La Couronne de Cuivre

Il songea à lui dire de faire un vœu mais préféra s'abstenir : sans doute Baptiste l'avait-il déjà fait, de toute façon, sans compter qu'il craignait de gâcher la magie du moment s'il prenait la parole. Aussi, plutôt que de parler, plutôt que de nommer les constellations, il resta lui aussi à les observer, profitant du spectacle tout en pensant, de manière diffuse, aux mouvements complexes des astres, à la musique des sphères, à tous ces mystères qu'il était encore loin d'appréhender, dont il commençait à peine à deviner les contours....

Il s'interrogea longuement sur les mystères et les miracles qui tournoyaient hors de sa portée, sa pensée dérivant au gré d'images et de sensations qu'il n'avait pas conscience d'évoquer volontairement, mais qui s'enchâssaient dans son esprit au rythme d'une certaine logique intuitive. Puis un profond soupir déchira son songe astral et il réalisa qu'à côté de lui... Baptiste était profondément endormi. Mille criquets chantaient dans les hautes herbes autour d'eux, en un concert qui magnifiait curieusement le silence. A voir la position des étoiles, justement, plus d'une heure s'était écoulée, peut-être deux...

Embarrassé d'avoir été à ce point et si longtemps absorbé par ses pensés, Taliesin se pencha sur Baptiste et entreprit de le soulever dans ses bras. Le gosse ayant le sommeil beaucoup plus léger que Victor, il y avait des chances qu'il se réveille avant qu'il ne soit parvenu à le mettre au lit mais... Cela valait malgré tout la peine de tenter le coup. C'est donc ce qu'il s'efforça de faire, le plus doucement et le plus précautionneusement possible, tout en réalisant à nouveau comme le garçon était lourd... Dans quelques mois, le transporter ainsi ne serait certainement plus de mise.

Baptiste s'éveilla à demi et termina leur chemin d'un pas lourd, se laissant guider par le barde comme une marionnette. Une fois dans leur tente que n'éclairaient plus que les deux bougies anti-moustiques, il se glissa vers son lit et se changea à gestes lents, avant de se glisser sous les couvertures. Il retrouva le sommeil en un instant, sans avoir prononcé le moindre mot, sinon des marmonnements incompréhensibles.
De son côté, Taliesin glissa aisément dans la nuit. L'atmosphère de la tente était chaleureuse, odorante, et propice aux rêves tranquilles.
Au petit matin, quand il émergea, le petit déjeuner les attendait déjà sur la table. Baptiste était en train de se servir une tasse de lait fumante et il lui sourit avec entrain. Victor, comme de coutume, dormait encore.

Comme chaque matin ou presque, il lui fallut donc réveiller doucement Victor et l'encourager à se hâter : le coche ne partirait pas tard... Puis, assuré que l'enfant n'allait pas se rendormir, il commença à petit déjeuner avec appétit. Il se sentait frais et dispos, plein d'énergie et même si le trajet du jour ne serait pas désagréable, il avait hâte d'être au soir pour pouvoir se dépenser. Sans doute qu'après Togoria, il réfléchirait à un autre moyen de transport : les garçons allaient finir par se lasser d'être enfermés jour après jour dans un véhicule...

Le coche repartit moins d'une heure plus tard, cahotant sur les routes, et abandonnant le campement nomade derrière lui. Victor et Baptiste semblaient tous deux ravis de l'escale, et si le second avait un moment rechigné à voyager avec Taliesin, il semblait peu probable qu'il le mentionne à nouveau. Il passa d'ailleurs la première moitié de la journée à griffonner dans son carnet et le barde vit qu'il redessinait la tente et son mobilier de mémoire, dans un dessin encore enfantin mais déjà précis. Victor, lui, parla pour raconter ses aventures cavalières, comment il avait enfourché un coursier de la Trouée, galopé dans la poussière, puis il posa une colle à son père :
" Est-ce que tu crois que je pourrais avoir un cheval à moi ? Il parait qu'ici, dans la Trouée, c'est vraiment pas cher, un cheval."
Baptiste leva les yeux de son cahier mais ne dit rien, et fit mine de continuer à écrire.

-Possible. Mais il faut aussi compter avec la sellerie, le harnachement, ce qui augmente sensiblement le prix. Il y a également d'autres dépenses à prendre en compte : la nourriture, les visites aux maréchal-ferrant... Sans parler le temps nécessaire pour s'occuper d'un cheval... C'est une sacrée responsabilité.
Il pinça les lèvres.
-Je ne suis pas complètement fermé. Mais c'est typiquement le genre de choses dont ta mère et moi devons discuter ensemble.

