La Couronne de Cuivre

-Rien du tout, parce que tu t'es complètement trompé ! riposta-t-il, à moitié hilare. Ceci dit, c'était presque aussi délirant... Sache donc, mon ami, que toi et moi, réduits à l'état de très jeunes halfelins - oui oui, même ton serviteur, qui étais une fille, de surcroit -, avons joué les justiciers nocturnes à Manost. Couverts d'un drap, arborant une lanterne sur laquelle tu avais dessiné un œil, nous nous sommes faits passer pour un envoyé spectral de Helm afin de remettre sur le droit chemin deux insupportables garnements qui nous cherchaient des noises. Et nous avons été très, très efficaces. Au point que je plains presque... comment s'appelaient-ils, déjà ? Ah oui ! Carl et Domi. Je crois qu'ils ont été littéralement traumatisés...

L'expression du halfelin changea du tout au tout. Ses yeux s'écarquillèrent de stupeur et il resta une seconde muet.
" Quoi ?! Comment tu sais ça, toi ? Qui t'a... Oh, je sais..."
Il grimaça et se prit la tête dans les mains, désespéré.
" Je parle trop quand j'ai bu, et après je ne me souviens pas de ce que j'ai raconté... J'espère que je ne t'ai pas parlé de la fois où j'ai visité les égouts en dessous du Loyal, ni de l'affaire de la chapelle d'Ilmater... Si ça en est resté à Carl et Domi, ma foi... C'est du léger."

Revenu de la surprise que lui avait valu la réaction du halfelin, Taliesin tendit la main pour lui serrer l'épaule.
-Rassure-toi, Guéric, tu ne m'as pas raconté ces histoires là. En fait, je ne me souviens même pas que tu m'aies raconté celle du fantôme. Mais je ne vois pas comment je pourrais être au courant, sinon...
De fait, c'était la seule explication qui lui venait à l'esprit. Pourtant, il aurait voulu vérifier, donner de petits détails pour savoir s'ils étaient réels où s'il s'agissait du produit de ses élucubrations nocturnes. Il préféra s'abstenir, cependant, pour ne pas mettre son ami encore plus mal à l'aise.
-C'est une aventure dont tu peux être fier, conclut-il néanmoins, pour dédramatiser. J'espère que ces garçons vous ont fiché la paix, ensuite. Et que Carl ne vous a pas offert des gâteaux préparés par ses soins. Cela, je suis sûr que tu ne me l'as jamais dit.

Guéric était un peu trop surpris pour pouvoir répondre à la question comme si de rien n'était. Kerun les observait, curieux, sans rien dire.
" Je heu... Je dois dire que je ne me souviens pas de cette histoire de gâteaux..." dit finalement le halfelin.
Il lui jeta un regard un peu incrédule.
" Je t'ai vraiment raconté cette histoire ? Je devais vraiment être très très loin...
— Qui sait, ça pourrait te servir de leçon, dit l'elfe des bois.
— Ne rêve pas, il en faudrait plus pour que je renonce à mes joyeux travers ! D'autant que c'est une histoire plutôt rigolote, quand on y pense. L'ingéniosité halfeline, y'a que ça de vrai !"

Bon, le coup du gâteau était donc une invention due à ses méninces endormies. C'était rassurant, quelque part. Même s'il n'avait pas le moindre souvenir d'avoir entendu Guéric lui narrer cet épisode de sa jeunesse...
-Je suis désolé, mon vieux. Je ne voulais pas te causer de trouble. Je pensais sincèrement que rien n'était réel, dans ce songe...
Il sourit.
-Promis, si j'en fais un autre du même type, je n'en parlerai pas en public. Je viendrai d'abord t'en toucher un mot discret...
Une idée chassant l'autre, il se tourna vers l'agent secret.
-Ça me fait penser... Tu as dit que je parlais dans mon sommeil ? J'espère que je n'ai rien révélé de compromettant...

