La Couronne de Cuivre

Le vent était tombé mais la brume s’était levée. Il faisait piquant, l’air était chargé de cristaux glacés, et les nappes de brouillard réduisaient la visibilité. Bientôt, ils ne virent plus arriver les voyageurs qu’au dernier moment, lorsqu’ils surgissaient de la grisaille, et leur propre équipage se retrouva perdu dans la purée de pois. Kasumi, Arya et Astrée ouvraient la marche, suivis des chevaux de bât, et Taliesin et Belenn venaient bons derniers. Si la route n’avait pas été aussi fréquentée, ils auraient sans doute été bien avisés de se montrer plus circonspects, mais en l’occurrence, ils ne risquaient rien, sinon de sursauter lorsqu’une vache ou un chariot apparaissait subitement hors de l’ombre. A l’arrière garde, on faisait confiance au trio de tête pour signaler tout danger.
« Taliesin, je dois quand même vous poser une question. » disait Belenn. « Je dois dire que je ne suis pas expert dans les matières de votre race. J’ai rencontré des elfes, oh oui, un bon nombre, et je ne me suis jamais senti particulièrement attiré par leurs façons... Mais vous… de tous les elfes que j’ai rencontrés, vous êtes le plus humain. Et je vais vous dire, j’espère ne pas vous insulter, vous êtes même plus humain que bien des humains. Ne me répondez pas si je vous semble indiscret, mais je m’interroge… Que vous est-il arrivé pour qu’il en soit ainsi ? Etes-vous une sorte de nécromant humain qui aurait emprunté le corps d’un sylvestre voyageur ? Cela expliquerait les doutes qu’a Dame Lathiriel à votre égard, en plus de bien des choses… »

Taliesin accueillit avec reconnaissance l'intervention du clerc : le silence qui s'était installé au cours des dernières minutes lui avait suffi pour replonger dans ses noires pensées, Discuter lui permettrait de les tenir à l'écart.
-Vous êtes perspicace, Belenn, fit-il en lui jetant un regard désolé. Trop perspicace pour votre propre bien. J'ai accepté de participer à ce voyage uniquement parce que c'était une bonne occasion d'obtenir un nouveau corps. L'aveu de votre découverte m'a permis d'arrêter mon choix quant à celui que j'allais prendre.
Il sourit.
-Non, en fait, les choses sont beaucoup plus simples que cela. J'ai été élevé par des humains. Mes parents adoptifs ne m'ont jamais menti sur mon origine mais, durant des années, être un elfe n'a rien signifié d'autre pour moi qu'avoir des oreilles pointues et être moins costaud que mes frères... où même mes sœurs. Par la suite... Le barde qui m'a tout appris était de ma race, mais nous n'avons pas vécu parmi nos pairs, préférant arpenter les royaumes des hommes... Après son départ, j'ai bien officié quelque temps à la cour d'un prince elfe, mais j'ai finalement repris la route et, depuis, je n'ai guère côtoyé de représentants de mon peuple.
Il se tut un instant, le regard perdu dans de lointains souvenirs.
-En fait, je crois que les elfes m'ont rayé du Grand Registre de la race. Je dois leur faire honte, à frayer avec les éphémères humains, à adopter leurs manières frustes... Tant mieux, parce que les manières des elfes, et surtout celle des elfes du soleil, franchement... Elles ont tendance à m'horripiler. Tant de prétention, d'orgueil, de supériorité revendiquée... Je préfère la simplicité humaine. Et, pour tout vous avouer...
Il se pencha vers le clerc.
-J'ai bon espoir qu'en m'imprégnant assez de vos us et coutumes, ma nature elfique batte en retraite et que du poil me pousse au menton. Une barbe. Je rêve d'avoir une barbe.

Belenn éclata de rire.
« C’est vrai que ça tient chaud en hiver, j’imagine. » reprit-il. « Cela dit, il doit sûrement exister un sortilège de pilosité, ou je ne sais quoi, qui pourrait faire votre affaire. Et si c’est vraiment impossible… J’ai connu un fabricant de perruques d’un talent remarquable, à Eauprofonde. Ne me regardez pas de travers, ce n’était pas pour moi, mais pour une femme… Et je n’en dirai pas plus ! »
Il sourit, passablement hilare.
« Pour protéger mes arrières, cependant, je vous déconseille ma carcasse. J’ai l’air sympathique comme ça, mais j’ai ma dose d’excès derrière moi. Je ne suis pas certain que vous y gagneriez en troquant votre enveloppe elfique contre mon corps vieillissant. Par contre… Le rôdeur est en bonne santé, et c’est un demi-sang. Vous gagneriez les avantages des uns et des autres. »

Taliesin, levant l'effroi, leva les mains et ouvrit de grands yeux.
-Un demi sang ? Et pervertir ainsi la pureté de mon aristocratique lignée ! Grands Dieux, je suis que je suis tombé bien bas, mais pas à ce point !
Il secoua la tête.
-Mais... A mon tour de vous poser une question suscitée par vos derniers propos. Et vous êtes bien évidememnt libre de m'envoyer paître au cas où cela soit par trop indiscret. Victor - le fils de Galathée - m'a dit que vous aviez un temps envisagé la carrière de paladin, mais que vous aviez une trop grande tendance aux bêtises pour poursuivre cette carrière. Mais alors, pourquoi ne pas avoir embrassé une profession plus festive ? Barde, au hasard ? Parce qu'à franchelement parler, clerc, c'est tout de même un peu... ascetique, pour un joyeux drille, non ?

Belenn parut songeur une seconde.
« Victor… Je discute souvent avec les gosses des employés du fort… Ils ont toujours mille questions, c’est rigolo mais… Victor. Ah oui, Victor. Le fils Desmoulins. J’ai vaguement connu le père… Mais je n’étais pas à Luménis pendant les événements… Enfin, pour répondre à votre question, c’est parce que vous avez une image helmite de la prêtrise. Pensez-vous que les clercs de Sharess, de Sunie, de Millil sont des ascètes ? C’est la même chose pour Lathandre. Bien sûr, c’est une vie de service. Et quand on monte dans la hiérarchie, une vie de responsabilités. Mais on n’est pas obligé de devenir grand prêtre ou intendant. Il y a toujours moyen de se faufiler, d’éviter les pièges. Et puis pour moi, vivre ma foi… C’est dans ma nature profonde. Je n’ai aucun regret, aucune difficulté. Ma philosophie est celle de Lathandre. C’était une évidence, pour moi. Mais je sais chanter, si c’est à ça que vous voulez en venir ! »

HRP / Que personne n'hésite à poursuivre sa conversation par ailleurs... On s'y retrouvera sans difficultés.

