est de ramener la mauvaise graine sinon dans le droit chemin, au moins dans quelque chose qui s'en rapproche et qui la rend... moins infréquentable.
Il soupira.
-Quitter la ville est malheureusement impossible : outre le fait que j'ai encore une tâche à y accomplir, s'aventurer dans les marais en plein hiver sans assez de vivres et de matériel, c'est courir à une mort certaine. D'un autre côté, je me vois mal vous rejoindre, ne serait-ce que parce que vous les mettriez sous clef, ce qui serait aussi injustifié, du moins à présent, que contre-productif. Je crains donc qu'il ne nous faille compter sur la protection de notre discret petit temple.

" Oui, je crois aussi." dit le paladin.
Guillermo avait beau dire, sa mauvaise graine s'était retournée contre lui en le projetant au bas des remparts, sans qu'il ait pu l'anticiper. Et Hubert se souvenait des paroles de Varamyr qui estimait que même les plus jeunes Paludiers étaient encore dangereux. Ces trois-là ne pourraient jamais intégrer la communauté, et le goût du sang leur était immanquablement revenu, compte tenu de leurs basses besognes des derniers jours. Il regrettait que leur présence leur ait fait perdre le soutien du mercenaire, mais c'était ainsi.
" Bonne chance à vous, alors."
Il faillit y adjoindre la bénédiction de Lathandre, mais ce n'était pas ce dieu qui veillait sur des hommes comme Guillermo.

Le mercenaire hésita, lui aussi.
-S'il est difficile de cohabiter, peut-être pouvons-nous malgré tout collaborer, ne serait-ce qu'en échangeant des informations, finit-il par dire. Je vous proposerais bien de vous raccompagner pour que nous puissions bavarder mais je me doute qu'il vous faut rentrer au plus vite à votre base. Néanmoins, pourquoi ne pas se fixer une manière de rendez-vous demain ? En me promenant, j'ai observé et découvert certaines choses, et je suis certain que ce que vous savez de la situation générale pourrait m'être utile...

Hubert hésita. Il n'était pas certain qu'ils poursuivaient les mêmes objectifs, et il ne pouvait pas s'engager sur ce qu'il aurait le droit de lui révéler. L'emplacement de leur refuge, déjà... Il ne prendrait jamais le risque de le lui donner, à présent qu'il était clair qu'il ne les rejoindrait pas formellement.
" Je ne suis pas certain que je pourrai me rendre à un rendez-vous demain."
Ça, c'était la vérité.
" Mais quelqu'un le pourra probablement. Dans le cas contraire, Albérich te préviendra."
Il soupira.
" Quand et où ?"

Le mercenaire hésita à nouveau.
-J'imagine que vous êtes tous très occupés, alors... Réfléchissez-y et contactez-moi pour fixer les modalités de cette rencontre : je peux facilement m'adapter. Et si vous rechignez à envoyer quelqu'un au dehors, surtout après ce qui s'est passé aujourd'hui, je comprendrai.
Il sourit.
-Ne prenez pas peur, voulez-vous ?
L'instant suivant, il écartait les pans de son manteau et tirait son épée. Du moins, une épée, car ce n'était pas l'une de celles dont il usait habituellement. Puis il la tendit au paladin.
-Les traîtres ont pris grand plaisir à se partager vos affaires. Lothar se pavane avec l'une des vôtres mais... Je n'ai pas encore pu la récupérer. Par contre, son bras droit avait celle-ci. J'espérais bien pouvoir vous la restituer, à l'occasion, et comme il n'est pas certain que nous nous recroisions...
Hubert la reconnut : c'étatia l'arme de Robert, celle qu'il avait récupérée sur le cadavre de son assassin, après l'assaut des Écorcheurs, au fort.

