La Couronne de Cuivre

Les elfes parurent stupéfaits et se figèrent comme des biches aux abois.
" Quel est... ce prodige ? s'étonna une jeune femme.
— Sorcellerie !" renchérit un autre qui marcha jusqu'à Gérold et l'attrapa par sa chemise.
Celui qui tenait la dague s'était également immobilisé, un pied sur le ventre du clerc qui gémissait de douleur.
" On les ramène au camp." dit-il finalement, en rengainant son arme.
Il se pencha ensuite et arracha brutalement la flèche plantée dans l'épaule du prêtre. Ce dernier poussa un cri bref et s'évanouit. Les elfes continuaient à observer Gérold avec la plus grande méfiance, mais celui qui le tenait par la chemise le fit pivoter, sans douceur ni violence particulière, avant de lui joindre les bras dans le dos. Taliesin comprit qu'on entendait lui lier les mains.

Il ne se débattit pas. A quoi bon ? Tout ce qu'il obtiendrait, c'était un nouvel élan d'hostilité de la part des elfes, et les dieux seuls savaient comment cela pourrait alors tourner. Non, mieux valait être docile, d'autant que le plus important était acquis : ils n'allaient pas assassiner Aymeric sans autre forme de procès mais les ramener tous deux à leur village. Village où Valaellyn se trouvait sans doute... Ses manifestations d'atttachement envers le clerc blessé aplaniraient sans doute bien des difficultés.

Après lui avoir attaché les poignets, les elfes lui bandèrent les yeux. Ensuite, il se sentit soulevé de terre et jeté en travers d'une épaule. Une sangle le cala davantage contre le dos de son porteur. Quelques secondes plus tard, ils étaient en route, vers le haut et la cime des arbres, à n'en pas douter. Le trajet ne fut pas de tout repos : Taliesin fut valdingué en tous sens, au gré des sauts et des escalades de l'elfe, et privé de ses yeux et de ses mains, il fut rapidement empli d'un sentiment angoissé proche de la terreur. Même en sachant qu'il ne risquait probablement rien, il ne parvenait pas à contrôler le rythme fou de son coeur et les halètements de sa poitrine. Il eut le tournis, puis la nausée, tandis que son geôlier continuait à filer. Des branches lui fouettèrent les jambes, le dos et la tête, il était secoué comme un fétu de paille dans la tempête. Il perdit toute notion du temps.
Puis les cahots cessèrent et il devina qu'ils étaient arrivés à bon port. Son périple ne s'arrêta pas pour autant. La lumière du matin, qu'il devinait au travers des fibres de son bandeau, s'atténua brusquement et il fut transporté dans les ténèbres. Une odeur forte d'humus lui frappa alors les narines, mélangé à des parfums de verdure et du musc animal. On le posa sur un sol meuble, puis d'une pression sur l'épaule, on le força à s'asseoir. Sa tête lui tournait toujours.
On lui délia les poignets et il entendit des pas s'éloigner.
" Tu peux ôter ton bandeau." lui dit une voix féminine, rauque, quelque part devant lui.
Quand il se fut exécuté, il découvrit l'intérieur d'une hutte sombre, dans laquelle ses yeux humains ne l'aidaient en rien. Un brasero rougeoyait quelque part sur sa droite, dégageant des fumées odorantes. Une silhouette lui faisait face, à peine discernable dans le noir.

Il dût d'abord se remettre de son périple mouvementé, ce qui prit un certain temps.
Il lui fallut ensuite se faire à cette étrange situation. Lui, un elfe métamorphosé en humain, prisonnier de ses semblables... C'était déconcertant, pour le moins.
Enfin, il revint à l'instant présent. Songea au clerc blessé.
-S'il vous plait, pouvez-vous me dire où est l'homme avec qui j'étais ? Messire Aymeric est quelqu'un de bienveillant, il n'a jamais eu de mauvaises intentions à votre égard. Il voulait juste sauver Valaellyn du glouton qui s'en prenait à elle, et je l'ai accompagné.

Mais la silhouette ne répondit pas à sa question.
" Un enfant humain qui parle la langue du Peuple. Un prodige..." dit la voix.
Le silence succéda à cette courte déclaration mais Taliesin devina que la femme l'observait.
" Dis-moi, enfant... Où as-tu appris notre langue ? Ou plutôt... comment ?"