L’elfe fut ravie d’entendre la voix d’Astrée, il est vrai que la jeune femme se trouvait un peu isolée seule derrière eux et si elle ne s’était pas approchée, elle aurait à peine apparu, masquée par le brouillard épais. Arya se tourna un bref instant, n’osant pas trop lâcher la route du regard tant la vue était restreinte et les voyageurs et marchands venant à contre sens circulant parfois sur l’entier de la route et l’obligeant à de temps à autre à ralentir le pas de sa monture ou la faire se serrer au maximum contre le cheval de Kasumi. Elle ne pouvait qu’espérer que la rôdeuse entendrait ses paroles et elle monta la voix.<o>

</o> Me passer de la nature je ne pourrais pas, il y a dans les arbres une vie dont je ne peux me passer et lorsque la nature me manque, je vais dans le parc de la ville, ce n’est pas une forêt, mais je m’en contente. Enserré un tronc dans ses bras et se laisser empreindre de sa vie, c’est trouver la paix et la force dans la vitalité qu’il dégage.
<!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]--><o></o>
<o></o>Alors que son regard se reportait sur la route, Arya regretta que le temps fut si maussade et que la nature fut en sommeil.<o></o>

Le cheval gris de Belenn semblait avoir repris du poil de la bête, comme si la bonne humeur de son cavalier était contagieuse. Alors qu'il trainaillait, tête basse, quelques minutes plus tôt, il était désormais plus alerte, les oreilles dressées et l'allure vive.
« Je pense qu’une fois encore, vous vous méprenez sur ce que sont les clercs. On trouve des dieux, dans notre monde, qui flattent tous les instincts, du plus noble au plus bas. Tout élan est récompensé, que l’on soit fier, fort, faible ou fripon. Shar courtise les pleutres revanchards, Lathandre les idéalistes un peu naïfs, Helm les coincés du postérieur qui voient le monde sans nuances. Etre clerc, ce n’est pas se plier à une morale pour plaire à un dieu. C’est choisir un dieu qui représente ce que l’on est, et profiter de sa force pour disséminer ses valeurs. Les clercs sont bien plus opportunistes que vous ne le croyez. »
Il sourit.
« Mais donc, vous avez rencontré Helm… Intéressant. Vous a-t-il fait bonne impression ? »
Petit à petit, le groupe d'aventuriers avait quitté la région voisine de la cité pour s'enfoncer dans les terres, vers Dargyll.

HRP / que le suivant poste à Dargyll, comme ça, on libère les portes !

Taliesin chercha dans ses souvenirs.
-Bonne ou mauvaise, je ne saurais pas dire, mais il m'a fait de l'impression, ça, c'est sûr. C'est un dieu, après tout, et s'il aurait pu se manifester d'une façon encre mille fois plus spectaculaire, ce que j'ai vu et ressenti était tout de même fort... Surtout que je ne m'attendais vraiment pas à ça en entrant dans le temple. De la lumière, soudain, une présence qui s'impose à vous bien avant que quoi que ce soit n'apparaisse à vos yeux... Des mots sous forme d'images, pourtant clairs.. Son avatar avait la forme d'un homme en armure, fatigué, sévère mais... juste ? Presque bienveillant... Je vous dirais bien ce qu'il nous a dit, et les raisons pour lesquelles il est apparu, mais je crains que cela ne relève du secret d'état.
Il secoua la tête.
-Enfin, vous voyez, c'est comme cela, spontanément, que j'imaginais la naissance de la foi pour les clercs. Pas pour ceux qui ont intégré les temples dès leur plus tendre enfance, non, mais pour ceux qui ont fait ce choix librement... Une révélation, une illumination, un choc mystique, en quelque sorte. Pas un choix rationnel et pragmatique... J'imagine bien que les deux peuvent exister, toutefois...
Il sourit.
-Quant à vos talents de chanteur, je ne les remets pas en cause un seul instant ! J'ai assisté, alors que je devais rencontrer Albérich pour nos entretiens hebdomadaires, à la manière dont vous autres Lathandrites accueillez l'aube. C'est assez impressionnant, et plutôt chouette. Même si vous pourriez faire mieux ! En fait, je crois qu'à mon retour, je proposerai mes services au Sanctuaire comme chef de chœur. On pourrait faire quelque chose de magnifique, avec des chants, des contrechants, des harmoniques... En répartissant mieux vos novices, vos prêtres confirmés... De quoi émouvoir les foules et faire naître des milliers de vocations pour renforcer le culte ! Je pourrais même dire à Victor de venir. Il a une sacrée voix, ce gosse... Mais que l'un des vôtres essaie de le recruter, et j'en fais de la bouillie. Jamais je ne le laisserais fréquenter tant de personnes notoirement perverses !
Son sourire s'élargit, et son regard pétillant signifiait bien qu'il ne s'agissait là que d'une innocente boutade, pas d'une accusation scandaleuse.

Arya n’avait pas hésité lorsqu’il fallut choisir de rester ou partir du vallon, rester pour nettoyer des morts-vivants qui hantaient encore les bois et ensevelir les cadavres des paladins et des sharites, son âme avait vu suffisamment de violence et elle préféra laisser ce travail aux soldats qui étaient aguerris pour ces tâches. Qu’en à partir à la recherche de Belenn, la drow avait tenté de retrouver le clerc juste après l’explosion et déjà à ce moment là nulle trace n’était visible. Pour l’elfe la mort du clerc était quasi certaine et une tristesse palpable ne quittait pas son âme depuis qu’elle s’était résolue à accepter cette douloureuse réalité. Pourtant, elle ne pouvait dissocier l’entité drow qui l’habitait de la haine que Belenn lui avait portée. Peut-être aurait-il reconnu que les mots acerbes qu’il lui avait servis n’avaient pas lieu être. Que malgré la haine qu’il lui avait explicitement démontrée, elle n’avait pas hésité à poursuivre et faire trépasser les Sharites qui s’étaient élancés pour le faire échouer dans sa périlleuse mission.Durant la chevauchée effrénée qui ramenait les deux gardes, Taliesin et elle-même à Lumenis, l’esprit d’Arya partit à maintes reprises dans les affres de cette mission et des questions restaient sans réponse : les ténèbres s’étaient-elles vraiment dissipées là où l’on ne pouvait les voir ? Les jeunes Lumeniens issus des taudis, vivier engendré par l’indifférence de la misère qui y régnait et d’une certaine manière mis à la disposition des Sharites pour mieux exécuter leur plan machiavélique, étaient morts ou destinés à être condamnés sans circonstance atténuante pour avoir cru qu’ils allaient enfin être quelqu'un ! <o>

