La Couronne de Cuivre

Galathée était éveillée, cependant, et devisait avec Helen en picorant dans une assiette que la Lathandrite surveillait. Elle avait Tristan au sein et essayait de ne pas l'asperger de miettes de pain. Dans son berceau, Héloïse était éveillée, et fixait le monde des ombres mouvantes autour d'elle de ses yeux bleu sombre. Taliesin constata qu'elle portait une couche à fleurs qui n'était pas la même qu'un peu plus tôt.
" Bienvenue, dit Helen avec un sourire. J'expliquais à Galathée que si le temps se maintient, les bébés pourraient sortir assez vite. Il faut bien les emmitoufler car il fait très chaud à l'intérieur d'un ventre, mais il n'y a pas de raison de s'en priver, sinon."
La rôdeuse sourit au barde, l'air détendue, tandis que la prêtresse se levait.
" Veille à ce qu'elle mange." souffla-t-elle à l'elfe avant de s'esquiver.

Songeant que mener les jumeaux au-dehors serait assurément la meilleure solution pour que les curieux soient satisfaits sans que cela ne cause trop de chambard, Taliesin alla jeter un coup d’œil à sa fille puis vint s'assoir près de la rôdeuse.
-Comment te sens-tu ? s'enquit-il.
Et de se demander si les mises en garde d'Helen n'allaient pas, à son insu, l'amener à modifier son comportement et, par conséquent, à provoquer les disputes qu'il souhaitait éviter.

" Dans un état second. J'espère que ça va passer. J'ai l'impression d'avoir pris dix ans... Dire que j'étais plutôt active, autrefois. Je n'arrive pas à croire qu'il fut un temps où je grimpais aux arbres."
Elle caressa pensivement la joue de son fils, et la petite main du bébé s'enroula autour de son doigt.
" Il me faudra du temps pour me remettre. Helen dit que je vais bien et qu'ils sont en pleine forme. Je ne peux rien souhaiter de plus."
Son expression se tendit légèrement.
" En fait si... Je pourrais souhaiter..."
Un sourire revint.
" Un baiser langoureux de l'elfe que j'aime..."

-Oh...
Il sourit, s'exécuta sans tarder... et avec passion.
-Ça va passer, dit-il lorsque leurs lèvres se séparèrent. Et n'hésite pas à me demander si tu as besoin de quoi que ce soit. Si tu veux prendre un peu l'air, par exemple... Tu peux compter sur moi.

" Ça ira, tu sais. Pour l'heure, je n'ai pas tellement envie de bouger."
Elle dégagea doucement le bébé et le tendit à son père.
" C'est l'heure du rot. Je te conseille de mettre quelque chose sur ton épaule, si tu ne veux pas devoir changer de chemise une seconde fois dans la journée. Ensuite, tu peux le reposer et m'amener sa soeur. Helen a dit que les chances étaient très élevées qu'on doive les changer après chaque repas et comme ils mangent tout le temps... Je ne sais pas qui sera corvée lessive, mais ça promet d'être épique."

Il dénicha un morceau de tissu, le déploya sur son épaule et se mit à promener son fils.
-Je demanderai à nos hôtes commet ça se passe,à ce niveau. Mais vu la propension du reste de la marmaille à se salir continuellement, je crains qu'ils n'aient déjà fort à faire.... Alors je m'en occuperai sans doute moi-même pendant que les jumeaux dormiront.
Pour peu qu'il y ait des moments où ils dorment tous les deux...

" Je pense que tu trouveras de l'aide... mais c'est à toi de voir." dit Galathée avec un sourire.
Tristan fit un rot sonore et Taliesin sentit quelque chose lui dégouliner sur l'épaule, bienheureusement protégée. Il put redéposer son fils dans le berceau, soulever sa fille qui le regarda avec une expression froncée, jusqu'à ce qu'il la donne à sa mère.
" Alors... As-tu appris des choses intéressantes dans le livre de Tim ? J'ai jeté un oeil, je n'ai même pas compris le sous-titre."