Hubert s'approcha, sans descendre de son cheval, et prit la lame que lui tendait le mercenaire.
" Merci." dit-il, curieusement ému de l'attention.
Il ne trouva rien d'autre à ajouter et fit volter Grand Vent.
" Je dois y aller... Les autres... m'attendent probablement..."
Il échangea un ultime regard furtif avec le mercenaire.
" Bonne chance à vous."
Il ne voyait pas quoi d'autre lui souhaiter.
Il remit son cheval au galop et s'éloigna ensuite sans se retourner. Il ne comprenait pas la voie qu'avait empruntée le mercenaire, et cela lui minait curieusement le moral. Il le repoussa loin dans son esprit, car ce n'était pas le moment : il lui fallait à nouveau redoubler de prudence, et réussir à se frayer un passage jusqu'au palais sans que les Ithiliens ne le repèrent. La neige, malheureusement, gardait les traces du sabot de son cheval, aussi lui faudrait-il probablement le révoquer rapidement, histoire de pouvoir circuler plus discrètement.

Il s'inquiétait pour rien, cependant : après le vent, la neige fit son apparition, et il eut tout lieu de croire qu'avant longtemps, ses traces auraient complètement disparu.
Avec, à bonne distance, la silhouette floue de la forteresse perchée sur son promontoire, s'orienter ne fut guère difficile, même s'il prit la précaution de ne pas rallier son objectif en passant par le plus court chemin. Quant aux quelques monstres qu'il croisa, il les dépassa trop vite pour qu'ils puissent représenter une quelconque menace.
Enfin, il parvint à proximité du palais. Peut-être valait-il mieux, cependant, qu'il fasse le reste du chemin à pied.

Il mit pied à terre à bonne distance et salua Grand Vent pendant de longues minutes avant de le délester du corps de Thibault et de le renvoyer dans son Plan. Malgré le gel, la dépouille était restée flasque, plus encombrante que lourde, et Hubert réfléchit un moment au meilleur moyen de la transporter avant de la basculer sur son épaule. Ensuite, l'épée à la main, l'autre calant le Sunite contre lui, il se mit en quête d'une porte ouverte et d'un accès aux souterrains. Descendre plus près du palais était trop dangereux.

Chercher une voie d'accès vers les souterrains au petit bonheur la chance aurait pu lui prendre des heures, d'autant que la plupart d'entre elles étaient fermées et qu'il aurait dû farfouiller en quête de mécanismes d'ouverture. Heureusement pour lui se dressait non loin l'un des édifices qu'il avait visités au cours d'une expédition. Il le rallia donc, gagna les caves et retrouva le fameux passage secret.
Quilleuse minutes encore et il aurait atteint son objectif.

***

Des heures plus tôt, après avoir renoncé à lire, Albérich s'était mis en devoir de songer aux modalités pratiques de l'accueil des renforts qui arriveraient sous peu. Concernant le couchage, s'ils voulaient conserver le système de dortoirs, il serait nécessaire de consacrer une, voire deux pièces supplémentaires à cet effet ; s'ils voulaient opter pour des chambres, comme à la forteresse, il y avait des salles en quantité plus que suffisante - doux euphémisme. Quant aux repas... A condition de rajouter quelques tables, voire d'organiser des roulements, l'emplacement actuel était susceptible de convenir malgré l'afflux de nouveaux colons.
Il était en train de réfléchir à la manière de faire entrer les chariots - le couloir menant aux caves semblait assez large - lorsque, des hauteurs du palais, retentit une lugubre sonnerie de cloche.
Elle tinta à plusieurs reprises, d'une manière qui lui rappela désagréablement un glas.

Le vacarme métallique le mit immensément mal à l'aise, et il songea au sceau des profondeurs et sa rupture imminente. S'excusant auprès des personnes avec qui il travaillait jusque là, il décida de se mettre en quête de la source du bruit. Il ne s'attendait pas à grand chose, juste à une cloche quelque part, annonçant le désastre, mais vu les mystères qui planaient sur les lieux, et qu'ils n'avaient toujours pas élucidé, il n'était pas impossible que quelque chose d'autre se soit produit dans le palais, peut-être le déclenchement d'une protection magique ou l'apparition d'instructions à suivre dans ce langage cryptique des anciens. De toute façon, il fallait qu'il en ait le coeur net...

Il avait à peine atteint le rez-de-chaussée que le cloche se tut : la localiser devenait, dès lors, difficile, d'autant qu'elle avait paru se trouver dans les étages supérieurs... Et si des changements étaient intervenus dans le bâtiment, sans doute faudrait-il les chercher avec minutie car, dans osn environnement immédiat, tout semblait comme à l'ordinaire. Hormis l'attitude de ses compagnons d'infortune que le bruit aussi subit que de mauvais augure avait semblait-il troublé...

Albérich poussa un bref soupir et repartit en arrière. Il s'était passé quelque chose, assurément, mais Lathandre avait dit qu'ils étaient protégés. Ils ne pouvaient donc qu'attendre que les autres rentrent, en continuant à vaquer à leurs occupations comme à l'ordinaire. Il devenait cependant urgent d'organiser une assemblée... Les gens n'avaient pas eu d'information sur la situation depuis le premier jour, et leur tension deviendrait bientôt insupportable.
Il finit par abandonner Clovis aux problèmes d'intendance pour chercher Marthe et lui soumettre la question. Ne fut-ce qu'une toute petite intervention, la promesse d'une réunion... C'était devenu indispensable.

-Tu as raison, répondit la magistrate lorsqu'il lui eut présenté son idée. Nous n'avons qu'à circuler de groupe en groupe. Tout en précisant bien que nous sommes en sûreté, ici, qu'il n'y a rien à craindre dans l'immédiat. Il ne faudrait pas que notre démarche inquiète plus qu'elle ne rassure.
Elle baissa les yeux sur le livre dont elle avait dû interrompre la lecture au moment où la cloche avait retenti.
-Sinon, tant que je t'ai sous la main... Ce lieu était bien un refuge, à l'origine. D'après cet ouvrage, il était destiné à abriter les habitants de Clairétoile au cas où se produirait une manière de cataclysme. Il y aurait aussi, en ville, des dispositifs pour sinon l'empêcher, au moins en atténuer, voire en annuler les effets. Mais tout cela est présenté comme une légende à laquelle l'auteur n'accorde guère de crédit.

" Freya avait raison... Les gens d'ici ont oublié leur propre histoire et n'ont pas su se prémunir d'une catastrophe qu'ils avaient probablement déjà connue dans le passé... Nous devrions peut-être creuser cette légende... Mais je ne suis pas certain que nous ayons emporté ce genre de livres... Je n'ai pas eu le temps de terminer mon inventaire, l'autre jour."
Il s'assit un moment.
" Est-ce que dans ce livre... on mentionne si quelqu'un entretenait encore cet endroit ? Je veux dire... Je suis surpris que nous n'ayons trouvé absolument personne... Est-il possible que vraiment aucun d'entre eux n'ait eu le souvenir de l'usage de cette arche ? Ce n'est pas comme si elle était cachée ou discrète... Ce bâtiment est énorme, magnifique, en plein milieu de leur ville... Si l'auteur en parle, j'imagine que cela signifie qu'ils savaient encore y entrer..."

-Ce livre est le plus ancien, parmi ceux dont nous disposons, à traiter de la cité. Il peut dater d'un, voire de plusieurs siècles avant sa chute. Dans les plus récents, on ne parle de ce bâtiment que comme une manière de... de musée, ou de lieu de mémoire et d'exposition retraçant l'histoire de Clairétoile mais servant également à présenter les prouesses techniques et magiques de ses habitants. Alors oui, ils pouvaient encore y entrer, c'est certain. Mais sans doute avaient-ils complètement oublié qu'ils y seraient en sécurité.

" Oui, je comprends."
Il pinça les lèvres.
" Ecoute, essayons de prévenir les gens comme nous l'avons prévu. Ensuite, j'irai voir si je trouve un livre relatant cette fameuse légende. Je ne sais pas si cela va beaucoup nous avancer, mais si nous avions au moins une idée de la nature de ce que les Ithiliens ont libéré dans les tunnels... Cela nous permettrait sans doute de savoir exactement ce qui est à notre portée..."
En espérant qu'ils ne soient pas désormais seuls à Clairétoile, réduits à attendre un siècle que les effets meurtriers de la rupture du sceau s'effacent. Cette simple pensée le secoua d'angoisse et pendant une seconde il demeura blême et muet, avant de se reprendre. Lathandre avait parlé de circonscrire, de repousser... Cela voulait dire qu'ils seraient acteurs et non impuissants... Mais cela ne voulait pas pour autant dire qu'ils n'étaient pas les seuls survivants.

Marthe dut percevoir son trouble car elle posa une main légère sur son genou.
-Souviens toi que la dernière fois que la catastrophe a frappé, la majeure partie de la population a eu le temps de fuir la ville. Nous compagnons pourront donc vraisemblablement revenir ici sans peine. J'espère qu'ils ne tarderont pas, d'ailleurs, parce que j'ai des questions à poser à Giovanni sur ses recherches. Le manuscrit ramené de l'école de magie doit contenir des choses précieuses... Sans parler des travaux qu'il mène dans le plus grand secret avec l'écuyer d'Hubert... Il donne l'impression d'avoir trouvé une piste prometteuse et de n'en vouloir rien dire avant d'avoir obtenu des certitudes.

" C'est dommage qu'il ne veuille pas en parler... Si la piste est si prometteuse... Plus nous serions à y travailler, plus vite cela avancerait. Mais bon, chacun sa méthode de travail."
Il se leva.
" Mais si cela signifie qu'Hubert est impliqué... Cela nous permettra peut-être de le contenir d'une manière ou d'une autre... Je dois dire que... je ne serai pas tranquille avant qu'ils soient rentrés. Le temps passe, déjà... C'est sans doute signe qu'ils ont lancé une intervention. Dans le cas contraire, ils seraient déjà là."
Il contint sa nervosité en respirant lentement.
" Ce sceau... J'ai l'impression que c'est la goutte de trop. L'impuissance pèse déjà terriblement à certains..."

Elle hocha la tête.
-Je sais... Déjà, passer tout mon temps ici me pèse. Bien sûr, je ne sais pas me battre et je ne servirais à rien en participant aux expéditions : j'en ai conscience et cela m'aide à me raisonner, à me tourner vers des tâches plus casanières, certes, mais où j'ai au moins l'espoir de me rendre utile. Néanmoins, cela reste rude. Alors je n'ose pas imaginer comme ça l'est pour des gens comme Hubert... Ou comme toi, d'ailleurs...
Elle soupira.
-C'est sans doute là le pire danger qui nous menace : la tentation d'agir... pour tromper notre impuissance. Mais je suis convaincue que nous pourrons faire quelque chose tôt ou tard : en douter, ce serait douter des paroles d'un dieu... Alors, en attendant, nous allons remonter toutes les pistes à notre disposition. Et il y e a plusieurs que nous n'avons même pas commencé à explorer, comme l'amphithéâtre ou l'observatoir : s'ils ont des symboles particuliers, s'il est possible de leur allouer l'énergie d'une gemme, il doit y avoir une bonne raison.

" Mais rien que le chauffage ou la lumière dépendent de l'énergie des gemmes, Marthe... C'est le problème, avec le message imprécis des dieux... Lathandre a dit que nous pourrions circonscrire la catastrophe... mais qu'est-ce que ça veut dire ? La limiter à la ville ? A la région ? A l'île ? Pourrons-nous la circonscrire en attendant des jours et des jours, ou devons-nous agir dans l'heure ou le jour de son déclenchement ? Tout cela, nous n'en savons rien. Tu as l'air de croire... d'espérer... que nous avons le temps, finalement, d'analyser la situation à notre aise... Je le souhaite moi aussi mais... c'est une sérieuse supposition. Risquée. Nous tergiversons depuis des jours et des jours... Nous cherchons des réponses que nous ne trouvons pas. Je suis d'accord avec toi, il y a des pistes... mais toute la science de cette cité ne reposait pas sur cette seule catastrophe — en imaginant que la rupture du sceau corresponde à la catastrophe d'autrefois, ce dont nous n'avons aucune certitude. Il est quand même frappant de noter que malgré la présence du sceau, clos, intact, protégé dans le fond des mines... Les habitants de Clairétoile ne sont pas revenus."
Il soupira.
" Je crains ces suppositions qui nous arrangent. Je sais que... se ruer à l'aveugle est dangereux... mais dans le même temps... Je ne sais pas ce que nous cherchons à découvrir. Je ne sais pas le rapport entre le sceau, la catastrophe, les célestes, cet endroit, et ces mille bouquins que nous avons rapportés. Cet amphithéâtre... Il servait peut-être à présenter des pièces ou des conférences. Cet observatoire... à regarder les étoiles. Rien de tout ça ne me semble nous concerner, je dois bien l'avouer. Alors on peut faire des supputations dans un sens ou un autre... Mais ce sont des supputations. Nous n'avons pas grand chose pour les construire, sinon nos espoirs, au final... "