</o>Mais, son caractère était de tenter de trouver dans tous ces malheurs du positif, car il y avait surtout la libération du Conseiller, l’homme n’était pas au mieux, mais il pourrait s’en remettre.Un sourire éclaira son visage lorsque ses pensées s’attardèrent sur les changements survenus chez le barde. Celui-ci pourrait enfin vivre le bonheur auquel il aspirait, il y aurait au moins un être auquel cette mission apportait une franche victoire comme si Lathandre avait permis cet acte aux Sharites uniquement pour offrir à Taliesin le droit de vivre et de s’épanouir au grand jour.Son regard brilla en pensant à Astrée et Kasumi, peut-être que d’être restés pour aller à la recherche de Belenn, leur offrirait de se rapprocher encore un peu plus, de laisser parler leurs cœurs, et ainsi le deuil qu’avait vécu l’humaine serait moins douloureux, le bonheur ferait à nouveau partie de sa vie.Le trajet avait été rude et l’elfe se sentait épuisée lorsqu’ils arrivèrent aux portes de Lumenis, son visage était marqué par la fatigue et ces marques reconnaissables entre mille de celui qui n’a pas porté à sa personne et sa tenue le soin minimum que l’on pouvait attendre. Elle ne ressemblait plus à l’elfe soignée et raffinée, pas plus qu’à la voyageuse du premier jour. <o>

</o>Arya n’avait nul désir de s’en aller voir les autorités dans l’état où elle était, ni de se voir congratuler pour la réussite de cette mission où elle-même n’avait rien fait qui put les amener à cette victoire, et elle profita de ce que Taliesin n’en eut pas plus envie qu’elle pour des raisons bien autres qu’elle comprenait pour disparaître rapidement à peine le barde les eut salués laissant aux soldats le soin de relater le dénouement de leur mission, non sans les avoir chaudement remerciés pour la bienveillance qu'ils avaient eus à son égards durant cette pénible chevauchée..A peine seule, ses pensées se portèrent vers son petit protéger, elle n’était pas vraiment inquiète, mais cela faisait maintenant bien des jours qu’elle ne l’avait pas vu et était consciente que tout pouvait arriver. Mais elle ne pouvait se rendre sur les quais la mine fatiguée et la tenue crasseuse, elle se devait de se laver et de se changer avant de le retrouver. Elle était sensée revenir de quelques jours de vacances et tout en elle laissait voir que si ce fut le cas, elles avaient dû être désastreuses.<o>

</o> Mais son esprit était indécis sur ce qu’elle devait faire, le premier lieu dans lequel elle devrait se rendre était les bains publics, mais sans rechange propre cela serait bien inutile car elle ne possédait plus un seul vêtement digne encore de ce nom dans son pacage, pourtant, passer à la taverne de la Bienveillance dans cette tenue la rebutait, toutefois, c’est la solution qu’elle choisit.<o>

</o>
<link rel="File-List" href="file:///C:/DOCUME%7E1/AMETHY%7E1/LOCALS%7E1/Temp/msoclip1/01/clip_filelist.xml"><!--[if gte mso 9]><xml> <w:WordDocument> <w:View>Normal</w:View> <w:Zoom>0</w:Zoom> <w:HyphenationZone>21</w:HyphenationZone> <w oNotOptimizeForBrowser/> </w:WordDocument> </xml><![endif]--><style> <!-- /* Style Definitions */ p.MsoNormal, li.MsoNormal, div.MsoNormal {mso-style-parent:""; margin:0cm; margin-bottom:.0001pt; mso-pagination:widow-orphan; font-size:12.0pt; font-family:"Times New Roman"; mso-fareast-font-family:"Times New Roman";} @page Section1 {size:612.0pt 792.0pt; margin:70.85pt 70.85pt 70.85pt 70.85pt; mso-header-margin:36.0pt; mso-footer-margin:36.0pt; mso-paper-source:0;} div.Section1 {page:Section1;} --></style>

Astrée et Kasumi, arrivant de la route menant au nord-est d'Hélonna , se trouvèrent bientôt en vue des importantes portes marquant l'entrée de la cité. Astrée contemplait la ville avec des sentiments mitigés. Bien sûr, ils étaient arrivés à destination, bien sûr, ils allaient pouvoir dormir au sec, leurs montures pourraient se reposer, mais... Les jours passés à voyager en compagnie de Kasumi avaient été si agréables qu'y mettre un terme lui serrait le coeur plus qu'elle n'aurait voulu l'admettre. Elle se dit que son compagnon était certainement heureux de retrouver son foyer. Pour elle, ce n'était qu'une brève halte avant le voyage qui la ramènerait vers la solitude.
Décidément, elle n'aimait guère les villes. Celle-ci était pourtant belle, et la porte qui permettait d'y entrer vraiment magnifique. Et puis, elle se réjouissait de la visiter en compagnie de Kasumi. Il saurait sans doute lui faire aimer la patrie qu'il s'était choisie.

La file d'attente qui attendait devant les portes était impressionnante. Des commerçants, des paysans, des soldats. Midi approchait, et son estomac commençait à le lui rappeler cruellement. Mais ce ne serait plus très long, et on les laisserait sans doute passer facilement : après tout, Kasumi était citoyen Luménien. Elle se prit à penser avec délices au repas pantagruélique qu'ils s'offriraient à la Bienveillance... Si Kasumi acceptait de l'y accompagner, bien sûr...
Elle se tourna vers lui avec un sourire.
- Que dirais-tu d'un bon repas à la Taverne de la Bienveillance pour retrouver en douceur la civilisation ?

Le rôdeur ressentit un étrange sentiment en franchissant les portes qui lui étaient devenues quelque peu familières. Il ne s’agissait pas tout à fait de l’effet de revenir chez soi ni complètement de celui de clore un long voyage mais un peu des deux. Cependant, il sourit à la proposition d’Astrée. Elle avait su déchiffrer ses états d’âme comme d’habitude. Elle semblait dotée d’un don pour y parvenir, don qui avait toujours fait défaut au rôdeur, peu doué dans ses rapports aux autres. Il répondit d’une repartie taquine :

- Je savais bien que tu t’étais depuis longtemps lassée de ma cuisine rustique. Je ne t’en veux pas de sauter sur l’occasion d’améliorer notre ordinaire cela dit !

Arrivés devant le garde qui s’occupait de leur file, Kasumi déclina son identité et celle de sa compagne. Si la mention de ses armes fit lever un sourcil au milicien, il ne fit cependant pas de remarque et se contenta de compulser son manuscrit. Rares étaient les voyageurs qui n’assuraient pas leur protection en emportant de quoi se défendre sur les routes encore hasardeuses. Après ces quelques formalités, les deux voyageurs se dirigèrent vers le quartier des docks et sa célèbre auberge, ancien quartier général de la résistance.

