La Couronne de Cuivre

Le conseil fut levé et chacun partit vers ses tâches respectives.
Ce qui amena donc Albérich dans les souterrains, pour y incanter.
Salutations, messire Megrall.
Pas de surprise dans la voix du mercenaire : juste de la courtoisie.

Albérich se demanda si sa relative méfiance pouvait se percevoir dans ses pensées. Sans doute que non. De toute façon, il n'était pas franchement hostile, juste dubitatif quant à l'aide que le mercenaire pouvait désormais leur apporter.
Salutations. Hubert voudrait vous rencontrer. Où et quand ?

Bref silence.
A votre confenance, fit simplement Guillermo.

Voilà qui n'arrangeait pas ses affaires.
Nous avons peu de repères en surface. Avez-vous des propositions ? La caserne aux goules ?

Parfait. La porte de derrière. Un peu avant midi, si cela convient.

D'accord. Hubert et Varamyr viendront.
Si le mercenaire n'avait rien à ajouter, ils pouvaient en rester là. Le Luménien avait l'intention de lire pendant deux bonnes heures, à présent, et d'aller à l'observatoire — avec Marthe et Ruth — une fois que sa concentration commencerait à s'étioler, comme de coutume en fin de matinée. Pendant ce temps-là, Hubert serait dehors, bien sûr, mais il avait l'intention de le gratifier d'un petit sortilège avant qu'il ne s'en aille, histoire de pouvoir à tout moment savoir comment il allait. Qu'il n'ait pas songé à s'en servir plus tôt stupéfiait le Luménien, mais il était conscient que c'était désormais nécessaire à sa santé mentale...

Parfait. Bonne journée, messire Megrall.
Puis ce fut le silence dans son esprit, silence qui répondait à celui du souterrain.
Si la catastrophe avait déjà commencé, ce n'était pas visible dans les environs : tout était comme de coutume.

Albérich remonta donc dans le palais, s'en tenant au programme qu'il s'était concocté. D'abord passer voir Hubert pour le prévenir du rendez-vous. Il le trouverait dans la salle d'armes, sans doute avec Varamyr ou d'autres membres de son état-major. Ensuite, rejoindre Marthe et lui proposer de monter à l'observatoire en milieu de matinée. Ensuite, lire... et espérer que les enfants trouvent un diamant.

De son côté, Hubert avait trouvé Varamyr dans les jardins, comme souvent. Il y devisait avec les autres Paludiers : tous semblaient aimer profiter des lieux au petit matin, quand ils étaient encore déserts, quand les fleurs embaumaient tout particulièrement. Et malgré le ciel couvert, très sombre, même, l'endroit offrait son habituelle quiétude, apaisante au possible...
Le rôdeur accepta volontiers la sortie proposée, arguant que cela permettrait à son fauve de se dépenser...

Albérich les retrouva donc là, après s'être fait indiquer la bonne direction par Edgar. Hubert avait déjà revêtu une nouvelle cotte de mailles au-dessus de sa tenue. Le clerc leur sourit.
" Vous avez rendez-vous à la caserne que nous avons vidée l'autre jour, avant midi.
— Nous avons intérêt à nous mettre en route dès à présent. Ce n'est pas la porte à côté et si nous voulons éviter les voies principales...
— Avant cela..."
Il incanta sans leur laisser le temps de réagir, puis posa les mains sur leur bras à chacun.

Albérich -> Rapport -> Hubert et Varamyr

" Soyez prudents, ajouta le Luménien, passant rapidement sur Hubert, puis sur le Paludier.
— Bien sûr." murmura Hubert à mi-voix.
Albérich sourit, s'efforçant d'y croire sans y parvenir vraiment, et s'esquiva. Marthe, à présent.

Le trajet qu'effectuèrent Hubert et Varamyr dans le ventre de la terre fut long... mais sans anicroche. Le Paludier, prudent, ne laissait rien au hasard et envoyait fréquemment son lynx en éclaireur. Sans que celui-ci ne repère quoi que ce soit de particulièrement inquiétant.
Ils finirent par regagner l'air libre, en passant par les caves d'un bâtiment situé à quelques rues de leur objectif.
Il faisait sombre : au-dessus de leurs têtes, un couvercle de nuages noirs.
Pas un souffle de vent, pas un bruit aux environs.
Ils se remirent en marche, atteignirent rapidement l'arrière de la caserne. Guillermo émergea immédiatement de celle-ci. Il avait les traits tirés mais l'expression ouverte, et c'est une main franche qu'il tendit aux nouveaux arrivants.
-Messieurs...

" Guillermo." répondit Hubert en lui serrant la main avec la même franchise.
Comme la veille, il se sentit heureux de le voir, soulagé même. Il avait toujours eu une confiance immense en ses compétences et s'était tourné vers lui sans cesse, depuis la mort de Robert. C'était sans doute la base même de son sentiment de trahison. Que le mercenaire l'ait abandonné alors qu'il avait tant besoin de lui.
Mais il ravala sa déception. Ils n'étaient pas venus pour ça et Hubert avait l'intention de mener leur mission à bien, efficacement, et sans s'attarder. On les attendait au palais, il ne l'oubliait pas.