Elle acquiesça avec le sourire puis son regard se fit un peu vague et elle étouffa un bâillement au revers de sa main. Entre ses bras, Héloïse mangeait goulument.
" Je change de sujet, mais je pense que... si tu veux qu'on vienne les voir... Les autres, je veux dire. Les enfants. Perceval et Zora... N'hésite pas à le leur proposer. S'ils sont calmes et qu'ils ne restent pas trop longtemps... Je pense que je devrais y survivre."
Elle sourit doucement.
" J'ai l'impression que je serai fatiguée à tout jamais, maintenant. Je me demande si on s'y habitue."

-On s'y habitue, oui : sinon, tout le monde s'en tiendrait à son premier enfant... Mais tu as accouché cette nuit, de deux bébés de surcroit, et c'est normal que tu sois épuisée... Alors n'hésite pas à te reposer autant que tu en auras besoin : je m'occuperai d'eux pendant ce temps, je changerai leur langes, je les bercerai...
Il sourit.
-Pour le reste, tout le monde a très envie de voir les jumeaux. Je pourrais les faire venir deux par deux, en veillant à ce qu'il ne cause aucun dérangement... Bon, Hippolyte est parfois difficile à tenir, mais il a prouvé, tout à l'heure, qu'il était capable de rester tranquille cinq minutes. Bon, peut-être suelement trois...

Galathée rit doucement.
" Je n'ai pas peur d'Hippolyte. Victor n'est pas exactement l'enfant le plus calme du monde, j'ai de l'expérience... et ce n'est pas plus mal, si je peux me remettre un peu dans le bain. Cependant... J'aimerais autant que la manipulation soit réservée à Baptiste et aux adultes. Je sais bien que les autres veulent bien faire mais... un accident est vite arrivé et je ne voudrais pas qu'Héloïse et Tristan soient bousculés. Même si, je sais, nous sommes entourés de clercs qui veillent au grain."
Elle caressa les cheveux noirs de la petite fille entre ses bras.
" Quand j'aurai fini d'allaiter, peut-être pourras-tu aller chercher les premiers."

" Je te laisse gérer. Je n'ai pas l'énergie pour ce genre de choses." dit la rôdeuse.
Elle prit une profonde inspiration.
" Je dois avoir une mine affreuse. Tiens, prends ta fille, maintenant. N'oublie pas le rot avant de la reposer. Et vérifie qu'il ne faut pas changer Tristan."
Héloïse prit son temps pour faire son rot et il fallait — évidemment — changer Tristan. Il fallut aussi changer Héloïse, une fois Tristan propre. Enfin, les deux bébés reposèrent dans leur berceau, tranquilles. Ils n'avaient cependant pas l'air d'avoir l'intention de s'endormir, préférant lorgner les oiseaux de pâte non colorée qu'on avait suspendus au-dessus d'eux. Même si en réalité, Taliesin le savait, ils n'y voyaient encore rien à leur très jeune âge.

Il demeura un moment à les observer, souriant, avant de se tourner vers la jeune femme, jetant au passage un coup d’œil à son assiette, pour s'assurer qu'elle avait bien mangé.
-Je vais aller chercher les garçons : puisque les jumeaux ne dorment pas, aucun risque qu'on les réveille... Hum, mais si tu te sens trop fatiguée, on peut remettre les visites à plus tard. Je suis sûr qu'ils sont déjà retournés à leurs jeux...
Si elle ne souhaitait pas dormir dans l'immédiat, il partirait en quête de Gurvan et d'Hippolyte.

Galathée lui donna sa bénédiction et il put partir à la recherche des deux garçons. Il les trouva dans le jardin, perchés dans leur pommier. Cela lui permit d'admirer leur cabane, ramassis de tissus et de branchages qu'ils avaient placé à la fourche entre deux branches noueuses. Abandonnant ce qui était un bateau pirate pour les besoins du jour, les deux invités le rejoignirent. Bien qu'ils n'aient pas l'intention de toucher les bébés, Blanche leur imposa d'aller se laver les mains avant de rejoindre la chambre. Après ce rapide détour auprès de l'abreuvoir de la cour, ils suivirent Taliesin religieusement. Une fois dans la chambre, ils saluèrent timidement la rôdeuse puis allèrent vers le berceau.
" Ils sont tout minus, dit Hippolyte.
— C'est parce qu'ils étaient deux.
— Quand même. Ils sont un peu... fripés.
— Je crois que c'est normal.
— Et comment ça se fait qu'ils ont les cheveux noirs alors que ni leur papa, ni leur maman n'a les cheveux noirs ?
— C'est toujours comme ça.
— Tu sais bien beaucoup de choses.
— J'ai vu plein de bébés au Temple de Lathandre. C'est un peu la spécialité."

Galathée observait les enfants avec un léger sourire, que Taliesin devina mâtiné de tension. Comme lui, sans doute, elle leur faisait confiance tout en craignant une initiative malheureuse de la part de l'un des deux. Cela partirait d'un bon sentiment, bien sûr. Mais ni Gurvan, ni Hippolyte ne bronchèrent. Ils continuèrent à deviser devant le berceau, échangeant des commentaires naïfs, un peu critiques, comme s'ils étaient seuls dans la pièce. Au bout d'un moment, ils convinrent qu'ils en avaient assez vu.
" Ils sont très chouettes, mais ils font que dormir, remarqua Hippolyte.
— On reviendra quand ils seront plus grands.
— Et félicitations !"

-Merci, répondit-il, souriant. Mais bientôt, vous regretterez ce premier jour où ils se sont tenus tranquilles. Car, apparemment dès ce soir, ils se mettront à pleurer tout le temps, et si fort que leurs voix vous poursuivront où vue vous soyez, quand bien même iriez-vous aussi loin que le lac..
C'était un peu exagéré, mais... Peut-être pas tant que ça.
-Seriez-vous d'accord pour dire à Perceval et Zora qu'ils peuvent venir, s'ils le souhaitent ?

" Combien tu nous paies ?" demanda Hippolyte.
Gurvan le dévisagea avec une grimace.
" Tu dois pas t'inquiéter pour nous, Taliesin, parce qu'on va déménager dans une chambre à l'autre bout de la ferme. Il parait qu'on entendra rien là-bas. Puis Blanche nous mettra une zone de silence autour de la chambre, pour pas qu'on vous entende, même si tu venais bercer un bébé braillard pas loin de chez nous."
Il sourit.
" Donc tu vois. C'était gentil de t'en faire, mais on dormira super bien."

Il le dévisagea, incrédule, se demandant si c'était du lard ou du cochon...
-Ah... Et bien... Tant mieux pour vous. C'est juste dommage : vous serez tellement coupés du monde que vous manquerez la grande fête qu'on va organiser sous peu, mais aussi le départ pour Luménis. Enfin, remarquez, cette ferme est très sympathique, vous vous y plairez...
Il baissa les yeux sur Hippolyte.
-Tu veux être payé ? Tu as raison, toute peine mérite salaire... Et bien, si tu vas les prévenir, tu seras dispensé de faire la lessive aujourd'hui.

" Oh, je comptais pas faire la lessive. Je suis dans l'équipe vaisselle, dit Hippolyte. Puis le caca de bébé, très peu pour moi, merci."
Il gagna la porte, Gurvan sur les talons.
" Et t'en fais pas pour la fête, Blanche mettra une zone de silence sur la salle à manger, comme ça vous serez pas dérangés. Les bébés, je veux dire. Ça va les faire pleurer, tout ce boucan. Peut-être que vous pourrez venir dire bonjour, à tour de rôle, quelque chose comme ça...
— Bonne fin de journée !"
Et ils disparurent. Galathée éclata de rire.
" C'est sûr qu'ils n'ont rien demandé, tu ne peux pas leur en vouloir."

Il poussa un profond soupir.
-Diantre, je suis complètement à l'ouest : j'échoue une négociation avec Hippolyte, Gurvan me bat en matière de réparties bien senties...
Il secoua la tête.
-Ma mie, cette discussion confirme ce que je craignais : nous sommes mis en quarantaine. Profitons de la visite de Perceval et de Zora, ce sera la dernière que nous recevrons, si on excepte celles des dévouées Blanches et Helen... Et peut-être, peut-être, de Baptiste.

" Allons. Ils sont facétieux, c'est tout. Et tu ne peux pas attendre de leur part qu'ils se comportent en petits adultes... Ce sont des gosses, ils ne nous doivent rien. Et Baptiste ne doit surtout pas être responsabilisé à outrance. Quand je songe à Mathilde, à la ferme, qui doit suppléer à sa mère absente... Je trouve ça terrible. Nous sommes assez nombreux pour leur laisser la liberté de se détendre. Surtout après leurs années perdues sous le joug de leurs maîtres."
Elle sourit.
" Ah... Je suis trop sérieuse. Oublie ça. Reste serein. Toute personne qui nous aide nous fait déjà une faveur immense."
La porte s'ouvrit sur Zora et Perceval. L'Eldathienne était souriante, le guerrier très embarrassé.

Remettant à plus tard sa réponse à Galathée - le moment était mal choisi pour poursuivre la discussion -, l'elfe rendit son sourire à l'Eldathienne puis se porta aux côtés du guerrier.
-Viens donc, Perceval. je suis heureux de pouvoir enfin te présenter les bébés !
Ce n'était pas là pure formule de politesse : heureux, il l'était réellement. Outre être le premier membre de la Réunion auquel il montrerait ses enfants, le jeune homme avait envisagé, avec Baptiste, de leur fabriquer un berceau, attention qu'il n'était pas près d'oublier...

Le jeune homme accompagna donc Taliesin jusqu'au berceau où il resta un moment en admiration devant les nourrissons.
" Ils sont... charmants, finit-il par dire. Je suis heureux que vous ayez pu être réunis avant ce moment... Et que nous soyons désormais loin de Mélandis."
Il sourit.
" L'air est sûrement meilleur par ici. Vous formez une très jolie famille."

-Merci, Perceval, répondit-il, chaleureux. Et effectivement, si le Temple de Moandre est bien plus agréable qu'on ne pourrait le croire de prime abord, je préfère qu'ils aient vu le jour en ces lieux qui nous rappellent par bien des côtés notre chez nous, sur Helonna.
Il songea alors au Comptoir, à la chaleur humaine qui y avait régné, à ceux qui avaient également entendu parler de Galathée et de l'enfant à naître mais qui avaient été tués avant de pouvoir les rencontrer...
Et d'espérer que Lena se sente assez remise pour participer aux réjouissances à Venir.

" C'est certain que c'est un bel environnement pour des enfants, dit-il. Je leur souhaite en tout cas une vie douce... plus douce que d'autres."
Zora s'était approchée à son tour et sourit doucement.
" La paix des premiers jours... si éphémère... Votre vie est sur le point d'être bouleversée... Mais on s'adapte au changement, si on ne le combat pas."

Ah, les clercs avaient décidément le chic pour mettre le doigt là où ça faisait mal. Évidemment, Galathée et lui savaient très bien que le calme actuel prendrait fin d'ici au mieux quelques heures, et que s'ils avaient déjà l'impression d'avoir beaucoup à faire, ils en viendraient bientôt à songer à ces moments comme à une période de repos absolu... Mais était-il bien nécessaire de le souligner ?
-Oh, il va nous falloir un certain temps pour nous adapter. Mais je suis convaincu que nous y arriverons : c'est un beau bouleversement, après tout, dit-il, sans se départir de son sourire.

" C'est certain." dit l'Eldathienne, mutine.
Perceval s'écarta et alla féliciter la jeune mère.
" Si vous avez besoin d'un coup de main, j'ai souvent des insomnies... Ça ne me pose aucun problème d'aller en promener l'un ou l'autre au dehors. Taliesin t'aura sans doute dit que je ne suis pas le plus malin des hommes, mais je ne serai prudent. Je sais qu'il faut soutenir leur grosse tête pendant plusieurs mois... Et ils sont si petits, je pourrais presque en prendre un dans chaque main.
— Voilà exactement ce qu'il faut dire pour rassurer de jeunes parents, Perceval, dit Zora en riant.
— Je n'ai pas dit que je le ferais !" protesta-t-il, pivoine.

-Je te fais entière confiance, intervint-il, réconfortant. Et c'est vraiment gentil de nous proposer ton aide : l'offre n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Mais nous essayerons quand même de ne pas trop t'exploiter...
Il croisa les bras.
-Enfin, seulement si tu arrêtes de te déprécier. Parce que, franchement... Le coup des recruteurs de la Phalange, grâce auquel nous avons pu sauver Hippolyte et Gurvan... C'était extrêmement malin, et tu en es le seul et unique auteur.