Quête : Brumes

Cheminant depuis le Temple, emmitouflé dans son manteau de laine grise, Albérich essayait de repousser les pensées noires qui avaient commencé à l’assaillir. Il revoyait une nuit trop noire, la tempête qui s’était déversée sur les rues du port, noyant certaines artères, dévoyant leur itinéraire… Hector marchait devant, à l’affût. Hector. Il s’en voulut de n’avoir pas songé plus tôt au jeune homme. Leur cohabitation n’avait pas toujours été des plus aisées, mais ils avaient appris à se faire confiance et à se respecter au fil du temps. Albérich s’était plié aux consignes de sécurité parfois rigides édictées par son garde du corps et celui-ci avait accepté de laisser passer quelques excentricités. Aucun des deux n’avait mesuré l’ampleur du péril. La raison fondamentale pour laquelle le clerc ne s’était jamais vraiment inquiété de sa sécurité était qu’il se savait capable de se battre, lui aussi. Il n’aimait pas particulièrement ça, n’était pas très doué, mais il avait suivi l’apprentissage classique des prêtres de Lathandre, un apprentissage qui mettait l’accent sur la bonté de l’âme, la vivacité de l’esprit et la culture du corps.
Il frissonna comme il se mettait doucement à neiger. Ses compagnons de route s’étaient rapprochés alors qu’ils se plaçaient dans la file des pèlerins qui quittaient la ville. Il les savait aux aguets, mais ne s’en souciait pas réellement. Plus rien ne pouvait arriver, rien de pire en tout cas. Dans quelques minutes, ils auraient franchi l’arche de pierre, cette muraille épaisse qui protégeait Luménis de la haine extérieure sans la prémunir de la gangrène en son sein. Les Sharites étaient entrés. Ils l’avaient fait sortir, pseudo-cadavre dans une boîte en bois, stratagème éculé mais toujours efficace, et il avait entendu les gardes offrir des condoléances à cet équipage d’éplorés factices. Sans pouvoir rien y faire. Rien en dire. Et sans imaginer ce qui l’attendait plus loin.
Il ferma les yeux lorsqu’ils se glissèrent sous les remparts, crispé sur sa monture, et sa nervosité se transmit à l’animal qui prit le trot, téméraire, sur la route de pavés luisants qui descendait plein sud, sur cette Côte de Lumière encore plongée dans l’hiver. Le cheval dérapa, Albérich se cramponna à sa crinière pour ne pas verser, et une main surgit, celle de Tallad, pour rattraper les rênes et ralentir l’impétueux. Aucun mot ne s’échangea, l’Aubemestre ne leva pas les yeux, concentré sur sa propre respiration, son propre cœur, la sueur qui lui baignait le front, ce qui tourbillonnait, trouble, dans son esprit.
Toujours peur. Jusque quand ?
Ils reprirent leur chemin sans faire le moindre commentaire, Albérich encadré par les gardes de son corps fragile et de son esprit malade. Autour d’eux, d’autres voyageurs progressaient sous les flocons légers, chacun à ses petites affaires, sombres ou merveilleuses. A quelques mètres derrière eux, Luménis était déjà loin. Ils reviendraient.

La suite ici.

Le soleil était levé depuis peu de temps lorsque Kasumi et Astrée arrivèrent aux portes de la ville. Ils avaient été efficaces en préparant les affaires d'Astrée, et le chemin depuis la taverne de la Bienveillance n'était pas si long, même à pied. Même en allant lentement. Même en voulant à tout prix retarder l'instant de la séparation.
Car il approchait dangereusement, cet instant tant redouté. Ce n'était plus qu'une question de minutes. Et ils étaient en train de découvrir à leur dépens une loi universelle : le temps ne passe jamais aussi vite que quand on voudrait le ralentir.

Face à eux défilaient une longue cohorte de voyageurs et de marchands attendant la permission d'entrer. Mais aucune file d'attente n'était visible pour sortir. La voie était libre... Désespérément libre.
Astrée aurait voulu faire demi-tour, retourner dans sa chambre d'hôtel avec la perspective d'une nouvelle journée à passer avec son ami. Elle dut se faire violence pour s'approcher des deux montures, caressant distraitement Prince des Frelons, puis Moïse. Elle fouilla dans son sac, en sortit la sacoche, et se tourna vers Kasumi avec un grand sourire - un peu forcé quand même.
- Tiens, c'est pour toi. C'est juste pour... pour te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi. Pour ta patience quand j'étais malade... et pour ta gentillesse... et pour m'avoir fait visiter Luménis, et pour m'avoir fait si bien danser hier... Pour tout, quoi.... Ce n'est pas grand-chose, tu mériterais une dizaine de cadeaux comme ça.
Sa voix était un peu rauque. L'émotion, la tristesse. Et elle n'avait pu s'empêcher de rougir en disant ces derniers mots.
Pourvu qu'il l'ouvre. Qu'est-ce qu'il va dire en voyant la broderie à l'intérieur du rabat ? Est-ce que ça va lui plaire ?

Kasumi sentait une douleur se former au creux de son estomac alors qu’il apercevait les portes s’approchant. Bientôt Astrée les franchirait et il resterait seul. Ces deux dernières veilles où il s’était tant approché du bonheur prendraient fin et il s’apprêtait déjà à en subir le contrecoup. Bien sûr ils s’étaient donné rendez-vous au début du printemps et cette perspective rendait un peu moins douloureuse la séparation. Mais une insidieuse angoisse s’empara de lui alors qu’il songeait qu’il laissait peut être passer sa chance. Ne ferait-il pas mieux de suivre l’élan de son cœur qui lui dictait de la suivre sans attendre, d’abandonner la vie monotone qu’il s’était forgée à Luménis. Après tout, il ne manquerait à personne. Le général lui avait proposé une mission mais devrait-il toujours mettre sa vie de côté pour fuir le bonheur. Peut être en avait-il trop peur, il se faisait l’effet d’un lâche. Que se passerait-il si Astrée se trouvait un compagnon alors qu’il n’avait pas osé avouer ses sentiments pour elle ? Il en serait sans doute anéanti mais ne pourrait s’en prendre qu’à lui-même…

Il sursauta lorsqu’Astrée lui tendit le sac. La surprise le déstabilisa et l’émotion le frappa de plein fouet. Jamais il ne se serait attendu à recevoir un tel cadeau. Il était magnifique et finement ouvragé dans un cuir de qualité mais ses qualités artistiques ne diminuaient en rien son aspect fonctionnel. La rôdeuse avait choisi un article robuste et pratique qu’il pourrait emporter dans ses voyages sans crainte de l’abîmer. Il y vit un signe supplémentaire qu’elle le connaissait bien. Il s’apprêtait à répondre sous le coup de l’émotion lorsqu’il perçut une autre attente dans le regard qu’elle lui portait. Sans vraiment comprendre, il ouvrit le sac pour découvrir la composition qu’elle avait brodé à l’intérieur du rabat. Cela ne fit que confirmer sa première impression et il sentit une bouffée d’euphorie joyeuse le gagner.

- Si je m’attendais à un tel cadeau… C’est tout simplement magnifique. Je… Merci, je ne trouve pas les mots.

Il fit un pas en avant pour lui offrir une accolade amicale avant de se figer quand son regard croisa celui de la jeune femme. La joie qu’il perçut en retour de sa réaction lui fit manquer un battement de cœur et il se figea. Elle était si belle quand elle souriait ainsi d’une joie simple. Il se figea et les mots se précipitèrent sans qu’il puisse les retenir :

- Merci pour tout ce que tu as fait. J’ai été si heureux de faire ta connaissance et de passer ces derniers jours en ta compagnie.

Ces mots lui semblèrent si banals et dépourvus de passion, faisant écho à toutes les occasions où il avait manqué de complimenter la rôdeuse, de lui faire comprendre qu’il la trouvait belle et qu’il se sentait bien avec elle. Il se reprit, rejetant sa timidité pour prononcer les mots suivants tout en cherchant à plonger dans les yeux d’Astrée :

- Tu vas affreusement me manquer durant les prochains mois. J’espère que, quand je viendrai te voir tu m’auras pardonné mon audace.

Puis sans un mot de plus, il rompit la distance qui les séparait encore. Comme si le temps s’était arrêté il approcha son visage sans la quitter des yeux et joignit doucement ses lèvres aux siennes. Elles avaient un goût sucré comme il l’avait imaginé à de maintes reprises au cours de ces derniers jours.

Le cœur d'Astrée s'était arrêté de battre lorsque Kasumi avait plongé son regard dans le sien. Comme hypnotisée, elle avait vu son visage s'approcher du sien. Si près... Trop près... Elle n'eut pas le temps de réaliser ce qu'il allait se passer. On aurait dit que son cerveau refusait de fonctionner, refusait de l'avertir.
Un frémissement parcourut son corps lorsque ses lèvres se posèrent sur les siennes. Paralysée par l'émotion, elle fut incapable de réagir. Incapable de fuir, malgré la sonnette d'alarme qui s'était mise à tinter quelque part dans son inconscient, mais si loin de la surface qu'elle ne pouvait l'entendre... Incapable non plus de lui rendre son baiser, comme son corps soudain brûlant y aspirait pourtant. Elle aurait juste voulu que le temps s'arrête, que cet instant dure éternellement...

Quand leurs lèvres se séparèrent, le sentiment de perte qui l'envahit fut tel qu'elle crut défaillir. Alors ses mains, comme mues par une volonté propre, se tendirent soudain vers lui, caressant un instant son visage, repoussant une mèche de cheveu. Elle était incapable d'articuler une seule parole, mais ses yeux exprimaient sans doute mieux que des mots l'émotion intense qu'elle ressentait, le désir qui l'envahissait, l'envie folle de se jeter dans ses bras, de l'embrasser encore, le regret de partir...

Danger, tintait la petite sonnette d'alarme quelque part dans sa tête. Danger. Pars.
Elle parvint elle ne sut trop comment à refouler quelque part au fond d'elle la force des sentiments qu'elle éprouvait, à reprendre le contrôle de son corps... ou presque. Ses mains agripèrent celles de Kasumi, comme on s'accroche à une bouée de secours, comme si elle ne voulait plus jamais le lâcher. Un instant, elle crut que son corps allait échapper à l'emprise de sa volonté, tant était forte l'attirance qu'elle éprouvait. Résister à l'envie de l'embrasser fut un déchirement atroce. L'impression qu'on lui arrachait le coeur.

- Toi aussi, tu vas me manquer, fit-elle d'une voix rauque. Soudain au bord des larmes.
Elle serra les mains dans les siennes. De toutes ses forces.
Il lui fallut toute la force de sa volonté, de sa raison, pour lâcher les mains de Kasumi et reculer d'un pas. Prince des Frelons lui souffla son haleine chaude dans le cou, la ramenant à la réalité. Elle grimpa maladroitement sur son dos.
- Je t'attendrai...
Elle fit claquer ses talons contre les flancs de sa monture, et celle-ci partit subitement. Au trot. Elle n'avait même pas vérifié si Moïse suivait.
Dès qu'elle avait tourné le dos à son compagnon, les larmes s'étaient mises à couler, silencieuses, intarissables.

A peine fut-elle hors de vue qu'elle s'effondra, pleurant à gros sanglots sur le dos de sa monture qui se mit d'elle-même au pas.
C'était trop dur.
Tu aurais dû rester.
Il ne le lui avait pas demandé....
Tu aurais dû l'embrasser. Tu en avais trop envie. C'est trop dur de vouloir résister comme ça...
Non, ce n'aurait pas été raisonnable. Il ne fallait pas.
Le corps parcouru de soubresauts incontrôlés, elle replia les jambes sur sa selle, entoura ses genoux de ses bras et, ainsi recroquevillée, se mit à pleurer toutes les larmes de son corps.

Kasumi resta planté au milieu de la rue pendant un temps qu’il aurait été bien incapable de définir. Il resta tout d’abord figé en voyant Astrée s’éloigner inexorablement et finalement disparaître. La rôdeuse ne se retourna pas une seule fois vers lui et il en fut plus chamboulé que si elle s’était retournée pour l’injurier. Il avait bien vu qu’elle retenait ses larmes après qu’il ait osé l’embrasser. La jeune femme ne s’était pas dérobée à son étreinte mais peut être était-ce du à sa surprise du moment tout comme les mots précipités qui avaient précédé son départ. Le rôdeur était déboussolé, perdu entre l’euphorie des sentiments qu’il éprouvait pour Astrée et l’angoisse de l’absence possible de réciprocité. Elle avait plus d’une fois manifesté qu’elle se sentait bien avec lui et appréciait sa compagnie mais peut être avait-il méjugé de la nature de leur relation. La rôdeuse cherchait sans doute un ami auquel se fier et il avait peut être tout gâché par sa folle prétention qu’elle put l’aimer.

Il avait envie de courir à sa poursuite pour s’expliquer, pour connaître la vérité concernant ce qu’elle éprouvait pour lui. Mais tout à la fois, il avait envie de disparaître dans un trou, se maudissant d’avoir cédé à son impulsion. Ses lèvres avaient été si douces qu’il s’y serait abîmé avec joie mais la rôdeuse ne lui avait pas rendu son étreinte. Il se sentait coupable d’avoir bien mal acquis ce qu’il désirait tant. Maintenant il était trop tard pour cela. Et pourtant… Il avait cru lire dans les yeux de la rôdeuse une sorte de réciprocité au moment où ses lèvres avaient touche les siennes, une tendresse infinie dans son geste dont il conservait la chaleur là où elle l’avait effleuré. Mais s’était-il trompé là encore, l’espoir déformant la réalité ? Il pensait être incapable de le découvrir avant de revoir la rôdeuse et de lire la réponse dans ses yeux. Que ces mois seraient longs. Il ressentait déjà le vide que provoquait l’absence de la jeune femme qui avait si vite pris une telle importance dans sa vie.