Victor n'était pas prêt à lâcher le morceau.
" J'ai ramené une part du trésor de Mersant. Je pourrais m'acheter le cheval. Après, à la ferme, on a ce qu'il faut pour l'accueillir. Galathée sait s'occuper de plein de choses, déjà, et je le monterais à cru, comme les nomades. Puis ça serait une chouette surprise, pour Galathée. Elle adore les animaux. Et je suis quand même grand assez pour m'occuper d'un animal ! Je m'occupe déjà de trente poules, des tas de moutons et de chèvres, quelques vaches, tous les chevaux, trois chiens, une multitude de chats..."

-Oui, sauf que tu ne t'en occupes pas tout seul... Un cheval supplémentaire signifierait donc un surcroit de travail non seulement pour toi, mais aussi pour les autres. Et comme tout le monde est déjà bien débordé...
Il haussa les épaules.
-Écoute, j'ai dit à Galathée que je lui écrirai au plus tard lorsque nous serions arrivés à destination. Tu n'auras qu'à participer à ma lettre et lui en toucher un mot. Qui sait, elle nous répondra peut-être ! En tout cas, c'est un achat trop important pour qu'il soit décidé sur un coup de tête.

Il se renfrogna.
" C'est bête, on est justement dans la Trouée, c'est le moment idéal ! Après... après...
— On ramènera une licorne, ce sera encore mieux. Ou un oeuf de dragon, souviens-toi." dit Baptiste d'un ton apaisant.
Pendant un instant, il sembla que Victor allait s'emporter contre son frère, mais il n'en fit rien, et sourit à son tour.
" Tu as raison. J'avais oublié l'oeuf de dragon !"
Et la conversation s'arrêta là.
La fin de journée se déroula sans heurts et ils passèrent une bonne nuit dans une auberge conventionnelle, un peu poussiéreuse et fort fréquentée. Il avait fait bon ces derniers jours, la route était sèche, et le lendemain matin, le cocher leur annonça qu'ils atteindraient Edhoras en début de soirée. Il serait trop tard pour y déambuler, mais il les mènerait directement à l'auberge et ils pourraient l'informer de leurs plans pour la suite avant d'aller dormir. Le coche repartait pour Togoria le lendemain, mais seulement vers midi, ils auraient donc le temps de faire quelques emplettes dans la cité s'ils le désiraient.

Des Emplettes, il n'était pas sûr qu'ils en fassent : ils possédaient pour l'heure tout ce dont ils avaient besoin et si le barde avait bien une boutique dans son colimateur, elle se trouvait à Togoria et avait pour nom l'Antre des Plans fameux - il n'avait pas oublié le conseil donné par le marchand au Pont des Trois Sires. Pour autant, à moins que les garçons n'émettent des objections, ils pourraient passer la matinée à simplement visiter la ville, comme ils l'avaient fait à Rohan.

Le coche repartit donc dans la poussière de la Trouée. Au dehors, les paysages somptueux de prairies gigantesques défilaient au rythme du trot des chevaux. Ils virent encore de grands vols d'oiseaux sur le ciel bleu aveuglant, des troupeaux plus nombreux, de bovidés, de chèvres, de chevaux, des petits villages de temps en temps, ou des camps de nomades, loin à l'écart de la route. Des cavaliers les doublaient régulièrement, au grand galop, soulevant des nuages de poussière dont ils devaient se protéger en refermant les rideaux du coche.
Le temps se rafraichit en fin de journée et des nuages s'amoncelèrent dans le ciel. Ce n'était pas encore le plein été et la nature désirait sans doute le rappeler au monde. Le ciel s'assombrit et une pluie fine se mit à tomber. La nuit suivit sous le crachin. Puis Taliesin aperçut une lumière, au loin. Une seconde, une troisième... Ils avaient atteint Edhoras, la vaste capitale de la Trouée.