Heureusement qu'il savait improviser... Restait à espérer que ses mensonges paraîtraient crédibles.
-Dans un livre, madame. Il y a longtemps, un barde est passé dans notre village et l'a oublié derrière lui. C'était une sorte de... manuel pour apprendre votre langue, avec la traduction de plein de mots, la grammaire, la prononciation... Peut-être que c'est le barde lui-même qui l'avait écrit, je ne sais pas... Je suis tombé dessus par hasard, et comme je savais que je deviendrai tôt ou tard novice dans notre temple de Chauntéea, comme c'est la que vivait Valaellyn, je me suis dit que... Que ce serait plus sismple pour parler avec elle. Que ça lui ferait plaisir d'entendre sa langue natale.

La silhouette demeura à nouveau silencieuse un moment.
" Tu veux me faire croire que tu parles un elfique aussi aisé, sans fautes, avec une prononciation parfaite, des tournures élégantes... à partir d'un livre ?"
Elle gloussa puis murmura quelques paroles à mi-voix, une formule magique assurément, et une lumière dorée, douce, se répandit autour d'eux. C'était une elfe vénérable. Elle avait de longs cheveux blancs, des yeux bleu ciel, et la peau lisse de ces êtres qui ne vieillissent pas vraiment. Son expression était bienveillante, mais Taliesin lisait une détermination sans limites au fond de ses prunelles.
" Sois honnête avec moi, enfant. Je n'aime pas les menteurs."

A ne pas douter, elle venait de créer une zone de vérité. Pour une tuile, c'en était une grosse. Une tuile d'autant plus grosse qu'il n'était pas en mesure de se livrer totalement... Que faire ?
Avouer la vérité, simplement.
-Je suis désolé, je ne peux tout vous dire : j'en suis empêché par des forces qui, je le crois, sont d'ordre supérieur... et d'une grande bienveillance. Je peux cependant vous affirmer que je n'ai aucune mauvaise intention, ni envers vous, ni envers qui que ce soit. Tout ce que je dis, tout ce que je fais, c'est dans le seul et unique but d'aider Valaellyn, la fillette poursuivie par le glouton et que, je gage, vous avez recueillie.

La vieille elfe sourit.
" Un esprit ancien dans un corps jeune, murmura-t-elle. Bienvenue à toi."
Son expression se fit plus sérieuse.
" Valaellyn est de notre sang le plus pur et le plus précieux. Es-tu conscient de ce que cela coûte, au Peuple, de laisser pareil trésor entre des mains humaines ?"

Bon, ça ne se passe pas si mal que ça... songea-t-il en acquiesçant.
-Oui, j'en suis parfaitement conscient. Mais croyez-m'en, si vous consentez ce sacrifice, ce ne sera pas en vain. Viendra un jour pas si lointain où les peuples d'Hélonna se rapprocheront, ou des échanges s'établiront, ou la méfiance et l'hostilité cèderons la place sinon à la concorde absolue, au moins à une cordiale entente. Et je suis convaincu que Valaellyn, en grandissant auprès des humains, sera l'une des graines, l'une des intermédiaires par lesquelles viendra cet âge nouveau.

La vieille elfe hocha la tête, pensive.
" L'homme qui l'a recueillie sert un dieu humain. Un dieu qui prône l'asservissement de la nature par l'homme, pour ses besoins personnels."
Taliesin perçut comme un sursaut à l'intérieur de lui-même, une bouffée d'énergie coléreuse, qui s'estompa aussitôt. L'elfe avait légèrement écarquillé les yeux et un sourire se dessina sur ses lèvres.
" Il y a bien des choses en toi, mon garçon. Mais lesquelles sont, en vérité, toi ? Je me le demande."

Ne sachant pas s'il était en mesure de répondre à ses interrogations, il préféra éluder le sujet et se concentrer sur l'essentiel.
-Je comprends que, de prime abord, le dogme de Chauntéa puisse vous déplaire. Toutefois, je vous assure qu'il ne s'agit pas de simplement asservir la nature : il est aussi question de la traiter avec respect, de ne pas en abuser, de ne pas lui nuire. Si je puis me permettre une comparaison... Les fourmis, en leurs demeures, cultivent des champignons et élèvent des pucerons, ce qui est tout à fait naturel. La démarche des Chauntéen l'est aussi, à sa manière. Cependant, en ces matières, il vaudrait mieux que vous discutiez avec le clerc : c'est un homme bon, il vous répondra avec honnêteté.

La vieille elfe secoua la tête avec une grimace de dégoût.
" Je n'ai nul désir de discuter théologie avec un humain."
Elle fit quelques pas, souples et aériens malgré son grand âge.
" J'ai vu le futur dans les astres, voyageur. Les humains vont gagner une guerre qu'ils ignorent même nous mener. Le Peuple doit choisir entre combattre et remporter quelques victoires illusoires, ou accepter le changement, la métamorphose, la présence de ces... créatures."