Finalement, il s’arracha à ses pensées confuses en s’écartant d’un bond de la trajectoire d’un chariot. Comme si ce brusque retour à la réalité immédiate l’avait sorti d’une trop longue léthargie, il fut incapable de tenir en place un instant de plus et reporta ses pas vers l’intérieur de la ville où il erra sans but. Les lieux où il passait lui semblaient bien tristes et mornes sans la compagnie d’Astrée. Il réalisa soudain qu’il était perdu sans elle. Sa vie avait semblé trouver une voie qui se reposait sur sa présence à ses côtés et maintenant qu’il se retrouvait brutalement seul, il ne savait plus par quel bout la prendre. Il finit par retourner à la Bienveillance où il réunit ses affaires avant de régler sa note à l’aubergiste. La tentation eut été grande de se saouler mais il avait avant tout besoin de faire le tri dans ses sentiments et l’alcool ne serait assurément pas une solution. Avec son baluchon dur l’épaule et le reste de ses affaires harnaché sur Ombrage, il se dirigea vers le Fort alors que l’après-midi était bien entamé. Il n’avait pas déjeuné et se sentait incapable de le faire. Il avait avant tout besoin de s’occuper songea-t-il en repensant à la proposition du général de lui proposer du travail hors de la ville.

Depuis les taudis, Arya n'avait guère mit de temps pour rejoindre le poste de garde, elle ne voulait pas se laisser aller à une inquiétude trop grande, perdre son optimiste, pourtant la disparition de son petit protéger enserrait son âme à chaque pas un peu plus.

Elle aurait voulu croire que la petite fille qui l'avait renseignée s'était trompée, mais si les affaires de l'enfant n'étaient plus là, c'est qu'il avait décidé de partir pour ne pas affronter ce qu'il ressentait comme une démarche terrible ... qu'elle s'adresse à sa mère.

Elle s'approcha d'un des gardes et aussitôt qu'il fut disponible, elle s'empressa de le questionner.

Bonjour, mon nom est Arya Du Varden, je ne sais où m'adresser, mais je voudrais savoir si dans la nuit ou tôt ce matin un enfant à quitter la ville.

Elle donna la description de Podrick, ses vêtements usés à la corde, son regard, enfin tout ce qui pouvait être utile sans laisser la moindre chance au garde de lui couper la parole. Dès qu'elle eut terminé, elle regarda le garde avait une certaine inquiétude mêlée d'espoir.

Celui-ci se frotta le menton.
-Et bien... La nuit, les portes sont fermées, donc le gamin n'a pas pu sortir, à moins qu'il n'ait escaladé la muraille, ce qui me semble tout de même improbable, sauf s'il disposait d'une bonne corde... Autant il pourrait gagner le chemin de ronde de l'intérieur sans trop de difficultés, autant pour passer de l'autre côté... Impossible, sauf s'il a une corde et si c'est un as de la descente en rappel ! Hum.. Quant à l'avoir vu aujourd'hui... Comme ça, de mémoire, je vous dirais que non. On a pas eu des masses de monde, vu la neige, donc je pense que je me souviendrais de lui s'il était passé... Mais enfin, il peut toujours s'être faufilé en douce, ce n'est pas totalement impensable... Peu probable, quand même...

La réponse du garde rassura en partie l’elfe, rien n’était certain, mais comme il le disait, il l’aurait vu d’autant que s’il avait quitté la cité, il ne se serait probablement pas cacher.. Enfin c’est l’espoir auquel elle se raccrocha que son petit protéger fut toujours entre les murs de Lumenis bien que le mystère restait entier, mais elle aurait plus de chance de la retrouver que s’il avait fuit la ville. Pourtant, elle ne comprenait pas ce qui avait pu se passer dans la tête de l’enfant pour qu'il prenne une telle décision.<o>

</o> Tout en souriant, sans que le ton de sa voix ne puisse masquer son inquiétude, elle remercia le garde et s’en fut d’un pas lent. Quelques mètres plus loin, elle s’arrêta regardant les passants qui se dirigeaient vers les portes, espérant voir Podrick.<o>

</o> Elle ne savait que faire, ni où chercher, le mieux pour l’instant était de s’assurer que si l’enfant se présentait à la taverne ou à l’université, deux lieux où il savait la trouver qu’on l’accueille avec bienveillance et qu’on le fasse patienter.<o>

</o> Rapidement, elle se dirigea vers la Taverne.<o></o>

Quête : Brumes

D'ici...

Ils parvinrent aux portes de la ville une heure plus tard. La route était devenue de plus en plus praticable, de plus en plus fréquentée, même si le débit des voyageurs était bien inférieur en cette période hivernale à ce qu’il pouvait être aux plus beaux jours du printemps. Mais il restait des fermiers pour arpenter les campagnes, transportant œufs et lait, tubercules résistants, fourrage et tonnelets de bonheur liquide, des aventuriers en quête de tout et rien, des messagers, des visiteurs. Albérich avait mal partout, comme de coutume, incapable de s’habituer aux mouvements de la selle. Blocage mental, avait dit autrefois son mentor, au Temple d’Eredhùn, signe immanquable qu’il était fils de marin. Albérich s’était bien gardé de lui dire qu’il souffrait aussi du mal de mer.
Ils se glissèrent dans le flux des chariots et cavaliers qui pénétraient dans Luménis, s’attirant des regards interloqués du fait de leur étrange fardeau, mais Alaric et Tallad avaient sortis leurs insignes lathandrites, les révélant pour ce qu’ils étaient et apaisant les plus inquiets. Lorsqu’ils parvinrent devant l’arche de pierre, ce fut le colosse qui se porta à la rencontre des gardes en faction, et quelques phrases suffirent pour leur ouvrir les rues de Luménis.
Ils franchirent la muraille au pas et s’engagèrent dans les artères tranquilles du Quartier Sud, retrouvant sans peine l’atmosphère glacée de la capitale. Albérich sentit des émotions troubles l’assaillir, positives et négatives, mais il tenta de se concentrer sur son assiette, sur l’allure de son cheval, les rênes dans ses mains. Bientôt la silhouette du Temple se dessina devant eux, son dôme doré resplendissant sous les rayons attardés du soleil. L’Aubemestre eut la sensation que son cœur arrêtait un instant de battre, puis il repartit, son souffle échappa à sa poitrine dans un pseudo-soupir. Envie de fuir, envie de se blottir, il faudrait qu’il affronte de toute façon.

Quête : Brumes

Le chemin du quartier ouest aux portes constituait une jolie trotte et Albérich constata avec désarroi qu’il se sentait déjà fatigué. Il s’assit donc sur un muret à proximité de la grande arche qui se glissait sous les remparts et observa quelques instants le flot des passants qui la franchissaient. Il savait que c’était juste la mise en route qui était difficile, qu’il trouverait la force et les automatismes. Pourtant, le soleil était levé depuis plus d’une heure et il était toujours dans l’enceinte de la ville. Cette prise de conscience le releva et il pénétra dans le flux clairsemé des gens qui quittaient la cité à cette heure matinale. Les gardes, comme toujours, se souciaient peu de ceux qui tournaient les talons. C’était ce qui avait permis à ses ravisseurs de le faire sortir si facilement.
On va t’enterrer vivant, mon grand.
Il frissonna, sentit la bile qui lui remontait sur la langue, toussa dans son poing. Un paysan lui jeta un regard en coin, inquiet. Albérich essaya de sourire, de le rassurer, mais l’homme accéléra, espérant sans doute se tenir à l’écart de ses germes. L’ancien conseiller ne se formalisa pas. Il avait l’intention de garder ses distances, de ne troubler personne, de ne trahir personne. Plus personne, plus jamais.
La nervosité le reprit comme il avançait, pas à pas, dans l’ombre d’un groupe de bateleurs et de leur chariot coloré. Il s’attendait à moitié à être reconnu et interpellé. A être foudroyé au moment où il franchirait le portail, à tomber raide mort, à ce que la grille se referme devant lui et qu’on lui interdise à jamais de quitter la cité. Ou qu’elle claque sur ses talons lui interdisant tout retour. Qu’il soit métamorphosé. Transporté ailleurs.
Evidemment, rien de tout cela ne se produisit et il se retrouva hors des murs, comme quelques jours plus tôt, Luménis derrière.
Derrière.
Quelqu’un le bouscula, il bloquait le passage, et il fit quelques pas dans la boue gelée de la route qui montait vers le nord, referma les pans de son manteau, et continua son chemin. Il avança dans la grisaille, étonné de son propre détachement. Tout en marchant dans la neige usée par les mille pas de voyageurs empressés, il s’interrogea sur cette anesthésie progressive de ses sens, cette fausse indifférence, y retrouva ce vide glacé qui couvait dans sa carcasse, en lieu et place de son âme et de son cœur. Il réalisa que la vie ne serait peut-être plus qu’une succession d’instants sans importance, d’épisodes creux, juxtaposés, reflet d’un élan mort. Il s’arrêta pour essuyer l’eau qui lui ruisselait sur le visage, du bout de ses doigts gantés, et vit qu’il tremblait. Son souffle était laiteux, fumée tranquille, volutes ascendantes qui se dissipaient avant d’atteindre le ciel.
Ne pas se retourner, surtout ne pas se retourner. Marcher droit devant. La décision était prise, irrévocable, il n’y a plus rien à attendre du passé.
Je fuis, mais c’était la seule solution, songea-t-il en gagnant la campagne.

HRP : tout ceci se passe après la quête Rendez-vous manqué. Kasumi et Astrée ont retraversé les montagnes jusqu'à l'abri d'Astrée, puis, au début du mois de Mirtul (mai), redescendent sur Luménis

En provenance de http://www.baldursgateworld.fr/lacouron ... post297510

Kasumi et Astrée avaient cheminé tranquillement depuis le petit abri qu’Astrée s’était aménagé dans les montagnes, dormant la plupart du temps à la belle étoile, évitant les autres voyageurs. Non qu’ils aient quoi que ce soit à craindre : ils étaient raisonnablement armés, et n’avaient rien sur eux qui puisse attiser une quelconque convoitise. Mais ils préféraient couper à travers bois et champs, chevauchant seuls au milieu de la nature, chassant de temps en temps – lorsque Première Neige ne les devançait pas en leur fournissant du gibier pour le déjeuner. Et puis, Astrée, depuis sa mésaventure récente avec les esclavagistes, gardait une crainte instinctive des étrangers, répugnant à croiser leurs regards. Et l’idée de dormir dans une auberge ne la rassurait guère depuis son kidnapping à l’auberge de Deux-Ponts. Elle préférait donc largement l’intimité des petits chemins de traverse. Les voies principales étaient vraiment trop fréquentées en ce mois de Mirtul.

Au fur et à mesure qu’ils approchaient de Luménis, la campagne se peuplait de fermes, hameaux et villages, de plus en plus nombreux. Le trafic sur les routes s’intensifiait, marchands et voyageurs semblant s’être donné rendez-vous pour converger sur Luménis.
Astrée, instinctivement, avait rapproché sa monture de celle de Kasumi. Les mains un peu crispées sur sa selle, elle gardait les yeux fixés quelque part sur le sol droit devant elle, évitant le regard des autres voyageurs. Elle se sentait un peu… oppressée. Une sensation qu’elle n’avait plus connue depuis Deux-Ponts. Elle se demanda vaguement si elle n’aurait pas mieux fait de rester chez elle. Elle n’avait rien de particulier à faire à Luménis, après tout… Mais elle n’avait pas hésité un seul instant lorsque son compagnon lui avait annoncé qu’il devait repartir quelques temps pour donner de ses nouvelles au fort. Il avait raison, on pouvait avoir besoin de ses services. Et puis, il y avait aussi le bosquet dont il était sensé s’occuper.
L’idée de passer deux ou trois veilles à l’attendre lui était insupportable. Il lui manquerait trop. Elle se sentait incapable de passer même une seule nuit sans sa présence à ses côtés. Qu’il était bon d’être auprès de lui, qu’il était agréable d’aimer à nouveau... Et elle savait bien combien ces minutes de bonheur étaient précieuses, trop précieuses pour en gaspiller la moindre miette. Alors, sans hésiter, elle avait bouclé son sac et l’avait suivi. Prince des Frelons ne s’était pas fait prier pour être de la partie, et Moïse avait retrouvé son rôle de cheval de bat.

La file d’attente aux portes de Luménis lui parut interminable. Le vent s'était levé, faisant voler les pollens, et tempérant la chaleur de cette belle journée de printemps. L'air était lourd de senteurs fleuries.
Ils avaient mis pied à terre, tenant les trois chevaux par la bride. Astrée avait passé un bras autour de la taille de son compagnon, se lovant contre lui. A la fois pour le plaisir de sentir la chaleur de son corps contre le sien, et pour se sentir protégée. Elle gardait les yeux obstinément baissés, essayant de ne pas voir les autres voyageurs. Evitant surtout de croiser le regard des hommes. Ils étaient si nombreux à attendre avec eux. Et ils seraient encore plus nombreux derrière les portes, elle en avait conscience. Elle regretterait vite la quiétude de ses montagnes, elle le sentait. Et pourtant… il fallait bien qu’un jour elle se réhabitue à la compagnie de ses semblables, elle ne pouvait pas vivre éternellement isolée. Ce séjour à Luménis était un bon test de ses capacités de résilience. Le meilleur moyen pour apprendre à vaincre la peur panique qui s’emparait d’elle lorsqu’elle croisait certains regards, qu’elle pressentait lubriques. Et elle avait du chemin à parcourir pour retrouver la maîtrise de ses émotions. Pour l’heure, l’approche des portes lui donnait l’impression d’étouffer, de manquer d’air. Une sueur froide coulait dans son cou, son cœur battait trop vite. Elle avait une envie folle de faire demi-tour et s’enfuir. Elle se serra un peu plus fort contre son compagnon, puisant dans son contact la force et le courage qui lui faisaient défaut.

Ils passèrent une bonne partie de l’après-midi à avancer mètre après mètre, jusqu’à ce qu’enfin la voie se libère devant eux. Le garde à l’entrée se contenta de relever leurs noms sur un registre. Ils étaient tous deux citoyens luméniens, et on ne fit aucune difficulté pour les laisser passer. Il ne leur restait plus qu’à se diriger vers la Taverne de la Bienveillance, en espérant qu’ils trouveraient une chambre de libre.

Un matin, en même temps que le soleil s'élevait au dessus de l'horizon, Joon atteignit les derniers arbres de sa forêt pour ainsi dire natale. Devant lui s'étendaient d'étranges formations végétales réctengulaires et vastes, autour d'habitations en pierre. Celles-ci ressemblaient à la vieille cabane d'un druide chez qui il avait l'habitude de séjourner, lorsque son parrain devait s'absenter longuement. Il aperçut quelques personnes, affairées au milieu des hautes herbes, certains dirigeant des bêtes qu'il n'avait encore jamais vues.

Il avait marché depuis tôt dans la nuit, la fatigue de la veille envolée après six heures de "sommeil". Son louveteau en revanche était encore en plein rêve, et, comme depuis souvent depuis son départ du vieux campement, Joon le portait dans un petit harnais improvisé lorsqu'il n'avait pas la patience d'attendre son réveil, ni la cruauté de le forcer à trottiner à ses côtés. Il marqua un arrêt au pied des derniers grands arbres, surplombant la vallée, et observa longuement les humains travailler, attendant que son compagnon lupin termine sa nuit.

Peu avant midi, les deux comparses remontaient à allure mesurée la route pavée qui menait à une grande ville. Une ville de lumière, la plus belle des cités, selon un voyageur sur son âne qui venait en sens inverse. Luménis, à moins d'une journée de marche. Outshi, le louveteau, semblait moins inquiet que son jeune maître et gambadait joyeusement au devant, plongeant dans le talus au moindre passage d'un convoi de bestiaux, chassant les papillons et grognant sur chaque lézard qui le faisait sursauter. Si bien que Joon trouva là un prétexte parfait à ne pas se précipiter aux portes de la ville.

Néanmoins, le soir tombant, un rempart se profila. Le soleil orangé fit briller de mille feux les portes ouvragées de la cité. Luménis semblait bien porter son nom, de prime abord. Cette vision revigora Joon qui marcha d'un pas plus sûr vers le poste de garde installé près des portes. Alors qu'il allait rejoindre la grande route qui pénétrait les remparts, Outshi bondit en avant et entra à toute vitesse dans le poste de garde. Joon entendit un bruit de verre brisé et une chaise que l'on déplace brusquement. Il accourut à l'intérieur et, sous le regard ahuri des gardes, fouilla la pièce des yeux à la recherche du louveteau.

"Outshi, viens, aller, sors de là tu vas..."

Apercevant le loup, il siffla. Outshi approcha tranquillement du jeune elfe et s'assit à ses pieds.

"Voila... Tu parles d'une entr..."

Apercevant les soldats, ses oreilles sifflèrent, et son teint vira au rose, ce qui étant donné sa pâleur extrême, indiquait une gêne conséquente.

"Je... Hum... Je vous présente toutes mes excuses pour le dégâts et l'irruption un peu précipitée de mon l... chien, Outshi, c'est mon chien. Bonsoir ! Je m'appelle Joon, je suis... Je viens de..."

Reprenant ses esprits, Joon essaya de faire une impression suffisamment bonne pour ne pas courroucer davantage les gardes. Faisant preuve d'un calme stoïque, le rose de ses joues se dissipa.

"Je suis Joon, j'ai marché deux mois à travers la forêt pour rallier Luménis, je souhaiterai y séjourner pour... un délai encore incertain. Les portes sont-elles ouvertes malgré l'heure tardive ?"

Il avait parlé d'une voix sûre, déterminée. Mais la panique martelait ses tempes et il se maudissait intérieurement de ce premier contact avec la civilisation, qu'il avait imaginé un peu plus à son avantage.

Pourtant, les soldats ne paraissaient guère lui en vouloir et, déjà, revenaient de leur surprise. Celle-ci avait été grande, cependant : d'ordinaire, les voyageurs se présentaient aux hommes postés près des portes, ne pénétraient pas dans le poste de garde. Ils n'avaient pas non plus l'habitude qu'un animal y débouche à l'improviste, et sa soudaine irruption n'avait pas manqué de les prendre au dépourvu. Voir d'en inquiéter certains... A présent, ils souriaient plutôt de l'incident, et n'en voulaient manifestement pas à Joon dont l'apparence et l'embarras flagrant les avaient d'emblée rassérénés. Non, il ne s'agissait pas d'une attaque de brigands. Ou des prémisses d'un nouveau coup d'état.
-Les portes sont encore ouvertes, oui... fit l'officier responsable de la petite garnison. Et vous devriez pouvoir les franchir sans mal sitôt après avoir rempli quelques formalités...
Il s'empara d'une plume, d'un parchemin, et inscrivit le nom du visiteur.
-Avez vous des choses particulières à déclarer ? Des objets magiques, notamment ?

Joon regarda machinalement ses maigres possessions, puis secoua la tête.

"Non, rien de magique. Tout juste cette lance, quelques herbes et baies, et cet indiscipliné compagnon !"

Le louveteau commença à flairer quelque chose au sol et fit mine de s'écarter, doucement mais régulièrement. Joon le prit dans ses bras et s'enquit de la suite de la procédure.

L'officier rajouta quelques mots sur son parchemin puis releva la tête.
-Avez vous une idée de l'endroit où vous demeurerez durant votre séjour ? fit-il. Si vous n'êtes jamais venu à Luménis, je ne peux que vous conseiller la Taverne de la Bienveillance, dans le quartier du port. C'est une bonne maison, vous n'y aurez pas d'ennuis, la chair y est excellente et les lits douillets.
Il sourit.
-Vous allez croire que j'en suis propriétaire. Ce n'est pas le cas, pourtant ! Mais pour un nouveau venu, c'est vraiment un bon point de départ.