-Mais nous pouvons essayer de les vérifier. Même constater qu'elles sont fausses, ce serait déjà avancer, cela permettrait déjà d'y voir plus clair.
Soupir.
-Mais oui, je te l'accorde, nous avançons dans le vague. Cependant... Quelle autre solution avons-nous ? Ne prends pas mal ce que je vais dire, mais... Souligner à quel point les initiatives d'autrui sont futiles sans rien proposer en échange, c'est juste bon à ruiner le moral. Je ne te reproche rien, je te comprends, ce n'est pas ça mais... Soit nous tentons de faire quelque chose par nos propres moyens, soit nous appelons Luménis à l'aide. Il n'y a pas d'alternative, du moins me semble-t-il.

" Si nous avons la moindre indication que la catastrophe en gestation nous dépasse, Marthe, je ferai appel à Luménis, franchement, et sans hésitation, dit le clerc. Je respecte le rêve de la communauté et son désir de s'établir à l'abri de toute ingérence, je souhaite qu'il puisse se réaliser... mais je ne jouerai pas le salut de l'île, jamais. Ce serait... une infamie injustifiable."
Il adoucit ses propos d'un sourire.
" En cela, cette brume qui nous entoure est une bénédiction. Elle me pousse à la patience."
Il s'approcha de la porte.
" Faisons passer notre message. Ensuite... Nous descendrons dans la cave pour tester les gemmes dans ces pièces que tu mentionnais. Et nous verrons si cela nous ouvre des portes."

Un instant, il crut bien que tout ce à quoi il était parvenu, c'était briser le moral déjà chancelant de la magistrate. Toutefois, elle ne tarda pas à se redresser, a afficher une expression plus déterminée.
-Souviens-toi quand même que la catastrophe s'est déjà produite sans toucher toute l'île. Souviens toi aussi que Lathandre a dit que nous pourrions circonscrire et repousser cette menace : et à moins que tu n'es posé la question en précisant que nous appellerions des renforts, ce "nous" désigne la Communauté. Souviens-toi, enfin, que les mages sont parfois peu prudents et que Maelwedd a une réputation de froid pragmatisme : si nous les appelons à la rescousse, il n'est donc pas impossible qu'ils décident d'utiliser ces gemmes que tu redoutes tant... y compris à des fins militaires. Nous sommes en guerre contre Melandis, après tout.
Elle se leva.
-S'il est impératif de renoncer à nos projets et à la Communauté pour éviter un cataclysme, je te suivrai sans hésitation : je ne suis pas irresponsable. Néanmoins, gardons cela comme une solution d'extrême recours : les aspirations de quelques centaines de personnes ne peuvent prévaloir sur la vie de milliers d'individus, il faudrait être stupide, insensible et inconséquent pour dire le contraire. Mais s'il y a une chance de les préserver, ma foi... Elle mérite d'être saisie.

" Je suis désolé si mes paroles ont paru radicales, Marthe. Je n'imaginais bien sûr pas les choses autrement. J'espère juste que nous serons suffisamment sages, si le jour venait, pour reconnaître le moment où nous devons céder."
Avec un sourire navré, il sortit ensuite dans le couloir, dans l'idée d'annoncer à toutes les personnes qu'il rencontrerait ce qui avait été convenu avec Marthe, qu'une assemblée était sur le point d'être réunie, sans doute le jour-même, qu'ils étaient en sécurité et n'avaient rien à craindre. Bien sûr, sur la situation de leurs proches prisonniers, il n'avait pas de bonnes nouvelles, mais il espérait que la promesse d'un rassemblement suffirait à calmer leurs inquiétudes et à repousser les doléances à plus tard... Ensuite, comme il l'avait annoncé à Marthe, ils descendraient dans la petite pièce de la cave, en espérant que le singe puisse remplacer efficacement le paladin absent... et en priant pour que celui-ci ne soit pas en train de faire n'importe quoi, quelque part...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue