[Bâtiment] Temple de Baine

[Taliesin]

Il haussa les épaules.
-Vous parviendrez à vos fins, oui. Mais je ne me rendrai pas sans combattre. Et lorsque je serai sous votre emprise, la perte de sang et les séquelles de l'affrontement m'auront à ce point affaibli que je n'aurai plus aucune chance de réussir ma mission, et vous, par conséquent, d'obtenir la main que vous désirez.
C'était tellement plus simple de rester calme, quand on savait tout perdu... Car même s'il gagnait dès à présent l'étage supérieur, il serait totalement incapable d'échapper aux Bainites : en effet, il ne lui restait plus le moindre sort d'invisibilité.
-Mais tant que nous y sommes... Expliquez-moi pourquoi vous ne voulez pas laisser le petit venir avec moi : vous savez très bien qu'il n'y a aucune issue que nous puissions emprunter, là haut, et que nous n'aurons donc d'autre choix que de nous plier à votre volonté... Mieux encore : expliquez-moi pourquoi vous n'entreprenez pas la chose vous-même... ou ne nous accompagnez pas.

[Galathée]

" Vous êtes d'un ennuyeux, mon ami. Moi qui croyais que nous allions pouvoir nous entendre, grommela le vampire. Ce n'était pas vraiment un marché, vous savez. C'était un chantage. Une menace. Je pourrais obliger votre gamin précieux à se noyer sous vos yeux. Je pourrais lui ordonner de vous attaquer. Je pourrais le faire dévorer par les rats ou les chauve-souris que je maintiens sous mon contrôle. Je n'ai pas besoin de boire votre sang pour faire de vous un esclave. Mais je voulais rester poli. Civilisé. Affable. Et voilà le résultat. Vous êtes en train de m'énerver."
Il secoua la tête, dépité.
" Savez-vous combien il est difficile pour quelqu'un comme moi, qui vis enfermé dans une cellule minable, jour et nuit, depuis des mois, de discuter tranquillement avec de la nourriture ? L'effort que cela me demande ? Mais je perds mon temps."

[Taliesin]

L'elfe faillit hausser les épaules. S'en abstint. Les tourments du mort-vivant le laissaient de marbre. Certes, peut-être voulait-il la main de Drew plus que tout autre chose. Mais puisqu'il pourrait avoir leurs vies à tous deux sans le moindre effort supplémentaire, pourquoi s'en priverait-il ?
Il fut tenté de dire "Qu'on en finisse". Fut à deux doigts de le faire. Puis songea au garçon.
-Baptiste ? appela-t-il d'un ton calme. Tu as entendu toute la conversation et... Je pense que tu as ton mot à dire. Bien sur, je ne te force à rien, je ne veux te faire endosser aucune responsabilité. Mais voilà, savoir ce que tu en penses, ça m'aiderait à trancher.
Il pensa ajouter : "Alors, est-ce qu'on se fait tuer tout de suite, ou est-ce qu'on attend de se faire tuer un peu plus tard ?". Il n'en fit rien, pourtant. Les parodies d'alternatives qu'on leur proposait étaient claires comme de l'eau de roche : malin comme il l'était, l'enfant l'aurait bien compris.

[Galathée]

" Assez !" s'exclama le vampire en tapant du pied, ce qui fit tanguer l'embarcation sur l'océan de mouise.
Il eut un geste brusque vers le gosse.
" Vous demandez à un gamin de prendre une décision difficile à votre place ? Prenez vos responsabilités, que diable ! Vous êtes l'adulte ! Et c'est moi qui suis cruel, on aura tout vu."
Baptiste releva les yeux et Taliesin les trouva vides.
" Il est sous mon emprise évidemment, qu'espérez-vous ?! Et il va vous répondre exactement ce que je veux qu'il vous réponde !"
La barque pivota sur elle-même et partit mollement dans une direction incertaine.
" Mais ça suffit. Vous ne voulez pas y aller ? Soit. Il ira, lui. Et je n'aurai même pas à faire un marché avec lui. Je me gorgerai de vos entrailles pendant qu'il fera tranquillement son boulot. Moandre en est témoin, je suis trop sentimental."

[Taliesin]

Décidément, il allait devoir boire le calice jusqu'à la lie. Enfin, cela n'avait rien d'une nouveauté : c'était constamment le cas, il devait même toujours lécher le fond.
Tu expies, mon vieux. Et s'il faut que tu avales le calice en plus de son contenu, et bien, tu le feras.
Soupir.
-Il a encore moins de chances de réussir que moi, vous le savez très bien, lâcha-t-il. Alors c'est bon, je vais aller la chercher, votre main.
Non qu'il ait le moindre espoir d'y parvenir. Simplement, si le gosse était capturé par les Bainites, son calvaire serait inimaginable. A tout prendre, il souffrirait moins entre les griffes du vampire qu'entre celles du bourreau.

[Galathée]

" C'est trop tard, grommela le vampire. Je vous avais mésestimé. Il y a quelque chose qui vous ronge et qui va vous empêcher de remplir tranquillement votre mission. Vous allez vous poser mille questions, vous interroger sur les manières de me doubler et sur les tenants et les aboutissants de chaque pas que vous faites... Le gamin m'est intégralement soumis. Il fera exactement ce que je lui demande... Sans tous ces parasites propres à le faire échouer."
Il regarda le barde avec mépris.
" Je devrais faire de vous un de mes sbires. Vous seriez alors autrement plus efficace."
Il l'observa attentivement, de ses yeux glacés.
" Mais vous perdriez aussi tout intérêt."
Il se détourna, revenant à l'enfant. La barque bondissait sur les flots de fange, incurva sa trajectoire et s'immobilisa.

[Taliesin]

Bon, le moment était venu de tenter un assaut suicidaire contre la maléfique créature. Suicidaire, tel était le mot. Cependant, force était de constater qu'il s'appliquait à absolument toutes les options envisageables. Alors, pourquoi hésiter ?
Néanmoins, par acquis de conscience, il tenta de la raisonner une ultime fois.
-Le gosse ne verra quasiment rien, sinon rien du tout, dans une bonne partie de l'étage. Il s'égarera donc à peine sorti d'ici, finira par être cueilli par le premier clerc ou le premier Garde de Baine qui passera à proximité et vous pourrez dire adieu à la main de Drew. Malgré tous mes défauts, je ne souffre pas de celui-ci.
Si le monstre demeurait intraitable... ce serait le baroud d'honneur.

[Galathée]

La créature parut hésiter.
" Je pourrai le contrôler même si lui n'y voit pas grand chose, dit-il. Mais vous marquez un point. Vous avez évidemment davantage de ressources, si vous vous décidez à en user. Très bien. Je vous enverrai vous."
Il grimaça.
" Dommage, vous méritez que je vous fasse payer vos tergiversations stupides. Vous avez de la chance que j'ai vraiment besoin de cette main. Et si vous échouez, je pourrai toujours envoyer le gosse ensuite."
Il leva un doigt vers le plafond.
" Vous ne le voyez pas parce que la brume le couvre, mais là au-dessus se trouve le trou d'évacuation des ordures des Bainites. Il se situe dans leurs latrines. Il n'est pas très large et vous allez devoir vous faufiler, mais vu votre état, ça ne changera pas grand chose. Il y a un couvercle généralement recouvert d'excréments qui les bouche. Mais de la sorte, vous arriverez directement dans leurs appartements."
Il parut perplexe un moment.
" Il est probable que malgré l'heure, ils ne soient pas tous couchés... Vous vous débrouillerez. Je veux la main gauche de Drew. Ne vous trompez pas."
Son regard revint sur le barde.
" Ne vous inquiétez pas d'être vu. Je les tuerai tous une fois que j'aurai cette fichue main."

[Taliesin]

Ah ça, c'est sûr qu'il n'allait pas s'inquiéter d'être vu : puisqu'il mourrait quoi qu'il advienne, ça n'avait pas la moindre importance. Pour le reste, débarquer directement dans les quartiers des Bainites faciliterait l'opération. Sauf qu'avec l'odeur qui émanait de sa personne, les occupants des lieux le sentiraient venir de loin, de très loin... Oubliée, donc, la discrète infiltration !
Et puisqu'il était dit qu'il devrait boire le calice jusqu'à la lie...
-Très bien, je vous amènerai donc la main gauche. Hum, et il me semble que vous souhaitiez vous sustenter avant mon départ ?
L'instant suivant, il écartait le col de son manteau. Au moins était-il en mesure d'épargner cela à Baptiste.