Le mercenaire, lui aussi, semblait désireux de ne pas perdre de temps. Et il expliqua sans détour pourquoi.
-Je propose que nous alions droit au but. Non que votre compagnie me soit désagréable, bien au contraire, mais... Tout est trop calme, ce matin..
-Comme si on gros orage couvait.
-Effectivement. Même les morts-vivants ont l'air de se planquer.

Hubert jeta un oeil vers le ciel puis acquiesça.
" Tu disais avoir des informations à nous transmettre. Je ne sais pas, de ton côté, ce que tu attends de nous. Nos objectifs et intérêts ne sont probablement pas les mêmes."

Guillermo haussa les épaules.
-Il n'y a pas grand mystère quant à mes objectifs : je me dois d'une part de châtier les traitres conformément au réglement de ma défunte compagnie, d'autre part de tenter de limiter les effets que leur forfait a eu pour la COmmunauté. Ne pouvant rejoindre celle-ci pour les raisons que tu connais, il me faut agir en loup solitaire et essayer de combiner ces deux buts. Mes pérégrinations en ville m'ont permis de repérer certains lieux qui, peut-être, auront de l'intérêt pour vous : je vais t'en indiquer l'emplacement. Et, réflexion faite, je ne vais rien demander en retour : cela évitera que vous ne soyez trop mal à l'aise. Après tout, vu ce qui s'est passé, la confiance ne peut plus être de mise envers moi.

" Ce n'est pas une question de confiance." dit simplement Hubert, mais il n'alla pas plus loin.
A quoi bon s'empêtrer dans des explications qui renvoyaient davantage à du ressenti qu'à des faits ? D'autant que Varamyr était présent. S'ils survivaient à cette aventure, peut-être pourraient-ils en parler, plus tard... mais ce n'était pas le moment.
" Qu'est-ce que tu as trouvé ?"

-Beaucoup de choses. Mais je vous conseille tout particulièrement le quartier est où les temples abondent. Le panthéon des Anciens semble relativement proche du notre, et les édifices consacrés au soleil ou à l'amour pourraient intéresser certains d'entre vous. D'autant qu'ils demeurent empreints d'une atmosphère particulière : ils ne font pas l'effet d'être désertés depuis des siècles. Et puis... J'ai repéré un certain nombre de petits sanctuaires par toute la cité. Une bonne partie se dressent sur ce qui devait être le tracé de la première enceinte, sans doute abattue quand la cité s'est étendue ; le reste est sur son actuel pourtour, non loin des murs... Ils sont tous bâtis sur le même modèle, relativement modeste, et arborent une décoration intérieuer similaire. Le plus curieux, s'est qu'ils sont tous tournés vers le centre de la ville. J'imagine que cela a un sens.

Un sens... Hubert pouvait parfaitement l'imaginer, mais dans le même temps, il ne voyait pas en quoi cela pourrait leur être utile. Tous les sanctuaires de Lathandre étaient ouverts sur l'est, et hormis attirer les courants d'air, cela n'avait pas grand pouvoir en cas de catastrophe. Mais Guillermo était un être pragmatique, aussi devait-il avoir raison, d'une manière ou d'une autre. Quant aux temples encore imbus de magie, il faudrait sûrement les visiter... mais les clercs se refuseraient sans doute à les piller, par respect pour les entités d'autrefois... qui devaient être les mêmes que les leurs, sous leurs visages anciens. Le paladin n'était pas un expert en cosmologie, mais il imaginait mal Albérich commettre pareil sacrilège.
" Merci. Nous irons voir." dit-il.
A moins que cet orage ne les empêche de sortir, désormais. Il n'avait aucune idée de la marge de manoeuvre qui leur resterait dans les jours — peut-être les heures — à venir.
" Autre chose ?"

-Pas grand chose. Hormis que les figures angéliques sont omniprésentes dans ces petits sanctuaires et que...
Il grimaça.
-Et que mes associés et moi avons eu une nuit difficile. Emplie de cauchemars. Je n'en fais pour ainsi dire jamais, et j'ai l'impression que c'est leur cas également. Voilà pourquoi je le mentionne : peut-être cela a-t-il un rapport avec ce qu'ont commis les Ithiliens.

Hubert n'avait pas cauchemardé, de son côté, même si la nuit avait été agitée. Peut-être le refuge les protégeait-il de ces effets néfastes... mais alors pourquoi avait-il rêvé du sceau, la nuit précédente ?
" De quoi avez-vous rêvé, Guillermo ? Cela peut être important... C'est ainsi que les habitants de la cité ont pressenti la catastrophe, autrefois. Peut-être cela pourra-t-il nous aider à trouver quoi faire pour la circonscrire."

Le mercenaire soupira.
-Malheureusement, je n'en conserve guère de souvenirs. Seulement des impressions diffuses... Des choses qui se faufilent, qui guettent, qui traquent... Des ténèbres qui se répandent... Des murmures et des plaintes...
Il secoua la tête.
-Peut-être mes associés s'en souviennent-ils mieux : malheureusement, ils ne parlent pas assez bien le commun... Le mieux est sans doute que vous me recontactiez demain : si le phénomène se reproduit, j'en aurai peut-être retenu davantage.

" Entendu." dit le paladin.
Il songea à leur palais, à nouveau, à la protection qu'il offrirait à Guillermo et ses protégés, à leur incapacité de les y accueillir comme ils l'entendaient.
" Guillermo, juste une dernière chose... Est-ce que vous avez... de quoi vous nourrir ?"

L'intéressé sourit.
-La goule rôtie est un plat fameux, et la blanquette de zombie se laisse manger.
Il se fit plus sérieux.
-Non, ne t'en fais pas : il y a quelques petits animaux à chasser et... les garçons s'y connaissent en plantes commestibles.

Des plantes comestibles en plein hiver ? Il devait plaisanter.
Hubert chercha quelque chose sur son visage, un appel, peut-être, que l'amour-propre l'empêchait de formuler.
" Dans ce cas... " murmura-t-il.
Il aurait voulu aider le mercenaire d'une manière ou d'une autre, mais il ne voyait pas comment. La croisade qu'il menait lui apparaissait mal inspirée, maladroite, même, mais à présent qu'il avait lié son destin à celui des gosses, il n'y avait plus rien à faire. Il était cruel, à bien y réfléchir, que Guillermo soit victime de cet élan de bonté. Mais Hubert avait le sentiment qu'il comprenait que la situation était inextricable.
" Merci pour tes renseignements. Restez sur vos gardes. Nous nous reverrons"
C'était davantage un souhait qu'une certitude, cependant.

-Je l'espère. Et dans tous les cas, nous resterons en contact.
Il leur serra à nouveau la main.
-Messieurs, bon retour et bonne chance dans vos entreprises.
Puis, sur un sourire, il disparut à l'intérieur de la caserne.

Hubert acquiesça, le salua, et fit signe à Varamyr de reprendre la tête des opérations. L'expédition se serait déroulée sans accrocs, même s'il n'était pas certain de son utilité profonde, si ce n'était pour ranimer ses regrets de la voie qu'avait choisie le chef mercenaire.
Mais c'était hors de sa portée, il ne servait à rien de s'en soucier. Il y avait le sceau, les Ithiliens, suffisamment de soucis pour lui occuper l'esprit.

De son côté, Albérich avait beaucoup moins lu qu'il ne l'avait de prime abord imaginé.
Après avoir convenu avec Marthe qu'ils se rendraient à l'observatoire en milieu de matinée, il était retourné aux légendes de Clairétoile et en avait trouvé une autre parlant d'anges : elle voulait que ceux-ci aient guidé les premiers habitants tant dans l'aménagement des lieux que dans l'exploration de leurs ressources.
Il fut cependant interrompu par des coups discrets tapés contre la porte de la bibliothèque. L'instant suivant, elle s'entrouvrait et Alban passait la tête par l'entrebâillement, manifestement très embarrassé de déranger les lecteurs au beau milieu de leurs études.
-Monseigneur, puis-je vous dire un mot, s'il vous plait ? souffla-t-il.

" Bien sûr." dit le Luménien, en reposant son livre.
Tout en rejoignant la porte, il sentit son rythme cardiaque s'accélérer. Les enfants avaient-ils trouvé un diamant ? Ce serait formidable... Albérich avait l'image, peut-être fausse, que plus on attendait, plus la résurrection serait pénible.
Il se glissa à l'extérieur, s'attendant à découvrir un Alban en caleçon, vu ce que lui et ses amis avaient abandonné à Hubert.

Et bien, il ne s'était pas trompé.
-Toutes mes excuses pour vous avoir dérangé, messire, fit l'écuyer. Mais nous avons découvert plusieurs choses...
Il parut embarrassé.
-D'abord, au premier, il y a une petite galerie qui semble consacrée à la minéralogie et tout particulièrement aux premières choses qui ont été tirées de la mine. Nous avons l'impression qu'il s'y trouve des diamants mais nous n'en avons pas la certitude. De surcroit, ils pourraient être trop petits...

Albérich grimaça en découvrant la mise du gosse, même s'il s'y était attendu. Hubert aurait pu se contenter de moins : sa nature de demi-céleste le protégeait du froid, tout de même. Mais il ne pouvait pas lui en vouloir : ce n'était pas son initiative.
" Je n'y connais pas grand chose et nous n'avons pas de nain avec nous, mais un diamant, même très petit, peut avoir beaucoup de valeur... Allons déjà jeter un coup d'oeil, et chemin faisant, tu me raconteras ce que vous avez trouvé d'autre."
Il avait franchement envie de prêter sa tunique au gamin et n'était pas certain qu'il résisterait pendant tout leur échange.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue