[Lieu] Combeloup

[Galathée]

L’ancien clerc laissa la halfeline examiner l’enfant de tout son saoul. A son attitude, il savait que ce qu’elle voyait l’affligeait chaque seconde davantage.
« Est-ce le choc ? Ou est-ce quelque chose de plus profond ? » demanda-t-il finalement à voix basse, tout en sachant parfaitement bien ce qu’elle répondrait.
Ce n'était qu'un chien, pourtant. Un simple chien. Albérich commençait à se demander quelle perversion de l'esprit pouvait amener un être à s'entrecroiser si totalement avec un autre, au point d'en perdre l'esprit.

[Taliesin]

-C'est le choc et quelque chose de plus profond... fit Ada en s'asseyant à son tour. En se laissant tomber sur le lit, plutôt.
Elle observa le petit garçon encore un moment, puis se détourna.
-Je m'en doutais... Les rôdeurs trouvent généralement leur familier à l'âge adulte. Ils peuvent le perdre, ce qui les affecte beaucoup. Mais il leur est possible de surmonter ce drame, de se trouver un autre compagnon. Dans le cas de Bastien... ils se sont trouvés quasiment tout de suite.
Elle grimaça.
-Je ne sais pas s'il s'en remettra. J'aimerais le croire, mais...

[Galathée]

« Alors gardez l’espoir qu’il s’en sortira. » dit simplement Albérich en lui posant une main sur l’épaule. « Hier nous étions persuadés qu’il mourrait et nous avons assisté à un miracle. Il peut y en avoir d’autres. Mais pour cela, nous ne devons pas baisser les bras. »
Prononçant ces paroles, l’ancien clerc eut du mal à croire qu’il en était l’auteur. Professer ce genre d’attitude ne lui était plus arrivé depuis des veilles entières et il était persuadé que plus jamais on ne l’y surprendrait. A trop s’interroger sur ce qu’il venait de dire, il ne fut soudain plus certain de le croire vraiment, se méfia de ses propres motivations, du mensonge banal qui s’était glissé en lui. Pourtant, il avait eu l’impression que les choses lui étaient venues naturellement, sans calcul.
Comme un lieu commun ?
« Excusez-moi. » lâcha-t-il finalement, et il eut l’impression qu’un poids s’écrasait sur son échine. « Mes paroles sont stupides. »
Pourtant, un instant, il avait eu l'impression que c'était la vérité. Un instant.

[Taliesin]

La halfeline l'observa un instant, les sourcils froncés, concentrée, puis lui sourit.
-Non, je ne les trouve pas stupides. Vous avez raison, au contraire. Surtout que je ne suis pas experte en la matière, loin s'en faut, et que Je ne peux donc rien savoir des possibles chances de rémission...
Elle secoua la tête et se releva.
-De toute façon, je ne peux pas me permettre de me laisser aller. Ce n'est pas pour moi que la nouvelle sera la plus dure...

[Galathée]

Albérich supposa qu'elle voulait parler du grand-père et ne releva pas. Il ne la suivit pourtant pas immédiatement. Il était troublé par le court échange qui venait d’avoir lieu, plus qu’il n’aurait pu l’exprimer. De plus, il lui semblait étrange d’abandonner l’enfant les yeux ouverts sur son lit. Pourtant, ce regard vide avait quelque chose de terriblement effrayant et il brûlait de s’y soustraire.
« Nous allons t’apporter de quoi manger, Bastien… » fit-il finalement, un peu gauche, avant de rejoindre Ada.

[Taliesin]

La vieille halefline s'était immobilisée dans le couloir. Elle paraissait hésiter quant à la conduite à tenir. Finalement, elle poussa un long soupir, et fit face à l'ancien clerc. Elle ne chercha pas à croiser son regard.
-Pourriez-vous... Attendre quelques instants ici ? demanda-t-elle, à mi voix. Je dois parler à Elisa. Mais... je l'amènerai ailleurs, afin que vous puissiez accéder à la cuisine et nourrir le petit.

[Galathée]

L’attitude d’Ada prit Albérich au dépourvu et il battit en retraite sans rien oser dire. Il se rassit sur le lit et y demeura de longues minutes silencieuses, ne sachant pas exactement quand la voie serait libre. Il ne voulait certainement pas importuner Elisa. Il finit par entendre une porte se fermer et devina qu’il était désormais seul avec l’enfant. Il y avait donc un lien particulier entre l’adolescente et le petit garçon. Il ne s’en était pas douté, avait mis le trouble de la jeune fille sur la perte similaire de son frère, mais apparemment, il s’était trompé. Il finit par gagner la salle à manger, prit un bol de gruau encore tiède et retourna au chevet de l’enfant. Il n’avait aucune idée de s’il prendrait ce qu’il lui proposerait, mais il fallait qu’il se requinque, de toute façon.

[Taliesin]

La chose s'avéra moins ardue qu'il ne l'aurait imaginé. Bien sûr, les premières bouchées s'étalèrent surtout sur le menton de l'enfant mais, par la suite, il avala docilement, mécaniquement, ce que l'ancien aubemestre lui présenta.
Celui-ci avait presque terminé son lent labeur lorsque la porte d'entrée s'ouvrit. Le trottinement de la vieille halfeline résonna dans le couloir, puis elle apparut dans l'encadrement de la porte. Les épaules voûtées, l'air terriblement las, elle paraissait plus âgée que jamais.
-Vous vous débrouillez bien... fit-elle, un pâle sourire aux lèvres.

[Galathée]

Il lui rendit son sourire.
« Mon patient n’est pas contraire. » souffla-t-il doucement en essuyant un peu de gruau qui avait coulé sur le menton du petit garçon. « C’est déjà ça. »
Il scruta l’enfant, droit dans ses yeux fixes.
« Impossible de savoir s’il en veut encore, cependant. Je vais aller lui prendre du lait chaud. »
Il se leva, un peu embarrassé.
« Elisa est rentrée chez elle ? » demanda-t-il finalement.

[Taliesin]

-Pour l'instant, elle est juste allée prendre un peu l'air... répondit la halfeline en s'approchant du lit. Je lui ai laissé toute latitude pour revenir et continuer à nous aider, mais... Je pense qu'il est plus probable, effectivement, qu'elle rentre au château.
Ada, à son tour, plongea son regard dans celui de l'enfant.
-Du lait chaud, oui, c'est une bonne idée. Ensuite, nous attendrons César. Je pense que le mieux serait de le lui rendre et... de nous préparer pour notre expédition. De toute façon, nous ne pouvons rien faire de plus, à part changer ses bandages, le nourrir...

[Galathée]

Albérich se le tint pour dit et après avoir donné du lait à Bastien, il passa les minutes suivantes à préparer ce dont César aurait besoin pour subvenir aux besoins de son petit fils convalescent. Il reprit les mixtures d’Ada, les empila, les rangea dans un grand sac, puis sortit pour vérifier que le traîneau était toujours en bon état et prêt à accueillir le petit garçon. Par curiosité, il sortit de l’enceinte du cottage pour aller voir les traces des loups qu’Ada avait entendus pendant la nuit. Elles faisaient tout le tour du bâtiment avant de s’écarter. Mais il aurait été bien en peine d’en déduire davantage. Il n’était décidément pas taillé pour jouer les rôdeurs. Il revint ensuite à l’intérieur, s’installa près de l’âtre, et attendit l’arrivée du grand-père.

[Taliesin]

Le vieil homme arriva moins d'une demi heure plus tard. Il toqua doucement à la porte, entra lorsque on l'y invita et gagna la pièce principale. Il en salua les deux occupants, déposa au sol le sac qu'il transportait - des vêtements, sans doute - puis se tourna vers la halfeline. Ils ne dirent rien, ni l'un ni l'autre, mais a voir l'expression qu'arbora bientôt César, Albérich sut qu'il avait compris. Probablement s'y attendait-il, lui aussi.
-Y a-t-il des soins particuliers à lui dispenser ? s'enquit-il enfin. En dehors de ses mains et de ses pieds ?

[Galathée]

Voyant qu’Ada lui laissait l’initiative, Albérich finit par répondre.
« Nourrissez-le, abreuvez-le, c’est le mieux que vous puissiez faire. Parlez-lui. On ne sait pas exactement à quoi s’en tenir. Si ça se trouve, il reprendra vie inopinément… »
Il jeta un coup d’œil à Ada, revint à César.
« Et gardez-le bien au chaud. A part cela… »
Il secoua la tête avec une grimace.
« Je vais l’installer sur le traîneau. Ensuite nous vous aiderons à le mener chez vous. »
Et sur ces entrefaites, il se rendit dans le chambre de Bastien pour l'y prendre.

[Taliesin]

La descente vers Combeloup fut sinistre... mais guère difficile. le vieux César était encore solide et, avec l'aide d'Albérich, il parvint à mener le traîneau sans trop de heurts. Ada marchait à côté d'eux, le regard fixé sur le village en contrebas, aussi silencieuse que ses compagnons.
Bastien et son grand-père habitaient une maison en lisière du bourg, son jardin clos d'une haie basse mais touffue. Ils transportèrent le garçon à l'intérieur, le vieil homme prenant ensuite l'enfant dans ses bras pour l'amener jusqu'à sa chambre, à l'étage. Lorsqu'il revint, il proposa aux deux autres de boire un thé avec lui, ce qu'ils acceptèrent. Sans trop s'attarder, toutefois : il fallait préparer l'expédition de l'après-midi.
-Nous passerons vous prendre chez vous d'ici deux heures, j'imagine... fit la vieille halfeline. Prévoyez des vêtements chauds. De quoi manger... voir de quoi boire, au cas où. La marche est longue et fatigante.
Puis elle s'éloigna d'un bon pas dans les ruelles désertes du village enneigé.

[Galathée]

L’ancien clerc remonta jusque chez lui. Il était un peu interdit par la manière dont les choses s’étaient imbriquées, si rapidement, et se demandait s’il n’avait pas forcé sa présence dans des affaires qui ne le concernaient finalement pas directement. Mais Ada avait raison sur un point : en tant qu’étranger, il serait peut-être plus à même de percer certains aspects qui étaient devenus banalité aux yeux des Combelupins. En regagnant le cottage, il chercha Elisa du regard, mais la jeune fille avec déguerpi, comme l’avait supposé Ada. Il se demanda si l’on cherchait encore la trace de Belle, ou si les villageois étaient retournés à leurs occupations quotidiennes. Vu l’importance que revêtait l’animal, il était probable que quelques uns arpentent encore la campagne. Cependant, les promenades promettaient de devenir périlleuses, si la nature avait réellement décidé de rompre leur pacte.
Tout cela lui semblait nébuleux. Sans doute y verrait-il plus clair après leur expédition du jour. Comme il lui restait deux heures, il se bricola rapidement une infusions fortifiante, puis prépara ses affaires. Après quoi, il se reposa, simplement, laissant son esprit vagabonder sans pour autant dormir. Lorsqu’il avait écrit, brièvement, son calvaire aux mains des Sharites, le plaisir de la plume, curieusement, lui était revenu et une idée avait commencé à germer en lui. Il pourrait profiter de son oisiveté forcée pour rédiger une chronique de la dictature. Il avait été aux premières loges de ses préparatifs, lorsque Morféa avait attisé les mécontentements, et même s’il avait croupi en prison de longs mois, il avait récolté de nombreux témoignages ensuite, à la fois quand il avait rejoint les rangs de la résistance, mais aussi lors de la longue reconstruction. Il avait fallu estimer, accuser, dédommager. Il possédait une vaste connaissance des événements et le temps d’en faire quelque chose. A moitié endormi, profitant pour quelques minutes encore, de l’agréable chaleur de son âtre, il se mit donc à esquisser les plans de son ouvrage, oubliant un instant le poids des jours passés.

[Taliesin]

Il fut arraché à ses esquisses plus tôt qu'il ne l'aurait cru. A moins que, plongé dans son travail, il n'ait tout simplement pas vu le temps passer. Quoi qu'il en soit, Ada et Hodor se tenaient sur le seuil, L'impressionnant mais jovial forgeron était enveloppé dans un vaste manteau de fourrure, lequel présentait, de-ci, de-là, des renflements étranges. Sans doute avait-il jugé plus prudent d'emmener avec lui quelques armes... Après tout, on ne savait jamais, avec des loups dans les parages.
-Si vous êtes prêt, je propose que nous nous mettions en route dans l'instant... fit la vieille halfeline. Le temps se couvre, et il nous faudra au moins une bonne heure pour rejoindre le cercle de pierres.

[Galathée]

Albérich sauta sur ses pieds, attrapa son sac et les rejoignit à la sortie. Il salua le forgeron en lui serrant la main, puis se glissa dans les traces de ses compagnons. Devinant ce qui chargeait Hodor, il se promit de se trouver un bâton qui pourrait lui faire office de masse, le cas échéant, et pria pour que ses réflexes n’aient pas trop pâtis d’années pacifiques. Il avait emporté une couverture, de quoi boire et manger, des herbes nécessaires aux premiers soins, s’ils devaient avoir un pépin. Ce qu’il imaginait être un matériel de survie, sans en avoir la moindre notion, en quelque sorte. Il espéra aussi qu’il se montrerait à la hauteur de la randonnée. Une heure de marche ne lui semblait pas insurmontable, mais il n’était pas encore complètement remis de sa maladie. Néanmoins, il faisait confiance à Ada : si elle avait estimé qu’il pouvait les accompagner, c’est qu’elle le pensait capable de suivre leur rythme.

[Taliesin]

Comme les loups la nuit précédente, ils longèrent l''enceinte de l'ancienne garnison, puis, parvenus sur son côté faisant face aux Mont brumeux, ils s'en éloignèrent, suivant une sente invisible sous l'épaisse couche de neige. Celle-ci plongea sur l'autre versant de la colline, courut dans le fond sinueux d'un vallon boisé, remonta sur les contreforts abrupts d'une nouvelle éminence. Émergea, enfin, du couvert des arbres.
C'est alors seulement que commença leur périple.
Il fut long et pénible, malgré la beauté du panorama environnant. Ils montaient, montaient sans cesse, au milieu d'un impressionnant chaos de neige, de roche et de glace mêlées dont émergeaient parfois un bosquet d'arbres tordus. Derrière eux, resplendissante sous les rayons d'un soleil parfois voilé par la brume, s'étendait la campagne combelupine. La résidence d'Albérich, le donjon seigneurial, les panaches de fumée des maisons, trainées grises bientôt dispersées par l'aigre bise qui s'était levée, fouettant cruellement la moindre parcelle de peau découverte.
lls montaient, montaient toujours. Le chemin, pourtant, était intelligemment tracé, préférant quelques lacets supplémentaires aux pentes trop raides. Mais il fallait bien s'élever, tôt ou tard, et même progressif, le dénivelé finissait par se faire sentir dans les muscles engourdis.
Une heure passa sans qu'ils aient encore atteint leur destination. Peut-être Ada et le forgeron avaient-ils adopté un rythme plus lent afin de ne pas épuiser d'emblée leur compagnon convalescent. Quoi qu'il en soit, il leur fallut encore attendre une vingtaine de minutes avant que ne se dessine enfin, au sommet d'un éperon rocheux, les contours dentelés d'un cercle de pierres levées.
-Nous y sommes presque... fit Ada.
C'est alors que le vent porta jusqu'à eux les hurlements lointains d'une meute de loups.

[Galathée]

L’ancien aubemestre était éreinté. Il avait mal aux reins, aux jambes, aux épaules, et avait l’impression que chaque pas serait le dernier. Ils grimpaient depuis ce qui lui semblait une éternité, ses poumons le brûlaient, et la bise piquante lui avait gelé nez et oreilles. Lorsque les loups hurlèrent, il se raidit, comme ses compagnons. Il n’avait aucune idée de ce que signifiait ce son sinistre, de comment l’interpréter : la meute était-elle proche ou éloignée, dans quelle direction, il n’avait aucune science du vent à sa disposition, et ne pouvait que s’en remettre à ses compagnons d’aventure. Il songea cependant qu’il eut été plus intelligent d’emmener avec eux quelques soldats entraînés pour leur servir d’escorte. Mais sans doute la magicienne pourrait-elle éparpiller les prédateurs les plus voraces de quelques mots… Quoi qu’il en soit, il se garda bien d’agir avant de voir ce qu’Ada et Hodor comptaient faire.

[Taliesin]

Ceux-ci échangèrent un regard.
-Qu'en dis-tu ? demanda le forgeron. On continue ?
-Oui, répondit la halfeline. S'ils en ont après nous, ils nous tomberont dessus de toute façon. Nous sommes trop avancés pour espérer regagner le village en les évitant.
-Ouais. Autant pas s'être déplacés pour rien, dès lors...
Ils parcoururent la dernière centaine de mètres qui les séparait encore de l'ensemble de monolithes; La neige y était étonnamment rare, à peine un infime saupoudrage blanc sur les pierres moussues et l'herbe rase alentours.
-Attendez-moi ici... dit Ada.
Sans tarder, elle pénétra à l'intérieur du cercle. Par l'interstice entre deux pierres levées, Albérich put constater qu'elle rejoignait un petit autel de roche brute, dressé en son centre. La neige l'avait complètement épargné,
-Sauf erreur de ma part, ils viennent pour nous... lança Hodor d'un ton neutre, tandis que la vieille femme fouillait dans sa besace.
A l'oreille d'Albérich, les hurlements paraissaient toujours aussi lointain. Mais le forgeron, lui, paraissait sûr de son fait.

[Galathée]

Se faire dévorer par des loups en pleine nature. Voilà une conclusion à laquelle Albérich n’avait jamais songé. Comme il en avait eu l’intention, il avait ramassé un morceau de bois humide, vague réminiscence d’une arme plus équilibrée qu’il avait su manier autrefois. Mais il imaginait mal affronter toute une meute, même en compagnie d’un homme aussi musclé que le forgeron. Une fois encore, il se demanda comment ils avaient pu être stupides au point de partir à trois, comme des promeneurs, dans une montagne qu’ils savaient peuplée de créatures hostiles. C’était trop tard pour s’en inquiéter, de toute façon. Il faudrait faire face.
« Y a-t-il quelque chose que je devrais savoir quant à la manière d’affronter un groupe de loups ? » demanda-t-il finalement, d’un air dégagé.

[Taliesin]

Hodor lui sourit de toutes ses dents.
-Je n'ai jamais combattu un groupe de loups. Ni même un loup tout seul. M'est avis qu'il faut en tuer le plus grand nombre possible afin de les faire déguerpir. Ou tous les tuer si déguerpir ne fait pas partie de leurs habitudes. Et pour les tuer... Suffit de leur taper dessus, non ?
Il lui tapa sur l'épaule.
-Mais ne vous inquiétez pas. Dans le pire des cas, nous nous replierons dans le sanctuaire. Ils ne le profaneront pas, n'oseront pas y entrer.
Son sourire s'élargit.
-Enfin, je crois...
Confirmation ou dénégation, un hurlement particulièrement sonore résonna sur les flancs des éminences voisines. Les loups se rapprochaient, il n'y avait plus aucun doute à ce sujet.

[Galathée]

Albérich devina, sans poser la question, que s’ils s’étaient repliés immédiatement, Ada n’aurait sans doute pas pu mener sa tentative de communication à bien. Il se sentait cependant soulagé à l’idée de pouvoir trouver un échappatoire au besoin. Pour autant qu’Hodor voit juste, et que les loups respectent effectivement le sanctuaire. Cette meute en particulier avait l’air de ne pas respecter grand chose, à bien y réfléchir, mais l’ancien clerc préféra sourire au forgeron et adopter une vague position d’attente, tandis que les carnassiers se rapprochaient. Il entendit, malgré lui, la voix du clerc qui l’avait formé à la masse résonner dans son crâne, bribe de souvenir mille fois diluée. Placement des jambes, des mains, regard mobile, peut-être était-il encore capable de quelque chose… Il serait de toute façon bientôt fixé.

[Taliesin]

Tandis que les hurlements de la meute en maraude se faisaient sans cesse plus menaçants, démultipliés en échos lugubres qui se répercutaient, se répondaient d'une cime à l'autre, Albérich entendit monter derrière lui la voix de la halfeline. Elle psalmodiait dans une langue sourde, gutturale, qu'il n'avait jamais encore entendu. Les deux sons paraissaient se répondre, s'affronter dans l'air limpide des hauteurs... Jusqu'à ce que l'incantation s'interrompre brutalement.
Quelques instants plus tard, Ada apparaissait à la lisière du cercle de pierres. Pâle, essoufflée, une main ensanglantée, elle s'appuya lourdement contre le plus proche monolithe.
-Je n'ai pas eu de réponse... souffla-t-elle.
-Ce n'est pas la première fois... répondit Hodor.
-Certes non.
-Il peut nous répondre plus tard. Nous laisser un message au temple.
-Encore faut-il, pour en prendre connaissance, que nous puissions regagner le village...
A cet instant, un mouvement à la périphérie du champ de vision d'Albérich attira son attention.
En contrebas, loin encore, des silhouettes sombres se détachaient sur la neige.
Les loups.

[Galathée]

Albérich ne s’attarda pas sur la main blessée d’Ada, même si cette vision le fit frémir involontairement. Il ne s’était pas attendu à ce que la halfeline ne trouve que le silence, mais tout compte fait, cela ne le surprenait qu’à moitié. Si le pacte était rompu, l’esprit pouvait avoir décidé de ne plus se manifester aux parjures. Ou à ceux qu’il avait lui-même trahis.
« Si vous pensez vraiment que ces loups vont respecter le sanctuaire, je propose que nous nous y retranchions. » fit-il, sans perdre les taches noires des yeux. « Je ne pense pas que nous puissions les battre à la course. Même si j’en conviens, je ne suis pas expert en la matière. »

[Taliesin]

-Non, nous ne pouvons pas les battre à la course... fit Ada en souriant. Quant au sanctuaire... Oui, ils ne devraient pas y pénétrer, j'ai tout lieu de le croire. Il faut juste espérer qu'ils se lassent de nous guetter au dehors et qu'ils s'en aillent vite vers des proies plus faciles...
L'intérieur du cercle de pierres, comme l'avait déjà noté Albérich, était presque exempt de neige. Le vent, aussi y semblait moins aigre, le froid moins piquant. Autant de signes qui paraissaient dénoter la présence d'un pouvoir diffus, ténu... Mais indéniable.
Les loups aussi en avaient conscience, indéniablement. Quelques minutes après que le trio y eut pénétré, une vingtaine de ces fauves avaient gagné les abords des monolithes. Ils grondaient, hurlaient, parfois. Menaient tout autour une ronde inlassable. Mais ne cherchaient pas, pour l'heure, à y pénétrer.

[Galathée]

L’ancien clerc trouva la proximité des animaux et leur défiance surnaturelle des plus inquiétantes. Les loups étaient à quelques mètres seulement, grondants. Il aurait pu les effleurer en tendant la main. Vigoureux, nerveux, ils étaient plus grands que ce qu’il avait imaginé. Il ne voyait pas bien comment ils pourraient s’en débarrasser. Heureusement, ils avaient de quoi se nourrir et de bons vêtements, ils tiendraient un certain temps. Il restait à espérer que les loups se lassent, effectivement, ou qu’au village, on s’inquiète de ne pas les voir revenir et qu’on envoie une équipe un peu mieux armée pour leur prêter main forte. L’un dans l’autre, ils étaient désarmés.
« Ada, vous devriez me montrer cette main. » fit-il finalement, laissant à Hodor le soin de se montrer vigilant.

[Taliesin]

La vieille femme, qui jusqu'ici avait partagé ses regards entre les loups et le petit autel, sembla prendre seulement conscience de sa blessure. Elle baissa les yeux sur sa main, les releva sur Albérich.
-Oh, ce n'est rien, vraiment rien. Le rituel requiert un peu de sang... Un tout petit peu. C'est purement symbolique, c'est l'équivalent de la sève des plantes que les hommes répandent sans même y faire attention... Une goutte ou deux suffit, mais je crains que ma nervosité... n'ait entraîné ma maladresse.
Elle leva sa main, paume tournée vers l'ancien aubemestre. La coupure n'était vraiment pas très grave.
-Vous voyez ? Pas de quoi vous inquiéter. En plus, j'ai ce qu'il faut pour soigner ça... reprit-elle en se mettant en devoir de fouiller dans son sac.
L'instant d'après, elle versait quelques gouttes du contenue d'une fiole sur sa plaie et la bandait avec un morceau de tissu propre.

[Galathée]

Puisqu’il ne lui restait rien à faire pour tromper le temps, Albérich rejoignit à nouveau Hodor et se contenta d’observer les loups. Ils étaient partis tard et la nuit tomberait trop vite, les piégeant dans les hauteurs. Il se souvint de la dernière fois que les ténèbres l’avaient piégé au dehors. Même si le cercle de pierres diffusait une certaine chaleur, cela ne suffirait pas à réellement repousser l’hiver. Ils étaient équipés, c’était la seule bonne nouvelle. Mais pas pour longtemps. Il scruta malgré lui le chemin d’où ils étaient arrivés, espérant y discerner l’ascension d’un groupe parti à leur recherche. En y réfléchissant, cependant, il y avait peu de chances que l’on s’inquiète d’eux avant la nuit noire et qu’on ne décide de les retrouver avant le lendemain. Il soupira. Céder à la panique ne servirait à rien. Il fallait attendre, attendre, et attendre encore.

[Taliesin]

Et ils attendirent. Au dessus de leurs têtes, le soleil poursuivait inexorablement sa course dans un ciel mitigé, patchwork mouvant de nuées blanches, échevelées, et de pans d'un bleu sans cesse plus profond. Autour d'eux, les loups ne relâchaient pas leur vigilance, ponctuant leurs rondes inlassables de grondements menaçants, de hurlements sinistres à glacer le sang. Leur sarabande contrastait avec le silence et le calme qui régnaient à l'intérieur du sanctuaire : les deux hommes et la halfeline se tenaient immobiles, muets, attendant la fin du siège ou l'arrivée des secours. Au bout d'un certain temps, ils mangèrent, sans que le repas délie davantage leurs langues. Puis l'attente reprit, interminable...
Jusqu'à ce qu'Hodor se redresse soudain.
-Ils deviennent plus téméraires... murmura-t-il.
De fait, l'un des loups, un énorme mâle au poil noir et au regard luisant, avait avancé la tête entre deux pierres levées, presque timidement, comme s'il tâtait le terrain. Constatant qu'il ne lui arrivait rien de particulier, certains de ses congénères s'approchaient déjà, prêts à tenter l'expérience à leur tour...