La Couronne de Cuivre

Un instant, Angèle crut que son cœur allait s'arrêter mais elle vit la poitrine de Malo se soulever. Il était en vie. Sans perdre une seconde, elle s'agenouilla à ses cotés. Quelles que soient ses blessures, elle pouvait le soigner, à condition bien sûr qu'elles ne soient pas trop importantes. Il fallait simplement qu'elle voie où imposer ses mains. Avec une certaine appréhension, elle défit les boutons du manteau pour en écarter les pans. S'il saignait, elle serait fixée.

Il y avait déjà la blessure qu'il s'était faite en tombant du cheval et peut-être celles qu'elle lui avait occasionnées avec le carreau. Elle s'en voulait plus que tout.

Malo n'avait aucune blessure apparente si ce n'est aux mains qu'elle découvrit paumes tournées vers le ciel. Elles présentaient des signes visibles de brûlures quoique certainement pas assez profondes pour justifier son état catatonique. Ses yeux étaient ouverts, eux aussi mais le professeur semblait malgré tout absent ce qui ne manquait pas d'inquiéter Malika qui adressa un regard implorant à la paladine, espérant une explication peut être.

L'état de Malo ne la rassura pas, au contraire. Elle avait vu des soldats comme lui alors qu'elle servait dans l'armée manostienne aux cotés d'Eroeh peu avant son "accident". Des hommes trop choqués, incapables d'agir. Parfois, ils ne s'en remettaient pas. Aussi doucement que possible, elle se pencha au dessus de lui afin d'établir un contact visuel et pris doucement une de ses mains en prenant grand soin de ne pas toucher ses paumes brûlées.

Un instant, elle se demanda si c'était à lui que l'on devait la formidable explosion. Peut-être ne se souvenait-il pas de ses pouvoirs. Ce n'était pas ce qui comptait le plus. L'important était qu'il reprenne ses esprits. Elle lui dit doucement.

"Malo, vous êtes en sécurité. Vos blessures sont superficielles. Malika et moi sommes à coté de vous."

Elle espéra de tout coeur qu'il réagisse.

Il ne se passa rien pendant un long instant, ce qui ne fit qu’augmenter l’impression d’angoisse oppressante puis les mains du professeur remuèrent faiblement dans celles de la paladine et son regard s’anima à nouveau de conscience. Il répondit d’une voix forte dans un dialecte aux accents durs qui échappa totalement à la compréhension d’Angèle - mais qui fit s’écarquiller les yeux de Malika – avant qu’il en cligne enfin des yeux plusieurs fois et ne reprenne en commun :

- Angèle ? Que s’est-il passé ?

Et il tenta de se relever sur son séant mais n’esquissa qu’une grimace douloureuse.

- J’ai dû me froisser quelque-chose ou quoique ce soit… Vous pouvez m’aider ?

Angèle manqua froncer les sourcils comme Malika mais ne voulant pas effrayer Malo, elle s'efforça de conserver une expression neutre. Ne venait-il pas de parler dans un dialecte étranger ou une autre langue ? Elle eut comme l'impression qu'il ne s'en était pas rendu compte. Elle préférait ne pas l'effrayer, du moins pour le moment.

"Je ne sais pas vraiment. Peut-être était-ce un carreau qui a explosé. Dans tous les cas, les loups ont été carbonisés. On peut dire que nous nous en sommes ... plutôt bien tirés."

Délicatement, elle posa ses mains sur Malo et appela les pouvoirs de son Dieu afin de soulager son patient. Après, elle vérifierait très sérieusement les projectiles.

Malo se sentit immédiatement mieux et commença à bouger faiblement pour éprouver ses muscles endoloris. Il avait aussi recouvré une partie de sa vivacité d'esprit car il répondit aussitôt :

- Nous n'avons pas de carreaux magiques pourtant. Mais si personne d'autre n'a été blessé, c'est bien l'essentiel. Et... Comment vont les chevaux ? Sans eux, on ne pourra pas continuer l'expédition !

Cette perspective semblait lui tenir plus encore à cœur que sa propre santé et Malika s'empressa de la rassurer : les quatre chevaux étaient à l'abri dans la cavité et - s'ils avaient été secoués par l'attaque - aucun n'était blessé.

Alors, ils n'avaient pas de carreaux magiques. S'il y avait eu une explosion, elle était venue d'autre part. Et il y avait les brûlures sur les mains de Malo. Une boule de feu peut-être ... Pourtant, le jeune homme ne semblait pas être mage. Il y avait également les paroles qu'il avait prononcé. Malika avait cillé. Peut-être connaissait-elle la langue dans laquelle il avait parlé. Il faudrait qu'elle lui demande. Elle se releva tant bien que mal. La tension retombée laissa la place à la migraine à laquelle elle s'attendait.

Essayant de ne pas le montrer, elle suggéra cependant.

"Peut-être devrions-nous nous reposer un peu avant de reprendre la route."

C'était aussi le sentiment de Malo qui leva les yeux vers le ciel enneigé avant de répondre d'un ton un peu inquiet :

- J'ai bien peur que nous ne parvenions pas à quitter la forêt avant la tombée de la nuit : nous devrions effectivement monter le campement ici - cet endroit en vaut bien un autre - et repartir aux aurores demain matin.

Malika s'attela aussitôt à la tâche d'allumer un feu pour les réchauffer, laissant de fait Angèle et Malo un peu seuls.

Angèle eut un petit sourire en direction de Malo. La migraine battait à ses tempes et elle avait aussi besoin de se reposer. Mais c'était lui et pas elle qui avait le plus souffert de l'attaque des loups. Elle osa lui demander.

"Comment vous sentez-vous ? Sans vouloir vous offenser, je pense qu'un peu de repos ne vous fera pas de mal. Si vous voulez, je prendrai le premier tour de garde. Peut-être pourrions-nous nous faire un peu de thé pour nous aider à tenir jusqu'à demain matin et nous réchauffer. L'avantage, c'est qu'avec les arbres, nous sommes protégés de la neige ..."

Toujours tenter de voir le bon coté des choses comme Morgan le faisait ...

Malo esquissa une grimace mais parvint cette fois à se redresser sur son séant et retrouva son ton plein de gaieté :

- J'ai mal aux reins mais vos soins m'ont sauvé !

Angèle se rendit compte qu'ils bénéficieraient en outre de l'abri de la caverne car les chevaux, même s'ils s'y entassaient, leur laissait un tout petit peu de place à l'entrée, là même où Malika achevait d'allumer leur feu de camp. Finalement, ils pourraient s'installer presque confortablement compte tenu des circonstances et il n'y aurait en plus qu'une seule direction à surveiller pendant la garde.

Elle lui tendit la main pur l'aider à se relever. Un instant, elle réalisa à quel point elle avait eu peur pour lui. Son attachement aussi l'effrayait quelque peu. Cela ne lui ressemblait pas. Même si Malo n'avait rien de menaçant, elle réalisait à présent qu'il pouvait être blessé et même disparaître. Elle pouvait se retrouver aussi seule qu'à la mort de Morgan. Il y avait bien sûr Soren mais il était bien loin, de l'autre coté de la mer. Il y avait bien sûr Amélie mais son attachement pour elle ne ressemblait en rien à ce qu'elle éprouvait pour Malo.

Elle s'interdit de trop se poser des questions et finit par sourire. Elle se rapprocha de la chaleur du feu.

"Contente d'avoir pu vous aider."

Malo s'appuya sur elle un peu plus longuement que strictement nécessaire peut-être et vint s'installer lui aussi près du feu. tandis que Malika leur apportait des couvertures pour s'y emmitoufler, le professeur en profita pour vanter les mérites de la paladine :

- Sans le sang-froid dont vous avez fait preuve, j'ai bien l'impression que ces loups nous auraient posé bien des problèmes.

C'était un euphémisme mais Malo souhaitait sans doute ne rien dire qui puisse l'embarrasser.

Angèle tenta de ne pas remarquer le geste de Malo. S'il s'appuyait ainsi, c'est qu'il en avait besoin, non ? Les couvertures et Mamika lui permirent de passer à autre chose. Elle remercia chaleureusement la jeune femme avant de s'emmitoufler dans la couverture. La tension retombant, le mal de tête s'estompa quelque peu. Elle avait presque sommeil. Elle répondit.

"Si Malika n'avait pas réussi à rattraper les chevaux, nous aurions été dans de beaux draps. Quant à vous, vous avez reconnu des loups sanguinaires sans quoi, nous ne nous serions pas méfiés.Nous avons juste fourni un beau travail d'équipe."

Malo se releva un instant - le temps d'attraper son sac - et il en sortit une petite bouteille en métal ainsi que trois tasses :

- C'est un petit cordial à la prune qui nous remettra d'aplomb ! Et je propose de trinquer à notre fine équipe !

Déjà le feu les réchauffait un peu et Malika avait mis de la viande et quelques légumes à chauffer dans un fait-tout sorti de ses propres bagages.

Angèle leva son gobelet. Il allait falloir qu'elle boive lentement sinon elle allait être pompette. Il ne faudrait pas qu'elle s'endorme pendant son tour de garde. Elle sourit à ses deux compagnons.

"A notre fine équipe alors."

Elle but prudemment et manqua recracher la gorgée. Dieu, que c'était fort. Elle toussa un instant dans la main avant de souffler.

"Effectivement, cela risque de nous requinquer quelque peu."

Angèle ne croyait pas si bien dire car le cordial lui provoqua immédiatement une vague de chaleur sans doute renforcée par l'atmosphère glacée de la fin d'après-midi. Fort heureusement, un bon repas chaud ne tarderait pas à être prêt et il n'y avait aucun doute que Malo sortirait quelques feuilles de thé pour leur préparer une boisson chaude apte à les requinquer après cela. L'humeur devint en tous cas rapidement plus légère et joyeuse qu'elle ne l'avait été depuis leur entrée dans la forêt et l'incident des loups semblaient déjà loin derrière eux.

Le cordial réchauffait à la fois son humeur et l'athmosphère de même que le bon feu. Il y avait surtout Malika et Malo desquels elle se sentait proche. Elle le savait, l'adversité avait tendance à rapprocher. Mais elle savait dans son for intérieur que ce n'était pas la seule cause. Elle les appréciait.

Mais malgré la chaleur ambiante elle resta vigilante. Des loups et d'autres prédateurs pouvaient revenir. Il serait vraiment dommage d'être supris, surtout au milieu d'un bon repas.

Que ce fut grâce à leur démonstration de force qui avait mis le reste de la meute en fuite ou à leur feu de camp, leur repas se déroula sans alerte aucune et Angèle put partager une partie de l'insouciance de ses compagnons d'aventure tout en se restaurant. A la fin du repas, Malo anticipa ses désirs en mettant du thé à infuser "pour le dessert et pour tenir le coup la nuit" mais Malika ne se joint pas à ces réjouissances, argumentant que cela perturberait son sommeil. Elle opta pour le dernier tour de garde - ce qui semblait tout à fait convenir à Malo - puis se retira la première. Le professeur, quant à lui, préféra s'attarder aux côtés de la paladine :

- J'espère que ça ne vous ennuie pas si je reste quelques minutes ? Pour observer les étoiles : elles m'ont toujours apaisé pour trouver le sommeil. Même quand on les voit à peine, on sait qu'elles sont là.

Et de fait, les arbres et le ciel neigeux en masquaient la plupart mais il en restait tout de même à regarder.

Angèle secoua la tête.

"Non, cela ne me dérange pas du tout. J'allais aussi observer les étoiles, j'avoue ... La journée a été longue et riche en émotions."

Elle lui sourit quelque peu penaude. Elle n'avait pas spécialement envie de parler de tout ce qu'il venait de se passer. Mais il fallait avouer qu'elle avait été, tout comme les deux autres fortement éprouvée.

Tout autre que Malo se serait probablement étonné de ce qu'une paladine ait été éprouvée par l'escarmouche avec les loups sanguinaires mais le professeur se contenta de lui retourner un calme sourire avant de s'asseoir non loin d'elle puis de répondre à voix basse pour ne pas gêner Malika :

- Ce ne sont vraiment pas les bons côtés des expéditions : je dois dire que je n'ai pas particulièrement le goût de l'aventure comme l'entendent certains jeunes de la profession. Et quelque part, quand on aime à regarder les étoiles, toute cette agitation sur terre est la plupart du temps malvenue de mon point de vue !

Elle répondit sur le même ton, pour ne pas troubler le repos de Malika et parce qu'il ne servait à rien de parler à voix haute. Ils étaient entre eux.

"Je n'ai jamais pris part à une expédition mais être dehors, en pleine nature ... C'est là que les étoiles se voient le plus : loin de la ville. Et rien que pour cela, rien ne vaut l'aventure. Je pourrais rester des heures à les contempler. Rien que pour le plaisir de me sentir toute petite. Me dire que mes soucis ne sont rien par rapport à leur magnificence. Dès que je ne les vois pas, elles me manquent. Une de mes amies les plus chères disait que nous avions en nous quelque poussière d'étoile ... C'est peut-être vrai."

Les mots fusaient et elle n'en éprouvait curieusement pas de gène.

Le passé qu'elle avait employé n'avait pas échappé au professeur mais il ne la pressa pas de questions, soucieux de préserver l'intimité de la paladine bien plus que de satisfaire une quelconque curiosité à l'égard de cette amie qu'elle évoquait. Il répondit simplement d'un ton doux et sincère :

- C'est très joliment dit et ça a peut-être un fond de vérité à bien y réfléchir. Pour ma part, je pense que la réciproque est un peu vraie également : les étoiles ont une part de nous, de ce que nous projetons vers elle en les admirant. Cela ne les change peut-être en rien mais ça change la façon dont nous les percevons et celle dont nous nous percevons nous-mêmes au travers d'elles.

"Elle est morte ..."

Angèle regretta presque aussitôt les mots qui venaient de sortir. Mais une fois que le vin était tiré ...

"C'était une très bonne amie à moi, la meilleure que l'on puisse avoir. Amélie est sa fille."

Rien en laissait heureusement soupçonner que Morgan avait été son amante. La gorge nouée, elle continua.

"Elle aimait la poésie et s'émerveillait de tout, comme les enfants ... Aujourd'hui, elle n'est plus là et elle me manque."

Angèle sentit que Malo replaçait la couverture qui avait un peu glissé de ses épaules mais finit tout de même par répondre d'une voix douce mais empreinte de gravité :

- Acceptez mes condoléances pour votre amie... Je ne sais pas si c'est une source de réconfort ou de tourments mais ceux que nous avons perdus restent toujours dans nos pensées et parfois même dans nos cœurs.

Angèle hocha la tête sans répondre. Peut-être Malo avait-il envie de parler de son épouse défunte mais attendait pour se lancer. Elle ne le brusquerait pas. Il en parlerait s'il en ressentait le besoin. Elle s'était confiée à lui, même partiellement. Il savait qu'il pouvait faire de même.

Elle releva les yeux vers les étoiles après s'être - sans le penser vraiment - sensiblement rapprochée de lui.

Mais l'instant semblait passé - ou alors il n'avait cherché qu'à l'apaiser sans s'étendre sur ses propres fantômes - et Malo se contenta lui aussi de lever la tête vers les étoiles pendant quelques minutes. Puis, sans prévenir, il rompit le silence d'une voix un peu inquiète :

- Angèle, je m'inquiète de ce qui s'est passé tout à l'heure : je suis tombé inconscient pendant le combat... Que s'est-il passé ?

Elle qui ne voulait pas lui en parler avant de s'être renseignée auprès de Malika se sentait maintenant bien embêtée.

"A vrai dire, je ne sais pas vraiment ... Il y a eu cette espèce de boule de feu. J'ai d'abord crû que cela venait du carreau mais vous m'avez certifié qu'il n'y avait aucun explosif parmi eux. Les loups morts, je me suis tournée vers vous et vous ai vu inconscient. Vous n'aviez pas de blessures apparentes à part des brûlures sur vos mains. Puis vous avez ouvert les yeux et parlé dans une langue gutturale que je ne connais pas. Et vous êtes revenu à vous ... Je suis désolée Malo mais je ne sais pas quoi vous dire d'autre ..."

Sachant que les mots ne l'aideraient pas, elle lui prit doucement la main.

La paladine sentit qu'il serrait sa main dans la sienne mais sans pour autant quitter les étoiles des yeux. Il répondit néanmoins, d'un ton pensif :

- C'est étrange... Vous pensez que cela peut avoir un lien avec l'état dans lequel vous m'avez rencontré à Manost ? Je veux dire... Les brûlures qu'a soignées Frère Gontrand.

Elle hocha la tête, s'en voulant de ne pas avoir fait le rapprochement plus tôt.

"A vrai dire, c'est n'est pas impossible. Vous aviez des brûlures et les rares fois où vous étiez conscient, vous prononciez des phrases inintéligibles. Du moins c'est ce que m'a dit Frère Gontrand. Je ne vous ai vu que lorsque vous commenciez à aller mieux. Il s'est passé quelque chose d'étrange chez les LunePierre. Je ne pense pas que cela soit maléfique. Mais il me semble important que nous soyons vigilants."

Malo sentait la tension que le sujet avait amené dans un moment jusque-là paisible quoique nostalgique et il entreprit de faire une plaisanterie :

- Angèle, vous devez savoir que je compte sur vous pour me prévenir immédiatement si je commence à m'illuminer bizarrement ou même à parler comme un illuminé ! Et j'imagine que vous ne vous souvenez pas de ce que j'ai pu dire ?

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Cojum