Kerun se fendit d'un sourire énigmatique, puis finit par secouer la tête.
" Non. Rien de compromettant. Ton sommeil est parfois agité, tes rêves paraissent alors angoissants. Mais tu t'apaises toujours rapidement."
Il haussa les épaules, un peu embarrassé.
" C'est plutôt logique, vu tout ce qui t'est tombé dessus ces dernières années... Etonnant chez un elfe, mais puisque tu dors comme un humain, ma foi... Non, rien de surprenant."
Son sourire revint.
" De toute façon, Taliesin, tu sais bien que si tu avais jamais dit quelque chose de compromettant, je ne le lâcherais jamais devant cette engeance !
— L'engeance va se venger, rouquin !
— L'information, c'est le pouvoir. Je suis bien placé pour le savoir. Je ne vais pas dilapider ma fortune comme ça !"

Il adopta une mine outrée.
-C'est la deuxième fois en seulement quelques minutes que tu affirmes avoir l'intention de conserver ces information sous le coude, bien au chaud... J'en déduis donc que tu songes à t'en servir tôt ou tard à mon encontre. Pour me faire changer, m'obliger à t'obéir...
A nouveau, il se tourna vers le halfelin.
-Guéric ? Si j'étais toi, je vérifierais mes réserves de poison et j'affuterais ma dague. Il n'est pas impossible que j'aie un travail à te confier, d'ici peu de temps...
Sur ce, il recommença à s'intéresser à son petit-déjeuner : il ne fallait tout de même pas le laisser refroidir...

Kerun se mit à rire et Guéric prit une mine de tueur qui indiquait que Taliesin n'avait qu'à faire un signe pour qu'il passe à l'action. Ce qui, compte tenu de ses déclarations antérieures, n'était en réalité pas impossible... L'agent secret semblait s'en soucier comme d'une guigne.
Le restant du petit déjeuner se déroula sans incidents notables. Ils étaient passablement serrés dans la pièce qui, malgré des dimensions respectables, n'était manifestement pas prévue pour accommoder une compagnie aussi nombreuse. Mais les membres de la Réunion louvoyaient dans cet espace sans la moindre gêne, signe qu'ils y étaient en réalité habitués à cette promiscuité forcée. Le barde entendit d'ailleurs Abel, Perceval et Aliosha discuter d'abattre le mur qui donnait vers le hangar pour agrandir la surface de leur espace de vie. Il y avait cependant des problèmes techniques, de hauteur de toit et de poutres porteuses, qui rendaient la manoeuvre compliquée, et ils reportèrent alors leur attention sur le petit quai de déchargement.
Petit à petit, les plats furent vidés, rassemblés, escamotés vers la cuisine. Le thé circula, les conversations filèrent vers leur conclusion, Kerun se leva pour aller s'asseoir à la gauche d'Ybarra, et le silence se fit. Les regards se tournèrent vers la demi-elfe qui sourit.
« Bien. Tout d'abord j'espère que vous avez tous bien dormi suite à notre intervention d'hier soir. Je voulais encore vous féliciter pour cette belle réussite."
Des applaudissements fusèrent un moment, puis Ybarra leva la main pour rétablir le calme.
" J'ai longuement discuté avec Kerun ce matin et... nous voulions tous vous rassembler car nous avons pris une décision importante concernant les jours à venir. » dit-elle.
Elle jeta un œil à Kerun qui acquiesça, la mine sérieuse.
« Nous avons décidé de renvoyer Deverell à Luménis immédiatement, sur la Liberté, ainsi que Gauthier et Greta. Et Fulgence, évidemment.
— Quoi ? s’exclama Constance.
— Mais j’étais prêt à aider, se défendit le paladin.
— C’est trop dangereux, intervint Kerun. Tant que tu restes à Mélandis, nous prenons un risque. Nous ne savons pas ce que Gargon va faire, ni à qui il va en appeler. Nous devons profiter de la journée d’aujourd’hui, et du choc, pour te faire sortir.
— Mais je n’ai pas assez de marins ! s’exclama Constance.
— Et je veux pas partir ! » glapit Guéric d’une voix aiguë qui fit sourciller tout le monde.