[Galathée]

" Puisque vous le proposez." fit le vampire avec le sourire.
Il s'approcha du barde qui exposait sa gorge, l'enserra d'un bras ferme — peut-être pour se prémunir d'une épée qui aurait subitement quitté son fourreau — et le mordit à la jonction entre le cou et l'épaule. La sensation ne dura qu'un fragment de seconde, pendant lequel l'elfe vit rouge et noir, se sentit à la fois caressé très intimement, et déchiré par une bête. Le vampire recula, s'essuyant les lèvres à l'aide d'un mouchoir, qu'il remit ensuite soigneusement dans sa poche.
" Hum. Vous êtes meilleur que votre congénère d'en haut. Drew leur donne vraiment n'importe quoi à manger. Mais je ne veux pas vous affaiblir. C'était juste une question de principe."
Il claqua dans les doigts et il y eut un mouvement dans les hauteurs. Une seconde plus tard, une nuée de chauve-souris dansaient autour de leur tête.
" Dès que vous aurez repris vos esprits, elles vous emmèneront jusqu'au trou. Ensuite, ce sera à votre tour de jouer, mon ami."

[Taliesin]

Il eut très, très envie de lui opposer une remarque bien sentie. Il s'en abstint. Non que cela aurait pu aggraver d'une quelconque manière leur situation : quand on est au fond du trou, on ne peut pas descendre plus bas. Mais à quoi bon gaspiller inutilement de la salive ? De plus, au vu des circonstance, au vu de la nature prétentieuse de l'horreur mort-vivante entre les griffes de laquelle ils étaient tombés, l'ignorance était probablement la tactique la plus adaptée.
-Allons-y, lâcha-t-il d'un ton neutre, lorsqu'il eut plus ou moins retrouvé ses esprits.
Autant en finir au plus vite, n'est-ce pas ?

[Galathée]

" Juste une dernière chose, dit le vampire, tandis que les chauve-souris venaient se saisir du barde, leurs petites griffes agrippant la toile de ses vêtements. Vous constaterez que la main gauche de Drew est pourvue d'un certain nombre d'anneaux. Je vous déconseille très sérieusement... Vraiment très sérieusement... de tenter de vous en emparer ou pire... de vous en servir."
Il décocha un ultime sourire mauvais au barde, puis fit signe aux chauve-souris de s'envoler. Taliesin se retrouva rapidement emporté dans les airs... et c'était un miracle que ses vêtements tiennent le coup. Il entendit d'ailleurs un bruit de déchirure inquiétante au niveau d'une de ses jambes, avant qu'une douleur aiguë ne lui signale que la bestiole avait résolu le problème en se saisissant directement de sa peau. La mer de boue disparut dans l'ombre comme il regagnait les hauteurs, de plus en plus haut, de plus en plus loin, et plongeait dans les nuages de brume odorante. Dépourvu de masque, et privé de l'usage utile de ses membres, l'elfe ne put se protéger efficacement qu'en fermant les paupières et la bouche et retenant sa respiration. Quelques secondes plus tard, il plongea dans les ténèbres. Son coude droit heurta une paroi de pierre, son pied gauche une autre, et il comprit qu'il était dans un conduit à peine plus large que sa carrure. Les murs en semblaient glissants, d'une substance dont il ne fallait pas trop s'interroger sur la provenance, mais il parvint à trouver une prise sous ses doigts avant que les chauve-souris, peut-être incommodées par l'odeur, ne décident de l'abandonner à son sort.

[Taliesin]

Il allait crevé en haillons et couvert de merde de la tête au pieds...
Cette idée le fit sourire. Au fond, c'était un juste retour des choses !
En revanche, il était désolé pour le gamin, dont les espoirs qu'il avait fait naître en lui - imprudemment, il fallait l'admettre - s'étaient vu soufflés en un temps record. Enfin, avec un peu chance, le fait d'être possédé par le vampire l'empêchait de réfléchir.
Cela vaudrait mieux, beaucoup mieux. Ainsi la fin serait-elle moins atroce...
Sur un soupir, le barde entreprit de progressé dans l'immonde boyau, en direction du couvercle dont lui avait parlé le monstre. Avant de le soulever - du moins, s'il parvenait jusque-là -, il essayerait de remettre son capuchon, histoire d'atténuer la pluie d'étrons qui allait lui tomber sur le coin de la figure...

[Galathée]

Taliesin remontait depuis un petit moment déjà, vaille que vaille, quand il y eut brusquement un appel d'air vers le dessus et une bouffée de gaz vert s'engouffra dans le conduit, manquant le pousser vers le haut. Il eut l'impression d'une lumière lointaine, puis reçut quelque chose d'absolument innommable sur les épaules et la tête. Quelques secondes plus tard, cependant, il fut copieusement trempé par une quantité d'eau glacée non négligeable.
" Tripes, ça pue ! s'exclama une voix distante. Referme ça vite !
— Attends, j'en mets un deuxième... ça chasse les émanations. Sinon un jour, ça va sauter comme un bouchon, et honnêtement, j'voudrais pas être celui qui a les fesses sur la planche."
Une deuxième douche froide s'abattit sur le barde, puis il refit noir. Mais contrairement à ce qu'il avait cru, petit miracle, il allait peut-être sortir de cet endroit moins sale qu'il n'y était entré.

[Taliesin]

Cela restait à voir, car ce que l'eau n'avait pas chassé traverserait l'étoffe jusqu'à sa peau...
Bon, en même temps, après les ébats avec la vase, il ne pouvait pas vraiment être plus sale qu'il ne l'était déjà...
Souriant derechef de ses pensées futiles - on s'occupe l'esprit comme l'on peut -, il recommença à avancer, mi rampant, mi escaladant. L'averse qu'il venait d'essuyer aurait au moins deux avantage : d'abord, rien de plus ne lui tomberait dessus lorsqu'il ouvrirait le couvercle ; ensuite, il devait sentir légèrement moins mauvais qu'auparavant, si bien qu'il serait sans doute un tantinet moins aisé à repérer...
Nouveau sourire, amer cette fois.
Car qu'il réussisse ou qu'il échoue, quelle différence ? Il serait tué, en fin de compte.
Sauf qu'il aurait essayé jusqu'au bout. Il devait bien ça au gosse. Ainsi qu'à Galathée, à Victor, à ses compagnons trépassés...
Oui, au moins, il serait allé aussi loin que possible, n'aurait pas baissé les armes avant terme.
Maigre consolation.
Consolation tout de même.

[Galathée]

Il finit par parvenir au couvercle, qu'il put décoincer d'une simple pression. Comme il l'avait espéré, il ne restait plus rien dessus et quelques secondes plus tard, il émergea dans les latrines. Il les avait visitées quelques heures plus tôt : une paroi de bois peu épaisse séparait la fosse d'aisance de la petite salle d'eau voisine. Dans celle-ci se trouvaient encore les trois tonneaux d'eau froide. L'âtre avait été éteint depuis peu, quelques braises rougeoyantes y brillaient encore, dans une odeur de bois mouillé. Le bain était relevé contre le mur. Une lumière ténue brillait sous la porte, pas plus d'une bougie ou deux, grand maximum. Taliesin percevait le murmure d'une conversation distante. Sans doute les deux clercs qui venaient d'en finir avec leurs ablutions. Il y avait un bruit de chaîne aussi. Peut-être avaient-ils déjà été attachés à leur lit.

[Taliesin]

Le plus silencieusement possible - quitte à faire les choses, autant les faire bien -, Taliesin ôta ses bottes trempées et vida leur contenu nauséabond dans les latrines : ainsi ne feraient-elles point trop de bruit lorsqu'il se déplacerait. Ensuite, s'étant rechaussé, il tenta de nettoyer sa lame sur son manteau, afin qu'elle ne demeure pas bloquée dans son fourreau s'il devait la tirer promptement. Cette tâche accomplie tant bien que mal, il alla se laver les mains dans l'un des tonneaux : là encore, mieux valait qu'elles soient relativement propres pour qu'elles ne glissent pas sur la garde de l'épée, le moment venu...
Enfin, se jugent aussi paré qu'il pouvait l'être, il s'approcha de la porte, colla l'oreille contre le battant. Pour intervenir, il devait attendre que tous les clercs soient enchaînés... et que Drew se pense tranquille.

[Galathée]

Il était malheureusement très malaisé de savoir combien ils étaient dans la pièce voisine. Comme l'avait supputé le vampire, il était possible que l'alerte force une partie des Bainites à demeurer de garde pendant toute la nuit : ils avaient prétendument libéré trois monstres d'envergure, après tout.
Taliesin se tint donc coi un bon moment, aux aguets. Il entendit une porte distante s'ouvrir puis se refermer, et la lumière s'intensifia dans la pièce voisine.
" Ne dormez pas trop profondément, mes agneaux, dit la voix de Drew. Vous devez relever les autres dans quelques heures.
— Bien sûr, Maître."
Des bruits de chaîne suivirent.
" Si on ne les a pas retrouvés demain matin, vous descendrez.
— Bien sûr, Maître, firent les voix, beaucoup plus incertaines.
— Reposez-vous bien, petits oiseaux."
Un gloussement retentit devant la porte des latrines mais Drew ne la franchit pas et Taliesin perçut le cliquetis d'une serrure qu'on déverrouille. Une porte s'ouvrit, se ferma, et il constata qu'il faisait désormais parfaitement noir dans la salle voisine.

[Taliesin]

D'après son souvenir, la porte derrière laquelle il se tenait n'était pas particulièrement bruyante. Cependant, comme il n'avait rien d'un discret Roublard, il devait prendre son mal en patience et attendre que les clercs soient endormis avant de la pousser : s'ils donnaient l'alerte, le gigantesque Drew débarquerait une poignée de secondes plus tard, brandissant son fléau démesuré, et il n'aurait alors aucune chance de le vaincre... ou simplement de lui trancher la main. Non, il fallait qu'il s'en prenne à lui par surprise ou, mieux encore, alors qu'il sommeillerait à l'instar de ses comparses. Bref : attendre était la seule solution. Jusqu'à quand ? Là était le problème. Jusqu'à ce que des ronflements retentissent, peut-être. Cependant, s'ils tardaient trop à venir... Et bien, tant pis, il entrerait malgré tout. Deux heures, cela pouvait parfois passer très vite, et il était hors de question de prolonger outre mesure le calvaire de Baptiste.

[Galathée]

Taliesin entendit que les clercs enchaînés devisaient encore à voix basse un moment. Ils veillaient sans doute à ne pas être entendus par Drew — ou à ne pas le déranger, selon leur état d'esprit*— aussi le barde ne pouvait-il rien entendre de leur conversation. Celle-ci se tut cependant assez rapidement et le silence s'installa sur la pièce voisine. Aucun ronflement ne retentit, mais l'elfe crut percevoir une respiration ample, aussi finit-il par entrouvrir la porte d'un demi-pouce. Les clercs avaient le souffle d'hommes endormis. Taliesin pouvait sans doute se faufiler dans la pièce sans plus trop de danger.

[Taliesin]

Il s'y faufila donc. Puis s'immobilisa, hésitant : fallait-il éliminer les clercs ?
Oui, il le fallait. Certes, comme il l'avait dit à Baptiste, tuer des hommes endormis et enchaînés n'avait rien d'honorable. Mais il s'agissait de Bainites, d'êtres maltraitaient, torturaient, tuaient sans vergogne, sans remords. De surcroît, la rencontre avec Drew ne serait sans doute pas très silencieuse : s'il ne s'occupait pas dès à présent de ces deux-là, ils ne manqueraient pas d'appeler à l'aide, et si des renforts arrivaient avant qu'il n'ait terminé sa besogne... Et bien, il serait pris. Ce qui ne devait évidemment pas advenir.
Il finit donc par tirer sa dague et par se diriger vers l'individu le plus proche. Agir promptement, silencieusement... et passer au suivant.

[Galathée]

Les deux clercs étaient endormis côte à côte. Ils avaient la gorge mais aussi les poignets enchaînés à la tête de lit, une manière sans doute de s'assurer qu'ils ne profiteraient pas de la nuit pour incanter et causer des soucis à leur maître bien-aimé. Le barde put se frayer un passage entre les deux couches, ce qui lui permettrait d'agir sans devoir se déplacer entre chaque exécution.
Le premier clerc devait avoir une trentaine d'années et dormait profondément, la bouche entrouverte. Mince et sec, il était proprement bordé sous sa couverture, qui remontait presque à sa gorge. Celle-ci était néanmoins exposée, partiellement protégée par le collier de métal qui l'enserrait. Il ne fut cependant pas très difficile à Taliesin de trouver un angle approprié et il eut tout le temps de se préparer pour porter un coup mortel. La lame s'enfonça dans la chair avec une facilité déconcertante, jusqu'à la nuque, et le Bainite eut tout juste un sursaut, crachant un flot écarlate, avant de demeurer inerte.
Le barde put se tourner vers le second. Plus jeune, il avait le visage couvert de tatouages sombres, mains de Baine entrecroisées, et le crâne complètement rasé. Eveillé, il devait faire peur. Endormi, il avait l'air un peu ridicule. Son sommeil était plus agité. Sans doute était-il en train de rêver... Cela n'avait pas l'air désagréable, en tout cas, si on pouvait se fier aux expressions qui passaient, furtives, sur son visage. Mais en réalité, ce qui plaisait à un Bainite était peut-être tout à fait particulier...

[Taliesin]

L'elfe n'essaya pas d'imaginer de quoi il pouvait bien retourner : des horreurs, il en avait eu assez pour la journée, et il savait que, malheureusement, ça n'était pas terminé. Par conséquent, il préféra se concentrer sur sa tâche : localiser un endroit où frapper, trouver l'angle adéquat, prendre une profonde inspiration et porter un coup, un seul, pour envoyer ad patres le clerc.
Lorsque ce fut chose faite, vaguement écœuré - même dans son état, jouer les assassins ne le réjouissait guère -, il essuya sa dague sur la couverture, la glissa à sa ceinture puis, à pas de loup, se dirigea vers la chambre de Drew. Le plus dur restait à venir... sauf si le colosse dormait. Cela, cependant, il ne le saurait qu'après avoir patiemment écouté au battant.

[Galathée]

Taliesin n'entendit rien. Le silence le plus absolu régnait de l'autre côté de la porte, à moins que celle-ci ne soit trop épaisse pour qu'il perçoive quoi que ce soit. Il semblait n'y avoir aucune lumière, c'était peut-être le seul signe que le clerc était endormi. Un signe maigre, cependant, qui ne prouvait rien. Il demeura en arrêt un long moment sans obtenir aucune information supplémentaire. Il allait falloir qu'il tente sa chance...

[Taliesin]

Il finit par le faire, posant sa main sur la poignée, appuyant doucement sur celle-ci... Il ne se souvenait pas avoir entendu la porte grincer, ni Drew la verrouiller, mais ce n'était pas une raison pour se montrer imprudent. S'il voulait avoir ne serait-ce qu'une chance infime de réussir, le silence devait être son maitre-mot. D'autant que le vampire avait été très clair : il n'était pas question de tuer l'homme, juste de l'amputer de sa main gauche. Or, en cas de combat en bonne et due forme, Taliesin n'aurait sans doute pas d'autre choix que d'essayer, pour sauver temporairement sa vie, d'ôter la sienne à son adversaire. Bien sûr, tout cela semblait terriblement dérisoire, eut égard à la conclusion forcément dramatique de cette sinistre mésaventure. Cependant, il entendait essayer d'agir au mieux, afin de pouvoir se dire, quand la fin viendrait, qu'il avait tout essayé...

