[Quête] Montequine

[Galathée]

Prince l'atteignit en milieu d'après-midi. Il avait croisé deux hommes sur la route, était resté dissimulé dans les fourrés, attendant qu'ils soient loin pour repartir. C'était sans doute une précaution inutile, mais Madeleine savait qu'Astrée avait un familier écureuil et à l'heure qu'il était, l'information devait avoir circulé. Mieux valait ne pas prendre de risques. Il s'était ensuite faufilé le long du ravin, avait eu maille à partir avec une martre gourmande qui l'avait contraint à se faire abeille, avant de rencontrer un groupe d'hirondelles voraces et de redevenir écureuil. Il tombait littéralement de fatigue lorsqu'il parvint à l'arbre où Astrée s'était cachée et il s'endormit immédiatement dans son giron. La jeune femme dut donc reprendre sa route en le glissant dans son sac, où il ronfla comme un bienheureux jusqu'à ce que la nuit commence à tomber. Ils étaient alors dans un secteur accidenté de la forêt, où les pentes raides se succédaient en échelons, invitant la rôdeuse à grimper toujours plus haut. La route rouge était lointaine, tout comme les Montequins.

[Voyageuse]

Astrée avait envie d'avancer aussi loin qu'elle le pouvait, jusqu'à la nuit, mais elle se contraint à se montrer raisonnable : elle ne pourrait atteindre le bosquet ce soir, elle était fatiguée et le poids du sac pesait lourd sur ses épaules, d'autant que le terrain était accidenté. Le plus raisonnable à faire était de se trouver un ruisseau pour boire et tenter de laver cette corde, pêcher quelques poissons et cueillir quelques champignons et fruits pour son dîner. Et si la chance était avec elle, peut-être chasser un volatile quelconque qu'elle pourrait faire cuire pour manger le lendemain.
Elle se choisit un arbre au feuillage dense, proche d'un point d'eau, où elle accrocherait son hamac, y laissa son chargement et se mit en quête de nourriture, de bois pour le feu, de tout ce qui faisait le quotidien de ces soirées d'errance. Elle se savait loin de la route et de Montequine, en sécurité, et devait simplement veiller à ne pas se trouver sur la route d'un prédateur quelconque. Elle se coucherait tôt pour partir dès le point du jour : Prince serait en meilleure forme et elle avancerait plus vite, du moins quand le terrain serait moins accidenté. Et même si Reynald la contactait alors qu'elle dormait déjà, elle l'entendrait sûrement...

[Galathée]

La forêt dévoilait toutes ses ressources sans réserves, et Astrée trouvait tout ce dont elle avait besoin. Elle pêcha quelques gardons frétillants dans une petite rivière, but et récura tant bien que mal sa corde. Celle-ci avait souffert de la moisissure, et paraissait légèrement fragilisée à certains endroits. Mille champignons printaniers — mortels, douloureux ou comestibles*— poussaient sur les souches et dans les clairières. Les fruits, par contre, étaient plus rares et souvent peu mûrs, mais elle trouva quand même des baies plus ou moins acceptables, au goût acidulé. Elle pista et tira une bécasse ventrue, puis dénicha un arbre à son goût dans lequel elle put s'installer, son écureuil endormi toujours calfeutré dans son sac.

[Voyageuse]

Astrée s’emmitoufla dans ses couvertures. Elle avait un peu de mal à trouver le sommeil. Pourquoi avait-on brûlé les corps ? S'agissait-il de centaures et non d'humains, ce qui expliquait qu'on veuille en faire disparaître, peut-être, les traces ? Bah, pas forcément...
Ses pensées vagabondèrent jusqu'au bosquet qu'elle espérait rejoindre le lendemain matin. La nuit précédente, elle y avait prié... et elle avait été entendue. Drôle de sensation, en y repensant, que de se voir ainsi investie de la confiance d'une puissance divine. Elle s'en sentait tellement indigne, surtout lorsqu'elle se laissait aller à songer à l'étendue de la tâche qui l'attendait, et qu'elle ne savait décidément pas par quel bout prendre. Elle aviserait là-bas... Mais préférait décidément ne pas trop y songer maintenant, de peur de céder au découragement.
Et si elle priait, là, maintenant, serait-elle entendue, une fois encore ? L'endroit n'avait rien de sacré... mais Reynald, lui, était entendu chaque fois qu'il priait après tout. Bon, c'était différent puisqu'il était prêtre. Malgré tout, elle s'y essaya.
"Je vous en prie, Dame de la forêt, et toutes les autres puissances des bois... donnez-moi le courage de mener à bien cette mission, aidez-moi à trouver le moyen et les mots qui sauront les convaincre..."
Elle grimaça un sourire. Deux prières en deux jours, voilà qui ne lui ressemblait guère. Mais face à une tâche qui lui apparaissait impossible, elle avait désespérément besoin de croire en une aide divine.
Elle continua à un moment à se tourmenter au sujet des chances qu'elle avait de parvenir à libérer le gris, que Reynald ait pu contacter l'un des centaures libres et qu'elle sache le trouver, sur les risques qu'elle courrait, une fois de l'autre côté, à devoir éviter aussi bien les humains que les flèches des centaures en guerre, sur tous les obstacles qui l'attendaient et qu'elle ne savait comment vaincre... avant de, petit à petit, sentir son corps se détendre et son esprit s'apaiser.