Taliesin demeura silencieux. Bien sûr, il ne s'était pas attendu à cette nouvelle et, comme Constance, il se demandait comment serait résolue la question de l'équipage insuffisant. De surcroît, voir partir le capitaine et le halfelin n'était pas une perspective très réjouissante. Cependant, il fallait reconnaître que la Réunion courrait un grand danger tant que Deverell demeurerait en son sein : son ancien propriétaire n'était pas n'importe qui, après tout... La décision de l'envoyer à Luménis était donc aussi sage que prudente, et il se garda de la contester. Ybarra et Kerun savaient parfaitement ce qu'ils faisaient.

" Calliope, Eliott et Aliosha partiront avec vous.
— Quoi ?! s’exclama Aliosha, stupéfaite.
— Kerun, tu ne peux pas me renvoyer à Luménis !" renchérit Calliope, scandalisée.
Eliott ne dit rien, mais une expression de soulagement passa sur son visage. Apparemment, il était plutôt ravi de la perspective de rentrer.
" Si. Il est temps de faire tourner l'équipe.
— Non, non, non ! Je veux rester !
— Moi aussi ! » répéta Guéric.
Constance croisa les bras.
« Mais ils ne savent pas naviguer. Je ne peux pas remplacer mes marins par des débutants.
— Calliope a une certaine expérience de la mer. Eliott a les bases. Deverell est costaud. Et nous pensions négocier avec Gauthier, reprit Kerun.
— Oh, par les saintes méduses."
Perceval avait posé une main consolatrice sur le bras d'Aliosha qui, livide, fixait le vide sans plus rien trouver à dire.

Cette fois, l'elfe ne put masquer sa surprise. Autant les quatre noms évoqués par Ybarra lui avaient paru on ne peut plus logiques, autant ceux mentionnés par Kerun... Bon, pour Eliott, sa réaction disait assez que c'était une excellente idée. Mais Calliope ? Aliosha ? Guéric, aussi ? Ils pouvaient se rendre très utiles, en montraient clairement leur envie et, vu le travail que la Réunion devait encore accomplir, était-ce raisonnable de se priver de tant de bonnes volontés ?
Cependant, tout déconcerté qu'il soit, Taliesin s'abstint de tout commentaire. Leurs chefs avaient assurément pesé le pour et le contre et une logique bien précise devait guider leur choix. Peut-être souhaitaient-ils écarter tous ceux qui s'étaient compromis d'une manière ou d'une autre, afin que le Comptoir des Transparences ne paraisse nullement suspect en cas de descente des autorités mélandiennes...
Peut-être. Il n'empêche : leurs effectifs allaient diminuer de manière considérable, et cela ne manquait pas de l'inquiéter.

" Si je puis me permettre, intervint alors Lena. L’Envol n’arrive que dans une veille, peut-être deux. Avec un groupe de Luméniens qui cherchent leurs proches... Sans doute trois ou quatre. Pour Taliesin et Kerun, cela signifierait demeurer encore longtemps à Mélandis. Beaucoup plus que prévu.
— Nous n’avons pas encore retrouvé Polyanna et Galathée. Nous ne pouvons pas présumer du temps qu'il nous faudra. C'est la première fois que deux bateaux se succèdent si rapidement. Mais au pire, nous pensons acheter un nouveau navire depuis plusieurs mois. Nous pouvons aisément le justifier pour notre commerce. Et cela permettrait de rapatrier un premier groupe plus rapidement.
— Qui va le prendre en charge ? demanda Sedanius.
— Nous pensions à Melville, le second de Jacob. Il est capable de naviguer seul et il est complètement acquis à notre cause.
— C'est un bon choix." dit la drow en acquiesçant.
Calliope secouait la tête, furieuse, mais le regard de Kerun lui indiquait clairement que si elle avait l'intention de protester davantage, elle devrait le faire en privé.
" Ombeline, le choix est vôtre. Vous pouvez demeurer avec nous, mais vous pouvez aussi fuir ces rives à tout jamais." dit Ybarra en regardant la prêtresse d'Ilmater.
Celle-ci sembla sortir d'un songe.
" Je... oh... heu... Je n'y ai pas réfléchi...
— Quand devons-nous appareiller ? demanda Constance.
— Cette nuit, idéalement. Un peu avant l'aube.
— Waouh. Hum. Je crois que je vais monter à bord dans l'instant."
L'agent secret se tourna alors vers Taliesin.
" Et cela nous laisse quelques heures pour aller récupérer un maximum de gosses.
— Quoi ?!" s'exclama Constance.
Ybarra eut un sourire embarrassé.
" Tu ne voudrais pas naviguer à vide, quand même ?" dit Kerun, nonchalant.
Arion pouffa dans ses mains, tandis que le capitaine ouvrait des yeux horrifiés.
" Je crois que je vais accompagner." proposa l'Ilmate, conciliante.

Il acquiesça. Ne pas devoir rester les bras croisés, ne pas devoir participer aux préparatifs du départ, événement nécessaire mais attristant, cela lui plaisait assez. Tout comme arracher de nouvelles victimes de Morféa - et donc indirectement les siennes - à l'horrible mélandis. Néanmoins, leurs situations étaient si différentes, le délai si bref qu'il se demandait combien ils pourraient réellement en sauver avant la nuit. Quelques-uns, sans doute, s'ils s'y mettaient à plusieurs, s'ils ciblaient les plus aisément accessibles... Cela lui donnait malgré tout la désagréable impression d'un sauve-qui-peut, d'un acte final anticipant la tombée de rideau. Kerun et Ybarra craignaient-ils de graves retombées pour la Réunion ? Était-ce une fausse sensation née de son pessimisme crasse ? La deuxième hypothèse devait être la bonne, car leurs responsables envisageaient des actions à plus long terme...

Il n'y avait plus grand chose à discuter aussi la réunion fut-elle conclue. Perceval paraissait incroyablement soulagé de ne pas avoir été désigné parmi les partants. Constance entraîna Eliott, Ombeline et Fulgence à l'extérieur, tandis que Calliope et Guéric prenaient Kerun d'assaut. Lena et Ybarra s'étaient rabattues sur Aliosha ; Meloenn et Arion s'esquivèrent vers les hauteurs. Sedanius et Abel paraissaient un peu secoués par les nouvelles, sans parler du paladin qui semblait ne pas réaliser qu'il allait embarquer. Il voulut rejoindre le groupe qui était parti vers le bateau, mais Abel l'en empêcha.
Cet apparent désordre ne dura pas. Calliope reparut auprès du barde et ressortit sa liste d'enfants. Ses traits reflétaient son mécontentement mais elle lui sourit cependant du mieux qu'elle put.
" Bon... Il faudrait qu'on choisisse ce qui est jouable. J'imagine qu'une des magiciennes pourra te redonner une apparence quelconque... Il ne faut pas bâcler les choses, cependant. C'est une journée où nous ne voulons pas attirer l'attention. Je crois cependant que ton entremetteur visqueux devrait rester chez lui... Gargon va fatalement essayer de mettre la main sur lui, et autant ne pas prendre de risques tant que le bateau n'est pas parti."

Il hocha la tête. Si l'identité de Baelish avait fait ses preuves, si elle était fort pratique, elle n'en constituait pas moins une couverture gluante, et la remiser quelques temps le soulageait beaucoup.
-Dans l'absolu, j'aurais aimé privilégier les cas les plus urgents mais, compte tenu des circonstances, je crains qu'il ne nous faille opter pour les plus simples, choisir des enfants qu'un Mélandien puisse vouloir acquérir pour des raisons qui ne paraîtront nullement suspectes et qui n'auront pas trait à leur origine. Que plusieurs Luméniens soient acquis explicitement pour ce motif juste après la disparition de Deverell... Forcément, cela ne passerait pas inaperçu.

" Effectivement... Voyons voir... J'ai la liste des filles, aussi, évidemment. Fulgence m'a parlé de sa soeur... Ce serait bien qu'on puisse les rapatrier ensemble, cela lui ferait certainement du bien... Léontine. Elle est servante dans une famille de marchands. Ça ne va pas être facile..."
Calliope se frotta le visage.
" Bon, le plus simple, c'est probablement le voleur de rue. Ces gosses disparaissent sans cesse pour une raison ou une autre. Il suffit de le kidnapper discrètement, d'abandonner un morceau de chemise sanglant ou une chaussure dans la Houleuse. Mélandis a ses côtés sordides qui permettent parfois d'escamoter les cibles aisément."
Perceval s'était rapproché, ainsi que Lena.
" Je pense qu'il faut que chaque gosse soit géré par une personne différente, dit la drow, et pour un prétexte différent. Les esclaves s'échangent sans cesse, dans cette ville."
Kerun et Guéric les rejoignirent à leur tour. Le halfelin s'assit à côté de Taliesin, ronchonnant.
" Efficaces mais raisonnables, dit le Luménien. Si nous en sortons quatre, ce sera déjà bien. Plus, ce sera difficilement gérable à bord de la Liberté."

Quatre... A la fois peu et beaucoup. S'ils atteignaient un tel chiffre en une journée - ou en une demi-journée, plutôt -, ils auraient remporté une deuxième victoire éclatante de suite.
-Effectivement, ce serait formidable si Fulgence et sa sœur pouvaient rentrer ensemble à Luménis. Mais il faudrait avoir des informations sur les maîtres de la petite et jouer le rôle de quelqu'un ayant pu la voir à l’œuvre... Un client, peut-être ? Pour le voleur des rues, organiser un discret enlèvement ne devrait pas être trop compliqué, oui. En plus, si je ne m'abuse, c'est le plus mal en point des garçons. Donc c'est un cas urgent...
Il refit face à Calliope.
-Qui d'autre paraît accessible ?

" Je ne sais pas... Un client excentrique et très riche pourrait décider de racheter ceux qui travaillent aux thermes après un seul massage, je suppose. Pour autant que c'est ce qu'on demande aux gosses. On a déjà exfiltré ceux qui étaient... exploités plus durement."
Elle échangea un regard avec Kerun dont l'expression resta de marbre, puis replongea les yeux dans ses notes.
" Il y a Thadée, et deux filles... Marine et Eulalie. Plus Ortwin... et la soeur de Fulgence... Ça ferait cinq.
— Quatre, cinq, peu importe, dit Kerun.
— Vous ne pensez pas que ça paraitra suspect si trois gosses sont achetés pour la même raison le même jour ? demanda Perceval.
— Ils ne travaillent pas dans le même établissement.
— Néanmoins..."

Il se frotta le menton, pensif.
-C'est sûr que ça pourrait attirer l'attention. D'un autre côté, si quelqu'un les rachète avant nous, ils risquent de devenir extrêmement difficiles à libérer... Peut-être serait-il possible d'avancer des prétextes différents pour justifier leur acquisition, en fonction de la tâche qui est la leur au sein de ces établissements ? A moins qu'il vous paraisse plus prudent de se concentrer sur le plus en contact avec la clientèle et donc le plus exposé, et de s'occuper des autres un peu plus tard ?

" Avons-nous des informations récentes sur les tâches qui leur sont attribuées ? demanda Kerun.
— Malheureusement pas, dit Calliope.
— Dans ce cas, nous travaillerons en équipe. Une première personne ira repérer le gosse, puis une seconde le sortira. Sedanius et Meloenn peuvent nous aider. Nous serons huit sur le terrain. C'est plus qu'assez. Que font les maîtres de la soeur de Fulgence ?
— Marchands de bougies en gros. Ils fournissent surtout les temples.
— C'est peut-être le moment d'essayer nos costumes d'Infortunés." dit Lena.

-Comme ce n'est pas le sauvetage de Léontine que j'avais à l'esprit quand j'ai utilisé le pipeau, je ne suis pas sûr que les robes soient destinées à cet usage. Enfin, je peux me tromper : comme je l'ai dit, les desseins de cet instrument sont impénétrables. Cependant, n'avez-vous pas peur que la venue d'un Infortuné fasse trop de bruit ?
Il haussa les épaules : il n'avait pas d'avis tranché sur la question.
-Mais peut-être allons-nous trop vite en besogne. Ne vaudrait-il pas mieux, à présent que nous avons nos cinq noms, choisir d'abord qui volera à leur secours, avant d'envisager les aspects pratiques ? Personnellement, j'irai où vous me jugerez le plus utile.

Kerun parcourut l'assemblée d'un regard.
" Bon. Meloenn vient de racheter Calliope... Elles peuvent donc aisément se rendre dans des Thermes de bonne réputation ensemble... Acheter une petite esclave est le genre de lubie qu'on s'attend à trouver chez Meloenn, si j'ai bien suivi.
— Pour mon ultime mission, c'est vraiment gentil, Kerun, grommela Calliope. Mais oui. Eulalie, si elle est visible, devrait être accessible.
— Je joue aussi les nobles drows de temps en temps. Elles sont connues pour user les esclaves à grande vitesse.
— N'es-tu pas trop reconnaissable ? demanda Guéric.
— Nous autres drows profitons de l'effet bien connu de "ils se ressemblent tous", Guéric. Les gens se souviennent d'avoir vu une drow. Déjà, ils n'osent pas me regarder dans les yeux. Ensuite, ils n'ont aucune mémoire de nos traits distinctifs. C'est très pratique. Et ça marche partout à la surface.
— Bon. J'imagine que tu viseras le gamin, alors.
— Mais j'aurai besoin d'un serviteur.
— Perceval fera l'affaire. Ou alors Guéric.
— Une drow ne prendrait jamais un halfelin à son service.
— Ah ben merci.
— Désolée. Perceval et moi avons une certaine habitude de travailler de la sorte. Nous nous en sortirons très bien.
— J'adooooore jouer les esclaves d'une matrone drow. Mon rêve d'intervention.
— Au moins tu te tiendras à carreau." trancha Kerun.
Le jeune guerrier s'empourpra aussitôt, tandis que l'elfe des bois se tournait vers Taliesin.
" Et toi ? Qu'imagines-tu ? J'aimerais autant que tu travailles avec Guéric. Je m'occupe du grand clerc de Tyr."

Il haussa à nouveau les épaules.
-Sincèrement, je n'ai rien envisagé pour l'instant. Je suis adaptable et du moment que je participe à une libération... peu m'importe le reste. J'imagine que tu préfères organiser un enlèvement factice ? Resterait donc Marine et Léontine... Bah, dans les deux cas, nous devrions pouvoir échaffauder une histoire et des rôles crédibles.
Il se tourna vers le halfelin.
-Mais toi, as-tu une préférence ?

" Ah zut, je pensais qu'on allait faire du kidnapping, nous ! s'exclama le halfelin. Je ne vois pas comment on va se faire passer pour des clercs... Y'a pas beaucoup de divinités qui sont louées à la fois par les elfes et les halfelins...
— De toute façon, vous ne pouvez pas sortir comme ça, dit Lena.
— Et tu peux faire l'esclave de Taliesin, ajouta Perceval, comme s'il ne voulait pas être le seul dans cette position.
— L'esclave de Taliesin ?! Mais je suis déjà quasiment l'esclave de Taliesin !
— Je pense que c'est une bonne idée. Occupez-vous d'une bonne grosse commande de bougies, et de la soeur de Fulgence." trancha Kerun.

-Très bien.
Il se sentait un peu désolé pour Guéric, qui aurait sans doute été plus à l'aise pour mener un simulacre d'enlèvement et qui, pour leur dernière mission commune, aurait assurément préféré un rôle moins ingrat que celui d'esclave. Mais si Kerun jugeait que c'était la tâche qu'ils étaient le mieux à même d'accomplir, il n'allait pas le contredire. Et puis, il s'en voulait toujours pour la manière dont s'était déroulée la libération de Fulgence : lui ramener sa sœur serait donc un bon moyen de se faire pardonner.
-Ne nous reste plus qu'à trouver une divinité d'emprunt... conclut-il.

" C'est toi le barde, répliqua Guéric, maussade. Moi j'y connais rien. J'aime autant que tu en choisisses un qui n'exige pas qu'on botte les fesses des esclaves à tout bout de champ. Genre l'autre folle qui aime les fouets."
Kerun se leva.
" Bon, au travail. Ybarra servira de point de contact, je vais l'informer de nos décisions. On avisera pour la dernière petite fille en fonction des résultats des premières interventions. Nous avons un peu de marge. Si vous avez un doute sur votre procédure, venez m'en parler. Lena, tu ne sors pas avant d'avoir veillé au déguisement de Taliesin et Guéric. Bon courage à tous."
Il leur sourit et fila vers la demi-elfe.
" Bouse de bouc, il est insupportable ! C'est la seule bonne nouvelle à mon départ : je ne devrai plus me le farcir !"

L'elfe adopta aussitôt une mine désolée.
-Guéric, n'as-tu pas compris pourquoi il tenait tant à ce que nous menions un tel nombre d'opérations aujourd'hui ? Et bien, c'est parce qu'il veut partir le cœur tranquille. Car oui, il part, lui aussi. S'il n'en a pas encore fait l'annonce, c'est uniquement pour ne pas trop démoraliser ceux qui restent...
Après avoir sourit largement au halfelin, il s'abîma un moment dans ses pensées.
-Bon, une divinité, donc... reprit-il. Pour éviter toute complication, il faut qu'elle ne soit pas trop populaire en ville. Et si on laisse Beshaba pour plus tard... Hum, pourquoi pas Talona ?
Il claqua des doigts.
-Oui, Talona, ça peut coller ! Elle est réputée pour son mauvais caractère, et ses prêtres doivent le partager. Ainsi, il suffirait que la petite fasse une maladresse, me bouscule ou me salisse puis que j'exige réparation sans que cela paraisse suspect ! Bon, évidemment, ça risque de la terrifier, mais je ne vois pas trop comment faire autrement, à moins de pouvoir lui parler avant d'agir ou... à moins qu'elle ne soit malade.

" Oh, Talona. Je l'aime encore bien, celle-la. Enfin... De loin, évidemment. Si la gamine est facilement accessible... Genre si elle déambule dans la boutique ou le hangar, je pourrais aisément la faire tomber... malade. Si tu vois ce que je veux dire. Mais en quoi est-ce utile ? Tu vas proposer de la soigner ? Ça ne fait pas très mélandien."
Il avait l'air sceptique. Autour d'eux, le reste du groupe s'était dispersé, sans doute à la recherche de costumes et de matériel. Kerun s'entretenait avec Sedanius et Ybarra, Deverell était toujours assis sur sa chaise, Constance et Aliosha compulsaient une liste, sans doute le ravitaillement.

-Si elle tombait brusquement malade, je pourrais présenter cela comme un signe montrant que Talona la réclamme à son service... comme cobaye, par exemple. Ou affirmer qu'il s'agit d'un mal très contagieux et proposer de la racheter, en arguant que le cas est intéressant... Mais bon, sans doute est-il plus prudent de tabler sur le côté colérique de la déesse et de son clergé. Cela réclamera moins de mise en scène et limitera donc les aléas...
Restait la peur qu'éprouverait Léontine. S'il y avait moyen de la prévenir à l'avance, il le ferait. Sinon... Il la rassurerait ensuite. Le plus important était de la libérer.

" D'accord, je comprends." dit le halfelin.
Il parut songeur une seconde.
" Mais si tu crains de la terrifier, pourquoi ne pas faire comme avec Deverell ? Nous avons son frère à disposition... Ou alors tu crains qu'elle réagisse encore de manière plus stupide que ce grand dadais, si nous lâchons quelque chose pour la mettre en confiance ? On pourrait carrément prendre Fulgence avec nous, mais c'est peut-être un peu risqué... Je suis pas certain que Kerun sera super motivé, en tout cas."

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] Le Comptoir des Transparences