[Galathée]

La porte s'ouvrit sur une chambre relativement vaste, plongée dans une obscurité presque totale. Un morceau de bougie se consumait sur la table de chevet, à moitié masqué par une bouteille, raison pour laquelle Taliesin ne l'avait pas perçue de l'extérieur. Le lit, aussi imposant que son propriétaire, était vide. Il semblait n'y avoir absolument personne dans la pièce. Un râtelier d'armes, voisinant la porte, soutenait le fléau gigantesque. Taliesin vit aussi la tenue noire que portait le clerc, soigneusement arrangée sur une quintaine. Il y avait quelques armoires, mais aucune n'était susceptible de dissimuler l'occupant des lieux, même s'il s'était caché à l'intérieur. Il finit cependant par percevoir un murmure, venant de la droite de la pièce, ténu... Il y avait là une grande tapisserie noire, reprenant le poing de Baine et quelques phrases tirées de son dogme. Elle allait presque jusqu'au sol mais Taliesin devina, dans la lumière ténue, la présence d'une ouverture... Il y avait probablement une porte dérobée là-derrière... Ouverte, d'ailleurs.

[Taliesin]

Regardant bien là où il mettait les pieds, veillant à ne rien bousculer, Taliesin s'approcha de la tapisserie. Peut-être Drew disposait-il d'une petite chapelle privée dans laquelle il se livrait à ses dévotions. A moins qu'il ne soit en communication avec l'un de ses supérieurs... La première hypothèse lui semblait beaucoup plus probable que la seconde, mais, s'il écoutait, il ne tarderait pas à être fixé. De surcroît, si sa cible semblait suffisamment concentrée sur son activité, quelle qu'elle soit, il s’enhardirait et jetterai un regard à l'intérieur : ce serait le meilleur moyen de disposer d'éléments pour pour élaborer un plan d'action. Du moins, si agir était possible...

[Galathée]

Tendant l'oreille, le barde entendit le son d'une litanie murmurée, incompréhensible, du rythme chaloupé d'une prière distante. C'était immanquablement la voix de Drew, étouffée, et lorsqu'il souleva légèrement la tapisserie, Taliesin vit qu'une série de marche s'enfonçaient dans la pierre, formant rapidement un angle vers la droite. Les parois étaient grossièrement taillées et, chose étrange, le symbole qui était peint sur les murs ressemblait davantage à une main griffue qu'au poing serré de Baine. Peut-être était-ce simplement dû à la maladresse d'un peintre peu appliqué... Ou alors quelqu'un vénérait Malar, le dieu des Bêtes, un peu plus bas...

[Taliesin]

Que Drew soit en réalité un adepte de Malar n'avait rien de très surprenant : sa passion pour les bêtes et les monstres en tous genres, au contraire, rendait la chose très crédible. En revanche, l'elfe se demandait si sa réelle allégeance était connue de ses supérieurs. Rien n'était moins certain : certes, le dieu sauvage était l'allié de Baine, mais de là à ce qu'on accepte de lui dédier en lieu en plein cœur du sanctuaire de ce dernier...
Bah, à quoi bon s'interroger sur le sujet ? Cela n'avait aucune espèce d'importance.
La mission, rien que la mission. Et tant pis si celle-ci avait changé, si sa réussite ne lui épargnerait pas le trépas. Réfléchir ne lui était d'aucune utilité.
Taliesin se faufila donc par la porte dérobée, remit en place la tapisserie derrière lui puis, tirant son épée, entreprit de descendre l'escalier. Il ferait une halte à l'angle, pour observer ce qui se trouverait plus avant puis, si rien ne s'y opposait, il continuerait sa route.

[Galathée]

Comme il l'avait supposé, il découvrit une petite chapelle plongée dans la pénombre, éclairée seulement par deux bougies sombres, et l'énorme Drew en prière. Il portait la peau hirsute d'une créature impossible à identifier en guise de cape et paraissait, sinon, absolument nu. Debout, gigantesque, la tête renversée en arrière comme en extase, il répétait et répétait encore des phrases dans un sabir guttural presque douloureux à l'oreille. Devant lui, en travers d'un autel grossier, se trouvait la carcasse éventrée d'un animal qui ressemblait à un gros blaireau. L'odeur du sang était omniprésente.