-La seconde option est préférable, madame.
Il sourit.
-Par-delà les océans, il existe un royaume appelé les Marches d'Argent, où toutes les races bienveillantes de Toril vivent en harmonie, dans le respect mutuel, sans avoir à renier ni ce qu'elles sont, ni leur traditions, avec pour seules limites celles du bien vivre ensemble. J'ai également vu l'avenir, et je puis vous assurer qu'il en sera de même pour Helonna, dans mois d'un siècle. Ainsi la splendide cité de Loth Imarhil, cachée dans les profondeurs de cette forêt, entretiendra-t-elle des relations avec les villes humaines, tout en demeurant maîtresse en ses murs, tout en choisissant qui peut ou non franchir ses portes. Encore une fois, nul renoncement, nulle trahison : juste une adaptation profitable à tous.

La vieille elfe opina du chef, pensive.
" Revenons à Valaellyn." dit-elle finalement.
Elle le dévisagea quelques secondes.
" Peux-tu promettre que tu l'accompagneras, que tu seras pour elle un guide ? Ici, maintenant, ailleurs, un jour ?"

Il acquiesça sans hésiter... mais garda le silence deux bonnes minutes, cherchant les mots qu'il pouvait prononcer. Cela n'avait rien d'évident, c'était le moins que l'on puisse dire.
-Nous l'accompagnerons, déclara-t-il finalement, solennel. D'abord moi, pour encore quelques heures, quelques jours peut-être. Puis l'enfant que vous voyez, des décennies durant. Puis moi à nouveau, dans cent ans. Je peux vous le jurer.

" Et je te crois, voyageur." dit la vieille elfe, sans une hésitation.
Elle se rassit et prit un bol de bois près de l'empilement de branches et de fourrures qui lui servait de siège. Elle puisa ensuite une louche dans une marmite, non loin, et tendit le breuvage à l'enfant.
" Bois. Pour sceller notre pacte."
L'odeur était puissante, indéfinissable, terre et bois, eau et feu.

Peut-être aurait-il dû se méfier. Son interlocutrice, en effet, pouvait avoir caché son jeu, se méfier de ce qu'il était réellement ou détester les humains au point de vouloir à tout prix repousser l'échéance. Toutefois, malgré son enveloppe charnelle actuelle, Taliesin demeurait un elfe et avait un profond respect pour les sages de son peuple. Il acquiesça donc et s'empressa d'obtempérer, se demandant seulement si le breuvage avait des propriétés magiques, s'il produirait quelque effet sur lui.

Et de l'effet, la potion en eut, car à peine eut-il prit une gorgée de la boisson que tout se mit à tournoyer autour de lui, en kaléidoscope de couleurs, en brouhaha de sons, jusqu'au noir et au silence.

Puis au soleil.

Il était couché dans les blés mûrs et au-dessus de lui, le ciel était d'un bleu magnifique. Des petits nuages blancs, cotonneux, flottaient tranquillement dans un vent tiède. Des hirondelles virevoltaient, chassant les mouches. Petites taches rouges, des coquelicots, se balançaient au milieu du jaune qui l'environnait.

Pendant un moment, il se crut seul. Puis il entendit un soupir quelque part sur sa gauche. En se redressant, il aperçut la lisière de la forêt, à quelques mètres seulement. Un grand chêne détonait parmi les troncs plus graciles des érables et des hêtres qui marquaient la frontière entre les bois et la campagne. Entre ses racines, il discerna une tache rouge, appuyée contre une forme plus claire. Aymeric paraissait assoupi, Valaellyn entre les bras.

Il mit un moment à reprendre pied, à comprendre que la vieille elfe l'avait en réalité drogué.
Il ne lui en voulut pas : il comprenait que son clan n'ait pas voulu, dès à présent, prendre le risque que des humains - ou des esprits - sachent où leur village était situé. Sans compter que celui avait épargné un nouveau périple aussi long qu'éprouvant...
C'est donc le cœur l'éger qu'il s'approcha du clerc et de sa petite protégée.
Tout était bien qui finissait bien.

Aymeric paraissait indemne mais profondément endormi. Valaellyn, par contre, émergea de son songe avant que Taliesin ne soit arrivé auprès d'eux. Elle ouvrit de grands dorés et bondit vers le petit garçon. Elle était plus petite que lui, plus menue, mais Taliesin savait qu'elle était, en nombre d'années, beaucoup plus âgée déjà. Elle lui prit la main et sourit, entrecroisant ses doigts avec les siens.
" Tu ne me comprends pas mais je sais que tu seras mon ami, lui dit-elle de sa voix flûtée, en elfique. Alors je serai ton amie. J'apprendrai à parler comme toi et je n'aurai plus peur. Parce que j'ai fait un rêve. Et dans mon rêve, j'ai su que c'était bien."
Elle inclina la tête puis posa un doigt sur le sternum du petit garçon.
" Ami... de moi ?" demanda-t-elle, cette fois en commun.