[Galathée]

Elle fut réveillée par un craquement juste sur sa gauche, un peu plus bas, mais pas complètement assez bas pour qu'il provienne du sol feuillu de la forêt.
Il faisait nuit noire. La lune était voilée par des nuages peu épais, sa lumière éclairait faiblement l'arbre, les branches, le feuillage.
Silence.
Le souffle du vent.
Pourtant, quelque chose l'avait réveillée. Prince dormait contre sa poitrine, parfaitement tranquille.
Et puis il y eut un mouvement. Une seconde, deux yeux reflétèrent la lumière, sur une branche voisine, en contrebas.
Les yeux d'un fauve en chasse.

[Voyageuse]

Le sang de la rôdeuse ne fit qu'un tour. Elle tendit aussitôt la main vers l'extrémité de son hamac, au-delà de sa tête, là où elle laissait généralement accrochées ses armes, et saisit son arc et son carquois. Il était en contrebas, il ne pourrait probablement pas sauter d'un bond jusqu'à elle, elle avait quelques instants encore. Le temps de bander l'arc, d'encocher la flèche, fébrile, de viser. Elle n'avait pas bougé le reste de son corps, mais il devait percevoir le mouvement de ses bras. Il y voyait certainement mieux qu'elle... Cependant, l'essentiel était qu'elle devine l'emplacement de son corps.
Elle s'efforça, juste avant de laisser filer la flèche, de déterminer s'il était suffisamment gros pour représenter un danger. Elle ne voulait pas s'affoler pour un simple gros chat sauvage, mais il était hors de question de laisser rôder à proximité un dangereux carnivore, même s'il s'avérait être sur une autre piste.

[Galathée]

L'animal était bien plus gros qu'un chat : c'était probablement un lion ou une panthère des montagnes. Il était aussi leste et disposait, effectivement, d'une bien meilleure vision qu'elle au coeur de la nuit. Elle avait à peine attrapé son arc qu'il bondit hors de vue. Elle entendit un grincement et perçut un mouvement dans les branches, de l'autre côté du tronc, mais le félin était désormais invisible. Il se trouvait pourtant toujours dans l'arbre, immanquablement. Réveillé mais désorienté, Prince en profita pour l'escalader et se percher sur sa tête. Il était pratiquement aveugle dans la pénombre, mais son odorat l'avait averti du danger.

[Voyageuse]

Astrée enjoignit à Prince d'aller de cacher immédiatement au fond de sa poche. Il faisait une cible trop facile pour le félin si jamais il s'avisait de s'échapper.
Elle s'accroupit lentement, concentrée, guettant les bruits à défaut de pouvoir percer l'obscurité. Il devait être juste derrière le tronc. Peut-être un tout petit peu plus bas qu'elle... en tout cas trop loin pour l'atteindre d'un seul bond. Renonçant pour le moment à son arc devenu inutile, elle saisit son bâton, prête à se défendre.
Elle hésitait à redescendre au sol : l'animal était plus leste qu'elle, plus habile à se déplacer sur les branches. Mais une fois au sol, il serait également plus gros et plus fort qu'elle, et elle n'était pas certaine de pouvoir en venir à bout. Mieux valait essayer de le déséquilibrer et le faire chuter.
A tout hasard, elle tendit son esprit vers lui, essayant d'établir un contact : peut-être pourrait-elle le convaincre qu'elle n'était pas une proie intéressante, qu'il y avait bien mieux dans l'arbre voisin....

[Galathée]

Elle rencontra l'esprit affamé d'un fauve bien déterminé à s'offrir de la viande humaine pour le dîner. Il parut cependant surpris de ce contact mental inopiné, qu'il repoussa avec violence, lui envoyant une volée de pensées confuses, chargées de mort. Astrée l'entendit griffer le tronc et feuler, un son rauque, puissant, qui parut ébranler l'arbre. Sans doute une illusion, sans doute le vent. Le mouvement reparut sur la droite, une seconde, avant d'être avalé par le feuillage. La créature était circonspecte et patiente. Elle n'était qu'un mètre sous la rôdeuse environ.

[Voyageuse]

Astrée avait l'habitude de chasser, mais se retrouver dans le rôle de la proie n'avait absolument rien d'agréable.
Elle passa rapidement en revue le peu d'options qui s'offrait à elle. Fuir sur le dos de Prince ? Le félin y verrait mieux et la forêt était son domaine : Prince ne pourrait pas le distancer dans un bois si touffu, d'autant que le relief était escarpé. Il lui fallait donc parvenir à s'en débarrasser. Attendre qu'il attaque, patiemment, parer le coup et le déséquilibrer à ce moment-là lui paraissait la seule solution possible. A condition qu'elle ne se laisse pas surprendre et puisse réagir à temps... Ce qui n'était pas gagné. Elle avait bien du mal à déterminer où il se trouvait exactement.
Elle se déplaça légèrement, cherchant des appuis stables. Une grosse branche sous les pieds, les fesses appuyées contre le hamac. Elle pourrait basculer en arrière sans risque de tomber. Elle tenait son bâton fermement, des deux mains. Et guettait, de toutes ses oreilles, les bruits imperceptibles indiquant sa présence.
Il aurait fallu le faire fuir... Le feu, peut-être ? Mais elle n'avait guère le loisir de se confectionner une torche et de l'allumer. Localiser le félin et se tenir prête à se défendre mobilisait déjà toute sa concentration.

[Galathée]

Le feulement retentit à nouveau. L'animal ne se souciait manifestement pas d'être repéré par sa proie. Puis soudain, Astrée le vit bondir, une ombre simplement, noire dans les ténèbres, à peine perceptible. Plutôt que de sauter directement vers la rôdeuse, le félin se cramponna au tronc de l'arbre, qui entreprit ensuite d'escalader à bonne vitesse. Il allait bientôt arriver à hauteur du hamac. C'était une créature qui, sans être énorme, devait peser autant qu'un petit cheval. Astrée sentit Prince planter ses petites griffes dans son cou, puis, une seconde plus tard, il n'était plus là. La lumière de la lune passa à nouveau, une seconde, dans les yeux de la bête et la rôdeuse sentit le bord du hamac bouger. Son bâton paraissait bien dérisoire face aux griffes de son adversaire.

[Voyageuse]

Elle aurait mieux fait d'avoir une épée... Pensée futile et inutile qu'elle écarta aussitôt. De jour, le bâton aurait pu le tenir à distance un moment peut-être. De nuit, elle n'y voyait pas assez pour avoir de réelles chances de le toucher, et le combat allait être trop déséquilibré... A moins que la chance soit vraiment avec elle...
Bon. Il était lourd. Elle pouvait tenter de reculer, s'éloigner du tronc et grimper pour atteindre des zones où les branches seraient trop fragiles pour lui. Passer sur un arbre voisin peut-être... Mais de nuit, à tâtons, ce n'était pas simple.
Ce fut lorsqu'elle sentit le hamac vibrer, du côté où se trouvaient habituellement ses pieds, alors qu'elle ne parvenait absolument pas à discerner la masse prête à bondir, qu'elle se décida subitement. Elle saisit son couteau, recula rapidement à l'autre extrémité du hamac, puis, s'accrochant d'une main à la grosse branche au-dessus de sa tête qui servait de support, tenta de sectionner de l'autre main la corde qui soutenait le hamac du côté où elle se trouvait. Elle n'avait le temps de donner qu'un ou deux coups de couteau, mais elle espérait l'entamer suffisamment pour que le hamac cède sous le poids du félin lorsqu'il avancerait. Dès qu'elle sentirait son poids plus net sur le hamac, elle se hisserait sur la branche du dessus et donnerait encore un dernier coup de couteau. En espérant que cela suffirait à ce que le hamac lâche... Dans le cas contraire, il ne lui resterait plus qu'à tenter de fuir de branche en branche.

[Galathée]

L'animal avança, ramassé sur lui-même, prenant appui sur le hamac. Il vacilla un moment, surpris par l'instabilité de la toile, puis continua à progresser, s'équilibrant à l'aide de sa longue queue qui fouettait l'air. Encore un pas, lent, et son regard ne quittait pas celui de la rôdeuse. Astrée donna alors un dernier coup de couteau. Elle entendit le grincement de la corde, puis un petit claquement quand une fibre lâcha, une seconde, et comme elle l'avait espéré, le hamac céda brusquement, se dérobant sous les pattes de la panthère. Elle poussa un rougissement de surprise et dégringola de l'arbre avec de multiples craquements, comme elle percutait les branches et le feuillage dans sa chute. Il y eut un son sourd quand l'animal heurta le sol puis un choc violent, étouffé, et la panthère poussa un cri de douleur. Astrée entendit un hennissement furieux puis une fuite dans les feuilles mortes. Prince, mécontent, avait manifestement réceptionné l'intruse d'une bonne ruade et la défiait d'oser jamais remettre les pattes dans le secteur.

[Voyageuse]

Merci Prince...
La rôdeuse resta un moment assise sur sa branche, incapable de bouger. Prise dans le feu de l'action, elle n'avait songé qu'aux moyens de s'en sortir, mais à présent que la panthère avait fui, elle tremblait de la tête aux pieds d'une terreur rétrospective. Elle inspira profondément, lentement, relâchant peu à peu ses muscles tendus. C'était fini. Elle s'en était sortie. Le fauve ne reviendrait sans doute plus, elle était en sécurité...
Elle grimaça en contemplant le hamac qui pendouillait sous elle, ses couvertures éparpillées quelque part dans les branchages au-dessous. Rien d'irréparable. Mais elle se sentait bien incapable de se rendormir après une frayeur pareille. Elle avait du mal à évaluer si la nuit était bien avancée, si le matin était proche. Elle savait juste qu'elle n'avait plus sommeil.
Elle finit par se décider à descendre, lentement, tâtonnant dans l'obscurité pour récupérer ses affaires éparses, et rejoignit Prince. Peut-être pourraient-ils avancer un peu leur périple, si sa monture y voyait suffisamment. Dans le cas contraire, elle n'aurait qu'à réparer de son mieux son hamac pour se réinstaller pour le reste de la nuit, et tenter de se rendormir.

[Galathée]

Prince était fébrile, fulminant, et heureusement bien reposé. Il paraissait enthousiaste à l'idée de repartir dans le noir. Astrée dut cependant d'abord rassembler son matériel, ce qui ne fut pas chose facile avec le manque de lumière. Mais à force de persévérance, elle parvint à récupérer hamac, sac, armes et couvertures, perchés dans les branchages. Elle se hissa enfin en selle et Prince se mit en route, tranquille, en direction du bosquet. La nuit paraissait interminable, obscure et peuplée de mille créatures, mais sa monture était calme, signe qu'aucun prédateur ne les traquait plus désormais. Astrée sombra dans une somnolence imparfaite, bercée et secouée, tout à la fois, par le pas de son cheval.

La jeune femme sortit de sa torpeur dans un petit matin lumineux, alors que l'étalon traversait la frontière végétale du domaine de la dryade. Ils firent fuir un trio de daims qui regagna les fourrés en quelques bonds, tandis que le geai moqueur les accueillait de son jacassement féroce. Prince hennit plusieurs fois, comme s'il voulait avertir leur hôtesse de leur arrivée, et réveiller sa cavalière au passage. Dans un bruissement, l'écorce du chêne s'écarta doucement, révélant peu à peu la fée qui y résidait.

[Voyageuse]

Astrée se sentait encore un peu somnolente, insuffisamment reposée sans doute. Mais l'atmosphère des lieux, sereine et paisible, incitait à la confiance. Elle se sentait infiniment bien ici.
Elle but un peu d'eau à la source, remplit sa gourde, et sourit à la dryade qui s'extirpait du chêne.
- Bonjour... Je suis prête, fit-elle simplement en souriant.
Trop fatiguée, elle n'avait pas eu le temps de songer à ce qui l'attendait ensuite, se contentant de se laisser bercer par le pas de sa monture sans penser à rien. Et c'était sans doute mieux ainsi : la perspective de se laisser emprisonner de l'autre côté des falaises avait de quoi angoisser le plus expérimenté des aventuriers -ce qu'elle n'était pas-, a fortiori si elle se laissait aller à songer à la mission qu'elle devrait remplir là-bas... Mission qu'elle s'était elle-même octroyée, quelque part, sans que personne la lui impose. Et maintenant que tant de monde comptait sur elle, elle ne pouvait plus reculer.
Heureusement pour elle, la sérénité des lieux ne laissait guère de place au doute et à l'hésitation. Elle se sentait plutôt confiante. Trop sans doute. Elle n'avait pas d'autre choix que de réussir...

[Galathée]

" Alors viens." dit simplement la dryade.
Elle se mit en marche vers la falaise, traversant les fougères et le rideau d'arbres qui protégeaient son sanctuaire. Quand elle en eut dépassé les limites, sa peau s'assombrit et son pas se fit moins fluide. Une mésange bleue vint se poser sur son épaule, un papillon jaune dans sa chevelure, et des petites créatures des bois pointèrent leur nez hors des broussailles, un campagnol, une hermine, une salamandre, un chevreuil, juste pour la regarder passer. Elle caressa le tronc des arbres et le lierre et la mousse affleurèrent sous ses doigts, tandis que champignons et fleurs tapissaient les feuilles mortes à chacun de ses pas. Elle chemina ainsi, pas à pas, tranquille, jusqu'à la limite du bois puis s'engagea sur l'herbe qui séparait la forêt du pied de la falaise. Sa peau s'assombrit encore et la rôdeuse eut la sensation que chaque mouvement était désormais plus difficile, mais les bleuets et les coquelicots continuaient de pousser tandis qu'un concert assourdissant d'insectes, abeilles, mouches, et criquets accompagnait sa promenade. Arrivée devant la roche, elle leva les deux mains, posa les paumes sur la pierre, et se mit à chanter. Astrée reconnut les inflexions du sylvestre, comme dans la berceuse de Reynald, tandis qu'elle psalmodiait. Sa mélopée était douce, vibrante, ensoleillée, et au bout de quelques secondes, la rôdeuse vit des vagues animer le mur de rochers, silencieuses et souples, comme s'il se fut agi d'un liquide épais. Puis un tunnel se dessina au travers de la pierre, sombre et profond, dont on ne voyait pas la sortie. La dryade se tut.
" Voici la porte. De l'autre côté se trouvait autrefois la grande forêt cachée, mais il n'est pas impossible que l'homme ait désormais défriché la vallée jusque là. Sois prudente, humaine."

[Voyageuse]

- Je ferai attention, répondit Astrée d'une voix un peu trop rauque.
Elle sentait l'angoisse l'étreindre à nouveau. C'était de la folie de se jeter là-dedans. Elle n'y arriverait jamais. Elle avait peur, envie de fuir. Mais elle n'en avait pas le droit. Les centaures avaient besoin de son aide... Elle s'était promis de réussir...
Elle ne laissa pas le temps à ses doutes de prendre le dessus. Elle fit un pas vers le tunnel, puis un autre, Prince sur ses talons, et se tourna une dernière fois vers la dryade.
- Merci de votre aide... Et à bientôt j'espère...
Elle déglutit et inspira profondément, tentant de résister à la peur qui lui nouait les entrailles, et s'avança dans le tunnel sans plus se retourner.

[Galathée]

La dryade s'était contentée de lui adresser un sourire tranquille, confiant. Elle fit encore un geste dans sa direction, puis souffla sur sa main. Une petite poussière dorée s'en souleva, tournoya un moment dans l'air, et devint nuée de lucioles. Les petits insectes lumineux voletèrent autour du visage d'Astrée, puis s'engagèrent dans le couloir devant elle, lui ouvrant la voie, révélant le relief accidenté de l'étroit conduit. Sans faire de mystères, Prince se fit alors écureuil et sauta sur son épaule. Astrée entendit la dryade rire, puis soudain, la lumière du jour s'éteignit. Le tunnel s'était refermé derrière eux.

[Voyageuse]

Une voie sans retour...
Elle n'avait plus d'autre choix que d'avancer. Elle se sentait indigne de la confiance de la dryade, de Reynald, des centaures... Et pourtant une divinité l'avait jugée digne de cette mission. Elle se demandait bien pourquoi. Sans doute simplement parce que, révoltée par ce qu'elle avait vu, elle était alors déterminée à tenter l'impossible pour y remédier. Et bien voilà, elle était face à l'impossible désormais. Elle n'avait plus qu'à faire face.
Malgré l'angoisse, le contact de Prince écureuil sur son épaule était réconfortant. Les lucioles ouvraient la voie, et elle revoyait le sourire confiant de la dryade. Elle devait se concentrer sur la tâche qu'elle s'était fixée, et ne songer à rien d'autre qu'aux moyens de l'accomplir. Ici, sous la roche, tout était calme et silencieux... pour le moment.
Mais au-delà... Au-delà, elle devrait veiller à éviter aussi bien les humains que les flèches des centaures en guerre. Prendre le temps d'explorer un peu les alentours, déterminer la configuration des lieux. Repérer le village. Elle espérait que les hommes n'avaient pas trop défriché la forêt : elle avait besoin de rester à couvert. Sans doute ferait-elle mieux d'envoyer Prince en éclaireur lorsqu'elle arriverait à la sortie.

[Galathée]

Le tunnel semblait s'ouvrir et se refermer autour d'eux, se creusant au fur et à mesure de leur progression pour disparaître aussitôt. Il était rectiligne, ses parois froides étrangement lisses, et quand Astrée les frôla, elle fut surprise de les trouver souples, s'enfonçant sous sa main. Mais la direction à emprunter ne laissait nulle place à l'hésitation, le couloir demeurait ouvert sur quelques toises en avant et les lucioles dansaient dans les ténèbres, accompagnant inlassablement leur randonnée obscure. Il faisait froid au creux de la pierre, incroyablement silencieux, comme si le temps s'était suspendu.
Et puis la lumière revint, d'abord ténue, tremblante, puis plus forte, comme le tunnel se rouvrait sur la verdure. Les lucioles disparurent comme par enchantement. Les trilles d'une grive accueillirent la rôdeuse, puis le fredonnement d'un cours d'eau. Le soleil baignait l'entrée, ombrée des branches d'un arbre.

Prince passa le premier, revint pour chercher la jeune femme, et elle déboucha dans un petit bosquet de bouleaux encore jeunes. La dryade n'avait pas menti : les prairies et les champs s'étaient étendus dans la forêt. Astrée se trouvait à son extrême limite. A sa droite s'étendaient de grands espaces ouverts, terre brune tout juste ensemencée, premières pousses de cultures ou prairies d'herbe grasse, vergers aux arbres alignés, vignes tordues ou fruitiers en fleurs. A sa gauche, la forêt immobile présentait un front d'arbres gigantesques et silencieux, feuillus pour la plupart, et une rivière s'échappait du sous-bois pour vagabonder dans la plaine et se perdre à l'est. Partout, les falaises formaient un mur infranchissable, mais Astrée les devinait à peine, en face d'elle, et ne les voyait pas au nord. La vallée cachée était immense : il lui faudrait probablement tout une journée pour la traverser. Au delà des prés et des champs, se trouvaient les remparts de Montequine, hauts et sombres, et derrière eux, les rues du village secret.

[Voyageuse]

Astrée embrassa le paysage du regard. La vallée était telle qu'elle se l'était imaginée, bien que beaucoup plus vaste. Champs, pâturages et cultures diverses créaient un immense espace dégagé entre le village et la forêt. Même s'il y avait quelques vergers pouvant lui servir de cachette sommaire, Il lui faudrait attendre la nuit pour s'y aventurer si elle ne voulait pas se faire repérer depuis les remparts du village. De l'autre côté, la forêt paraissait immense. Les centaures devaient s'y terrer, prisonniers de cette vallée close, guettant les humains. Sans doute y avait-il, de ce côté-ci aussi, des expéditions de chasseurs visant à les tuer ou à les capturer.
Elle soupira. Reynald lui avait dit de rejoindre les centaures, mais son expérience récente lui ôtait toute envie de se précipiter à l'aveuglette dans les bois. S'ils étaient même moitié moins haineux que ceux qu'elle avait rencontrés, elle finirait avec une flèche en plein cœur sans avoir eu la moindre chance de s'expliquer. Même si elle avançait ouvertement, sans arme à la main, pour signifier que ses intentions n'étaient pas hostiles, elle avait trop peur de tomber sur un guerrier centaure prête à tuer tout humain passant à sa portée. Certes, le sorlyn avait dit qu'il les préviendrait, mais rien ne prouvait qu'il avait réussi. Peut-être le centaure qu'il connaissait était-il mort, ou prisonnier. Non, elle ne pouvait pas prendre ce risque. Sa seule chance était de s'en tenir à son idée initiale : retrouver le centaure gris, le libérer, et revenir vers la forêt avec lui comme garant. Mais la tâche lui apparaissait aussi impossible, maintenant qu'elle était à pied d'oeuvre, qu'elle l'était lorsqu'elle y réfléchissait depuis l'autre côté de la muraille.

Pour l'heure, elle ne pouvait de toute façon pas s'approcher du village : le terrain était trop à découvert. Elle décida donc de pénétrer légèrement dans la forêt, et d'en longer la périphérie en surveillant attentivement ce qui se passait côté village. Elle voulait savoir tout ce qu'il était possible de savoir : à quelle heure ouvraient et fermaient les portes, si beaucoup de personnes travaillaient dans les champs, s'ils avaient des centaures avec eux, s'il y avait beaucoup de trafic passant par la porte de la ville, s'il y avait des chariots, éventuellement, dans lesquels elle pourrait se cacher pour pénétrer en ville. Mais mieux valait ne pas trop rêver quand à ce dernier point. Elle serait certainement contrainte d'attendre la nuit et d'escalader la muraille.
Elle veillait à se déplacer silencieusement, se coulant d'arbre en arbre. Elle savait qu'elle devait rester prudente : à sa gauche se trouvait le territoire des centaures, et il était fort possible qu'eux aussi viennent, de temps à autre, lorgner le village. Il était fort possible, également, que des chasseurs Montequins viennent depuis le village pour les traquer.

[Galathée]

Astrée se déplaça le long de l'orée des bois et découvrit rapidement une première route qui y pénétrait. Sablée, bien entretenue, elle était probablement utilisée fréquemment et la rôdeuse y distingua de multiples traces de pas et de sabots. Il était encore très tôt et Montequine était trop éloignée pour qu'elle puisse distinguer si les portes étaient ouvertes ou non. Les champs et les prés paraissaient déserts, sans doute les animaux étaient-ils rentrés pour la nuit. Plusieurs ponts enjambaient la rivière, des barques étaient amarrées près d'un ponton. Il y avait aussi trois petits étangs voisins, trop réguliers pour être naturels. En cheminant dans la forêt, Astrée vit plusieurs zones de coupe récentes, des troncs d'arbres empilés, des bûches plus petites rassemblées, du petit bois en pagaille. Elle découvrit également une plantation de jeunes sapins alignés, signe que les humains entendaient remplacer les essences centenaires qu'ils abattaient par des conifères à la croissance plus rapide. Ils étaient cependant peu nombreux et pour cause : les Montequins disposaient également de l'immense forêt située de l'autre côté de la falaise.

Il commença à y avoir du mouvement dans les champs et Astrée se trouva un perchoir dans un arbre pour observer sans être vue. Les villageois procédaient manifestement à l'ensemencement de plusieurs parcelles et la rôdeuse vit plusieurs chariots chargés de sacs s'approcher d'une zone de terre noire. Tous étaient tirés par des centaures, supervisés par des humains, qui les mirent aussitôt au travail. Les grandes créatures se répartirent entre les sillons et avancèrent lentement, en ligne, jusqu'à l'autre bout du champ avant de revenir en arrière. On entama le labour d'une seconde parcelle, plus vers l'est. Là encore, des centaures remplaçaient le boeuf ou le cheval qui aurait normalement effectué ce travail. Des vaches furent guidées jusqu'à leur pré, un troupeau d'une trentaine de bêtes, puis une centaine de brebis déferlèrent à leur suite, gagnant à leur tour leur carré de prairie. Tout à l'ouest, des créatures plus petites s'ébattaient, et Astrée devina, à force d'observation, qu'il s'agissait de poulains de centaures. En ce début de matinée ensoleillé, personne ne vint vers la forêt, et Astrée ne vit aucun signe des centaures sauvages, ni traces, ni crottin, ni silhouette embusquée prête à tirer sa flèche.

[Voyageuse]

Ainsi, ils ne se contentaient pas de réduire à l'esclavage les centaures capturés : ils en faisaient également l'élevage. Ils étaient en train de transformer une créature libre et intelligente en simple animal domestique... Astrée n'arrivait même pas à imaginer qu'une telle chose soit possible. Et pourtant, elle avait la preuve devant les yeux que les montequins s'y employaient...
Puisqu'apparemment il y avait trente ans que tout cela avait commencé, la situation n'avait rien d'étonnant. Et elle comprenait les paroles de la dryade : certains devaient commencer à oublier leur héritage de créatures libres... mais comment diable arriverait-elle à y mettre fin ? Il faudrait libérer tous les centaures prisonniers, y compris les poulains, leur faire rejoindre le reste de la harde qui pourrait alors leur enseigner à vivre libre. Rouvrir les failles. Mais elle ne voyait absolument pas comment convaincre -contraindre?- les villageois.

A défaut de pouvoir agir elle-même, elle décida d'envoyer Prince, sous forme d'abeille, en direction du village, avec pour mission de voleter un peu partout et tenter de retrouver le centaure gris qu'elle avait soigné. Elle savait qu'il était peu probable qu'il y arrive, mais il fallait bien tenter quelque chose. Était-ce Caribert qui se chargeait de "dompter" tous les nouveaux centaures ? Auquel cas, peut-être se trouvait-il non loin de la place où elle avait vu le mâle roux, enfermé dans un bâtiment. Ou bien était-il exposé, lui aussi, quelque part ? A tout hasard, elle recommanda à Prince de commencer par le quartier de la cité où se trouvait le roux. Et bien sûr, elle lui demanda de revenir la rejoindre à la tombée du jour.
De son côté, elle allait continuer à espionner discrètement les villageois. Et puis, dans un moment, elle suivrait un peu cette route qui s'enfonçait dans la forêt, pour voir si elle ne menait qu'à quelques coupes d'arbres ou si elle s'enfonçait vraiment profondément. La rivière devait être également un point d'accès possible. Et peut-être y avait-il une autre route, plus loin. Il fallait qu'elle ait une idée plus précise de la configuration des lieux. Même si elle ignorait ce qu'elle en ferait.

[Galathée]

Prince s'élança sous forme d'écureuil, non sans avoir indiqué à Astrée qu'elle avait intérêt à lui trouver un champ de tournesols, tôt ou tard, si elle voulait qu'il reste à son service. Elle le vit filer dans l'herbe, suivi un moment le mouvement de sa cavalcade, puis le perdit de vue. Les activités champêtres semblaient battre leur plein autour de Montequine. De temps en temps, une silhouette entrait ou sortait du village. Tantôt un homme à pied ou à dos de centaure, tantôt un chariot tracté, mais personne ne semblait prendre la direction de la forêt. Astrée repéra néanmoins deux groupes de quatre cavaliers plus ou moins immobiles, qui s'étaient positionnés à la limite des terres travaillées ce jour-là, probables sentinelles.

Elle finit par rentrer au coeur du bois, en suivant la route de sable depuis les fourrés. Elle s'enfonçait profondément dans la forêt, se sépara une première fois puis une seconde, et semblait mener à des zones de coupe, mais aussi de cueillette, car elle reconnut des buissons de mûres et de myrtilles, même s'ils étaient dépourvus de fruits en cette saison. Des sentiers plus étroits, peut-être empruntés par des chasseurs en quête de gibier, s'échappaient de temps en temps de la voie principale. Celle-ci finit par s'incurver sur la droite et croisa la rivière, qu'elle enjambait via un pont de pierre en excellent état, avant de se poursuivre de l'autre côté. Astrée devina qu'elle continuait probablement à tourner légèrement, jusqu'à ressortir du bois. Elle prit cependant le temps de la parcourir en entier et déboucha, comme prévu, à l'est de la vallée, de l'autre côté de Montéquine. Elle avait marché plusieurs heures, la faim la tenaillait. Devant elle, les centaures et les humains prenaient également une pause, sous un soleil presque agréable. Prince était trop loin pour qu'elle puisse percevoir sa petite présence mais sans doute avait-il atteint Montéquine...

Au cours de sa promenade, elle avait vu des traces de renard, des crottes de cerf, la sente d'un sanglier, mais aucun signe de centaures, hormis le pas ferré de ceux que les humains avaient emmenés avec eux dans la forêt.

[Voyageuse]

La forêt semblait s'enfoncer loin dans la vallée. Elle ne voyait pas les falaises de ce côté-ci, et ne pouvait juger de la distance à laquelle elles se trouvaient. Toujours est-il que cette partie-là de la forêt était encore du domaine des hommes. Celui des centaures était certainement plus loin, à bonne distance encore. Elle pourrait sans doute le rejoindre en longeant la rivière, ou en marchand au hasard vers le nord.
Pour l'heure, elle avait faim, et ne pouvait que se féliciter d'avoir prévu assez de provisions pour un jour ou deux : elle ne pourrait pas faire de feu tant qu'elle serait aussi proche du village. Il lui faudrait s'enfoncer davantage, être certaine d'être hors de vue des sentinelles. Elle s'installa confortablement dans un arbre depuis lequel elle pouvait continuer à surveiller le village. Une chose semblait certaine : elle ne pourrait pas le rejoindre en journée, les sentinelles la repéreraient aussitôt. A moins d'avoir la chance qu'un immense chariot bâché vienne chercher du bois... Souhait tellement irréaliste qu'elle sourit. Non, il lui faudrait attendre la nuit. En espérant que Prince ait un indice à lui donner... Elle se demanda combien de temps il lui faudrait pour fouiller le village entier. Trop, peut-être plusieurs nuits, en espérant trouver une bonne cachette durant la journée. Combien de temps se donnerait-elle avant de renoncer et de partir directement à la rencontre des centaures ? Bah, elle verrait selon l'inspiration du moment...

[Galathée]

La seconde partie de la journée n'apporta rien de bien nouveau. Quand les équipes de travail en eurent fini avec une parcelle, elles en entamèrent une seconde, tandis qu'un autre groupe désherbait un champ de blé déjà vert. Au total, Astrée compta environ une trentaine de centaures adultes et un peu moins d'humains, répartis à droite à gauche dans la campagne.
Quand le soleil commença à décliner, ils rassemblèrent le bétail, ramassèrent leurs outils et tous rentrèrent dans le village. Elle ne vit pas si les portes se fermaient sur leurs traces, mais c'était plus que probable. Il était cependant encore relativement tôt : à cause de la hauteur des falaises et de sa taille restreinte, la vallée plongeait plus rapidement dans les ténèbres. Astrée s'apprêtait à passer une nouvelle nuit en pleine nature, lorsqu'elle perçut l'esprit frétillant de son écureuil qui la cherchait. Il s'était dirigé vers l'endroit où ils s'étaient quittés et elle dut repartir en lisière de la forêt pour aller à sa rencontre. Quand ils se retrouvèrent, le soleil avait disparu derrière le mur de pierre, mais on en devinait encore sa clarté dans les couleurs fantastiques du crépuscule. Le petit cheval demeura écureuil et elle le sentit surexcité, bien qu'épuisé, à nouveau. Contre toute attente, il avait trouvé le centaure gris exactement à l'endroit où elle l'avait imaginé : dans le bâtiment jouxtant la place où était retenu le roux.

[Voyageuse]

Astrée n'était pas restée complètement inactive. Elle avait réparé son hamac, récupéré deux morceaux de bois solide qu'elle nouerait en rgappin au bout de sa corde, cherché quelques fruits et légumes sauvages supplémentaires, et surtout beaucoup réfléchi. A ce qu'elle pouvait tenter. Libérer le gris. Libérer, peut-être en même temps, un certain nombre de centaures prisonniers. Ceux, du moins, qui n'étaient pas nés en captivité et aspiraient à retrouver la liberté. Ils pouvaient sortir en poussant un chargement quelconque, jusqu'aux champs, puis prendre la fuite. ils profiteraient de l'effet de surprise. A condition toutefois qu'ils acceptent de jouer le jeu...
Elle verrait bien une fois sur place. Le centaure gris, si elle le retrouvait, aurait peut-être une autre idée à lui suggérer. Et encore fallait-il qu'elle réussisse à le libérer. Et qu'il soit en état de galoper. Et ensuite... En imaginant qu'elle réussisse à libérer suffisamment de centaures, les forces seraient plus équilibrées. Peut-être seraient-ils alors en meilleure position pour négocier. Mais ce n'était qu'un ersatz de plan : elle n'était pas versée dans l'art de la diplomatie, elle n'était pas barde non plus, et se demandait bien quel rôle elle arriverait à jouer là-dedans. Et si elle avait la moindre chance de parvenir à autre chose qu'aggraver encore la violence et la haine réciproque...

Lorsque Prince reparut, elle faillit sauter de joie. Il avait trouvé le gris... Elle le laissa se glisser dans sa poche, au chaud, pour dormir, non sans l'avoir interrogé sur ce qu'il avait vu exactement concernant le gris. Elle décida de se débarrasser de sa tente, encombrante et inutile, en l'arrimant au sommet d'un arbre, un peu plus profondément dans les bois. Elle hésita à alléger davantage son sac : elle n'aurait pas besoin de tout ça si elle revenait dès le lendemain matin. Oui... mais rien ne prouvait qu'elle ne soit pas obligée de passer plus de temps là-bas. Mieux valait garder couvertures, vêtements et provisions....
Elle se mit en route immédiatement, se dirigeant vers le côté ouest, déjà plongé dans l'ombre, veillant à se glisser d'arbre en arbuste, discrètement. Elle longerait la falaise pour arriver le plus loin possible des portes. Puis il ne lui resterait qu'à escalader le mur...

[Galathée]

Avant de s'assoupir, Prince tenta de lui faire comprendre ce qu'il avait observé. Le grand bâtiment où était retenu le gris était une sorte d'écurie gigantesque. Le gris était en bonne santé mais entravé dans une des stalles. Il y avait une porte à l'avant et une autre à l'arrière, les fenêtres étaient ménagées directement dans le toit, en lucarnes. Ensuite, il se roula en boule, soupira comiquement et s'endormit.
Astrée put alors partir pour son expédition nocturne. La campagne était parfaitement endormie, il n'y avait plus personne, ni hommes, ni animaux. Des lueurs s'étaient cependant allumées dans les tours de guet, signe que les Montequins restaient parés à toute éventualité. La rôdeuse se faufila d'arbre en buisson, se dissimula derrière un talus, un vieux tas de foin humide, une bergerie vide, et regagna l'ombre de la falaise. Les remparts de Montequine étaient plus élevés de ce côté que de l'autre, mais les douves étaient sèches, garnies de pieux acérés visant probablement à briser une cavalcade. A l'endroit où la muraille rencontrait la falaise, le fossé était plus large et la terre au fond était humide. La tour la plus proche n'était pas aussi éloignée qu'aurait pu le rêver la rôdeuse, mais il faudrait faire avec.

[Voyageuse]

Il ne lui restait plus qu'à passer le mur...
Astrée noua l'extrémité de sa corde autour des deux morceaux de bois qu'elle avait ramassés, et guetta un moment ce qui se passait sur le mur d'enceinte. Il y avait sans doute un chemin de ronde, avec peut-être des passages réguliers de gardes. Et sans doute allaient-ils vérifier jusqu'à l'extrémité du mur, jusqu'à la falaise. Elle attendit d'être à peu près certaine qu'il n'y avait personne là-haut pour lancer son grappin de fortune, espérant l'accrocher sur les créneaux sans être repérée. Puis elle descendrait dans la fosse et grimperait le long du mur, aussi vite que possible. Elle n'aurait plus qu'à redescendre de l'autre côté. Mais il lui fallait trouver un moyen de descendre sans corde, ou de la récupérer, pour ne pas laisser de trace de son passage.