L’Auberge des Trois Mulets n’était pas l’établissement le plus prestigieux de Rohan mais il était bien tenu et les Paladins de l’Aster y avaient leurs habitudes depuis de nombreuses années. Pour l’heure, cependant, Arthur y résidait seul, abandonné depuis trois jours par ses frères d’armes, lesquels avaient rallié un élevage de destriers situé plus au nord pour y sélectionner de nouvelles bêtes. Quelqu’un avait dû rester en arrière car les preux de l’Aster attendaient une délégation de la commanderie de Lunaros qui pouvait arriver d’un jour à l’autre (ou beaucoup plus tard, les paladins étant toujours à la merci d’une mission imprévue). Ils avaient joué ça à la Frivole, Arthur avait perdu trois manches de suite (« malheureux au jeu, heureux en amour » s’était moqué Othon avec son absence de discrétion coutumière) et il s’était retrouvé contraint à camper en solitaire pour une durée indéterminée. La nourriture était bonne, le toit confortable, mais le jeune homme n’était pas complètement à l’aise dans l’environnement un peu rude de la Trouée. Il manquait un peu de savoir-vivre à ces barbares des plaines, et il avait continuellement l’impression qu’il allait insulter quelqu’un sans le vouloir, à cause d’un geste ou d’un regard mal interprété. Plus vite Othon et les autres seraient rentrés, mieux cela serait...

Bien des choses pouvaient se produire en trois jours. Ou même en un seul.

Les deux premiers jours qu'il avait passé sur place, rien de particulier ne s'était produit, du moins en apparence. Il semble en fait que les choses aient débuté la veille ; mais il n'avait eu les premières informations que dans la matinée. Rien de bien détaillé, nul n'était venu le trouver lui personnellement, mais il avait entendu plusieurs personnes discuter d'un curieux incident qui s'était produit dans une échoppe située à quelques rues de l'auberge.
On avait retrouvé la réserve du magasin totalement dévastée, tous les produits stockés là renversés ou brisés. Il ne s'agissait sans doute pas d'un vol ayant mal tourné : l'inventaire des dégâts avait permis de constater que rien ne semblait avoir disparu. Plus étrange : seul l'intérieur de la pièce avait été l'objet du vandalisme ; même les portes étant demeurées intactes.

Cela ne ressemblait néanmoins, à tout prendre, qu'à un incident isolé. Jusqu'à ce que l'on entende parler, dans l'après-midi, d'un second événement curieux, survenu cette fois dans une demeure individuelle, un peu plus éloignée. C'était la demeure d'un peintre, et il avait trouvé, en revenant chez lui, que ses réserves de peintures avaient été utilisées pour arroser ses murs, ses meubles… et jusqu'à son chien, qui s'était réfugié affolé sous un lit.
Que ces deux événements surveillent coup sur coup n'avaient bien sûr pas manquer d'attirer l'attention ; et, alors que le jeune paladins prenait son repas dans la salle commune de l'auberge, les conversations autour de lui ne portaient à peu près que sur ce sujet.

« Jamais deux sans trois », avait-il entendu à plusieurs reprises : plusieurs personnes s'attendaient déjà à ce qu'un nouvel incident étrange se produise avant peu. Néanmoins, le cri, lorsqu'il s'éleva, prit tout le monde de court.

« Au feu ! »

Cela venait de l'écurie attenante à l'auberge.

Arthur fut debout en moins d’un battement de cœur.
Il l’aurait été quelle que soit la situation, à vrai dire, les paladins étaient taillés pour intervenir en cas d’urgence, c’était leur boulot… mais dans l’écurie se trouvait Phénix, le tout jeune destrier qu’on venait de lui confier, et Arthur avait assez de jugeote pour savoir que contrairement à son homonyme mythique, il y avait peu de chances qu’il renaisse de ses cendres s’il devait être carbonisé dans un incendie…
Aussi sortit-il en courant, vers la source des cris, une pompe avec un peu de chance, des seaux, n’importe quoi, un début d’intervention pour couper court aux flammes… et s’il fallait se roussir le poil… Ainsi soit-il.

Fut-ce grâce à sa peur pour Phénix ou simplement à son entraînement ? Toujours est-il qu'Arthur fut le premier dehors ; mais du renfort ne tarderait sans doute pas.
En attendant, il pouvait prendre la mesure de la situation.

Une barrière de flammes s'élevait à la porte de l'écurie. Le bâtiment lui-même semblait pour l'instant intact : les flammes ne faisaient qu'en barrer l'entrée. Néanmoins, compte tenu de la quantité de combustible que contenait un tel endroit, ce n'était probablement qu'une question de temps si personne n'agissait.

Aux alentours, presque personne n'était visible, peu de passants fréquentant les lieux à l'heure du repas. La seule personne en vue était le lad, un garçon d'une douzaine d'années avec qui le paladin avait déjà eu l'occasion d'échanger quelques mots, et qui adorait manifestement les chevaux. Il se tenait présentement à une toise des flammes à peine, l'air désemparé, semblant chercher à les traverser. C'était sans doute lui qui avait crié.

Le puits était plus loin dans la cour. Une chaîne de quelques hommes suffirait à acheminer l'eau jusque là. De seaux, cependant, il n'y avait que les deux que l'on accrochait habituellement à sa chaîne. D'autres étaient rangés… à l'entrée de l'écurie, de l'autre côté des flammes.

Le temps de faire ces constats, Arthur entendit des bruits de chaises renversées et de portes qui claquaient : le reste des occupants des lieux le rejoignait aussi vite que possible. Valait-il mieux attendre que l'un des aubergistes donne des instructions, ou prendre soi-même cette initiative ?

Arthur prit l'initiative, ce qui n'était pas tellement son genre, mais il tenait à son cheval... ou alors c'était simplement l'effet d'un début de panique (même si les paladins n'ont, c'est bien connu, jamais peur de rien).
" Il faut faire une chaîne depuis le puits... Il nous faudrait d'autres récipients... N'importe quoi, des casseroles, des marmites, il doit y avoir ça à l'intérieur..."
Tout en parlant, il croisait un regard, un autre, la meilleure manière pour que certains se sentent responsabilisés par ses paroles.
" Je vais voir s'il y a une autre issue."
Ne fut-ce qu'une fenêtre suffirait...

Ses paroles semblèrent faire l'effet d'un coup de fouet sur les quelques personnes qui observaient la scène ahuries. L'instant d'après, une chaîne se mettait effectivement en place, tandis que les derniers venus repartaient à la recherche des récipients demandés.

Laissant ces choses se faire, Arthur entreprit donc de contourner l'édifice. Celui-ci disposait bien d'une grande fenêtre sur le côté, mais celle-ci était présentement close par un volet de bois.
Le lad, qui, en entendant la dernière phrase, l'avait suivi, se précipita pour tenter de l'ouvrir, mais elle ne bougea que de quelques pouces avant de retomber. Arthur put constater qu'une corde le maintenait fermé de l'intérieur. Mais peut-être un paladin dans la force de l'âge pouvait-il faire mieux que le gosse désarmé qui l'observait penaud ?

Il fallait a minima tenter le coup, aussi Arthur demanda-t-il au gamin de s'écarter avant d'essayer à son tour d'ouvrir le volet récalcitrant.
" Trouve-moi une hache ou une masse !" lança-t-il à son compagnon, à tout hasard.
Autant parer à toute éventualité : le volet ne céderait peut-être pas sans un peu d'aide.

Le gamin acquiesça et s'en fut en courant, tandis que le paladin effectuait sa première tentative.
Celle-ci ne s'avéra pas fructueuse ; mais l'attache ne semblait pas particulièrement solide, et en venir à bout était tout à fait dans les cordes d'une personne entraînée aux efforts physiques. Il s'y employa donc de nouveau et, lors de sa troisième tentative, la fermeture céda brusquement, et la fenêtre s'ouvrit enfin.

Plusieurs choses lui sautèrent alors aux yeux – façon de parler, car ce furent surtout ses autres sens qui entrèrent en action.
D'une part, l'écurie sentait le soufre, au sens propre : sitôt qu'il inhala l'air échappé de l'ouverture, une odeur certes légère, mais notable, d'œuf pourri lui titilla les narines. D'autre part, les chevaux s'agitaient, et hennissements et bruits de sabots devinrent bien plus distincts dès qu'il n'y eut plus rien devant lui pour retenir les sons. Bien sûr, le fait que les flammes menacent l'endroit où ils étaient enfermés expliquait sans doute une certaine panique, mais était-ce tout ? Il avait vaguement cru saisir, au milieu ces bruits, une sorte de ricanement…
Avait-ce été son imagination ? Difficile à dire sans entrer : tout ce qu'il pouvait voir depuis l'extérieur était une sorte de pénombre où dansaient les lueurs des flammes.

Le garçon n'était pas encore revenu, et tous les autres étaient sans doute occupés du côté de la porte principale. Il pouvait entrer sans attendre s'il le désirait, mais ce serait seul.

HRP : et je veux bien le résultat d'un D20 si c'est ce que tu fais.

HRP : 13. Ça porte malheur.

Et ce fut donc seul qu'il entra, vivement mais aux aguets, cherchant la source de ce bruit étrange. Il y avait de fortes chances que ce soit simplement le fruit de son imagination : le bois, en brûlant, grinçait parfois de manière tout à fait bizarre, mais on ne pouvait jurer de rien. Il regretta une seconde de ne pas avoir emporté son épée, puis de ne pas avoir attendu la hache du lad... mais il trouverait bien une fourche ou un balai. Il fallait se hâter, de toute façon : les chevaux avaient besoin d'être calmés.

HRP : ça pourrait être pire

Arthur avait bien fait de rester sur ses gardes : à peine était-il entré qu'une poutre noircie tombait tout près de lui. S'il avait eu suffisamment de réflexes pour l'éviter, il en fut néanmoins déséquilibré et manqua de peu d'embrasser le sol. Il put néanmoins se remettre sur pied assez vite et regarder autour de lui.

L'intérieur de l'écurie n'était pas entièrement la proie des flammes : quelques petits brasiers flambaient ci et là, mais le foyer principal restait la barrière de flammes qui empêchait d'emprunter la grande porte. En revanche, plusieurs autres poutres étaient brisées, les stalles étaient ouvertes, et les chevaux – Phénix était accompagné de trois de ses congénères – étaient libres de leurs déplacements, mais semblaient passablement affolés.

La source de leur frayeur n'était cependant pas uniquement les flammes : trois petites créatures ailées et cornues semblaient avoir jusque là pris un malin plaisir à les tourmenter. L'arrivée de l'humain les avait toutefois interrompu dans leurs activités, et trois paires d'yeux surpris étaient désormais pointées sur le paladin, leurs propriétaires semblant hésiter sur la conduite à suivre.

Arthur n'était pas beaucoup plus assuré. Ses connaissances concernant les créatures cornues étaient relativement limitées. Il s'y connaissait un rien en morts-vivants et les dernières veilles passées sur la route lui avaient ouvert les yeux en matière de faune ordinaire, mais les diablotins — un terme qui lui venait à l'esprit faute de mieux — ce n'était pas exactement son créneau.
Il chercha une fourche des yeux, sans doute une association d'idées involontaire.
" Allez, ouste !" lança-t-il par acquis de conscience, sans espérer vraiment arriver à quoi que ce soit.
C'étaient peut-être des rats version Rohan, tout bien considéré.

Cela sembla marcher pendant un bref instant. Ces créatures, quelles qu'elles soient, ne semblaient pas briller par leur courage, et le cri du paladin les incita à un mouvement de recul – ce qui, compte tenu de leurs positions respectives, les amena tout prêt du plafond.

Hélas, l'une d'entre elles ne tarda pas à réaliser qu'un humain désarmé – si fourche il y avait dans les environs, elle était encore hors de vue – n'était pas spécialement plus dangereux pour elle qu'un cheval, et se ravisa donc. Arthur eût alors à subir une charge brusque, qu'il esquiva de justesse. Le dard situé au bout de la queue de son adversaire le manqua de peu pour venir se ficher dans le bois du mur derrière lui.

Le jeune paladin était donc désormais en présence d'une créature stupidement retenue par la queue – mais qui n'était pour autant pas nécessairement hors de combat – et de deux autres qui voletaient encore au plafond.
Au dehors, il entendait les humains s'activer, mais les flammes qui les séparaient étaient encore loin d'être vaincues.

Arthur n'était pas complètement certain de savoir quoi faire. Il avait l'impression que tourner le dos aux deux petits diablotins qui flottaient dans les hauteurs était risqué, aussi recula-t-il vers celui qui s'était fiché dans la planche sans les quitter des yeux. Peut-être pouvait-il les intimider en neutralisant leur confrère. Il lui semblait que ce genre de créatures étaient souvent douées d'un semblant d'intelligence, peut-être même de la parole.
Bref, il avait l'intention de se saisir du prisonnier et... heu... il aviserait ensuite.

Bien que sa principale arme naturelle soit momentanément hors d'usage, la créature ne semblait pas partie pour se laisser faire ; et quoiqu'elle soit moins forte que l'humain, ses bras et ses ailes lui permettait de se débattre efficacement. Pour atteindre son objectif, Arthur dû donc, malgré tout, perdre de vue les deux autres diablotins un instant… et ce qu'il avait soupçonné ne manqua pas d'arriver : une seconde créature entreprit de lui foncer dessus.

Avant qu'il ne l'atteigne, cependant, un cri retentit : le lad venait de revenir avec la hache demandée, et ne manqua pas de tenter d'avertir le paladin. Ce cri eut pour conséquence imprévue le fait que la créature, surprise, se retourne en pleine charge, ce qui eut pour effet de la faire heurter de plein fouet l'un des chevaux. Dans ce qui ressemblait à s'y méprendre à un chapelet de jurons, quoique prononcés dans une langue inconnue, elle regagna les hauteurs d'un vol un peu moins assuré que précédemment.

Le quadrupède, pour sa part, était bien plus solide que le diablotin et n'avait pas été touché par le dard : nul doute qu'il s'en tirerait sans dommage. Le garçon s'était cependant aussitôt élancé vers lui, franchissant du même coup l'espace le séparant du jeune homme. Celui-ci n'avait donc plus qu'un geste à faire pour s'emparer de la hache, si toutefois il commençait par lâcher la petite créature ailée qu'il avait finalement réussi à maîtriser.

" Couvre-moi." dit cependant Arthur au gamin, tout en cherchant de quoi saucissonner le petit diable du regard.
Une écurie devait fatalement contenir des cordes ou des rênes, quelque chose de susceptible de ligoter son adversaire. Au pire, il essaierait de l'assommer... sauf si les deux autres créatures décidaient de charger le lad armé : il faudrait alors qu'il lui prête main forte.

Le gamin sembla prendre la chose très au sérieux et, employant fermement la hache, se prépara à faire face si attaquait n'importe lequel d'entre eux. De leur côté, les créatures restantes avaient adopté deux stratégies bien différentes : celui qui venait d'essuyer un mauvais choc restait aussi à distance que possible, voletant maladroitement, sans doute refroidi à l'idée d'affronter deux humains, dont l'un, quoique petit, était armé, surtout quand il y avait de ces obstacles mobiles aux alentours. L'autre s'était approché, comme cherchant comment intervenir – mais il restait néanmoins à distance suffisante pour se mettre hors de portée d'un coup d'ailes si l'on esquissait un geste dans sa direction.

Des cordes, Arthur put en effet en trouver à proximité. Attacher la créature qu'il tenait était sans doute tout à fait à sa portée, quoique celle-ci tentait encore de se débattre. Autour d'eux, les chevaux continuaient de s'agiter, le fait que les diablotins aient cessé de les tourmenter ne changeant rien au fait que de hautes flammes brûlent non loin, menaçantes.

La chaîne organisée à l'extérieur n'avait pas l'air très efficace, aussi Arthur changea-t-il son arbalète d'épaule. Les diablotins pouvaient attendre (sans doute pas, en réalité), il fallait commencer par cet incendie. En même temps, il ne voulait pas relâcher celui qu'il avait pris grand peine à capturer sans le neutraliser, aussi opta-t-il pour une méthode un peu plus brutale : d'abord, assommer la bestiole ensuite courir sus aux flammes...
" Tu ne veux pas utiliser le manche de la hache pour lui flanquer un bon coup sur la tête ?"
Dès que ce serait fait, il faudrait trouver un moyen d'éteindre le feu ou du moins de dégager un passage pour que les chevaux puissent sortir...

Le lad acquiesça et fit ce qu'Arthur lui avait demandé. Ce qui sembla avoir l'effet désiré : la créature cessa de se débattre et tomba inerte.

Sans se préoccuper de ses deux congénères, qui les regardaient faire d'un air qui semblait refléter la surprise, le garçon tendit la hache au paladin dès que celui-ci eût les mains libres, et se tourna de nouveau vers le cheval près de lui. Arthur, pour sa part, se dirigea vers l'entrée. Il trouva les sceaux accrochés à leur place, à quelque distance des flammes – mais ils n'auraient sans doute guère d'utilité de ce côté, où les sources d'approvisionnement en eau étaient rares.

Il avait à sa disposition à peu près tout ce qu'on pouvait s'attendre à trouver dans une écurie – y compris une fourche, qu'il finit par trouver, soigneusement rangée à proximité du fourrage. Une partie du matériel, comme les poutres soutenant l'édifice, était fumante et chaude au toucher, mais les dégâts semblaient davantage dus aux actions des diablotins et à la panique des chevaux qu'aux flammes, qui, pour l'essentiel, continuaient de former une barrière entre eux et l'extérieur.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Rohan