Il avait écarquillé les yeux en l'entendant parler... et en comprenant qu'elle imaginait que tout cela n'avait été qu'un rêve. Peut-être pas tout, en réalité, mais les elfes étaient sans doute à l'origine de ce phénomène... Et il devait admettre qu'ils avaient fait pour le mieux.
La tentation fut grande de répondre à Valellyn en elfique. Il dût toutefois y résister.
-Oui, je serai ton ami, dit-il en lui adressant un sourire chaleureux et en songeant que la réponse convenait tant pour Gérold que pour lui-même.

Avec un sourire rayonnant, trace de ce qu'il serait sur la superbe jeune femme qu'elle deviendrait un jour, Valaellyn étreignit brusquement le petit garçon. Elle le serra si fort qu'il semblait qu'elle ne le relâcherait jamais.
" Oups. Désolé, dit une voix sur leur droite.
— Ils ont l'air vivants. Moi je dis qu'on s'en va. On les dérange, tu vois ?"
Valaellyn se détacha de Gérold. Dans les blés venait d'apparaître une escouade très particulière, composée de Max, Antonin, Henri et Thyll. Ils avaient manifestement emprunté des vêtements et des outils à leurs pères et s'étaient maculé le visage de terre. Max brandissait un hachoir, Antonin une pelle, Henri une sorte de grande palette à four, Thyll une fourche.
" Il a dû prendre un coup sur la tête, t'as vu ce qu'il vient de faire ?
— Ça va, Gérold, tu vas bien ?"
Valaellyn s'était cachée derrière lui, mais il entendit qu'elle pouffait.

Passé la prime surprise, ses lèvres s'étirèrent en un large sourire.
-Oui oui, ça va très bien. Mais vous savez, moi, je n'ai rien fait : c'est Valaellyn ! Ça a été une sacrée expédition, et e suis pas sûr de tout bien me souvenir, mais... Mais ça l'a changée. Maintenant, elle parle ! Super bien en elfique, mais le souci, c'est que j'y comprend rien. Enfin, elle connaît aussi quelques mots dans notre langue... Je suis sûr qu'elle va très vite apprendre les autres !
Il se fit un peu plus sérieux.
-En tout cas, c'est super courageux à vous d'avoir monté une expédition pour nous aider, les gars. Merci, vraiment, ça fait chaud au cœur.

" Ben c'était normal vu que... tu vois... tous ces dégonflés, ils disaient qu'ils allaient même pas vous aider !
— Mais c'est pour toi, que ce soit clair... pas pour aller encore à l'école !"
Derrière eux, Aymeric bailla.
" J'ai fait un drôle de rêve." murmura-t-il, d'un ton ensommeillé.
Valaellyn pointa son nez de derrière Gérold, sans pour autant le lâcher.
" Salut Valaellyn, dit Henri en articulant très lentement.
— Tu es son gavant, alors, Gérold.
— Son garant, on dit. Tu es son garant.
— Son garant. C'est ce que j'ai dit."

Il ne se départit pas de sa mine réjouie.
-Laissez lui sa chance, et vous verrez comme elle est chouette ! Franchement, elle grimpe aux arbres comme personne, et puis elle est vachement courageuse : quand le glouton... Parce qu'il y avait un glouton, un sorte de gros monstres.. Bref, quand il a essayé de déraciner l'arbre dans lequel j'étais, elle est descendue du sien et l'a attiré ailleurs. Moi j'dis, les filles elfes, elles sont moins filles que les filles humaines.
Il jeta un regard à Aymeric, revint à ses amis.
-Et je crois que grâce à cette aventure, il y aura pas école aujourd'hui... Peut-être même qu'il y en aura pas non plus demain... Mais donc, on va avoir plein de temps libre histoire de s'amuser avant les moissons !

" Ouais ! Youhou !" s'exclama Max en sautant de joie.
Aymeric s'était levé et il s'approcha du petit groupe.
" Dieux, les enfants, qu'est-ce que c'est que cet accoutrement ?
— C'est pour chasser les gloutons !
— Les glou... Ah oui... Les gloutons."
Il se retourna vers la forêt, l'air manifestement un peu perdu.
" Rentrons au village, vos parents doivent s'inquiéter." fit-il d'une voix incertaine.
Aussitôt, Max et Antonin déboulèrent vers le village, entraînant Thyll dans leur sillage. Valaellyn démarra presqu'aussitôt, charriant Gérold derrière elle. Henri, moins rapide, trottait péniblement dans leur sillage. Le clerc demeura en arrière, mais Taliesin, en se retournant dans sa course, vit qu'il arborait un grand sourire.

Couleurs, senteurs, bruissements des criquets qui s'enfuyaient sous leurs pas, rires, rires, rires, encore, et la chaleur implacable du soleil d'été... qui brûle... vertige... tourbillon de couleurs... et puis noir... et puis rouge...

Et Taliesin se retrouva encore hors de lui-même, ou bien tout à l'intérieur, dans cet endroit qui n'était nulle part, pulsatile, tellement vrai, pourtant, et devant lui, sur la table ronde, la balle de corde était devenue jaune, reposant dans sa coupelle.

Mais il restait encore bien des objets, bien des couleurs, et il percevait quelqu'un, quelque chose, qui l'observait, attendait, espérait... qu'il irait plus loin...

Il fut d'abord décontenancé, presque perdu. Comme la fois précédente, la manière subite dont le rêve avait pris fin l'avait surpris. Mais ce qui l'avait encore plus dérouté, c'est qu'il n'était pas revenu dans le monde réel mais... ici. Où que cela puisse être.
Le moment du réveil n'était donc pas venu.
C'était celui du choix, à nouveau.
Renonçant à comprendre la logique qui pouvait exister, il s'en remit à son instinct.
Opta d'abord pour la couleur : le vert, peut-être à cause de la Lorien.
Puis ce fut la plume qu'il prit. Sans raison, du moins lui sembla-t-il.
L'instant suivant, il la déposait dans le bassin.

La plume se met à flotter dans la lumière verte qui crépite dans la salle soudain plongée dans les ténèbres. Seul le vert rayonne, tourbillonne, envahit tout jusqu'à ce que Taliesin ne voit plus que du vert, effaçant son corps, la table aux coupelles, et l'endroit qui est un peu nulle part.
La voix étrangère résonne à nouveau en son coeur, ces mots qu'il a déjà entendus.
« Tu sauras toujours qui tu es mais ne pourras jamais le dire.
Tu n’oublieras pas ta mission, mais bien son pourquoi.
Jamais, jamais, tu ne peux révéler d’où tu viens ou que tu n’es pas ce que tu es.
Tu te souviendras de tout.
Maintenant, ouvre les yeux. »

Troisième gosse : Une affaire musicale.

Aaaah... Le bonheur enfin de relâcher sa vessie... trop pleine... dans un endroit absolument parfait... sec... sans feuilles pour vous coller au derrière, sans herbes qui chatouillent, sans neige toute mouillée...
Pensées furtives.
Puis il se sentit soulevé de terre par une force surpuissante, trimballé sans douceur, et de la pénombre de la tente, ce fut la lumière du jour, rayonnante...
" Gaaaaaaaal ! Ta stupide bestiole a encore pissé dans mes affaires !"
Ensuite, un moment de vol.
Mais Taliesin sentit que voler n'était pas réellement dans ses compétences. Non. Il était plutôt du genre terrestre. Il tomba dans la neige froide, sur son pelage brun, et soudain, il fut à nouveau soulevé de terre, cette fois plus délicatement, jusqu'à se retrouver nez à nez avec une gamine d'environ onze ans, cheveux châtains et yeux clairs, souriante.
" Feu follet ! Tu dois arrêter de faire des bêtises !"
Une bête poilue, voilà ce qu'il était.

Taliesin était tombé des nues. Au sens propre comme au figuré.
D'abord, il s'était attendu à tout sauf à ça. Il avait imaginé être transporté dans le corps d'un adulte, une fois n'est pas coutume, peut-être d'une femme, peut-être d'un vieillard... Mais, assurément, pas dans celui d'un animal.
Ensuite, il n'aurait jamais pensé se retrouver face à... Galathée. Et cette découverte le mettait terriblement mal à l'aise. Déjà qu'il n'était pas évident de plonger dans le passé de ses amis, alors dans celui de sa compagne... Il eut la très désagréable impression de jouer les espions, alors qu'il ne souhait rien apprendre qu'elle ne veuille lui dire...
Enfin, se souvenant de sa mission, il se demanda comment diables il allait réussir à l'accomplir. En miaulant et en ronronnant, pour peu qu'il soit un chat ? Oh, ça promettait...

La Couronne de Cuivre

[Ailleurs] Quête : Dix Petits Gosses